Dès le début du Grand Jeu, la voix off nous prend de vitesse et fait naître une espèce de jubilation, qui ne s’arrêtera qu’avec elle. Elle : la voix off, Molly Bloom, skieuse de haut niveau, puis rien, suite à un accident, puis assistante et organisatrice de parties de poker illégales aux enjeux astronomiques, courues par les puissants du cinéma, de la finance et de la pègre.
Molly commence par hasard et poursuit par détermination. C’est la force de caractère du personnage qui tient tout le film : sa détermination. Une détermination sans objet : il n’y a plus de titre olympique à obtenir, et l’argent, preuve de son acharnement, ne devient pas une fin en soi (au temps pour un « Loup de Wall Street au féminin »). Tout ce passe comme si l’essentiel était d’assurer sa place, de tirer son épingle du jeu en se jouant de ses règles : ses clients jouent au poker, mais c’est elle qui bluffe.
Inconsciente ou farouche, tête de mule ou tête brûlée, tout ce qu’on sait, c’est que Molly Bloom n’a pas froid aux yeux. Je ne sais pas si, comme le suggère cet article, c’est de voir une femme endosser un aplomb habituellement perçu comme l’apanage des hommes, mais c’est jubilatoire. Et moi qui, d’ordinaire, ne retient jamais le nom des personnages, je me suis souvenue de celui-ci sans problème : Bloom, Molly Bloom. Indissociable de Jessica Chastain, qui y a elle aussi été au culot pour obtenir le rôle. Empowerment compte double.
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Voilà pour l’objet cinématographique. Pour ce qui est de l’adaptation, il faudrait lire le récit de la véritable Molly Bloom, car les écarts relevés de seconde mains sont assez intéressants. Palpatine souligne la volonté de rendre l’héroïne plus clean qu’elle ne l’était probablement (le passage par la drogue est traité comme une prise d’anxiolytiques) : aucune arrière-pensée ne vient ainsi parasiter la jubilation du spectateur. On peut soupçonner la même chose regardant les joueurs : dans le film, Molly Bloom perd sa place d’assistante-organisatrice parce qu’elle tient tête à son patron, qui entend plafonner le montant de ses pourboires ; dans le récit de l’originale, c’est pour avoir refusé de se plier à la demande dégradante d’un joueur (monter sur la table de jeu et faire l’animal). Or, le réalisateur a hésité à réaliser le film et réécrit la partition des rôles secondaires, parce que figuraient dans le cercle de Molly Bloom certains de ses amis et certains acteurs avec lesquels il aimerait tourner un jour…