Fidèle à Louis même

Depuis Le Redoutable, Louis Garrel semble s’être découvert une fibre comique, qu’il exploite maintenant comme acteur-réalisateur de L’Homme fidèle. Entendons-nous : la photographie est toujours très Nouvelle Vague ; lorsqu’on voit Laetitia Casta en pull blanc à col roulé et lui-même attablé à la table d’une brasserie parisienne, on dirait que le smartphone, éteint et aligné avec les couverts comme s’il en était un, a été incrusté dans une séquence de Rohmer. La dynamique des scènes, en revanche, est tout autre. Elles s’enchaînent avec une précision qui se ferait passer pour de l’étourderie – un rythme qui fait écho à la désinvolture propre à Louis Garrel, ici au service d’un personnage de bonne composition se faisant balader par la gente féminine (et sa progéniture).

De ses deux amants, Marianne a préféré Paul à Abel (Louis, donc) pour élever son fils ; mais voilà que Paul meurt : l’histoire peut reprendre. Pour faire bonne mesure triangulaire, on ajoute Ève, la petite sœur de Paul, qui crush sur Abel depuis des années, et que lui ne calcule pas – enfin pas comme ça. Pour éviter de se le faire piquer, Marianne le jette dans la gueule du loup, qui, complètement cristallisée, vole en éclat : Ève pensait à Abel lorsqu’elle faisait l’amour avec d’autres hommes ; mais maintenant qu’elle est avec lui, à qui penser ? Et Abel de ne penser qu’à celle qui, une fois de plus, s’est dérobée, mais cette fois-ci pour mieux se faire rattraper. Même sans trop apprécier Laetitia Casta et Lily-Rose Depp, c’est léger et (im)pertinent ; ça coule comme de l’eau, et on sourit à l’absurde qui, de l’amertume de la vie, fait sourire sucré, avec panache : un panaché, garçon !

Mit Palpatine

Le redouté

Sous couvert de comédie-pastiche-tombeau, Michel Hazanavicius nous offre avec Le Redoutable un très beau film drôle-amer. On rit bien volontiers de la Nouvelle Vague rembobinée et du personnage de Godard, interprété par Louis Garrel, parfait de flegme pince-sans-rire zozotant (je me fais d’autant moins prier que l’unique film que j’ai vu du réalisateur était l’infâme Adieu au langage), mais ce serait un inconnu que ce serait tout aussi juste. Sans jamais se départir de sa légèreté rythmique – on n’épilogue jamais -, le film effleure là où ça fait mal. Il montre, sans démonstration appuyée, comment on peut se raccrocher à une idéologie jusqu’à nier toute réalité, toute amitié. Comment on peut se rendre détestable en se détestant soi-même, et se mettre à détester les autres de ne pas vous détromper ; ou pire, de vous aimer ainsi, si détestable. Et comment peu à peu la personne qui vous a ouvert de nouveaux horizons peut finir par vous faire une vie étriquée. Il faut le menton et le regard incroyablement intense de Stacey Martin pour démentir le sois belle, suis-moi et tais-toi infligé par un Godard-connard à sa femme, Anne Wiazemsky. À chaque fois qu’elle se tait (face à son mari de moins en moins cynique et de plus ou plus imbuvable), se taire est une action à part entière – non pas un accès de lâcheté, mais la force de ravaler le mépris plutôt que de le recracher :  l’endurance et le courage d’aimer, elle est belle de cela. Je l’ai aimé tant que j’ai pu.