Goûter-concert au parc floral

Mieux que le goûter philo ou le café-concert, le goûter-concert. Piano, violon, violoncelle et foule de spectateurs assis sous un grand auvent blanc dans le parc floral de Paris : en avant la musique ! C’est en Espagne que nous faisons connaissance avec le trio Wanderer, avec une pièce de Turina, censée entrer en résonance avec les tableaux de Picasso et Goya (à la base, le goûter-concert était un concert-peinture – on a un peu changé la formule). Le premier mouvement de Circulo, joué sur fond de verdure ondoyante, m’a plutôt évoqué une matinée de printemps impressionniste. Je ne vois pas du tout le soleil aride annoncé par le violoniste. En revanche, lorsqu’il décline, je vois bien la danseuse espagnole sortir de sa langueur puis, lorsqu’il s’est couchée, poursuivre sa promenade in the night, sereine.

Un concert à l’extérieur a quelque chose d’apaisant : les bruits insupportables en salle deviennent une ponctuation nostalgique, comme si le vent nous apportait le souvenir d’un concert joué sous un kiosque, et qu’on en attrapait quelques notes avec un filet à papillons, sans craindre d’en louper, heureux seulement de celles qu’on aurait glanées. Les musiciens se mettent au diapason avec l’ambiance, saluent entre les mouvements pour les spectateurs qui a décidé de les applaudir et usent de leur humour pour introduire les morceaux et en expliquer les particularités. J’apprends ainsi que les notes faussement fausses que j’adore pour la joyeuse pagaille qu’elles mettent ou l’inquiétante étrangeté qu’elles suscitent ont un nom : ce sont des quarts de ton – qui seront donc rebaptisées notes-makis, même si ce n’est pas vraiment raccord avec le thème juif de Vitebsk. On est censé y entendre le bruit de cloches, qui ont inspiré les angoisses du violon-alarme, mais je crois qu’elles ont brûlé avec le reste du village. Ne reste que l’accord plaqué comme on frappe du pied, entre des murs délabrés et des verres brisés, qui résonne à travers des plaines plus ou moins blanches (des traces de pied alertes les sillonnent pour entamer je ne sais où une danse narquoise). Copland est grinçant, Copland est mon nouvel ami.

Pour le trio n° 1 en si bémol majeur de Schubert, le violoniste nous donne un storyboard qui se finit par une promenade en calèche. N’étant pas un personnage de Friedrich, mon esprit a valsé de montagnes en château et de bal en meringue pour finalement se fixer sur la promesse de l’après-concert.

Notre quintette de gourmands a entamé un tour du monde du goûter : petits beignets indiens aux épinards de Joël, dégustés avec de la confiture de pêche ; nonnettes de Klari (tout juste remise des pinces à linge qui faisaient de l’acupuncture aux partitions) ; petits gâteaux argentins aux noisettes, à la confiture de lait et au chocolat, de Hugo, et blondies américains au peanut butter et chocolat blanc par moi-même, Palpatine n’ayant apporté que sa propre personne – assez maigre. 

Estomac sur pattes, mode d’emploi

Vous avez fait URL ou IRL la connaissance d’un charmant animal une charmante demoiselle souris de compagnie. Parce qu’on ne devrait jamais se livrer sans mode d’emploi, voici celui de l’estomac sur pattes. 

La règle de base

L’estomac sur pattes a faim toutes les quatre heures. Fréquent, vous trouvez ? Cela correspond à l’âge d’or de l’enfance où l’on vous donne la becquée à heure fixe : petit-déjeuner à huit heure, déjeuner à midi, sacro-saint goûter à quatre heure (après avoir fixé pendant vingt-cinq minutes cette feignasse de grande aiguille qui tarde à pointer vers le 12), dîner à vingt heure. En grandissant, il faut logiquement rajouter le goûter de minuit (alternance sucré-salé oblige). Mais retenez bien ça, c’est la clé de l’entente cordiale : 8, 12, 16, 20. 

Les risques encourus en cas d’infraction à la règle 8.12.16.20

Un estomac sur pattes qui a faim n’a pas seulement envie de manger, il en a besoin. Après les gargouillis, signal d’alerte fort heureusement audible, cela se traduit par une crise de manque qui se transforme en envie de vomir. Alors, selon le tempérament de votre estomac sur pattes, soit il se transforme en mollusque apathique auquel vous ne pouvez rien demander qui nécessite une connexion neuronale, soit vous n’avez pas de chance et il devient agressif. Comme Ron dans le dernier tome (oui, c’est pour ça qu’il est insupportable). Comme moi. Si elle n’est pas nourrie avant minuit, la souris se métamorphose ainsi en gremlins – alors que je suis un si mignon mogwaï le reste du temps (comment ça, ce n’est pas crédible ? Il est midi seize et je vous dis que si !). 

