Nothing but cognac, swear and tears

Darkest Hour, biopic sur Churchill réalisé par Joe Wright1, se situe quelque part entre J. Edgar (un vieil homme influent avec lequel on fait connaissance en assistant à son lever, entre pantoufles et oeuf à la coque) et Le Discours d’un roi (la solennité made in « facture classique », qu’on trouverait pompeuse si elle n’était si efficace — ni larme à l’oeil ni rictus aux lèvres, mais pas loin).

Filmer l’histoire telle qu’elle a été écrite par les vainqueurs est toujours un exercice périlleux, qui, lorsqu’il est concentré sur un personnage, tombe facilement dans l’hagiographie. Darkest Hour a le mérite de remettre un peu de brouillard dans le rétroviseur historique ; le doute est posé : Churchill est-il l’homme de la situation, i.e. un homme de pouvoir qui a la poigne nécessaire pour mobiliser le pays et résister au nazisme ? ou est-ce un vieux fou qui va continuer d’envoyer les jeunes générations se faire massacrer sur l’autel d’idéaux nobles, sans même avoir tenté la voie diplomtatique ?

L’issue de la guerre oriente nécessairement notre regard. Sans doute le recours diplomatique était une mascarade, mais le premier ministre avait probablement aussi une approche un tantinet chevaleresque de la Realpolitik (le mot de la fin, à la chambre des Communes : — What just happened ? — He mobilised the English language, and sent it to war.)  Sans pouvoir se départir de la connaissance qui est la nôtre, de l’issue de la guerre, le film réintroduit une part bienvenue de doute et de flottement – d’improvisation, aussi, avec le nom de l’opération Dynamo2 emprunté au ventilateur qui se trouvait là.

Ne nous leurrons pas, cependant. Le film ne vaut pas tant pour une quelconque dimension historique que pour son personnage ; car l’original même en était manifestement un, de personnage. Comme le remarque le roi, flatterie ou critique cinglante, on ne sait jamais ce qui va lui passer par la tête et qu’il va dire tout de go. Sacré orateur, mais zéro filtre, zéro tact en dehors des discours préparés à l’avance. C’est au final le caractère soupe au lait de Churchill et ses bons mots qui font tout le suspens d’une histoire rejouée d’avance.


  1. On retrouve les transitions très travaillées qui sont, semble-t-il, la marque de fabrique du réalisateur. Par exemple, un garçonnet utilisant sa main comme une longue vue fait la transition entre la population de Londres et les combats aériens.
  2. Nous sommes là dans un anti-Dunkirk. Me rappelant les reproches adressés à C. Nolan, je me suis surprise à remarquer le travelling Benetton de Joe Wright dans une rue londonienne, avec la présence parcimonieuse mais régulière de quelques représentants des colonies britanniques.

2 réflexions sur « Nothing but cognac, swear and tears »

  1. Je suis totalement amoureuse des atmosphères que Joe Wright capture si bien dans ses films – du romantisme de Pride & Prejudice et Atonement à l’esthétique fantastique de Hannah et Pan. Je suis très curieuse du coup de ce film à côté du quel je suis passée, puisqu’il me semble ne rentrer ni dans l’une ni dans l’autre catégorie. (Et attends, quoi, c’est Gary Oldman dans la peau de Churchill ? Whaou, rien que pour ça, je prends !) Merci de l’avoir révélé à mon radar, je le verrai quand j’en aurai l’occasion (prpas au cinéma, ce dernier est si cher en Suisse que je dois y restreindre ma sélection – mais sans aucun doute sur plus petit écran !)

    1. J’associais surtout Joe Wright à l’adaptation réductrice qu’il avait réalisée d’Anna Karénine (du romantisme à fond les manettes, effectivement, mais guère plus). Ce nouveau film invite à faire la part des choses : c’était le scénariste, et non le réalisateur qui était le plus à blâmer. Le souci du détail et le soin dans les transitions font ici merveille pour faire ressortir par contraste le caractère improvisé et imprévisible des saillies de Churchill-Oldman. Enfin, je crois ; tu me diras…

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