… me dit ma mère alors que je lui raconte ma soirée de jeudi à Pleyel. Un moment de perplexité, je pense à l’inclinaison de Palpatine, fonction de la visibilité de Lola, ainsi qu’à ma grande interrogation de savoir si la doublure rouge de la veste, remarquée par en-dessous dans les envolées du clarinettiste, se retrouve uniformément chez tous les musiciens (ce qui contrarierait l’aspect monacal du col chez le basson), avant de comprendre qu’on me ressert la bonne vieille blague bien lourdaude sur Beethoven.
Mozart est, lui, exempt de ce genre de plaisanterie : Palpatine vous dirait qu’aussi sa symphonie concertante pour hautbois, clarinette, basson et cor ne comprend aucun contrebasson ni par conséquent aucune Lola. Pour ma part, pas de quoi être déconcertée, le morceau m’a bien plu. J’ai l’impression de mieux percevoir le jeu des correspondances entre les solistes et l’orchestre, toutes les variations auxquelles cela donne lieu : réponses, suites, contrastes ; entre les solistes, entre un soliste et les autres associés ou non à l’orchestre, etc. Cela me fait penser à la rivalité fraternelle des cours de danse de bon niveau, lorsque chacun s’enhardit au contact de l’autre dans une émulation enthousiaste. Le quatuor est resserré autour du chef d’orchestre, comme un cercle d’amis, parfois rompu par le clarinettiste, un peu plus petit, qui semble alors s’adresser directement au public – histoire de prolonger la complicité.
Après l’entracte, on passe à une autre symphonie, la neuvième de Beethoven, « surboostée aux amphétamines », dixit Palpatine, ce qui m’a d’autant plus fait rire que c’est exactement l’impression que cela donne. Les mouvements déferlent, mais le musicien hante la tempête et se rit de l’archet. Au troisième rang côté cour, nous sommes très proches des contrebasses, instrument qui m’attire instinctivement – peut-être à cause de la première page de la nouvelle de Süskind, qui attend toujours que je la lise (et avec Palpat’ qui se met à l’allemand, ça me démange). Le plus proche me fait d’ailleurs penser au poète de Spitzweg, allez savoir pourquoi.
Au début du troisième mouvement, le chœur rentre – j’y repère B#1, qui m’a vendu ma place . Ce n’est qu’à la fin qu’il se lèvent pour chanter, mais alors, ça fait un de ces effets ! Rien que visuellement, les pages des partitions tournées en cascade, comme par des rafales de vent… Il a beau rester quelques places ici et là, la salle est soudainement pleine, emplie de son qui n’a plus assez d’espace pour exploser, juste pour enfler dans des proportions formidables – malgré les paroles léchées de l’ode de Schiller, la joie n’a rien de primesautière (surtout que d’après le programme, « Freude » est un substitut à une initiale « Freiheit »).
L’au revoir au chef d’orchestre n’a rien de triste non plus. Pour moi, parce que c’est à peine si j’avais déjà entendu le nom d’Eschenbach auparavant (on est inculte ou on ne l’est pas) ; pour lui, parce que les musiciens lui ont offert une lettre autographe de Berlioz ; pour l’orchestre, parce que le directeur musical de l’Orchestre de Paris reviendra les diriger par la suite. Il est assez amusant d’assister à un moment « objectivement » émouvant, puisque pas en mesure d’y participer vraiment. Ma lecture du super-programme-pour-l’occasion a été très curieuse, déchiffrant en français-anglais-allemand les fac-similés de lettres de musiciens adressées au chef pour lui exprimer toute leur gratitude pour sa complicité artistique ; certains choisissent de dire simplement leur admiration, d’autres dérivent vers la poésie, en métaphores plus ou moins filées, quand d’autres encore remercient leur « mentor », faisant ainsi de celui-ci une figure pour ainsi dire mythologique.