The Happy Prince

… il s’exile à Paris et y meurt dans la misère en 1900. C’est généralement par une phrase du genre qu’on conclut la biographie d’Oscar Wilde. Rupert Everett fait le pari d’y faire tenir l’essentiel de son film et d’un coup de canif entame le glamour du poète maudit. Le potentiel rocambolesque du bagne, de la drogue et de la fée verte s’oublie derrière un amas de chair en pleine déchéance, dont la lèvre supérieure toujours humide pourrait constituer une efficace synecdoque.

Cet Oscar Wilde campé par Rupert Everett physiquement, instinctivement, me répugne, et j’ai le plus grand mal à adhérer au film. L’incarnation de Bosie ne m’aide pas davantage ; je le trouve gênant de beauté canonique et de vanité. Il n’y a guère que le personnage de Robbie, occulté par l’histoire, qui parvienne à m’attirer quelque sympathie. Quant aux traits d’esprits auxquels on associe l’écrivain, ils ne fusent pas vraiment. Je retiendrai une saillie facile mais bienvenue dans l’atmosphère étouffante de la chambre du malade (I’m at war with this wallpaper. One of us has to leave) ; et une autre, bien plus subtile et cynique d’être répétée à Bosie (l’amour-passion, partagé jusqu’à épuisement des stocks) après Robbie (l’amour serein, non retourné), quelque chose comme : he loves me in ways you cannot imagine.

Mit Palpatine

Nothing but cognac, swear and tears

Darkest Hour, biopic sur Churchill réalisé par Joe Wright1, se situe quelque part entre J. Edgar (un vieil homme influent avec lequel on fait connaissance en assistant à son lever, entre pantoufles et oeuf à la coque) et Le Discours d’un roi (la solennité made in « facture classique », qu’on trouverait pompeuse si elle n’était si efficace — ni larme à l’oeil ni rictus aux lèvres, mais pas loin).

Filmer l’histoire telle qu’elle a été écrite par les vainqueurs est toujours un exercice périlleux, qui, lorsqu’il est concentré sur un personnage, tombe facilement dans l’hagiographie. Darkest Hour a le mérite de remettre un peu de brouillard dans le rétroviseur historique ; le doute est posé : Churchill est-il l’homme de la situation, i.e. un homme de pouvoir qui a la poigne nécessaire pour mobiliser le pays et résister au nazisme ? ou est-ce un vieux fou qui va continuer d’envoyer les jeunes générations se faire massacrer sur l’autel d’idéaux nobles, sans même avoir tenté la voie diplomtatique ?

L’issue de la guerre oriente nécessairement notre regard. Sans doute le recours diplomatique était une mascarade, mais le premier ministre avait probablement aussi une approche un tantinet chevaleresque de la Realpolitik (le mot de la fin, à la chambre des Communes : — What just happened ? — He mobilised the English language, and sent it to war.)  Sans pouvoir se départir de la connaissance qui est la nôtre, de l’issue de la guerre, le film réintroduit une part bienvenue de doute et de flottement – d’improvisation, aussi, avec le nom de l’opération Dynamo2 emprunté au ventilateur qui se trouvait là.

Ne nous leurrons pas, cependant. Le film ne vaut pas tant pour une quelconque dimension historique que pour son personnage ; car l’original même en était manifestement un, de personnage. Comme le remarque le roi, flatterie ou critique cinglante, on ne sait jamais ce qui va lui passer par la tête et qu’il va dire tout de go. Sacré orateur, mais zéro filtre, zéro tact en dehors des discours préparés à l’avance. C’est au final le caractère soupe au lait de Churchill et ses bons mots qui font tout le suspens d’une histoire rejouée d’avance.