Two lovers, un film à géométrie variable

 

 

Jamais deux sans trois. Encore faudrait-il savoir qui sont les deux. Comme on ne sait pas, on commence à trois. Mais l’affiche n’est pas juste*, il n’y a pas de triangle : Leonard n’hésite pas entre deux femmes, il est amoureux de Michelle et aimé de Sandra. C’est justement le fait qu’il ait à choisir alors qu’il a déjà fait son choix qui fait toute l’épaisseur du film. Ce n’est pas vraiment une comédie romantique. Leonard fait sourire lorsque sur le quai de la gare il s’absorbe dans la contemplation pour feindre la surprise d’être abordé par Michelle, lorsqu’il se rajuste pour faire impression, lorsqu’il se met à danser comme un malade toujours pour la même cause, mais il agace tout autant, par son corps maladroit, par son chewing-gum qu’il mâchouille comme si cela devait lui donner un style de beau gosse, par son soin à ménager ses parents ou une sortie de secours à ses amours, on ne sait pas vraiment. Il fixe rendez-vous à Sandra tout en guettant Michelle à la fenêtre : son crush irrationnel pour celle-ci ne suffit pas à faire oublier qu’il n’est pas vraiment réglo avec celle-là – sans pour autant être salaud. Il a du respect pour cette femme qui l’aime et qui ne peut pas ne pas apprécier. Ils sont du même monde, et pas seulement parce que Sandra est passée par ses parents pour approcher Leonard ou que ceux de ce dernier font tout pour les pousser dans les bras l’un de l’autre. Sandra est d’emblée à sa place dans l’appartement de Léonard, dans sa chambre aussi qu’elle visite comme une adolescente entre le plat et le dessert (c’est pour elle aussi que Leonard fait disparaître le portrait de son ex-fiancée), tandis que Michelle y passe une seule fois et fait le tour du propriétaire comme pour un état des lieux, s’étonne d’objets qui pourraient caractériser Leonard –étonnement poli et relativement indifférent. La plupart du temps, elle évolue dans un autre espace (un autre monde), dans son appartement de l’autre côté de la cour. On la voit toujours à sa fenêtre comme dans un tableau et au fonds elle n’est pas autre chose que cela, le tableau d’elle-même peint (ou plutôt photographié) par Leonard. Michelle n’est réelle qu’un instant, lorsqu’on l’aperçoit dans un autre triangle qu’elle forme avec Leonard et son amant qui ne quitte pas sa femme pour elle ; on aperçoit alors sa vie, indépendamment de Leonard. Il n’y a donc pas un triangle, mais plusieurs, et encore, ils ne sont pas équilatéraux.

 

2+1, toujours :

Leonard et Michelle + Sandra, toujours poussée sur le devant de la scène par les parents.

Leonard et Michelle + l’amant de Michelle, qui la soustrait à Leonard = l’amant et Michelle + Leonard, visiblement pas à sa place dans le restaurant où il est invité à dîner avec le couple au titre de bon ami devant évaluer les chances (ou plutôt les risques pour lui) que l’amant quitte finalement sa femme. [Two lovers qui aiment également en vain]

Leonard et Sandra + l’obsession puis le souvenir de Michelle c’est un film à géométrie variable. [Two lovers qui aiment de façon différente, Leonard dans l’absolu de l’instant, Sandra dans la tendresse de la durée des macarons !]

 

