Ciné-concert du samedi 30 mai
Du ciné-concert proposé de l’Orchestre de Paris, j’attendais plus du concert que du ciné, 2001 : a Space Odyssey faisant partie de ces films qui m’agacent prodigieusement. Sous couvert de mystère métaphysique et après nous avoir fait mariner pendant un prologue simiesque interminable puis nous avoir pris dans l’intrigue, Kubrik nous laisse purement et simplement en plan. La frustration est moindre au deuxième visionnage : on sait qu’il n’y a rien à en attendre. Autant donc profiter de la musique sans arrière-pensée. J’en étais à déplorer les cris des singes sur la musique lorsque l’os propulsé par la bestiole est devenu navette spatiale. Un Strauss a chassé l’autre. Le Danuble bleu. Devant la planète bleue. Comme pour le singe et l’outil, le déclic. D’un coup j’entends l’humour : Ainsi parlait Zarathoustra et son sur-homme pour qualifier la découverte de son ancêtre, la valse de Strauss pour une promenade en goguette dans l’espace1… La dérision désamorce la grandiloquence : le bout d’os n’est rien par rapport au vaisseau spatial et celui-ci n’est que l’aboutissement ultra-perfectionné de ce que l’outil a permis à l’homme de construire. Des siècles de progrès techniques balayés par un montage parfait.
Venue pour la musique2, voilà que je commence à entendre quelque chose au film. Et à l’apprécier, donc. J’abandonne le sens de la vie pour le présent l’histoire pour les détails, m’amuse de la longueur des instructions pour utiliser les toilettes en apesanteur (que l’on n’a évidemment pas le temps de lire, problème réglé), du sigle IBM sur le tableau de bord dans la cabine de pilotage (HAL, l’ordinateur de bord, est IBM-1 dans l’alphabet, souligne à la sortie Palpatine, fort de sa science geek), des messages de dysfonctionnement lorsque l’ordinateur décide de tuer tous les membres de l’équipage (l’informatique, fidèle à elle-même) et des parfaits raccords dans la scène finale de l’hideuse chambre verte où l’on voit Dave se voir plus âgé, avant que l’effacement de la silhouette-point de vue n’acte le vieillissement express du personnage.
Comme on ne se refait pas, je relève tout ce qui a trait à la nourriture : les plateaux repas sous forme de liquides à boire à la paille (en quelque sorte l’orgue à liqueur de Des Esseintes en version cheap-utilitaire), des sandwich au poulet ou au jambon – identiques – pas-terribles-mais-qui-s’améliorent (la SNCF, quoi), d’autres plateaux repas sous forme de solides non identifiables (on dirait les parallélépipèdes des légumes en sachet portionnables de Picard) et, enfin, un vrai repas avec des légumes en trois dimensions et de la viande qui vient manifestement d’un animal. Comme par hasard, le vrai repas intervient dans la chambre verte. Du coup, je pense qu’on peut entièrement fonder une interprétation du film sur sa représentation de la nourriture et arguer qu’il faut arrêter de chercher le sens de la vie (quête qui vous conduit, par souci d’efficacité, à bouffer des trucs lyophilisés) et profiter de ce qu’elle a à nous offrir (des bons petits plats, à déguster avec des couverts en argent, parce qu’on n’est pas des astronautes, bordel).
Egayée par ces élucubrations toute murines, j’accepte beaucoup mieux le final-foetus straussien. Sans compter que la nature de ce putain de monolithe noir est enfin révélée : c’est une radio diffusant uniquement du Ligeti (il faut avouer qu’Atmosphères, Lux Aeterna et le Requiem sont parfaitement trouvés pour donner une réalité sonore à tous les champs magnétiques ou ondulatoires qu’on pourra imaginer). Autre mystère de taille à avoir été levé : la finalité de la Philharmonie, qui a été créée – mais c’est bien sûr ! – pour les séances de ciné-concert (certes, les sièges sont loin d’être aussi confortables que ceux des MK2 ; mes genoux n’auraient pas été contre un partenariat Jean Nouvel – Martin Szekely). En bonus, les loupiotes indiquant la présence des marches traîtresses donnent à la salle, plongée dans l’obscurité, un air d’aéroport de nuit, aux multiples pistes de décollage.
1 Pour éviter que l’humour ne tourne à la farce, Kubrick « a souhaité diffuser l’enregistrement du Beau Danube bleu réalisé par Herbert von Karajan et l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Une interprétation ample, plus solennelle que légère, à l’opposé de certaines versions sucrées. » Antoine Pecqueur, extrait du programme. Mais quoiqu’on fasse, le Beau Danube bleu restera pour moi associé à Tom & Jerry.
2 Casé entre Ligeti et les deux Strauss, il ne faudrait pas oublier Khatchatourian (à jamais confondu avec associé à Khatchatryan).