Le moineau de feu

Affiche Sparrow avec le visage de Jennifer Lawrence sur fond rouge

Red Sparrow commence sur la scène du Bolchoï1. Je ne reconnais pas cette espèce d’Oiseau de feu croisé avec de The Red Shoes et pour cause : c’est une chorégraphie réalisée spécialement pour le film par Justin Peck, crédité en énorme au début du générique. Cela fait franchement plaisir à voir. Le doublage de Jennifer Lawrence par Isabella Boylston fonctionne étonnamment bien2, et le passé de danseuse du personnage perdure au-delà des premières minutes du film : Jennifer Lawrence  n’a certes pas un corps de danseuse, mais elle a un maintien et une force intérieure qui font mieux qu’illusion. Une espèce de grâce brute : pas celle, gestuelle et éthérée, que peuvent avoir les danseuses russes, mais une grâce de circonstance, qui se confond avec l’aplomb légendaire de l’actrice. C’est exactement ce dont a besoin son personnage de danseuse devenant espionne suite à une blessure pas vraiment accidentelle : la force mentale, l’endurance, la discipline, la volonté, oui, mais surtout la capacité d’évoluer d’une scène à l’autre, de savoir d’instinct le comportement à adopter pour retourner la situation et s’en sortir l’air de rien. Le couteau sous la gorge, Dominika Egorova reste une ballerine badass.

L'héroïne en tutu rouge sur scène, de dos, vue depuis l'arrière-scène

Faire démarrer l’intrigue au Bolchoï insuffle exactement ce qu’il faut de glamour et de scandale pour la suite (au moment où je me suis dit : ça y est, c’est exagéré pour que le thriller commence, je me suis souvenue de l’attaque à l’acide de Sergueï Filine). L’ouverture dansée est essentiellement filmée depuis l’arrière-scène (toujours l’attraction pour l’envers du décor) et en contre-plongée : sous les tutus des filles s’annonce l’enjeu et l’arme du thriller. Le sexe, évidemment. Loin de n’être qu’un argument marketing pour exciter la moitié du public, la question articule les meilleures scènes du film. Ici, le sexe, c’est le pouvoir. Au premier degré, il concerne les informations soutirées par les espionnes grâce à leurs charmes. Mais ça, c’est bon pour les camarades moins douées de Dominika. Envoyée à « l’école des putes », l’ex-danseuse apprend la manipulation dans l’évitement de sa pratique : sous prétexte d’apprendre à pouvoir tout supporter, la matrone exige d’elle qu’elle se laisse prendre par un camarade ayant plus tôt tenté de la violer ; elle écarte tant et si bien les cuisses qu’elle réduit l’agresseur à l’impuissance. On serine aux apprenties que l’homme est une mosaïque de besoins, et qu’elles doivent savoir sur lequel jouer pour faire entendre à leurs cibles ce qu’elle veulent. Après s’être fait prendre une première fois par surprise, Dominika, elle, leur donne ce qu’ils croient vouloir pour éviter de leur donner ce qu’ils veulent. Toujours piégée, jamais elle ne se soumet, et c’est ce qui rend le film si jouissif à voir.

Tu ne dois pas leur donner tout de toi, conseille la mère à sa fille avant son départ. Dont acte. On peut juste regretter que ce tout se situe une fois encore au niveau de l’entrejambe. Lors des « cours », la matrone russe, qui n’hésite pas à faire mettre ses élèves à poil devant tout le monde, réprouve la pudibonderie des Américains. Le scénario (adapté d’un roman de Jason Matthews, américain) qui nous offre cette saillie, et de nombreuses scènes assez jouissives après ça, est pourtant fondé sur un principe puritain : l’important, c’est de ne pas se faire baiser. Tu gagnes si tu ne t’es pas laissée pénétrer – sauf par amour pour l’Américain à tête de nounours, of course. She fucked them well, se réjouit la nana de l’équipe américaine lorsque les Russes leur présentent comme traître un informateur qui n’est pas le leur ; le film nous a bien fucké nous aussi, même si pour notre plus grand plaisir, avec son adage sous-jacent : baisera bien qui baisera le dernier.

  1.  En réalité, la scène de l’Opéra hongrois
  2. On s’étonne moins quand on apprend le travail réalisé par l’équipe. (Merci au coach pour le placement des épaules !

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