La Pucelle d’Orléans

Après la Jeanne d’Arc d’Honegger, la Philharmonie présentait cette année celle de… Tchaïkovsky. Je n’avais jamais entendu parler de cette curiosité, rapportée dans ses bagages par le Bolchoï. Entendre Orléans émerger d’un flux de chant russe est chose fort étrange, plus étrange encore que la nationalisation de la Vierge (qui était pour la victoire des Français, bien évidemment), les retournements superstitieux (gloire à l’envoyée divine qui nous a sauvée / brûle, sorcière démoniaque, le tonnerre a parlé) ou que le messager rapportant dans son récit avoir été tué sur le chant de bataille.

L’opéra s’appuie sur une pièce de Schiller, que je ne connais pas plus que les récits historiques (globalement tout ce qui précède Louis XIV… hem hem), aussi ne saurais-je dire s’il revient au dramaturge ou au compositeur le mérite de cette belle ambiguïté lorsque le père de Jeanne lui demande si elle se considère comme sainte et pure. Elle ne répond pas : lui la pense sous l’influence du diable ; elle, sent sa pureté ternie par le désir qu’elle s’est mise à ressentir pour le chevalier qu’elle a épargné.

Musicalement, cependant, ce n’est pas mon passage préféré ; le titre est sans conteste raflé par l’air des ménestrels (« l’homme court vers sa tombe ») de l’acte II. Beaucoup aimé aussi le duo de Charles VII et de son amante Agnès, lorsqu’ils songent à abandonner le royaume dans leur fuite : l’acceptation du malheur est apaisante, et la fuite qui n’aura pas lieu presque un repli dans le dénuement amoureux. La disparition de leurs voix a cappella les retire de la marche du monde d’une manière bien plus émouvante que l’entrée incandescente de Jeanne au paradis. Mais sûrement n’aurais-je pas trouvé ce passage joliment fade s’il n’était en creux des visions et déclarations tonitruantes (vu les déflagrations du dernier acte, il est plutôt heureux que nous ayons perdu à l’entracte nos places au premier rang de balcon VIP).

Il serait malvenu de bouder le plaisir de l’orchestre, des chanteurs et des chœurs, qui envoient : pour une fois, pas de doute, ça vibre. Le thème est français, mais l’exécution sans conteste russe. J’ai d’ailleurs plaisir à observer les artistes qui incarnent et me confortent dans l’idée fantasmée que je me fais de la russité, notamment un trompettiste dont la coupe au bol et l’air buté me font irrésistiblement penser à Noureev, et une choriste russe à la beauté très aristocratique que je caste immédiatement pour Anna Karénine (j’ai compris ensuite pourquoi : les broderies de sa veste en organza, qui sur d’autres tombaient comme des rideaux, ceignaient son cou comme les costumes dans le ballet de Boris Eifman). Côté voix, si celle d’Anna Smirnova est aussi inébranlable que la volonté de son personnage, je lui préfère la suavité d’Anna Nechaeva (qui donne à Agnès un petit air d’Angelina Jolie) et l’aigüe déstabilisant de Marta Danyusevich (l’Ange aux interventions très ponctuelles), mais tous étaient très bien, du moins de mon point de vue profane. Tchaïkovsky est particulièrement formidable pour le profane : sa musique est riche, mais le scintillement orchestral ne se fait jamais au détriment de la mélodie, si bien que tout ce qu’on pressent qui nous échappe (et qui restera peut-être réservé aux mélomanes avertis) n’empêche ni de suivre ni d’apprécier.

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