Daikan (Grand froid)

Les pétasites bourgeonnent

(Merci de me confirmer que vous avez vous aussi dû googler les pétasites.)

Lundi 20 janvier

Je recouds : l’index d’un gant, le bouton du haut de mon manteau.


Il ne fait plus assez chaud pour une douche à deux. Même collés buste à buste sous l’eau chaude, nos dos ont froid. J’alterne le jet de lui à moi, de moi à lui, lui que j’aime, que je voudrais caresser de chaleur, mais vite un peignoir, me coller au radiateur.

Me blottir contre lui encore un peu, profiter de son odeur, sa chaleur, sa présence, la tête penchée avec lui sur des suites, couleurs, double paires, jokers, tarots et autres supercheries inclues dans le jeu.


Grand froid, oui. Les températures négatives nous saisissent après une journée sans sortir.

Toujours la sensation d’abandon déchirant quand le boyfriend part, même en faisant le trajet ensemble, même en sentant ses doigts de laine presser les miens avant de descendre du métro. J’ai bien observé les croisillons métalliques de la vitre inter-rames jusqu’à la station suivante.

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Mardi 21 janvier

Radio du genou : rien. Reste qu’après 20 minutes pour aller au centre d’imagerie et 20 minutes pour en revenir, la douleur revient.

Le téléphone est interdit dans la salle d’attente. J’ignore si c’est vraiment le téléphone ou les appels et les vidéos bruyantes, mais je ne cherche pas à feinter et le temps long me trouve, à évaluer la croûte qui me fait face, préférer les dizaines de diffraction qui passent dans les carreaux en même temps qu’une voiture, tenter de modéliser la forme perturbante des chaises, pieds arrière qui se resserrent, pieds de devant qui s’écartent, jauger de ma vue en lisant tout ce qui peut être lu, tout ce qui me tombe sous le regard, c’est si étrange ce temps sans intérêt ni distraction.


Studio de danse avec un piano quart de queue
Je n’en reviens pas qu’un lycée dispose d’un tel studio de danse (plus petit que le grand angle le laisse paraître, mais tout de même !)

Au lycée, une jeune fille demande à me parler en dehors du studio. Elle se sent mal psychologiquement en ce moment et n’arrive pas à danser quand elle est encadrée. Par ses camarades, par moi, professeur ou remplaçante, je ne sais pas, mais c’est le mot qu’elle utilise : encadrée.  Je tente de la mettre en confiance en lui disant qu’elle peut aussi tenter et arrêter à tout moment, mais je vois dans ses yeux que ça la panique, je lui dis, je vois que ça te panique, alors machine arrière, pas de souci pour s’asseoir et regarder, la panique reflue, elle s’apaise, passe le cours un cahier sur les genoux, qu’elle consulte à peine.

À la fin du cours, une élève me demande si elle peut travailler vite fait une variation et j’ai le plaisir de la voir danser La Belle au bois dormant, c’est un délice à voir. Elle n’a pas les facilités qu’ont certaines de ses camarades pas loin d’être ahurissantes, mais elle a mieux encore : une danse mature, précise plus que délicate, pleine de vie et d’épaulements, de musicalité dans les muscles, de vivacité dans le regard. On ne se dit pas forcément au premier coup d’œil qu’elle est danseuse, elle n’attire pas l’attention à la barre, mais quand elle danse, elle est déjà une artiste.


La jeune fille qui a démissionné du conservatoire était ce soir à la barre à terre, manifestement très heureuse des nouveaux cours qu’elle a trouvés avec d’autres professeurs au sein de cette école. Cela m’a fait grand plaisir (elle parlait d’arrêter la danse).

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Mercredi 22 janvier

En sortant de l’école de danse après ma sixième heure de cours, j’ai réalisé ne ressentir aucune anxiété. Pas plus en sortant de la douche, après avoir simplement coupé l’eau, à brûle-pourpoint, sans compléter ni même amorcer la série de gestes que je radote habituellement pour retarder la transition, l’absence de chaleur soudaine, devoir enchaîner avec le reste. (Certes c’était la seconde douche de la journée, plus un bonus qu’une vraie douche, mais quand même.)

En sortant de l’école de danse, ça sent l’escargot. Aucune métaphore relative à la pluie, ça sent le beurre d’ail. (Je doute que je m’en serais souvenue si je ne venais pas de lire L’Appel des odeurs.)

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Jeudi 23 janvier

La boulangerie et le conservatoire sont à une distance d’un croissant (pas trop gras, plus moelleux que feuilleté). Je secoue d’éventuelles miettes avant d’entrer. Sur la table de la réunion, des viennoiseries de la même boulangerie.

Tout ne me concerne pas, mais j’observe, j’écoute, je ris aussi, découvrant chez la prof qui me terrifiait secrètement un franc-parler et un humour corrosif tout à fait à mon goût. Les discussions croisées me font entrevoir comment les choses fonctionnent (ou dysfonctionnent) dans le département en particulier et dans le service public en général. Je ne suis pas la seule à m’y perdre : une collègue titulaire pensait que les 20h de temps de présence face aux élèves étaient calculées pour constituer 35h avec la préparation des cours et le tâches administratives. Pas du tout, nous explique la figure gradée de cette réunion, c’est un régime différent, où la référence est de 20h de face-à-face pédagogique pour un temps complet. Les temps de préparation, les réunions, tout le reste est de « l’accessoire nécessaire aux obligations de service » — un formidable flou qui peut rendre corvéable à merci si on n’évolue pas au sein d’une équipe bienveillante. Venant du salariat privé, cela me semble assez dingue qu’il n’y ait pas un forfait d’heures administratives estimé en amont.

J’ai cours à Lille le soir, mais rentre tout de même passer l’après-midi au calme chez moi. Tant pis pour l’aller et retour, je goûte le silence, la chaleur. Et goûte à l’accessoire nécessaire aux obligations de service qu’est l’envoi de mails aux familles. Je passe un temps infini à formuler et présenter toutes les informations pour que ce soit aussi rapide et précis que possible. Quand je crois que c’est terminé, ça commence, des mails en retour, l’un pour relever une erreur de date (dans un texte pourtant relu une bonne dizaine de fois), d’autres pour demander la confirmation de modalités pratiques pourtant détaillées dans le mail initial.


« Merci d’avoir choisi Métro Airlines. »
« Le monde de Narnia, c’est par là. »
Les gars qui font la circulation entre la ligne 1 et 2 du métro lillois ont manifestement eu une longue journée.


Partir en jupe et oublier de prendre une paire de chaussettes : le meilleur moyen de renouveler son stock avec un passage éclair au supermarché juste avant le cours. Five shades of grey mediocre socks.


J’introduis de nouveaux exercices à la barre à terre. Manifestement, je tiens cinq cours sur la même trame avant de commencer à m’ennuyer. L’hyperlaxe blasée est de retour ; son corps exprime très clairement ce qu’elle tait, contrairement à cette gamine du mercredi pour qui les étirements sont explicitement trop faciles, même quand elle est tout de traviole.

Aux adultes débutant, j’apprends le début de la variation de la claque dans Raymonda. Il faut les voir : débutantes, mais avec superbe. Rapidement, les corps gagnent en allure. Le répertoire me met en joie quand les exercices m’assèchent, a fortiori s’ils doivent être très accessibles techniquement. J’aimerais réussir à faire simple et dansant, mais faire simple est encore compliqué pour moi. J’ai besoin  de réinjecter du dansant ; j’aimerais réussir à le faire sans forcément passer par le répertoire.


Nul besoin de le dire, le boyfriend sent ma joie à mon débit de parole. J’objecte que ce n’est pas un indicateur fiable : l’anxiété aussi peut précipiter les mots. Mais il a l’oreille bien plus musicale que moi et m’explique que ma joie s’exprime en un flot continu tandis que l’anxiété me fait certes parler très vite, mais avec des interruptions (surgissement du doute par rapport à une action passée, de la crainte envers un événement futur, du conditionnel sous toutes ses formes, à tous les temps, enrayement de la vitesse jusqu’au court-circuit). Pwnd.

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Vendredi 24 janvier

Au cours de stretching postural, j’apprends à resserrer les omoplates sans les resserrer, so much for le principe de non-contradiction. J’aurais dit : resserrer les omoplates sans les rapprocher. Il faut sentir un verrouillage musculaire et les omoplates doivent disparaître dans le dos. Je tente également d’apprendre à mon cerveau à tourner la cage thoracique sans tourner ni les hanches ni les épaules, une jambe étirée vers l’arrière (encore une amorce au travail de l’arabesque) ; ça tire sur les obliques du côté étiré, jusque-là tout va bien, mais aussi sous les côtes du côté vers lequel on se tourne, et là je bugue. C’est encore les obliques, apparemment, trop courts.

