Vous pensez avoir fait le tour des films en costume, et James Gray sort un nouveau film, qui n’est ni un film en costume ni même un James Gray. C’est d’une sensibilité qui n’a d’égale que la pudeur avec laquelle elle point. Ce sont des plans qui s’oublient* et des visages patinés qu’il faut prendre le temps de lire, comme des cartes jaunies – les acteurs sont d’ailleurs de plus en plus beaux à mesure que le maquillage les vieillit et que leurs personnages se gorgent d’un destin dont ils sont les seuls artisans**. À tel point que, seriez-vous Percy Fawcett (Charlie Hunnam), vous passeriez la journée assis à contempler sa femme (Sienna Miller). Mais vous n’êtes pas Percy et la beauté connaît la tristesse de la perte ou, sous sa forme atténuée, de l’absence : envoyé par sa hiérarchie militaire dans une expédition de cartographie pour déterminer la frontière (sensible) entre le Brésil et la Bolivie, Fawcett découvre des poteries anciennes dans la jungle là où nul homme (blanc) n’était allé, et n’a dès lors plus qu’une idée, y retourner. Malgré les maladies mortelles, les attaques des natives, les piranhas, les infections, le sang dégobillé et les flèches évitées de justesse : y retourner, et trouver cette ville mystérieuse qu’il nomme Z, comme la dernière pièce du puzzle de l’humanité. La formule a l’emphase d’un humaniste au temps du colonialisme***, mais aussi une portée métaphorique a laquelle le film finira par faire écho, après les délais, les tentatives avortées, la guerre des tranchées, toujours l’idée fixe, obsessionnelle, de cette ultime découverte.
<avertissement> Quoique je n’y vois pas de quoi gâcher le plaisir, la suite de ce billet ne fait pas de mystère sur celui qui entoure la fin du film.</avertissement>
Lorsque son acolyte M. Costin**** refuse de se joindre à une nouvelle expédition, Fawcett s’inquiète de ce qu’il a cessé de croire à l’existence de Z : M. Costin craint seulement que Z ne lui apporte pas les réponses qu’il cherche. Car Fawcett a beau recourir à la rhétorique du sacrifice, pour lui, sa femme et ses enfants, on le sent poussé par un désir immense – un désir si grand qu’il trahit le prétexte sous le but : trouver Z pour donner une direction à sa vie et l’achever. Le désir de connaissance, de progrès, d’humanité, la pulsion de vie s’inverse et se confond en pulsion de mort, de plus vaste que soi. La fin, magnifique, ne tranche pas – rationnellement si, bien sûr, mais métaphoriquement non : Fawcett nous fait parvenir, via sa femme endeuillée, la boussole qu’il devait envoyer comme signe s’il trouvait Z et ne devait plus souhaiter en revenir. Non seulement, dans l’achèvement, rien n’est arrêté, mais tout fusionne : la femme de Fawcett descend d’une demeure victorienne pour s’enfoncer dans la jungle et nous abandonner avec le souvenir de son mari et de son fils portés par des indigènes vers une fin incertaine, dans une nuit étoilée de torches, avalés par les origines du désir, de l’humanité (son fils, qu’il avait laissé tout jeune lors de sa première expédition, est avec lui ; la boucle est bouclée, le cœur dilaté par la peur et la beauté).
* Un seul maniérisme choquant, du coup : le plan sur la trace d’alcool brunâtre qui s’écoule jusqu’à être remplacée par le train dans lequel se passe l’action.
** Travailler à se (construire-)détruire, il faut sûrement tout une vie et un peu d’ethnographie pour ça.
*** Fawcett est un esprit progressiste de son temps : suspectant les indigènes d’être ses égaux, mais rappelant à sa femme qu’elle ne peut le suivre, car même s’ils sont égaux en esprit, ils ne le sont pas de corps et elle doit rester élever les enfants.
**** Robert Pattinson, méconnaissable sous les années et la barbe, décidément fort bon acteur.