Dans son environnement naturel

On ne remarque pas que l’estomac sur pattes en est un quand il est chez lui. Il a toujours une galette de riz à grignoter avec un morceau de gruyère en attendant que l’heure du filet de limande au four ait sonné. 

Chez vous

Si vous avez toujours une galette de riz à grignoter avec un morceau de gruyère, vous ne remarquerez pas non plus que l’estomac sur pattes en est un. Sauf à constater la vitesse à laquelle vous devez renouveler le stock – proportionnelle au temps que vous laissez passer entre deux repas. Est-ce que les chips peuvent remplacer les galettes de riz, qui vous donnent l’impression de bouffer du polystyrène ? Non, désolée. L’estomac sur pattes fait attention à sa ligne, et comme il sait qu’il a besoin de beaucoup manger, il mange sain. Ce raisonnement ne s’applique pas aux tablettes de chocolat, l’estomac sur pattes les aimant au moins autant que leur homonyme abdominal. Et si vos placards sont vides ? Malheureux, vous avez intérêt à retrouver un paquet de pâtes et à rappliquer dare-dare au premier « À table ». 

Au restaurant

Si vous tenez vraiment à inviter un estomac sur pattes au restaurant, il faut savoir ceci : l’estomac sur pattes préférera payer sa part plutôt que se priver de dessert pour alléger votre note. Le dessert fait partie intégrante du repas et il peut même influencer le choix du plat, s’il a l’air vraiment très bon et très sucré. Ne demandez donc pas à votre estomac sur patte s’il a la même carte que vous ; il l’a seulement prise par la fin. Ne lui parlez pas du tout, d’ailleurs : le choix est crucial et l’hésitation parfois cornélienne ; vous risquez de le déconcentrer dans sa comparaison entre le petit jarret de porc rôti au miel et épice sur son lit de choucroute du chef, le colombo de dinde aux amandes et ananas servi avec du riz grillé, et la pastilla de canard au miel et aux épices douces mit pommes nouvelles*. Il est très difficile de tenir une conversation en mettant en balance l’exotisme de l’ananas, la noblesse du canard et l’obélixisme du jarret de porc. Plus vous observerez le silence, plus vite vous pourrez passer la commande et engager la conversation. 

En voyage

C’est généralement lors d’un séjour à l’étranger que se révèle la vraie nature de l’estomac sur pattes, car l’exploration d’une ville ne génère pas forcément la découverte d’un restaurant engageant et abordable toutes les quatre heures. Dès que vous entendez « J’ai faim », ouvrez grands vos yeux et cherchez un point de ravitaillement toute affaire cessante. L’estomac sur pattes, conscient que voyager implique des efforts, s’est déjà retenu avant de lâcher ce J’ai faim et il risque de devenir irritable si ce n’est pas déjà le cas (c’est justement la preuve qu’il s’est retenu). Plus il aura faim, plus il deviendra exigeant, et plus vous aurez envie de l’étrangler avec la dragonne de son appareil photo. Pour éviter d’en arriver à de telles extrêmités, on ne saurait trop recommander le port de la pomme, ce kit de survie à peu près universel, qui permet de retarder l’explostion de la bombe une fois que le compteur, J’ai faim, s’est enclenché. 
Si décalage horaire il y a, ne sautez pas un repas, ajoutez celui de la destination de départ à celui de la destination d’arrivée. Si vous êtes en Allemagne ou assimilé et que vous prenez un gros Frühstück (même qu’une dame vient vous dire que vous mangez « wie ein Berg »), n’espérez pas tenir jusqu’au dîner : estimez-vous heureux de sauter le déjeuner et n’essayez pas de décaller l’heure du goûter. Sauf si vous êtes en Angleterre, auquel cas, on vous autorisera à ne pas faire mentir le five o’clock. Celui-ci revêtant un caractère sacré, préparez-vous à passer du temps dans les salons de thé.  