Toujours en travaillant la mobilité de la cage thoracique, aller chercher loin sur le côté et remonter comme si on nettoyait le miroir, je m’y vois, en mini-short noir et débardeur bordeaux, le déhanché proportionné à l’étirement recherché, et soudain je vois autre chose qu’un corps au travail en vêtements de sport élimés, je me trouve sexy. Sans surjeu, sans ridicule, juste sexy. Le narcissisme est moindre que la surprise : sexy, c’est quelque chose d’incongru, que je ne pense pas de moi.

Je me couche beaucoup trop tard après avoir parlé beaucoup trop longtemps avec le boyfriend qui a raison, il faut du temps pour en arriver au plus intéressant. On aborde toujours ce qui quand il n’y a plus le temps de. J’ai déjà remarqué ça, et pas qu’avec lui, c’est au moment de se quitter que surgit l’essentiel comme en passant, ça nous échappe quand on peut s’échapper, l’intime se découvre plus facilement quand il n’y a plus le temps de creuser. On le prend pourtant, on creuse, en moi comme souvent et en lui comme rarement. Il me raconte l’immobilité dans laquelle il se sent piégé tandis que les tâches s’accumulent autour, devant lui — ses mains dessinent une grotte, un tunnel, la vision est presque cinématographique. Nous avons tous deux parfois du mal à faire les choses, même si je m’insupporte plus vite que lui à ne rien faire de ce que je devrais ou voudrais, quand lui y prend un réel plaisir — ne rien faire est dès lors ambivalent. J’admets le besoin de contrôle, même si beaucoup moins la nécessité de lâcher-prise, Dieu que ce terme me hérisse, lâcher, lâcher, lâcher quoi ? Je me sens bien quand je suis en maîtrise, de mon corps comme du reste. Le boyfriend en profite, il rebondit sur l’épisode du sexy et revient à la question de la psy, se sentir femme. J’admets me sentir plus fille que femme. Je rechignais à le formuler parce que ça m’emmerde que ça soit considéré comme engendrant des problèmes — le boyfriend propose : des décalages.

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La glace s’épaissit sur l’eau

Samedi 25 janvier

La choré est approximative. Sur les comptes (moi), dans les corps (les élèves), dans l’espace (on est dans le petit trop petit studio aujourd’hui).

Vous m’avez fait aimer le classique, me fait savoir la dernière élève à quitter la salle. Étant donné son engagement artistique et son intérêt pour les logiques du mouvement, j’étais persuadée que c’était déjà le cas, qu’elle appréciait le classique. Elle me détrompe : à la base, elle est là pour le contemporain. Vous m’avez fait aimer le classique. Je range précieusement cette phrase dans le tiroir des remèdes en cas de sentiment d’imposture ou de coup de mou. Ou de choré approximative.

Au déjeuner en salle des profs, il est question d’un Bertrand que je ne connais pas entre un professeur-formateur-ancien danseur et une ancienne danseuse invitée comme répétitrice. À un moment, le ballet du Rhin est mentionné et l’autocomplétion a lieu dans mon esprit : Bertrand d’At ! Je n’ose mentionner mon amie danseuse qui a brièvement dansé sous sa direction au début de sa carrière à elle. Le monde réel se télescope avec mes souvenirs de lecture de Danser et Danse magazine ; je suis à la même table que ces gens, que cette femme aux yeux si bleus si généreux (la beauté des femmes qui ont été danseuses…), on attend ensemble notre tour de micro-ondes et j’ai l’impression de m’être retrouvée par erreur à la table des grands. En même temps s’ancre plus consciemment la joie d’être ici, dans ce costumier, au dernier étage d’un conservatoire, dans une vie qui n’est certes pas celle d’un interprète, mais qui gravite tout de même autour de la danse, ce n’est pas rien.

Invitée à assister à la répétition du Junior Ballet après mes cours, je découvre le pas de deux du Roméo et Juliette de Bertrand d’At qu’ils s’emploient à remonter (visible ici à 1’10). Roméo est un élève de troisième cycle qui vient en plus à mon cours de deuxième cycle du samedi matin. Je ne connais pas sa Juliette, mais l’observe intensément pendant une bonne heure. Le partenariat est costaud. J’ai le souffle coupé quand Roméo cueille-fauche Juliette qui se retrouve par-dessus son épaule, tête en bas (porté à 2’46 pour vous faire une idée). Je ne m’attendais pas à ça avec des élèves de conservatoire. Mes années conservatoire datent un peu, on n’avait pas du tout ce niveau-là à l’époque (ni cette ouverture de pluridisciplinarité et d’artistes invités il est vrai). Vraiment, le Junior ballet n’usurpe pas son nom, même si ce ne sont évidemment pas des professionnels, qu’il y a des maladresses, des choses à adapter ; mais si peu, eu égard à la difficulté globale.

Juliette n’arrive pas à respirer dans le porté renversé qui m’a moi aussi coupé le souffle. Roméo manque de la laisser tomber à force de réesssayer, tombe plutôt avec elle, sous elle, ils se rattrapent, recommencent, s’accordent, mains, poids, souffle. Je suis étonnée de la maturité que le pas de deux requiert, au-delà de la technique ; la main de l’autre à conduire sur sa poitrine, les prises, caresses, enlacement, tout une intimité artistique à trouver à un âge où on n’a pas nécessairement beaucoup vécu la sienne (mais peut-être que là encore, je date ?). Il n’y a ni gêne ni familiarité ; l’exigence de la chorégraphie les unit dans la camaraderie. Les passages où les corps se touchent me touchent à leur tour. Quand elle saute dans ses bras candélabres et que ceux-ci ne se referment pas sur elle, la laissent glisser le long de lui. Quand elle glisse ses doigts à elle dans ses cheveux à lui. Quand elle se raccroche à lui sitôt reposée du portée, bras qui enlacent précipitamment, jambe en attitude qui garde à elle — le koala, c’est le surnom donné au passage par la répétitrice.

Vers la fin de la répétition, on change de Juliette. Juliette n° 2, que je soupçonne d’être Juliette n° 1, est en rade de partenaire ; son Roméo s’est blessé. Bon prince, le Roméo du jour rempile et c’est une tout autre histoire qui se déroule. D’un coup la chorégraphie est plus lisible : les hésitations, les résistances, la violence presque, passent sous le coup de la passion. Juliette n° 2 est une Juliette certifiée conforme, blonde, bouche souvent entrouverte, regard éperdu, implorant, cajolant. Le chignon haut, plat, la danse vive, ronde, elle est incontestablement meilleure danseuse que Juliette n° 2 ; tout est plus fluide, je ne me demande plus ce que fait tel ou tel passage dans un pas de deux de Roméo et Juliette. Mais tout est plus lissé, aussi. Cela ressemble bien aux pas de deux lyriques que l’on trouve dans moult ballets… qui me font souvent décrocher en tant que spectatrice. Je me prends à regretter Juliette n° 1 et ses aspérités. Avec elle, je ne comprends pas tout, mais je m’interroge plus : du désir, elle laisse entrevoir l’attirance, mais aussi la peur, la sauvagerie (ça me traverse l’esprit : je la verrais bien dans une pièce de Pina Baush). Elle a beau être moins aguerrie en tant que danseuse, Juliette n° 1 touche plus juste en tant qu’artiste, quand Juliette n° 2 a tendance à gommer l’ambivalence si fondamentale des gestes, qui ne sont alors plus tant des gestes, dotés d’intentions sujettes à interprétation, que des mouvements signifiant la passion. — Je trouve ça dingue qu’on voit déjà tout ça chez de si jeunes interprètes.

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Dimanche 26 janvier

J’étais si fatiguée que je me suis dispensée de mélatonine. Erreur de débutant : mon corps me réveille à 5h30 et refuse de se rendormir, même après quelques amandes grillées, même après quelques pages apaisantes de poésie. À 7h, je jette l’éponge, si bien que je suis douchée et sustentée avant midi — un record pour un dimanche. La fatigue a ceci de bon que je ne m’efforce pas de faire les choses, je les fais (du moins j’en fais certaines). C’est reposant.

Plaisir à écrire ici. Un nouveau butin à la médiathèque. Les passages dansés du gala des 150 ans de Garnier en replay. Le début de la troisième saison d’Insecure.

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Lundi 27 janvier

Inaccomplissement. Le chafouin n’est pas loin. Je le tiens à distance en parcourant les lignes de La Vie têtue et celles que trace mon exacto sur une image de distillerie que j’évide de son fond — méditation autour des tuyaux (je verrais bien des vitraux derrière cette dentelle de métal). Je prends le soleil sans prendre le vent, bien au chaud dans mon salon.

Photo d'un photo couleur de distillerie évidée et posée sur une double page en noir et blanc d'une cascade dans un magazine, l'exacto au milieu du magazine.

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Mardi 28 janvier

Dans la petite casserole : des pâtes pour mercredi midi.
Dans la grande casserole : des paillettes de savon de Marseille, du bicarbonate et de la soude.
Dans la petite casserole : du riz pour le déjeuner.
Dans la grande casserole, lavée de la lessive maison : le même riz sauté avec poivron, courgette, sauce soja et 125 grammes de noix de cajou (moins cinq-six grignotées pendant que ça cuisait).

