Les Combattants, c’est l’histoire d’une fille qui part en stage à l’armée pour apprendre à survivre et qui va y apprendre à vivre. Persuadée que la fin est proche, Madeleine a abandonnée ses études de macro-économie1 et s’entraîne pour intégrer l’armée, où elle espère acquérir les meilleures techniques de survie : elle nage dans la piscine familiale avec des briques sur le dos, avale du poisson passé tout entier au mixeur et s’inscrit aux sessions de lutte organisées par l’armée de passage sur la plage locale. Une fille bizarre pour Arnaud, qui l’a affrontée sur la plage et l’observe alors qu’il construit une cabane de jardin chez ses parents ; une fille complétement barrée pour le frère d’Arnaud, qui reprend avec lui l’entreprise familiale de menuiserie suite au décès de leur père. Le genre de fille qui vous offre des poussins morts congelés pour le furet que vous avez recueilli et qui, en boîte de nuit, préfère apprendre à décapsuler une bouteille avec les dents plutôt que danser. Le genre de fille qui n’existe qu’en un exemplaire et qui fascine assez Arnaud pour qu’il décide de lui aussi s’inscrire au stage de l’armée.
Adèle Haenel, que l’on avait quittée en prostituée alanguie dans L’Apollonide, remise sans problème ce corps de femme sensuelle pour reprendre celui de la gamine2 athlétique qu’elle incarnait déjà dans La Naissance des pieuvres, épatante aux côtés de Kévin Azaïs. Il faut dire aussi que Thomas Cailley filme admirablement la force et la maladresse les corps : la gaucherie d’Arnaud, mal dégrossi, et la brusquerie de Madeleine, brute de décoffrage, mais aussi les silences qui les mettent en présence – des silences qui ne sont ni passés sous ellipses ni gonflés d’éloquence, simple extinction de la voix pour laisser place aux corps, respirant, reniflant, palpitant. Les face-à-face d’Arnaud et Madeleine sont ainsi très naturellement source de comique mais aussi de beauté. Le rapprochement des corps et des êtres gagne en intensité de se faire sans aucun des gestes de tendresse que l’on a l’habitude de voir. Il faut une séance de maquillage-camouflage pour que Madeleine se laisse toucher par la gentillesse tenace d’Arnaud, qui va lui faire comprendre que vivre pour survivre ne sert à rien. Une fois que l’on survit, il faut vivre : celui qui a fabriqué de ses mains un cercueil pour son père le sait bien, même s’il l’exprime maladroitement, reprochant à Madeleine, accoudée en jeans et polo au bar de la boîte, de ne pas faire d’effort. Il devient clair qu’il s’agissait moins de faire l’effort de bien s’habiller que de s’efforcer de donner le change quand, plus tard, il lui assène : « T’aimes rien, dans la vie. Quand tu fais du sport, on dirait que tu veux mourir. » Quand on n’est pas en train de survivre, que l’on vit enfin, il faut être capable de faire presque rien pour ne pas devenir fou, observe-t-il en enfonçant méthodiquement des épines de pin sèches dans le sable. Faire presque rien, faire l’amour, faire rire… Les Combattants font plutôt ça bien.
1 « – T’es super musclée, tu fais quoi dans la vie ?
– De la macro-économie. »
2 Rares sont les actrices qui changent d’âge comme de personnage. Adèle Haenel sera notre Ellen Page française.