Chez vos parents

L’estomac sur pattes fait généralement très bon effet auprès des parents, car il honore la cuisine familiale et répond généralement par l’affirmative à la question de savoir s’il en re-veut (pourvu que le plat ne comporte pas de champignons). L’estomac sur pattes passe ainsi pour un bon vivant et il faut au moins lui reconnaître cela : il est contraignant mais pas difficile de lui faire plaisir, puisque manger est une joie qui revient assez souvent. 

* Comme je ne suis pas là pour vous torturer, ces plats existent vraiment, au Café du commerce.

Sardaigne un peu, pour voir

La Sardaigne est un petit pays pourri : petit, parce que c’est une île ; pays, parce que les Sardes se sentent italiens comme les Basques se sentent français ; et pourri, parce qu’il n’y a presque que des cailloux. En Corse, ils sont rassemblés en gros tas, ça s’appelle des montagnes et on peut circuler autour. En Sardaigne, il y en a partout. De préférence sous votre pied, histoire que vous vous entailliez le gros orteil.

Ces cailloux ne datent pas d’hier puisque la culture de l’île se résume à ses nombreux sites nuragiques. Le nuragique, car c’est l’heure de paraître érudit, se situe quelque part entre l’âge de bronze et l’âge de fer, c’est-à-dire à la Préhistoire pour la différence que cela fait. L’homme nuragique soulève de grosses pierres pour faire des maisons grossières qui soulèvent à présent des questions auxquelles il est tentant de répondre par des grossièretés. Comme la feuille A4, mâchée malgré sa pochette plastique, nous indiquait qu’on avait retrouvé avec la tombe divers objets type un-gamin-de-4-ans-fait-de-la-pâte-à-sel, dont une aiguille à coudre, maman se demande comment leur est venue l’idée de se faire des habits vu qu’on est loin de cailler dans le coin (bon, c’était avant que le Mistral se lève). Tandis que fort peu encline à la visite de ces sites névralgiques nuragiques, j’émets la supposition qu’ils en avaient marre de se piquer les fesses en s’asseyant, celle que nous appellerons la dame de carreau hasarde quant à elle l’hypothèse selon laquelle les nanas en auraient eu marre de se faire enfiler à tout bout de champ. Personne ne s’est pour autant retourné dans sa tombe pour la simple et bonne raison que la « tombe des géants » était très vide. C’était encore davantage une fosse commune qu’un caveau familial mais, que voulez-vous, les géants sont partout sur l’île, jusqu’à la pointe qui fait face à Bonifacio ; les roches y semblent des boules de pâte à modeler malaxées par des doigts de géants. Cela finit parfois par donner des formes à la Magritte. On pourrait organiser un Boggle visuel, moins instable que la variante à nuages.

Au caillou sarde, dont il appert que ce n’est pas un problème récent, on n’a pas trouvé mieux que la réponse de la route en spaghetti trop cuit. Vu que ça gave vite, on ne risque pas d’aller trop loin, même lorsqu’on sait que tout près, il n’y a presque rien. On se doute d’avoir loupé de lointains cailloux mais le temps est beau sans nurage et on va à la plage.

 

 

Aller à la plage est l’activité la plus sensée que vous pouvez envisager en Sardaigne : la couleur de l’eau oscille entre le turquoise-piscine et le bleu-yeux de husky, les montagnes sont proches et les criques par conséquent très belles. Seulement voilà, j’ai découvert cette année que je n’aimais plus aller à la plage. Certes, il n’est pas nouveau que des gamins hurlant sèment du sable sur votre serviette quand celle-ci n’absorbe que l’eau et la crème solaire ou que l’eau paraisse perdre dix degrés entre les cuisses et le ventre. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que je vois les corps vieillis.

À l’âge où l’on fait des pâtés de sable (le pâté semble passé de mode, c’est une honte ; après on s’étonne que les jeunes ne construisent plus rien…), les vieux ramollis ne vous dérangent que s’ils sont placés entre votre château de sable et le bord de l’eau, ralentissant ainsi le ravitaillement des douves – ce sont des vieux, voilà tout. Seulement maintenant que je ne fais plus de pâtés qu’au Typex (je me demande pourquoi, en fait – ah, si, le sable sous les ongles) et que j’ai abandonné la lecture à la plage pour cause de maniaquerie livresque (même avec mains essuyées après le tartinage, bouquin couvert et hurlement quand il risque d’être corné dans une bousculade avec le maillot de rechange), les vieux ne m’apparaissent plus comme des vieux, de tous temps vieux, mais comme des corps vieillissant, de la viande qui répète pour sa future putréfaction. Et de penser que la volonté peut se relâcher autant que la peau (d’orange) et l’esprit régresser autant que progressent les bourrelais me terrorise. C’est particulièrement visible sur les femmes italiennes qui sont des bombes toutes rondes à 30 ans et de grosses choses toutes flasques à 70 – d’autant plus visible qu’elles ne nous épargnent rien ; grâce soit rendue au maillot de bain une pièce des mamies de la Côte d’Azur.