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Mercredi 29 janvier

Une petite fille a été larguée à l’école une heure en avance par la mère de sa belle-mère, qui ne savait pas à quelle heure elle avait cours de danse. L’énonce implique une certaine tristesse, mais je n’arrive pas à gérer la voix aiguë dont elle émane. Je tiens à ma pause entre deux et quatre heures de voix aiguës, et décrète une sieste-étirement sur tapis de yoga. Quand la prof d’à côté finit son cours, je la rejoins pour dire bonjour et papoter, mais elle a un coup de fil à passer : c’est moi qui suis devenue la voix inopportune.

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Les poules commencent à pondre leurs œufs

Jeudi 30 janvier

Les conclusions de l’avocate m’arrivent par mail, je lis une condamnation de 1000 € pour avoir osé traîner en justice l’agence immobilière refusant de payer les indemnités de retard prévues par la loi après avoir refusé pendant trois ans de rendre la caution (puis cédé et rouvert le dossier devant l’insistance de ma mère juriste). J’ai un moment de panique, j’ai oublié de rappeler la date de l’audience à ma mère qui devait m’y représenter, c’est passé, c’est ma faute, j’aurais dû, je n’ai pas — la panique débarque. Après un coup de fil à ma mère et avoir compris que ces conclusions ne sont pas une condamnation du tribunal, mais ce que va plaider la partie adverse à l’audience du lendemain, je m’apaise un peu. Assez pour soudain voir que la psy avait raison : mon anxiété est bien liée à un sentiment de culpabilité. Ou du moins celle-ci agit fortement comme catalyseur. L’incident me rend fébrile pour la journée, mais vérifie une mécanique de comportement fort intéressante.

(Le lendemain, l’audience a lieu et la justice demande de saisir non l’agence immobilière mais le propriétaire qui avait confié son mandat de gestion à l’agence — propriétaire qui n’habite plus à l’adresse indiquée. On est censé engager un détective privé pour obtenir réparation ? Et surtout : le propriétaire n’est en rien responsable des manqués de l’agence immobilière. Des pros ne font pas leur boulot, et c’est le particulier qui a eu recours à leurs services qui devrait être inquiété ? Cela donne fort l’impression d’un système mis en place pour garantir l’immunité aux agences — et aux propriétaires in fine, puisque l’agence les couvrira dans les faits pour prendre en théorie à leur place.)


Je me rends à la répétition sans savoir si mes élèves en horaires traditionnels auront pu se libérer assez tôt du collège. Elles n’ont pas pu, il n’y a personne. Alors j’assiste à la répétition des horaires aménagés. Un numéro de jazz dansé par les plus jeunes me bluffe dans son dynamisme et sa mise en espace. Je confie à la prof, une femme extrêmement chaleureuse, que de mon côté, ce n’est pas aussi abouti. Elle a un mouvement de surprise : Tu trouves ça abouti ?! Puis elle se reprend, tant mieux, rejoint ses élèves du regard et mon manque de jugement se transforme en regard extérieur — un regard qui se réjouit de ce qu’il découvre sans guetter toutes les anicroches auxquelles il se doit de remédier. J’espère que ce sera la même chose avec mon groupe, que quelqu’un qui ne juge pas son propre travail jugera celui des élèves satisfaisant.

En sortant, je passe acheter la suite du matériel de linogravure, rouleau et peinture. Il faut se faire un peu confiance pour s’encourager à commencer.


À la barre à terre, une personne suspecte que ce n’est pas normal de ne pas sentir l’effort, elle ne comprend pas ce qu’elle doit sentir. D’autres se manifestent à sa suite, et je passe davantage entre les élèves pour aider à la recherche des sensations. Quand les deux hanches sont bien l’une au-dessus de l’autre allongé sur le côté, la recherche de l’attitude derrière engage tout de suite davantage les ischio-jambiers — l’exclamation des élèves ne trompe pas. Tu sens, là ? Leur oui bien franc trahit un oui, un peu trop même.

Je suis toujours partagée en barre au sol entre faire les exercices avec tout le monde (pour fournir un modèle à copier en temps réel et encourager par l’effort partagé) et passer entre les tapis pour aider chacun à ajuster sa posture (ce qui peut aussi prendre des airs de sergent instructeur s’assurant de la bonne exécution de ses recrues, lui debout, elles en train de s’époumoner au sol).

La jeune femme hyperlaxe qui a une si belle maîtrise de son corps et cherche toujours le cheminement juste des mouvements n’a pas seulement fait beaucoup de classique comme je le suspectais : elle est psychomotricienne. Atteinte d’endométriose également, qui lui vole ce soir son habituel enthousiasme.


Les diagonales de piqués sans tourner de mes adultes débutantes commencent à être stylées quand elles parviennent à faire taire leur crabe intérieur — ma nouvelle image favorite pour désigner un piqué sur jambe pliée. Je les lance donc dans leurs premiers piqués tours (ou tours piqués ? je me demande si je ne calque pas les piqué turns anglosaxons). S’ensuit une heure à papoter à deux dans les vestiaires (pas de piqués tours ni de tours piqués).

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Vendredi 31 janvier

Simili malade au réveil, je passe la journée à moitié fiévreuse sur le canapé et me traîne masquée à la Nuit des conservatoires. Mes élèves n’ont pas eu de répétition dans le studio où se déroule la présentation ; j’espère grappiller un moment sur le temps d’échauffement. Sauf que, surprise, un caméraman et une présentatrice occupent les lieux et, surprise bis, la directrice du département me demande d’improviser un échauffement pour les premières élèves qui sont arrivées. La moitié ne me connaissent pas, il n’y a pas de barres, je suis en pantalon à pinces, mon cerveau est ralenti par la crève. Bouffée de stress immédiate, mon pull en porte encore la trace après lavage. Je fais n’importe quoi, un déroulé de colonne après des demi-pliés, des dégagés avec des temps liés, des tours à la demande générale, quelques étirement en fente, n’importe quoi donc, mais n’importe quoi, c’est déjà quelque chose, et le binôme de France 3 finit par partir.

Je demande deux minutes pour faire passer une fois mes élèves dans le studio rétréci par les lumières installées au sol et la moquette posée pour que le public circule sans abîmer le sol (on n’a pas été prévenu de ça). Évidemment mes dix-huit élèves sont à l’étroit, mais pas le temps de tester des ajustements, il faut échauffer les autres élèves qui sont pourtant là depuis le début de l’après-midi et ont bénéficié de plusieurs heures de répétition la veille. J’imagine qu’on n’attend rien des élèves en cursus traditionnel et que ce faisait, on se donne raison.

On a à peine le temps de s’échauffer dans le studio voisin que la première présentation a déjà commencée et le reste de la soirée se déroule ainsi, dans une précipitation qui n’en finit pas. Faire la circulation des élèves et du public, prévenir, remédier, faire au mieux à l’arrache au petit bonheur la chance avec les moyens du bord. Aider une enfant dont on ne connait ni le visage ni le prénom à accrocher les crochets de sa jupe, houspiller les filles au fond du vestiaire pour qu’elles se préparent à entrer, ménager le passage, improviser une quatrième présentation au lieu des trois prévues.

À chaque fois je me glisse dans le studio à la suite de mes élèves qui se débrouillent plutôt bien compte-tenu des circonstances. Au premier passage, un développé manque de peu un projecteur au sol. Au deuxième, un groupe a modifié son orientation pour sauter sans atterrir sur les spectateurs. Au troisième, les filles sont au point — au point où elles auraient été dès le premier passage si elles avaient eu une répétition. Au quatrième et dernier, elles sont rodées, A. croise même son arabesque auparavant seconde. Il est 21h15, je suis lessivée et n’ai plus qu’une idée : fuir les autres manifestations et me faufiler jusqu’à la sortie.

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Samedi 1er janvier

La choré a plu, me rapporte la seule élève du groupe à être là à l’heure le lendemain. Ah oui ? Je pense aux parents, mais elle désigne les plus jeunes derrière elle et M., que j’ai aperçue la veille dans le public, opine de la tête avec le regard énamouré qu’elle a dès qu’il s’agit de danse. Public captif, mais adorable.


Le cours est clairsemé, les horaires exceptionnels sont rentrés par une oreille et ressortis par l’autre. Tant pis tant mieux, c’est calme ; les bavards arrivent à l’heure habituelle de reprise, juste à temps pour répéter avec les musiciens, un élève altiste accompagné au piano par sa tutrice. Je craignais le passage à la réalité fluctuante et grinçante après l’assurance métronomique de la musique orchestrale enregistrée — allait-on se repérer sur ces Méditations de Thaïs si élusives, aux comptes si espacés qu’ils se diluent dans le flux ? Il y a autant de fausses notes que de jambes en dedans dans les arabesques, mais tout se passe mieux que je ne l’avais imaginé. Le tempo globalement plus rapide ôte quelques longueurs (hop, je fais disparaître un pas rajouté pour meubler) et les musiciens sont d’accord pour ralentir quand c’est nécessaire pour les danseurs. Quel luxe que ce sur-mesure ! L’enseignante musicienne semble surprise de mon enthousiasme : c’est normal qu’ils s’adaptent ; je suis surprise de sa surprise : je pensais que ces variations de tempo risquaient de dénaturer la partition.