Un film à géométrie variable : des triangles à foisons et peut-être même un quadrilatère – comment faire autrement quand on a two lovers et qu’ils ne le sont ni l’un de l’autre ni de deux personnes différentes ? La dissymétrie équilibre le film à merveille. C’est également ce qui fait que si l’on n’a pas une comédie romantique, on n’a pas pour autant une tragédie. Le tragique est refusé dès le début : on ne mettra pas de mot sur la tentative de suicide qui débute le film, Leonard lui-même refait surface. Pas de tragédie à la fin non plus. Michelle, comme on pouvait s’y attendre, repart avec son amant, qui a (on ne l’aurait peut-être pas espéré) quitté sa femme, tandis que Leonard passe la bague au doigt de Sandra. Pas de joyeuses équations de comédie romantiques où les compagnons délaissés par la formation d’un nouveau couple en forment un à leur tour, certes, mais la tragédie est laissée hors-champ (les prétendants éplorés de Sandra et la famille de l’amant de Michelle, qui restent à l’état de mot). Ou simplement évitée. La fin est bien définitive, et pourtant, elle ouvre sur un autre avenir (peut-être pas radieux, il est vrai). Pas de héros tragique abandonné, il y a toujours quelqu’un pour vous tendre la main, serait-ce sous la forme d’un gant échoué sur la plage. Un gant que Sandra a offert (enfin la paire, hein) à Leonard et qui tombe de sa poche alors qu’il balance la bague qu’il avait achetée pour Michelle vers la mer (on notera au passage que la plage est une approche plus pacifiée que le ponton d’où Leonard tente de se noyer au début). Un souvenir du geste de Sandra qui est autre chose qu’une roue de secours. La bague destinée à Michelle et passée au doigt de Sandra a un petit goût amer, mais Leonard a vraiment de la tendresse pour elle. Ils parviendraient presque à faire mentir Balavoine et son « aimer est plus fort que d’être aimé ». Si Leonard revient vers Sandra, c’est aussi parce qu’il ne peut s’empêcher d’être attiré par celle qu’il obsède. Son crush pour Leonard est peut-être tout aussi irrationnel que celui de ce dernier pour Michelle, mais Sandra saisit Leonard dans son individualité – elle fait véritablement attention à lui. (Comme si l’intérêt pour l’autre ne naissait que d’une certaine focalisation/fixation : après tout, cela expliquerait pourquoi dans les films les deux personnages qui se détestent et se retrouvent coincés en famille/ dans un ascenseur/ dans un magasin de jouet le jour de Noël etc. finissent toujours par tomber dans les bras l’un de l’autre).

Au final (désolée, ce n’est pas la fin mais « su
ite et fin »), je ne sais pas si j’ai aimé. Vous me direz peut-être, comme nos profs, que ce n’est pas le propos, à moins de chercher à partir de là pourquoi on a ou non apprécié. Bah, j’ai fait l’inverse, d’abord cherché à comprendre pourquoi une impression bizarre, incomplète, qui m’empêchait d’être véritablement enthousiaste, mais aussi de ne pas aimer. A présent, je crois pouvoir dire que j’aime ce film – à défaut de l’avoir aimé. Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde ; on a beau savoir ce qui va se passer (ou alors c’est parce que j’ai lu avant la note très juste de Melendili), il y a une certaine densité qui soutient l’attention. Le film a simplement le défaut de sa qualité : la dissymétrie qui fait sa richesse est aussi ce qui laisse une impression bancale. Ni comédie, ni tragédie ; une sorte de drame, qui fascine par son épaisseur psychologique, mais qui comme tout drame tombe dans l’entre-deux. Un absolu qui n’est pas idéal (Leonard a bien été un bref moment avec Michelle) mais qui n’est plus possible (et en devient presque impossible) ; une vie qu’il faut continuer par un effort incessant.

 

(deux astérisques, mais en fait, c’est la même)

* l’affiche n’est pas juste aussi avec Leonard en costard alors que, balourd, il se trimballe dans un anorak et n’a rien du séducteur ; avec Sandra, qui ne fait pas du tout vamp’ séductrice.

* cette photo (ci-dessous, comme on dit dans les légendes de magazines) que l’on retrouve souvent non plus. Il n’y a guère que l’escapade sur les toits (*résister à la tentation de faire une synthèse des lieux et une nième ou plutôt septième interprétation avec celui-ci*) qui ait un petit côté The Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Contente d’ailleurs de voir que je ne suis pas la seule à qui cette analogie est venue à l’esprit – autre note très juste, ce me semble, qui vaut le détour – rien que le nom de ce blog est miamesque.