 

La plage exclue, il n’y a plus rien à faire, ce en quoi excelle le jet-set à l’attention de laquelle se sont ouvertes moult boutiques de luxe. Dans le moindre village, on peut acheter des robes haute couture voire des manteaux en fourrure qui vous feriez faire un infarctus si vous les essayiez sans la climatisation, pourvu que ledit village se trouve sur la côte et que l’on puisse y arriver et surtout en repartir rapidement en yatch (que vous n’avez même pas besoin de prononcer « yôt » puisque les Italiens ne parlent pas anglais comme des vaches espagnoles : ils ne parlent pas anglais du tout, encore moins que français – au point que Black Swan, qu’on n’a pas osé traduire en France est devenu Il Cigno Nero). De tout petits yatchs, qui n’ont même pas toujours de jet ski ou d’hélicoptères à bord. Comprenez s’il faut une nouvelle paire de chaussure pour se consoler (par chaussure, on entend aussi des tongs transparentes qu’on appellerait des méduses si elles n’étaient pas incrustées de Swarovski – risque de désensibilisation à la paillette lors d’un séjour prolongé en Sardaigne).

Ou une robe. Parce que les robes italiennes sont vraiment très belles. À vrai dire, elles sont même coupées ce qui, aujourd’hui que la fripe se porte dans tous les sens mais toujours chiffonnée, est devenu synonyme de « bien coupées ». Et la bonne nouvelle, c’est qu’il y a en Italie un milieu entre la robe de plage Zara à 49,99 € et la robe de chez Paule K à 300 € (en soldes, robes de cocktail exclues). Résultat : trois robes dont l’une de soirée et le premier qui me renverse une coupe de champagne dessus, je le massacre de toute la force de mon décolleté voilé d’Amazone. Pas entièrement rempli, certes, parce que l’Italienne est plutôt bien pourvue à ce niveau mais cela me laisse de la marge pour engloutir sans arrière-pensée tout ce que la nourriture sarde peut offrir de substantiellement nourrissant.

 

Pour ne pas faillir à ma réputation et parce que l’heure du goûter approche, laissez-moi vous donner une idée de ce que l’on peut gloutonner en Sardaigne – de préférence chez soi qu’au restaurant car les plats sont un peu décevant par rapport à la qualité des ingrédients qu’on trouve sur place. Heureusement, il est difficile de rater une pizza. Pourtant, malgré la délicieuse composition pecorino-gorgonzola-noix (et après je m’étonne d’avoir des aphtes) sans tomate que j’ai pu déguster, la meilleure pizzeria du monde reste à Saint-Rémy-lès-Chevreuse qui, même au bout du monde (= RER B), reste plus accessible.

Les pâtes réservent plus de surprises puisque les Sardes ont eu la curieuse idée de fourrer leurs raviolis à la menthe et à la pomme de terre (excellent choix si vous hésitez entre pâtes ou gnocchis et que vous ne reculez pas devant le bourratif) et même de faire des raviolis-dessert, pâte citronné fourrée de fromage à déguster frit (on n’a pas osé) avec du miel (délicieux sucré-salé). N’étant pas très charcutaille, je passe directement au fromage et ne puis que réitérer mon amour de la mozzarella et du pecorino, malgré la forme rigolote du provolone. Je me demande seulement comment on peut faire de si bons fromages avec du lait si léger (demi-écrémé, vous êtes sûrs ? Oui ? Alors je plains les vaches sardes, ce ne doit pas être fun tous les jours niveau fourrage). Ah, oui, renoncez au pain, à moins de l’aimer dur et sans sel ou de se rabattre sur les gressins, les galettes locales (sorte de crackers épais comme du papier à musique) ou le pain noir (d’accord c’est allemand), surtout pour le Philadelphia (d’accord, c’est américain mais on n’en trouve pas en France – flash info : il débarque dans l’hexagone ! Merci mon dieu de la mondialisation).