Ma tarte aux oignons rouges a bleui le temps de refroidir : mes entrailles ont une réaction de quasi dégoût instinctif devant cet amas de petits poissons gluants. Pensée pour Maggie Nelson et sa couleur fétiche rare en cuisine. Cette recette végétarienne mérite soudain son nom de pissaladière.

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Dimanche 2 février

Passion voir la lumière avancer sur le saule pleureur…


Deux articles de blog, une lessive et la journée m’échappe. Le soleil est déjà bas quand il a quitté mon salon et que je le rejoins au parc Barbieux, avant l’heure du goûter. Quand je quitte son aire lumineuse, je ne passe pas à l’ombre, c’est lui qui se retire, c’est comme ça que je le ressens — à chaque fois, ça me jette un froid au cœur et une envie lointaine de pleurer, la chaleur perdue, le froid plus froid qu’avant. Au bout du parc, ça va mieux, ça va toujours mieux à la moitié de la promenade, quand tout autour de moi a infusé en moi et que les boucles de pensées se sont dénouées échappées — comme la teneur en sel d’une casseroles de pâtes s’équilibre à la cuisson, la moitié qui passe dans les aliments, la moitié qui reste dans l’eau, je m’équilibre dans la promenade.

 

Le canal est gelé, des bris de glace scintillent à sa surface au loin. Les gens ne peuvent s’empêcher d’éprouver la réalité en l’abîmant, il leur faut lancer des cailloux et briser la glace pour s’assurer de son état, comme si les canards qui marchent sur l’eau, réinfiltrée par une brèche, ne suffisaient pas. Accroupie, je promène un doigt déganté à la surface de l’eau solide, allège la pression quand ça menace de céder, quand l’eau revient liquide. Un peu plus loin, une feuille a été prise à la verticale, elle ne frémit pas du tout, la glace doit être épaisse par endroits.

Au téléphone avec Melendili, je vois depuis mon canapé la nuit qui infuse en rose, violet bleuté, bleu foncé, mon saule pleureur bientôt en ombre chinoise, lune en réhaut. Je vois et j’entends ce qu’on se raconte de famille, d’accompagnement psy, comme il est difficile parfois de ne pas se laisser définir par l’absence de.

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Lundi 3 février

Au cours de stretching postural, on passe une heure à marcher. À réapprendre à marcher, faudrait-il dire. À ne pas déposer son poids à chaque transfert, mais à le faire passer au-dessus d’une voûte plantaire dynamique, qui participe à la spirale de la jambe. J’apprends que le pied doit aussi se dérouler selon un mouvement spiralé, en soulevant l’arche intérieure (ce qui me donne l’impression de partir en inversion) puis en appuyant davantage sur le gros orteil et son voisin (sans chercher à garder les autres au sol) pour conserver la cheville dans l’alignement (ce qui me donne l’impression de rouler en-dedans, en éversion). Quand j’arrive à maintenir l’engagement du pied, la spirale se répercute jusqu’en haut de la jambe, c’est assez impressionnant. Mais difficile pour l’instant : je perds régulièrement la sensation et dois la réinstaller presque à chaque transfert de poids. Sur un couloir de marche voisin, une vétérane en legging s’aide de ses mains pour visualiser les mouvements musculaires au niveau des hanches ; elle vient de comprendre dans son corps ce que la prof lui dit depuis des années. Avec ma copine de short noir et de haut bordeaux, on se demande combien d’années il faut pour en arriver à s’occuper des hanches ; nous, on n’a pas dépassé la cheville !

Cette marche en conscience est d’autant plus difficile que la prof nous raconte en même temps comment elle s’est défendue de l’agression qu’elle a subie vendredi dernier. Nous médusées, elle imperturbable. Elle est fière de ses cours qui la maintiennent bien en forme, loin de la fragilité qu’on imagine pour une dame de soixante-dix ans seule le soir : ils ont du s’y mettre à trois (sur quatre) pour lui faire lâcher son sac. Elle exhibe la bande violette sur son bras, on hallucine, elle nous reprend, les mollets le dos là tu as lâché tourne remonte, puis reprend son histoire, elle a lâché l’affaire quand ils se sont mis à la frapper, elle s’est dit que s’il fallait refaire des couronnes et des lunettes à 1000€ ce n’était pas rentable (sic). L’heure est ponctuée de bruits de téléphone divers et de mots de passe confiés à voix haute tandis qu’une élève tente de configurer et récupérer ses données sur le téléphone qu’elle est allée acheter samedi après les cours.


Je mange au soleil rapidement avant d’avoir les doigts engourdis et me réfugie à la médiathèque où je lis presque en entier, damned presque, L’homme pénétré. Je vais bientôt avoir une bande-dessinée entamée et reposée dans chaque médiathèque que je fréquente.


Sur le canapé de la psy, je me mets à me gratter les avant-bras ; ils ne me démangeaient pas le moins du monde cinq minutes avant. Le temps passe, j’avise un sujet dont tout de même j’aimerais parler, j’en parle sans transition, en passant, il me semble que ça alimente l’anxiété en sourdine. Au bout de quelques minutes, la psy me fait remarquer que j’ai cessé de me gratter. Il fallait manifestement que ça sorte, c’était ça. Même si je n’avance guère dans le (dé)tricotage du problème, lui donner de la place en tant que tel soulage, on dirait.


Le cours achève de me remettre sur les rails de la semaine, entamant la vision en bloc que l’anxiété me faisait appréhender. Une fois n’est pas coutume, je prends le temps avec ce groupe de faire une manipulation en binôme, pour sentir et maintenir la rotation jusque derrière dans le rond de jambe. On enchaîne sur des tentatives de rotation des jambes en parallèle, sans bouger les pieds : c’est le nœud de la guerre, j’ai l’impression. Faire accepter aux élèves de moins ouvrir les pieds pour être mieux ancré et tourner davantage toute la jambe. (Problème de vocabulaire : je demande spontanément de refermer un peu les pieds, ce qui provoque la confusion en seconde position ; il faut que j’affine mon lexique : tourner vs rapprocher, peut-être ?).

Quand je montre le pas de pirouette, une élève se demande si je ne les ai pas surestimés, quand même. Que nenni, ils me confirment en être complètement capables. Quant aux sauts de basque découverts ils y a trois semaines, ils s’intègrent maintenant en manège avec une précision variable mais une coordination acquise pour toutes.

Janvier en cuisine : simplissime ?

Cette année, j’aimerais essayer de tester (au moins) une nouvelle recette chaque semaine. J’ai grand besoin de renouveler mon répertoire et le contenu de mes Tupperware (en réalité des bacs à glace et des barquettes plastiques qui ont oublié le palak paneer qu’elles ont un jour contenu — c’est plus léger et hermétique que mes boîtes à bento). Ça tombe bien, le boyfriend m’a offert des livres de recettes végétariennes à Noël ; celles qui suivent sont de J.-F. Mallet, issues de Simplissime, recettes végétariennes les + faciles du monde et Recettes végétariennes rapides et savoureuses.

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Haricots à la provençale

Haricots frais à la provençale. Disons haricots blancs à la provençale : quand on utilise du gaspacho pour faire la sauce, autant être cohérent dans la flemme et utiliser une boîte. J’avais un peu peur de ce donnerait le gaspacho chaud, et effectivement la pointe de concombre est un peu étrange, mais ça fonctionne bien dans l’ensemble. J’en referai sûrement (le week-end)(à distance des cours de danse)(et des gens, d’une manière générale).

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Quiche à la courge et au sésame

Chaque ingrédient est délicieux, mais la cohésion d’équipe est à revoir les gars (à moins que j’ai détruit un équilibre délicat en remplaçant le sésame blond par du noir ?). Cette recette a eu le mérite de me rappeler l’existence du fromage râpé gratiné ; je ne suis pas certaine en revanche que l’emmental soit indiqué avec le l’huile de sésame et la courge. À retenter avec du parmesan ou du pecorino, peut-être ? « Fromage râpé », c’est un peu trop générique.

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Risotto de coquillettes

Risotto de coquillettes et petits pois, au fromage ail et fines herbes : c’est validé, j’en ai même refait. Alors que je n’aime pas l’ail. Mais j’avais quand même très envie d’essayer. J’ai envie d’aimer d’autres goûts. Parce que la récurrences des recettes n’est pas seule responsable de mon impression de manger toujours la même chose : je me dirige toujours vers les mêmes ingrédients. Alors j’ai testé ce risotto de coquillettes à l’ail et aux fines herbes. Ça m’a plu, je crois. J’en ai refait en tous cas, pour finir le pot de fromage que je n’allais certainement pas manger seul avec du pain. Avec des rizoni cette fois, pour que ça fasse davantage risotto. La prochaine étape, c’est de cuire les pâtes sans bouillon pour voir si ça change vraiment le goût final.

