Mondrian figuratif

Je n’avais aucune idée de ce à quoi les tableaux de Mondrian pouvaient ressembler sans carrés jaunes, rouges et bleus à l’entrecroisement de lignes noires, mais l’affiche était engageante. Intrigante même : comment passe-t-on de l’un à l’autre, d’une jeune fille et de coups de pinceaux flamboyants, à une géométrie rangée dans l’abstraction ?

L’exposition joue du contraste sans apporter vraiment de réponse. J’apprends cependant que le peintre n’a pas été de l’un à l’autre dans une évolution linéaire : certes, l’abstraction émerge peu à peu du sujet (on peut s’amuser à lire entre les branches des arbres un futur antérieur), mais abstraction et figuration coexistent dans la pratique du peintre au-delà d’un temps de transition. Rodé au carré, il a ainsi continué de peindre des aquarelles fleuries chaque matin pour se délier la main, sans que cela soit bien clair : gamme du peintre ? gagne-pain auprès d’un public moins averti ? plaisir distrayant ? Il semble pourtant envisager et construire son œuvre dans l’abstraction et finit par envoyer bouler son mécène, qui voulait lui commander un portrait plus traditionnel : il n’a plus le temps pour cela (mais pour peindre des fleurs, si, manifestement).

Autoportrait, 1918
Le figure du peintre devant un de ses tableaux géométriques est un exemple flagrant de coexistence entre abstraction et figuration.

Peut-être aussi la dichotomie figuration-abstraction importe moins que la poursuite d’une expression personnelle, à laquelle toute commande vient faire obstacle. Mais j’ai du mal à entrevoir ce que le peintre s’ingénie à cerner par des moyens si différents. La lumière ? Elle disparaît peu à peu dans la couleur. La texture de toute chose ? Voilà qui est bien vague, bien utopique. Mais c’est la seule piste qui nous est suggérée, et à y bien regarder, peut-être les premiers carrés rouges-roses-orange constituent-ils une tentative pour restituer la matière des moulins devenus délirants de couleurs, comme un zoom pixelisé ? J’ai été étonnée par le seul tableau typique de ce qu’évoque le nom de Mondrian ; habituée à le voir décliné comme motif vectoriel sur des robes, des tasses, des plateaux, je ne m’attendais pas à voir des coups de pinceaux apparents, des carrés constitués de lignes, laissant transparaître le canevas. Une trace de vibration ? Elle ne me touche plus, mais du mois pourrais-je ainsi la comprendre.

Montage barbare juxtaposant sans tenir compte de l’échelle : Moulin dans la clarté du soleil (1908), Moulin (1911) et Composition avec grille 8 : composition en damier aux couleurs foncées (1919) .

Là on ça vibre le plus, pour moi, n’est pas dans l’apogée géométrique, ni la période quasi-impressionniste qui précède (le procédé se ressent comme tel, masque la vision), mais celle qui suit les tout débuts, quelque part entre les poils de lapin épatants de tradition et les moulins écarlates. Alors que j’aime passionnément les couleurs vives, chaudes et saturées, ce sont les toiles les plus sombres qui m’ont happée ; le peu de couleurs qui subsistent font davantage vibrer l’image que les plus vifs aplats (il n’y a plus rien à apercevoir sous le soleil de midi qui écrase tout, tandis qu’il n’y a pas plus dansant que des ombres…).

Rétrospective express de mes tableaux préférés de l’exposition :

Crépuscule, 1906
La palette m’a immédiatement fait penser à l’illustrateur Arthur Rackham. Ce clair de lune diffuse une lumière incroyable…
Autoportrait, 1908
Un regard qui fait pop, non ?
L’arbre gris, 1911
Entre barbelés et vitrail…
Ferme près de Duivendrecht, 1916
Aucune reproduction ne rend justice à la luminosité incroyable de ce tableau. Cela flamboie sur l’eau et dans les branches, qui ne sont pas peintes sur le ciel, mais le ciel sur elles, comme si les couleurs se prenaient aux branches…

L’exposition Mondrian étant organisée par le musée Marmottan, mon coup de cœur aura été… pour Berthe Morisot, exposée à l’étage dans les collections permanentes du musée.

Non mais la douceur et la vitalité (et le doudou !) de cette enfance…
Les couleurs de la reproduction sont un peu ternes. En réalité, cela vibre de puissance et de douceur. J’adore la manière dont le mouvement naît de la dissociation entre les lignes (position haute de la main) et la couleur (le bougé du bras). Et l’auréole de douceur qui fond le décor autour de sa silhouette, le visage rehaussé d’un fin trait…