Sous couvert de comédie-pastiche-tombeau, Michel Hazanavicius nous offre avec Le Redoutable un très beau film drôle-amer. On rit bien volontiers de la Nouvelle Vague rembobinée et du personnage de Godard, interprété par Louis Garrel, parfait de flegme pince-sans-rire zozotant (je me fais d’autant moins prier que l’unique film que j’ai vu du réalisateur était l’infâme Adieu au langage), mais ce serait un inconnu que ce serait tout aussi juste. Sans jamais se départir de sa légèreté rythmique – on n’épilogue jamais -, le film effleure là où ça fait mal. Il montre, sans démonstration appuyée, comment on peut se raccrocher à une idéologie jusqu’à nier toute réalité, toute amitié. Comment on peut se rendre détestable en se détestant soi-même, et se mettre à détester les autres de ne pas vous détromper ; ou pire, de vous aimer ainsi, si détestable. Et comment peu à peu la personne qui vous a ouvert de nouveaux horizons peut finir par vous faire une vie étriquée. Il faut le menton et le regard incroyablement intense de Stacey Martin pour démentir le sois belle, suis-moi et tais-toi infligé par un Godard-connard à sa femme, Anne Wiazemsky. À chaque fois qu’elle se tait (face à son mari de moins en moins cynique et de plus ou plus imbuvable), se taire est une action à part entière – non pas un accès de lâcheté, mais la force de ravaler le mépris plutôt que de le recracher : l’endurance et le courage d’aimer, elle est belle de cela. Je l’ai aimé tant que j’ai pu.