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Gratin patate douce et châtaigneIl y a de l’idée, la patate douce et la châtaigne, c’est délicieux, mais le yaourt à la grecque cuit au four, c’est aussi bizarre et peu digeste que ça en a l’air. J.-F. Mallet aime manifestement faire chaud des trucs qui sont meilleurs froid.

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Riz sauté aux noix de cajou

Riz sauté aux noix de cajou. Et à la courgette et au poivron (jaune, y’avait plus qu’un seul rouge au supermarché et il était tout fripé). Tenez-vous bien : je commence à apprécier la courgette. L’ennemie honnie de la cantine, tolérée en ratatouille, vomie en gratin ou en flan (merci de ne pas approcher ce légume d’un quelconque laitage) ne serait pas si mauvaise ? Pas seulement froide et marinée dans beaucoup d’huile d’olive italienne, mais chaude, encore un peu cru-croustillante ? Évidemment, les noix de cajou y sont pour davantage que les courgettes dans le plaisir pris à ce plat, mais c’est une petite victoire. J’en referai, en sortant le riz plus tôt de l’eau pour qu’il ne devienne pas collant en continuant à cuire avec la sauce soja. Et en ajoutant les noix de cajou au dernier moment, histoire de les conserver croustillantes dans les portions suivantes.

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Lasagnes risotto-épinardsLasagnes

Pas mauvais, mais trop sec : je soupçonne l’œuf dans la ricotta et la quantité de sauce tomate. J’adore l’idée de prendre une sauce tomate pour les pâtes déjà cuisinée, mais « un pot » ce n’est pas une quantité, darling : un petit pot, un grand, un moyen ? Les grammes, darling, les grammes. Ou des millilitres si tu préfères, je ne suis pas regardante sur l’unité de mesure.

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Globalement, c’est le reproche qu’on peut faire à Simplissime : non seulement simple n’est pas toujours facile (va éplucher une courge butternut sans la cuire au préalable), mais c’est souvent approximatif : quelle quantité ? quel type de fromage fonctionne le mieux ? comment on fait ? à quoi on voit que c’est bon ? J’apprécie qu’il y ait peu d’ingrédients et de stades de préparation, mais les précisions à la OwiOwi me manquent ; c’est plus facile quand on est guidé. Dorénavant, je Googlerai les recettes proposées pour trouver des variantes et anticiper les ajustements.

Poésie olfactive

Journal de lecture : L’Appel des odeurs de Ryoko Sekiguchi
(l’autrice de Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter)

L’Appel des odeurs : un récit à la première personne. Non, un roman à la troisième. Disons un assemblage de citations et de récits. Des nouvelles, presque. À la troisième personne féminine, comme un seul et même sujet sensible qui se diffracte en diverses personnalités disséminées dans des temporalités et des géographies différentes. Elle : doubles de l’autrice-narratrice, souvent artistes (joaillère, artiste textile, plasticienne, gastronome…). Les citations qui entrecoupent ces vie parallèles sont parfois issues d’autres livres, plus souvent du carnet de notes olfactives de la narratrice. Cette dernière a une passion extraordinaire mais des capacités olfactives lambda, auxquelles on peut s’identifier sans avoir à s’imaginer nez chez un parfumeur ou complice de Jean-Baptiste Grenouille. Ryoko Sekiguchi nous tend ses histoires comme autant de boîtes de thé, et celui-ci ? On met notre nez dedans, on le fronce parfois, parfois ah là il y a matière à infuser, on renifle, on écarte, on s’attarde.

Au cours de ma lecture, je repense à l’exemple d’un ouvrage de cartographie où étaient dessinées en couleur les aires de certains effluves urbains, pain frais, pisse, encens, beuh, herbe tondue, poubelles sorties, friture… Je repense à cette randonnée en altitude en période de règles, où le soufre semblait peu à peu remplacer l’oxygène. Évidemment, je porte le livre à mon nez. L’encre, pas de renfermé : il circule beaucoup, fréquemment emprunté. Qu’est-ce que je sens d’autre ? L’Appel des odeurs est une invitation à élargir son champ de perception olfactif, à tout revisiter par ce prisme non-visuel. Tout un entraînement à mettre en place :

Toute son attention était concentrée sur la vision que lui évoquait cette odeur. Elle se surprit à regretter de ne pas pouvoir écarter les odeurs parasites aussi facilement que l’on déplace un objet pour faire place à un autre.

Sens de l’invisible qui ne se dit pas, l’odorat nous fait prêter attention à une autre couche de réalité. L’adoption de ce sens mineur provoque un décollement poétique. Que sent-on que l’on ne voit pas ? Que perçoit-on que l’on ne sent pas ? Ryoko Sekiguchi a tôt fait de transformer l’odorat en sixième sens, métaphore d’une appréhension synesthésique du monde.

Lorsqu’on dit sentir une présence, que sent-on en réalité ?

(Voilà qui fait écho à ma précédente lecture : que sent La Femme aux mains qui parlent quand elle sent la détresse des animaux ?)

Les odeurs deviennent à la fois ce qui existe et qui n’existe pas. Annonciatrices de ce qui est à venir, rémanences qui persistent après le départ, elles anticipent, prolongent, rêvent la présence. Elles nous installent sur un continuum entre perception et imagination, à la lisière du fantastique, autorisant la métaphore à basculer dans le surnaturel. Tantôt persistante, tantôt évanescente, l’odeur est par essence fantomatique, toujours à la frontière entre ce qui est et n’est pas, plus, a-t-il jamais été ?

La nouvelle où un couple d’amies éloignées (comparées à des oiseaux migrateurs <3) se font à manger l’une pour l’autre la nuit dans leurs rêves qui se répondent m’a ainsi rappelé les nouvelles fantastiques d’Ogawa. M’est également revenue en mémoire la nouvelle que j’avais écrite il y a un siècle (à l’adolescence ?) sur l’utilisation de capsules d’odeurs pour infléchir les rêves.

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Une sensibilité exacerbée devient facilement pour moi synonyme d’inconfort physique et de psyché épuisée en atermoiements. Dans L’Appel des odeurs, elle semble n’être que sensualité délicate, synesthète. Un peu comme dans les récits sur la haute gastronomie (il y en a d’ailleurs), on y est souvent sur le fil du précieux : perception d’une finesse rare à chérir… ou si perchée qu’elle me lasse. Il en a résulté une lecture à plusieurs vitesses ; j’ai pris mon temps quand ça tintinnabulait délicatement au bon endroit, et accéléré quand les aigus saturaient ma perception.

Parmi les passages dont j’ai pleinement goûté la délicatesse, il y a celui sur le théâtre de Ferrare. Il y a à lire ces quelques pages la volupté qu’on peut trouver à laisser sa main caresser le velours rouges d’une loge.

Lorsqu’elle pénétrait dans ce théâtre, il lui semblait s’introduire chez sa confidente.

Sa peau aussi aspirait à sentir. La suite des dentelles lui apparut alors : une silhouette, avec un décolleté. […] Elle serra les yeux plus fort mais le visage ne se dévoilait toujours pas.
Des applaudissements s’élevèrent dans la salle pour accueillir les musiciens. Comme de petits animaux tapis dans l’ombre, ses doigts enlacèrent plus intensément ceux de la silhouette, dont la peau si lisse lui faisait perdre la tête. Elle crut entender, mêlée aux crépitements des applaudissements, une vois chuchoter qui lui demandait son nom.
À l’instant même où elle allait ouvrir les yeux pour lui répondre, le premier son de l’orchestre retentit.

…

Un photographe m’a dit que le plus difficile à photographier est la température ambiante. […] Deviner la chaleur dans une image.
Ou supposer l’humidité dans un tableau de l’Annonciation ?

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Être seule la soulageait. La solitude était aussi apaisante et délicieuse que le parfum léger et doux du printemps précoce qui se dégageait de la marmite.

Elle huma le bouillon de toutes ses forces, et le souvenir s’en alla, avant de revenir, persistant, comme une goutte d’encre versée dans de l’eau, qui se met à tourbillonner, rendant le liquide plus opaque.

…

[C’est un cuisinier qui parle] Un jour, j’ai compris que je ne pouvais plus. Ce n’est pas que je ne supportais plus de tuer, car tu sais aussi bien que moi que l’on sent de la vie même dans les plantes. Plutôt comme un petit animal qui n’a plus la force d’aller affronter une bête plus grosse que lui, je n’avais plus la force de faire face à la profusion de la vie, à l’odeur du sang. Je n’en pouvais plus. C’est trop « vivant » pour moi, qui suis maintenant plus proche de l’autre côté.

