Coincé entre un Printemps (de Debussy) plutôt automnal1 et un Oiseau de feu (de Stravinsky) qui a failli y laisser quelques plumes2, Wenn du dem Wind… m’a soufflée. Cette suite composée d’après le dernier opéra de Pascal Dusapin constitue la meilleure bande-annonce3 qui soit pour son formidable Penthesilea. Formidable au sens fort du terme : qui inspire la crainte par son éclat. Gong, instrument à cordes frappées probablement sorti du musée juste à côté, vaguement sinoïsant, éclats tenus et déflagrations sonores créent une musique saisissante.
Nul besoin de me concentrer : mon attention est retenue prisonnière de cette cage de sons formidables ; je suis saisie, retenue dans un état de stupeur que j’ai déjà éprouvé quelques-fois… La Ville morte… Le Dialogue des Carmélites… Jeanne d’Arc au bûcher… La Petite Catherine de Heilbronn, aussi. Sans appartenir au même genre artistique, cette pièce a exercé sur moi une fascination du même genre – une fascination qui ressurgit, à la Philharmonie, avec le texte de Kleist. Car Penthesilea n’est l’opéra de Dusapin que depuis peu ; c’est d’abord une pièce de Kleist, un drame dont l’intrigue, résumée dans le programme du concert, ne dit rien de ce qu’il y a d’intrigant, de mystérieux, dans les mots projetés (projectiles) par la formidable Karen Vourc’h (s’il fallait une Amazone, la voilà).
J’ai beau ne pas tout saisir (et pour cause : c’est moi qui suis saisie), je sens que quelque chose se joue, là. Orage d’acier (…) la voix d’airain de la guerre (…) Sa vue me paralyse, comme si c’était MOI la vaincue, MOI ! (…) Je ferai chuter du ciel cet oiseau splendide – et quand il sera étendu à mes pieds, les ailes brisées, alors… alors… (…) Tout, plutôt que d’être une femme pour laquelle un homme ne s’enflamme pas. (…) L’attirer à moi par ses cheveux de flamme dorés. (…) Le voici – à mes pieds ! Prends-moi –
Une femme qui fait tout pour vaincre et veut être vaincue (à mes pieds ! Prends-moi). Pascal Dusapin ne cherche pas une synthèse à ce paradoxe ; il affûte l’oxymore, guerrier, amoureux, le laisse éclater en-deçà, au-delà de la raison. C’est… je ne sais pas : je reçois, sans être capable de me souvenir ni a fortiori de comprendre ce qui m’arrive. Il va falloir que je l’écoute à nouveau, en entier : les billets du Thalys sont réservés, la place pour dimanche prochain est achetée ; samedi, je mangerai des gaufres avec Hugo pour me préparer.
1 Debussy voulait peindre « la genèse lente et souffrante des êtres et des choses dans la nature, puis l’épanouissement ascendant et se terminant par une éclatante joie de renaître à une vie nouvelle » (9 février 1887) – « genèse lente et souffrante », tu m’étonnes que ça m’ait paru automnal…
2 Limite de l’Orchestre national des pays de la Loire (que j’aime d’amour pour avoir choisi de jouer un extrait de l’opéra de Pascal Dusapin) ?
3 Doute soudain : et si c’était comme ces bande-annonces qui, dévoilant-compilant le film, sont meilleures que lui ?