Enfin, la glace à l’italienne n’est un mystère pour personne mais, si vous avez le cœur à renoncer l’espace d’un cornet à la stracciattela, vous pouvez renouveler votre foi en goûtant, par exemple, les parfums Ferrero Rocher, noisette-chocolat blanc ou peanuts (après le fudge au peanut butter, j’ai trouvé la glace). De manière générale, privilégier les noix et les couleurs laiteuses (coco dément, aussi). Buon apetito.

[Pour fêter l’échec du sevrage ordi + Cali, bientôt des photos]

Goûter un concert(o)

 

Maki.

La faute à Billy Budd : le concerto pour violon en ré majeur de Benjamin Britten m’est apparu sous un jour aquatique. Rassurez-vous, cela n’a rien assourdi, ni les percussions ni les archets, bien au contraire, et les chuintements ténus du violon de Janine Jansen, visiblement dans son élément (avec sa robe d’écume noire), se sont bien propagés ; j’étais dedans !

 

Sabayon.

L’Italie de Berlioz ou d’Harold, je ne sais, m’a parue quelque peu académique. C’est pendant que l’altiste soliste, planté bien droit, convoquait montagnes, ruines ensoleillées et autres paysages, que j’ai pensé à une métaphore culinaire pour exprimer ce que j’appelle d’ordinaire de la musique au partitif. Vous reprendrez bien de la musique ? C’est très lié et sans grande saveur : de la crème anglaise. Je trouvais que cela allait parfaitement pour une Italie importée d’Écosse jusqu’à ce que le deuxième mouvement vienne me tirer de mes considérations. La « Marche des pèlerins chantant la prière du soir » a cette beauté bouleversante du liturgique observé de loin, uniquement sous un jour esthétique. La nuit et la lueur jaune-orangée des vitraux d’une église. Une lanterne d’Aloysius Bertrand, peut-être. Un secret dont on aurait perdu le sens et qu’il faudrait répéter pour ne pas l’enfouir et permettre à quelqu’un, un jour, de le découvrir.

Mais comme toute beauté éphémère, la procession s’est éloignée de portée d’oreille, la parenthèse s’est fermée, la chuchotement a été recouvert et c’est pendant les deux derniers mouvements que j’ai décerné le maki, délice algué, à Benjamin Britten et transformé la  crème anglaise en sabayon, pour que le deuxième mouvement s’y découvre comme quelque fruit savoureux au milieu d’une crème pas mauvaise mais sans litote.

En bis, la suite pour violoncelle n°1 de Bach – pour violoncelle mais à l’alto. Je me demandais si j’allais l’entendre un jour en concert. Je me demande à présent si je l’entendrai un jour en concert jouée lentement, avec des moments très étirés presque en chute libre avant d’être rattrapés in extremis par le crescendo, histoire de nous donner le vertige. C’est comme avec les feux d’artifice, il faut apercevoir la retombée pour apprécier la fusée suivante – sinon c’est courir droit à la jouissance en oubliant le plaisir.

 

Farfalle tonde.

Ravel sert à Daphnis et Chloé un plat de farfalle tonde, c’est une évidence au-delà des mots (j’avais la forme de la pâte et pas le nom). Des formes riches et rondes qui miroitent avec force, c’est une mer déchaînée de tableau impressionniste ou un plat de farfalle tonde. Un moment fort, au figuré comme au propre.

Ich bin gar kein Berliner, aber…

 

Six jours à Berlin n’ont pas plus fait de moi une Berlinoise que de Kennedy un beignet. Le cosmopolite président, wer denkt, dass sagte, er Berliner war, s’est autoproclamé petit beignet… qui s’appelle bien un Berliner partout en Allemagne, sauf à Berlin où il est relégué au rang de beignet hyperglacé (s’il ne concurrence pas les glaçages des gâteaux américains, c’est uniquement en raison de sa taille, et non par son aspect aussi peu ragoutant – mention spéciale pour les blancs à rayures roses). C’est qu’il y a de quoi éponger la bière…