Parfois, elle lui en voulait même de lui avoir fait cette confession. Ce qu’il ressentait, tous les cuisiniers l’éprouvent. De fait, ce que devraient éprouver tous ceux qui s’alimentent pour vivre était délégué aux cuisiniers.

Cela pourrait constituer le préambule d’un plaidoyer vegan si l’autrice ne se lançait pas dans un exercice de haute voltige pour esquiver la mort et la dissoudre dans la métamorphose — nécessairement ambivalente, comme la poésie et le carnivore dans le déni.

Ma fille, te crevette était délicieuse. Ta crevette était belle. J’ai eu envie de pleurer en la sentant dans ma bouche. Cette chair si onctueuse et si sucrée, je savais que ce n’est qu’en la mordant qu’elle dégagerait son parfum.
[…] Elle était bien là présente, pas comme nous, mais pas morte non plus. Elle était quelque part ailleurs, tout en étant de ce monde.

Une crevette qui ne sera pas morte en vain, en somme. Son âme sauvée par la cause gastronome. (Je plaisante, mais je comprends aussi.)

…Sous ses airs atemporels, L’Appel des odeurs est clairement ancré dans son époque. Le Covid n’est jamais nommé, tout au plus désigné par « la maladie », mais il est présent en sous-texte dans plusieurs récits ancrés dans l’expérience de l’anosmie. C’est là, au creux du manque, que l’aspect synesthésique est le plus flagrant : l’imagination est convoquée pour palier l’absence de l’odorat comme liant entre les autres sens.

Elle ignorait que les odeurs étaient comme des sons. Son univers ne vibrait plus.

Certes, l’odorat ne lui était pas revenu, mais elle avait la sensation qu’une image était enfin projetée à travers la petite lucarne d’où elle regarnit le monde, une image qui avait soudain inondé l’espace autour d’elle, où elle se retrouvait plongée. Elle ne se rappelait toujours pas ce que c’était que sentir comme elle sentait autrefois mais ce n’était plus un problème. L’important était que le peu de perceptions qui lui restait commençait à s’unir.

Elle comprit alors que l’odeur était synonyme de désir. En son absence, il revenait à l’imagination, aux mots et à la tendresse de celui qui cuisine de venir la consoler.

Une gastronomie pour les anosmiques est-elle possible ? 

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La personne part dans l’au-delà avec ses secrets. Tout ce que peuvent faire les vivants, c’est de raconter des histoires, sans savoir si elles sont vraies ou non.

Le cœur de cette fille était un immense réceptacle, et c’est bien ce qui attirait les hommes. Mais il ne fallait en aucun cas qu’ils s’en aperçoivent, et c’est la raison pour laquelle il créait sans relâche pour elle de nouveaux parfums, pour que les autres se méprennent sur sa fragilité et lui attribuant plutôt un talent de simulatrice avec ses effets olfactifs.

Les acouphènes olfactifs existent-ils ?

Les odeurs qu’on a dans le nez.

Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, la présence des odeurs l’enchantait. Tout semblait émettre un scintillement. Une chaleur. […] Elle se sentait entourée par tellement de choses. C’était comme être de retour d’un monde où elle ne voyait plus.

Les tableaux qui véhiculent un message de vanités peuvent être conservés pendant des siècles. 

Je n’avais jamais conscientisé le paradoxe !

…

Les mots sortaient lentement de sa bouche, comme on aligne des pierres que un trait tracé au sol.

Il eut l’ait étonné face à ce cadeau inattendu, puis il la remercia d’un sourire timide. Elle trouvait son sourire magnifique. C’était comme si un arbre lui souriait.

Mieux valait ne pas penser que l’odeur était en train de s’estomper. Sa forêt était entrée dans l’heure bleue.

(L’heure bleue, nous dit-on juste avant, quand les animaux et les oiseaux cessent tout bruit.) Poétiser la disparition pour ne pas souffrir de la perte, cela m’a touchée. Ce récit-là dans son ensemble, en fait : un sculpteur offre à une autre artiste un travail préparatoire qui est en soi une œuvre, une boîte renfermant une forêt sculptée dans un bois odorant. L’odeur convoque le souvenir de leur rencontre de manière extrêmement vivace, davantage que ne le ferait une photographie par exemple, mais cette vivacité est empreinte d’une grande fragilité. L’odeur persiste, semble devoir durer éternellement, survivant même au sculpteur, jusqu’au jour, des décennies plus tard, où elle commence à s’atténuer, s’évaporer. Alors il faut convoquer l’heure bleue, faire sens de ce qui disparaît tout en laissant trace, l’odeur comme présence de celui qui n’est plus là ou plus.

…

Un jour, elle peut le courage de lui avouer qu’elle ne mangeait jamais ces prunes ainsi confectionnées et offertes, par crainte d’en venir à bout. […] Elle avait hésité à le lui dire, pour éviter d’évoquer, fût-ce indirectement, le jour où sa mère ne serait plus.

Sa mère lui avait confié qu’elle n’avait jamais osé les toucher, parce qu’une fois ces prunes mangées, elle n’en aurait jamais plu, sa grand-mère ayant quitté ce monde. « De temps en temps, je ramasse juste un peu de sel qui s’est détaché des fruits, et je le est dans ma bouche. Et j’arrive à imaginer que ma grand-mère est là, le temps que le sel fonde. »

Parmi les chose qu’un personne peut laisser derrière elle, la nourriture est peut-être la plus étonnantes de toutes, car elle est dotée d’une odeur et d’un goût que les vivants peuvent assimiler. Le contact physique est réel. Seulement, on ne peut sentir le goût qu’en la détruisant, alors que son odeur continue d’exister quand on la hume. L’odeur, infiniment résistante et généreuse.

Sans être lié à personne en particulier, mon rapport à la dégustation n’a jamais été si bien exprimé. Comment profiter pleinement de quelque chose qui cesse dans le même moment ? Ce chocolat Patrick Roger n’existera plus jamais quand je l’aurai avalé ; ma dégustation se doit d’être à la hauteur, pour créer un souvenir à la mesure de la disparition, pour la compenser, la combler en quelque sorte. Souvent je laisse ainsi les bonnes choses se périmer, préférant grignoter distraitement une tablette que je sais pouvoir retrouver au coin de la rue à bon marché plutôt que risquer d’échouer à savourer comme il se doit l’exceptionnel en pleine conscience. Je laisse se gâter par peur de gâcher.

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Elle fermait les yeux et essayait de le défaire des moments de son passé, comme on décolle l’étiquette d’un flacon, pour lui rendre sa virginité. Les paupières closes, elle s’emparait dans sa tête d’un pinceau pour chasser les images qui leur étaient associées, les émotions qui les accompagnaient. […] Peu à peu, comme la lie se dépose au fond d’une bouteille, le pathos fondu dans le liquide se condensait vers le haut du flacon pour s’échapper.

Extraire sa vie des flacons était en réalité un acte destiné à faire renaître ses souvenirs, et à vivre avec eux. Car qui a décidé qu’un moment du passé doit demeurer dans le passé ? […] Il se pourrait que le passé continue à vivre sa vie dans le présent.

Cette séance de soprophologie-psy vous a été offerte par Ryoko Sekiguchi. (J’adore la mise à jour des mécanismes psychologiques, l’image du pinceau manié par une archéologue de l’intime.)

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En cours de lecture, j’ai laissé L’Appel des odeurs sur le tabouret des toilettes. Je ne suis pas la seule à m’être aperçue de l’ironie.

Revue de blogs #3

« C’est toujours un petit combat entre le bout de moi qui adore explorer de nouveaux endroits et celui qui anticipe tout ce qui pourrait mal se passer et est-ce qu’on ne serait pas bien roulée en boule sous la couette, par hasard ? »

« Par un de ces hasards hasardeux qui font la vie, je me suis trouvée à faire interprète entre l’agente d’accueil néerlandaise (à l’anglais parfait) et un couple d’italiens qui ne comprenaient pas que tous les billets pour aujourd’hui étaient vendus, qu’il n’y avait pas de place avant lundi. Eh bien soyez épatés, avec mes 221 jours de Duolingo, je leur ai dit que Non ci stanno biglietti per oggi, solo da lunedi. J’espère que ça vous en bouche un coin parce que moi, oui. »

Il doit y avoir un truc avec Duolingo, l’italien et les billets. C’est également dans un contexte de billetterie que j’ai pris conscience que le hibou vert avait déteint dans la vraie vie : avant même de demander confirmation au vendeur anglais, j’ai su qu’il n’y avait plus de billets pour visiter le Christ Church College jusqu’à mercoledi, comme l’annonçait dépitée une Italienne en revenant vers son mari.

« Anne Frank, donc. […] Il y a un phénomène dans cette visite, petit à petit, les enfants se taisent et les adultes pleurent (on s’est échangé un hug amical avec une étrangère de passage en même temps que moi). »

Sacrip’Anne, Dans les rues d’Amsterdam

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« C’est toujours impressionnant de regarder des livres tandis que les éditeurs ou les écrivains ou les traducteurs vous observent ou s’appliquent à ne pas vous observer à quatre-vingt centimètres de l’autre côté de la table. Pour lutter contre la gêne ou la timidité, je me suis appliquée à regarder chaque livre comme si j’étais seule au monde. Cela a pris du temps. »

Petit salon du livre grec chez Alice du fromage

C’est précisément la raison pour laquelle, à rebours de la plupart des « grands lecteurs » je préfère les grandes surfaces du livre (Fnac, Gibert, Furet du Nord…) aux petites librairies, où je me sens observée et rapidement coupable de ne rien acheter. Quant aux salons, je crois que la dernière fois que j’ai bravé mon inconfort, c’était pour Lou Sarabadzic.

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« […] plus personne ne veut prendre le temps de faire les bons choix. Tout le monde est maintenant programmé pour la satisfaction immédiate (donuts, chocolat, réseaux sociaux, gabarits, etc.) plutôt que la projection dans le futur (apprentissage, progression, compréhension, etc.). »

Chantier, Les Carnets Web de La Grange

*éloigne la tablette de chocolat de vingt centimètres*
(Je le sens, le redoute en moi, ma persévérance qui se délite, les gratifications qui deviennent frustrations immédiates.)

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« Toujours, toujours sourire en les accueillant. »
[les élèves]

Prof en scène

Parfois je suis tellement happée par le tumulte de ce qui se passe, vient juste de se passer, à analyser, et de ce qui doit ou ne doit pas arriver, à anticiper, que j’oublie, et soudain je me souviens que j’oublie de sourire. Que c’est plus important pour les enfants que bien montrer l’exercice, marquer les comptes ou donner des corrections judicieuses. Alors je souris.

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« se rend-on bien compte de la quantité d’énergie et de vitalité qu’il faut mobiliser pour jouer cette délirante partition ? »

Prof en scène

Non. Enfin si, on imagine ce qu’implique d’enseigner. Quand on le vit, c’est différent, on comprend dans son corps la nécessité de s’économiser. (Et encore, j’ai peu d’heures et un public qui a priori a choisi d’être là.)

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[à propos de son dentiste] « Il est beau gosse, décontracté, sympa et très loin de ses patients. Je pense qu’il vous a oublié dans la seconde où vous quittez le cabinet. »

Reprise chez Alice du fromage

La dernière phrase, c’est tellement ça. Meilleur portrait de dentiste ever.

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12 mois, 12 photos : j’aime toujours beaucoup lire le bilan annuel de Chloé Vollmer-Lo, photographe et autrice.

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“[…] i’ll continue to champion for writing about one’s failures and shortcomings in public. not because it is an attempt to rebel against the mainstream propensity to display only success and positivity, but simply because failures, flaws, shortcomings, negativity – they are simply part of life and part of the norm. am just advocating the fullest possible spectrum of life be shared, within one’s personal comfort. i do have my skeletons, but everything else i would like to share, because i think reality and life deserves to be whole.”

because reality and life deserves to be whole, Winnie Lim

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“I first started using the word “uneventful” when my traditional chinese medicine physician asked if I had any symptoms between my visits: there were rare times when I would tell her I didn’t have any symptoms in the couple of weeks since I last saw her, and she would respond, “oh so it was uneventful?” – that was when I learnt that having an “uneventful” time was actually a good thing.

[…]

Like my bouts of health that were “uneventful”, I have personally come to realise it is precious to have days when nothing much is happening. In the world we are in now, being able to go about our days without much pain, anxiety, worry or sadness is almost like a miracle.”

2025: may I have an uneventful year, Winnie Lim

L’ataraxie en 2025.

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« Les pierres aussi se fanent quand on les sort de l’eau. »

galets, les carnets Web de La Grange

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« Je lis les deux premières phrases et m’arrête. « Stella s’était précipitée dans le jardin. Elle l’avait vu s’effondrer au sol. » J’ai pensé « une histoire de tremblement de terre ». […] Parce que c’est plus facile à faire qu’à défaire, je vois ça comme une faute. Je dois être trop scientifique. Je n’utilise une variable dans une phrase que si elle est d’abord instanciée. »

(J’ai si spontanément postulé une personne dans le L apostrophe que j’ai dû relire pour comprendre l’incompréhension.)

« L’idée : nous vivons le plus souvent la terre plate (ou vallonnée, voire montagneuse). La terre sphérique est alors perçue comme une narration. Être platiste, c’est donc remettre en question la narration dominante plus que réellement croire que la terre est plate. »

Thierry Crouzet, Décembre 2024

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« Certaines [rencontres] ne durent que quelques secondes, d’autres ne nous lâcheront plus jamais. Il y a les gens avec qui on ne se souvient même pas comment ça a commencé, et ceux dont l’histoire même du premier contact est tellement fondatrice dans la relation qu’elle en devient une sorte de légende.

Le père de Cro-Mi, je l’ai rencontré sur internet à une époque où ça faisait un peu peur de voir en vrai quelqu’un issu du monde virtuel. C’était une très jolie histoire, très « You’ve got mail ». Enfin sauf que je ne suis pas Meg Ryan et qu’il n’est pas Tom Hanks. Bon, et qu’il n’était pas complètement la personne qu’il semblait être. C’est probablement toujours un peu le cas, pour tout le monde. C’est aussi quelque chose de très caractéristique chez lui, mais on s’en fout, c’est du passé. Disons que, pour toujours, j’ai une jolie histoire de rencontre à raconter. »

Des rencontres, Sacrip’Anne

J’ai connu cette époque. « Vous vous êtes rencontrés comment ? » Ça faisait tellement wierdo de répondre « sur Internet » que je précisais toujours « par blogs interposés ». Les sites de rencontre  avaient des relents d’agence matrimoniale pour freaks.

Il n’y a pas que l’époque. Y’a aussi l’histoire à raconter. Et la partie à taire, la personne qui n’est pas uniquement celle qu’elle semble être.

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« Tout – de travers – la journée passe et la sensation de tout manquer se dresse entre moi et le monde. […] Je virevolte entre le chaud, le froid, j’entends le compliment puis le non, j’aperçois un rictus puis un sourire et me demande ce qui est ou n’est pas vrai. Je suis perdue face à l’autre. »

« […] je pose des couleurs sur l’ennui, je colorie le gris de l’hiver, j’invente des planètes, des espaces secrets pour porter mes rêves. Et garder mon espérance, mon enthousiasme, ma confiance, intacts. »

Cocon sur le blog Accrocher la lumière

Emmitouflée dans mon plaid comme dans un cocon géant devant mon écran, la lecture de ce billet m’a provoqué une détente physique dans les trapèzes, un apaisement à l’idée d’un retour à soi et à une pratique artistique qui préserve.

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« Donner aux mômes des supports. Un château de conte de fées, Colette, l’intérieur d’un journal au XIXe siècle. Je suis souvent effaré – sans aucun mépris – du fait que les élèves n’ont aucune idée de quoi parle un texte, parce qu’il leur manque des représentations. […] leur donner un vocabulaire précis. Parce que c’est l’un des premiers discriminants sociaux. […] Ce à quoi j’aspire, c’est à leur donner de quoi s’emparer de la réalité. Qu’ils la subissent moins. »

Prof en scène

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« Des jours, j’écris trop peu, d’ailleurs je lis trop peu, d’ailleurs je tout trop peu, à mon goût, trop de jours d’affilée. »

Interfacécrire chez Joachim Séné

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j’ai vu mes proches perdre le peu de raison qui leur reste

par exemple mes tantes, kabyles et athées, disent ‘les arabes’ et ‘les musulmans” pour parler d’elles par exemple, mon père dit des choses comme : “avec tout ce qu’il se passe on va pas en plus s’engueuler”

c’est vous dire

un ami me dit : j’aime bien penser qu’être vivant c’est influencer la vie des vivants, comme mon père m’influence, il est encore en vie

en 2024 – apprendre à renaître (1) chez Selmakovich

je dis à L. : j’en reviens pas qu’à notre âge, on soit pas mort.e.s.

Alors pour 2025, je nous souhaite :

-de continuer à porter nos mort.e.s sur nos épaules -de fabriquer de toutes petites choses avec nos doigts -de renaître de renaître de renaître.

en 2024 – apprendre à renaître (2) chez Selmakovich

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« Reste à savoir évidemment si lire Proust, aimer Proust, ce n’est pas toujours vouloir écrire. »

Roland Barthes cité par Thierry Crouzet

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« […] mon cœur est allé cogné toutes les parties de mon corps comme une bille de flipper.