Pour commencer, les petits-déjeuners peuvent être copieux – pour être honnête, on les a rendus tels, le buffet n’étant en aucun cas un indicateur quantitatif fiable. Aux basics continentaux que sont thé noir, miel, ersatz de Nutella, confiture et céréales, s’ajoute le grain de sel allemand : fromage (assez neutre, genre gruyère ou Philadelphia *Phiiiiiiladelphmiam*, encore que j’ai testé le fromage frais à tartiner à l’ananas (sic) – je sais, le nombre de complément est en soi mauvais signe) et charcuteries diverses (je me suis arrêtée au jambon et à une espèce de bacon non frit, assez mortel pour ne pas s’attaquer à la mortadelle) à manger avec des Brötchen ou du pain noir (avec le Philadelphia *je ne vous le refais pas*). Pour faire glisser, on prendra un peu de verdure, salade et sa sauce un peu inquiétante bien/parce que orange, tomates, concombres et poivrons. Une gorgée de thé pour s’achever, c’est sucré-salé et calculé pour tenir dans le froid berlinois.
Cette séance de goinfrage matinale nous ont permis, à Palpatine et moi (enfin plus à lui qu’à moi d’ailleurs, même si j’engloutissais plus – mais il se défendait bien sur la confiture – ok, j’ai fait jusqu’à 80g en un petit-déjeuner – beau match, non ? rassurez-vous, il n’y avait pas de bataille de boulettes de pain – on s’égare, là) de ne faire qu’un autre repas par jour (je le précise à toutes fins utiles, un bagel ne constitue pas un repas *bagels power* J’ai bien retenu comment on disait cannelle en allemand, faites-moi confiance), un goûter, par exemple, à tout hasard.

Entre deux brunch, drunch et autres contractions aussi sucrées que douteuses, nous avons tout de même pris de véritables repas au cours desquels nous avons mangé de la Kartoffel sous moult formes.
A l’occasion d’une fringale nocturne, le goûter de minuit n’étant pas envisageable, j’ai osé la Currywurst, cette saucisse qui, avant d’être découpé à la barbare, noyée sous la sauce et saupoudrée de curry, frit indéfiniment sur la plaque de cuisson d’un bouiboui (un peu comme le café bouilli des Américains – au sens large, les Canadiens sont aussi très forts), diffusant alentours une nauséabonde odeur de gras. Dans les marchés de Noël, de doux effluves venaient délicatement s’y marier : frites, boulettes, autres charcutailles dans la bière, et beignets en tout genre. La Currywurst ne contribue pas à faire l’haleine fraîche mais, ma foi, c’était plutôt bon.

 

Comme je suis une warrior de la bouffe, après avoir commis la saucisse au curry, ce n’était pas le sucré qui allait m’arrêter. Au salon de thé du Staatsoper, après avoir compulsé le livre de photos des gâteaux, évalué devant l’enfilade des modèles le potentiel écœurant de chacun et m’être rabattue bien sagement sur une part d’Apfeltorte, je n’ai pas pu me résoudre à ne pas tester la crème de la pâtisserie berlinoise, et j’ai commandé ça :

 

 

Une part de Nusscremetorte, pas forcément plus légère que les costumes de Nusscracker (on prend son vocabulaire où l’on peut). Pas mauvais pour autant, même si ça n’arrive pas à la pâte de Dalloyau. Avec le chocolat chaud viennois en prime, la trotte à pied dans le froid pour rejoindre la porte de Brandebourg n’a pas été de trop.

 

Sachertorte de mon estomac co-équipier.

 

J’ai également testé le gâteau au fromage, que certains ont préféré moderniser et renommer New York cheesecake. Il faut bien voir que si la Kartoffel et la Wurst sont des idiosyncrasies culinaires nutritives allemandes, la gastronomie cuisine teutonne rejoint l’américaine sur bien des points, depuis le genre de bouffe (quantité, gras, glaçage) jusqu’aux franchises : Dunkin Donuts *Dunkiiiiin Donuts* ou , plus évidemment encore, Starbucks. Einstein café, sa version locale, ne démérite pas, mais sa franchise n’est pas aussi envahissante. On en a trouvé un avatar un peu par hasard, en cherchant LE Einstein café, à la poursuite duquel on s’est vainement lancé, qu’on a découvert un autre jour et finalement testé avant de reprendre l’avion.

 

La belle et bonne portion d’Apfelstrudel aurait pu être la consécration du séjour si seulement elle était mit Zimt. Mais il faut croire que la cannelle là-dedans est une spécialité autrichienne…

Il faudra y retourner pour tester une choucroute et puis aussi le chocolat chaud blanc (weisse Shokolade, c’est bien ça, non ?)