Et depuis, ma vie est un long fleuve tranquille… Je vis d’amour et d’eau fraîche, des papillons dans le ventre et des étoiles dans les yeux.
En fait, absolument pas, j’ai l’impression d’être en chute libre, sans parachute et j’attends de m’écraser au sol. Pendant que lui, se laisse porter, plane, serein, confiant, c’est une évidence m’a-t-il dit. Pour moi, c’est une évidence que ça va foirer à un moment. […] J’ai l’impression que ma vie est vide et n’a aucun sens alors qu’avant lui, elle était chouette, je l’aimais bien. […] Je vais mal parce qu’un homme est gentil et ne joue pas avec moi… c’est dingue et ce constat me rend encore plus triste. »

Comédie romantique, sa mère la p*! chez les Sisters Cia

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« Mon pantalon est gris, alors aujourd’hui je porte des chaussettes roses. Je sens bien que la fatigue de la grippe est encore là blottie. »

Rose, Les Carnets Web de La Grange

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“This is how modern oligarchs work. They don’t burn books—they bury them in content. They don’t silence the news—they reframe it as entertainment.”

Citation d’un article de Joan Westenberg
sur Les Carnets Web de La Grange

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« Au coin d’une rue, je trouve un magasin de imagawa-yaki (今川焼き) juste cuisiné, bien chaud, avec de la pâte de haricot rouge à l’intérieur. Voici le bonheur retrouvé de l’enfance des marrons chauds sur les trottoirs de Paris quand de Rouen, nous venions voir les vitrines illuminées et animées des magasins Le Printemps et les Galeries Lafayette avant le jour de Noël près de la gare Saint-Lazare, ou encore la vingtaine de croustillons chauds […] vendus dans un sac papier vite coloré de tâches de gras mais qui brûlait la paume de la main et que l’on mangeait avec les dents pour éviter de se brûler les lèvres et la langue tout en aspirant l’air froid. […] Au moins, ce froid là, aujourd’hui, m’aura fait revivre ces lieux « inoubliés » de mon enfance, à défaut d’être inoubliables. »

Traversée sur Les Carnets Web de La Grange

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“I have also always thought that compassion is an emotional quality, but in recent times I think of it as an intellectual quality. We don’t have to feel for the other, we can simply intellectually believe in doing what is right for the person.”

Winnie Lim on learning the definition of endodontist, and compassion

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“The Thai language has a wonderfully playful, almost childlike, pronunciation. On this trip, I decided to try imitating it. To be honest, it feels both unnatural and strained, as if I’m making fun of their language.

But the response has been absolutely fantastic! I get answered in Thai (talk about shooting yourself in the foot, since I have no idea what they’re saying), they praise my pronunciation, ask how long I’ve lived here, and so on. This despite using the same phrases I have used for years.

[…] Suddenly, as if overnight, she had incredibly good pronunciation. Everyone noticed it. How could she have improved her pronunciation so suddenly?

She explained that she thought Swedes sounded like they were singing when they spoke. With that in mind, she took courage and started « singing » in Swedish. To her ears, it sounded completely crazy, but everyone around her thought it sounded fantastic.”

Don’t hold back de Robert Birmingblog

Revue de blogs #2 (parenthèse méta)

Avec l’envie de fuir Twitter, il me semble sentir un frémissement, une envie chez certains de renouer avec l’ancienne blogosphère ou du moins des réseaux sociaux décentralisés. Des espaces sans publicité, avec des échanges apaisés et une curation humaine plutôt qu’algorithmique. Vous me direz que c’est probablement parce que je traîne sur les blogs et sur Mastodon, mais ça ne m’en réjouit pas moins. Ça me donne d’autant plus envie de faire cette revue de blogs, de mettre des liens partout, de commenter chez les uns et chez les autres, de parcourir les blogrolls… Je m’autorise donc une revue de blog un peu méta. Vive l’intertextualité bloguesque !

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D’abord, un peu de remise en contexte avec Thierry Crouzet :

2005 […] Peu à peu Google pénalise les liens entre les sites, parce que cette pratique autorise des recherches transversales, décentralisées, concurrentes de Google […]. « Si tu lies ton contenu à d’autres, je ferai en sorte qu’on te trouve plus difficilement. » C’est le premier arrêt de mort de la blogosphère. Tout un écosystème de sites interconnectés à la main, humainement, commence à s’effondrer et des algorithmes décident de ce que nous lisons et trouvons, des algorithmes propriétés des oligarques qui, que nous le voulions ou non, et même qu’ils le veuillent ou non, nous manipulent.

∼2010. Plus Google casse la blogosphère, plus il pousse les internautes vers les réseaux sociaux où ils retrouvent matière à débat et lieux d’expression. […] Des blogs survivent, mais isolés. Le web, initialement décentralisé, a été recentralisé par Google et les réseaux sociaux, donnant un pouvoir démesuré à quelques acteurs.

Leur but n’est plus de nous informer ou de nous faire réfléchir, mais de nous exposer aux publicités. Leur seule ambition : nous retenir chez eux, comme jadis le faisaient les TV, à ceci près que nous produisons nos propres contenus (nos propres chaînes). Idée géniale !

Le technofascisme est-il une fatalité ? par Thierry Crouzet

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Resonance is such a powerful emotion. This is why I collect quotes – to remind myself I am not alone.

why we should tell our stories, Winnie Lim

Eli a relevé le même extrait, j’ai découvert. Correspondances souterraines.

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« Ce serait chouette d’écrire tous les souvenirs de l’année 2024. Comme ils viennent sans regarder les photos, sans discuter avec les autres et de voir ce qu’il nous reste d’une année entière. »

Cent souvenirs, Les Carnets Web de La Grange

Il y a eu cette idée de Karl que j’ai prise au pied de la lettre. Reprise par Dame Ambre sur son blog. J’aime ces ricochets.

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Je suis toujours surprise (et heureuse) de trouver des échos de ce que j’ai écrit chez quelqu’un d’autre, comme ici ou (Les Carnets Web de La Grange me font retrouver le dialogue différé d’un blog à l’autre).

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Je vais tenter par contre de me tenir à ce que je m’étais dit l’année dernière : tenter d’écrire tous les jours, plusieurs choses différentes. […] Peut-être un peu de blog ? Accepter de radoter, un peu ? De tourner en rond autour des mêmes sujets ?

Le cycle, Carnet d’un passeur

J’adore apprendre à connaître quelqu’un que je ne connaitrai probablement jamais par le biais d’un blog qui radote et tourne en spirale autour des mêmes sujets (je trouve que ça tourne en spirale plus qu’en rond, on se décale à chaque fois).

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J’aime beaucoup me forcer à écrire sur ce que je vois ou lis, parce que ça m’aide à m’en souvenir et que j’aime partager, mais c’est de toute évidence devenu une contrainte.

Carnet orange

Je me demande sans cesse quelle forme adopter pour conserver le plaisir en évacuant la contrainte. Mais peut-être est-elle inhérente à ma personne.

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« Un blog, un site, est un endroit à soi […] où les interventions sont différentes, parce que les commentateurices se sentent ailleurs que dans une zone de non-droit typique des RS, on est chez l’autre, je ne sais pas, quelque chose de cet ordre, qu’il me plairait de voir revenir. »

Exode numérique de Joachim Séné

Effectivement, ça déborde beaucoup moins en commentaire que sur les réseaux sociaux. La sensation d’être chez quelqu’un est réelle, on s’y sent moins à l’aise que dans un espace d’échange commun déjà investi. À tel point que l’espace commentaires sous un article de blog est devenu un peu trop solennel, un livre d’or que personne ne veut entamer. On ne veut pas laisser de trace, des fois qu’on n’aurait pas bien esssuyé nos chaussures en rentrant. Les échanges ont été délocalisés sur les réseaux sociaux… et en partie perdus. Pour les autres lecteurs : quelqu’un qui arrive par un autre réseau social (voire par son lecteur de flux RSS, soyons fous) manque la conversation engagée ailleurs. Et pour les petits êtres narcissiques et sensibles que sont les blogueurs : les tweets, toots et autres sont autant de petits bouts de papiers pliés et fourrés dans une trousse à l’arrache. Ils s’abîment, s’égarent, alors qu’on aurait pu les écrire sur le sacro-saint agenda !

Sur Envisager l’infinir, je suis tombée sur cette note, tout en bas des billets :

Si vous souhaitez réagir à ce billet, merci de commenter de préférence ci-dessous plutôt que sur les réseaux sociaux.

La tournure m’a déclenchée la même réaction de rejet instinctif que les injonctions adolescentes à lâcher ses comm’ sur les feu Skyblogs. Passée la surprise pourtant, je suis d’accord. Je préférerais pourtant passer par le plaisir tel que l’exprime si bien Dame Ambre, un plaisir qui n’est peut-être pas évident pour le non-blogueur :

. Surprise-sourire par les mots laissés sous une critique
. Surprise-sourire par ceux laissés par ici
. Surprise de m’apercevoir que j’aime profondément les mots qu’on me laisse, bien que je sois moi-même une silencieuse-née

Journal de Dame Ambre

Un commentaire de blog, c’est comme une carte postale (qu’on n’a même pas besoin d’affranchir, hé).

Lâche tes comm’ !