Madie, de Mercier, Filippi & Raymond
Madie, avec couple avec Édouard, est rattrapée par le fantôme de Frédo, son amour de jeunesse disparu (ami de Frédo aussi). L’enquête le cède vite à la quête introspective et nous entraîne, avec humour, dans une belle exploration des relations qui échappent aux noms bien normés – comme le montre cet extrait de la première planche in media res (pour les bulles suivantes, je me suis juste fait plaisir) :
Idéal standard, d’Aude Picault
Je crois que cette bande-dessinée m’a fait prendre conscience de ce qui me gêne souvent dans les plaidoyers féministes : leur systématisme. Il est nécessaire de systématiser les choses pour pouvoir les penser dans un ensemble qui, donc, fait système, a une cohérence propre et permet de démêler un peu mieux l’imbroglio du réel ; mais le retour du système intellectualisé au réel me semble toujours un peu brutal : des notions comme le patriarcat et son oppression me donnent toujours l’impression d’être overkill, comme si on utilisait le marteau de Thor pour enfoncer un pauvre clou dans un mur creux.
Rien de tel dans Idéal standard, pourtant clairement féministe. Tandis que la pensée systémique a tendance à doter de volonté un amas de consciences aveugles (chaque micro-action masculine perçue comme une volonté d’opprimer – pour avoir le contrôle, pour garder le pouvoir), les situations croquées par Aude Picault témoignent essentiellement de préjugés que l’on n’a pas repassé au crible du jugement parce qu’ils étaient invisibles et confortables.
Cela vaut d’ailleurs autant pour les hommes que pour les femmes : OK, le sexe s’arrête quand lui seul a joui, mais lui as-tu dit que tu n’as pas eu d’orgasme ? OK, il n’aide pas assez dans les tâches ménagères, mais cela n’aide pas non plus de tout anticiper parce qu’on estime d’emblée que cela ne sera pas comme il faut… ou comme on veut – le risque de glissement commence là, interrogeant la limite et la perméabilité entre comportement sexiste inconscient et manque de communication.
La réflexion est ici à ras le couple – et ce n’est pas une critique, qui renverrait cet ouvrage au rang de BD de fille, au contraire : à ras le couple, c’est ici au niveau de l’individu, de deux individus (quatre en comptant le couple d’amis) avec des histoires et des attentes qui à la fois sont englobées et dépassent la question du féminisme. Les militantes trouveront peut-être que cela ne va pas assez loin, qu’on se situe à un stade de prise de conscience peu avancé, mais c’est de mon point de vue la position idéale pour prendre conscience des ramifications de la question féministe dans un vécu de femme privilégiée (blanche, classe moyenne, occidentale…) ; tous un tas de petites choses dont on ne va pas faire pour chacune un pataquès mais qui, prises ensemble, donnent à penser et s’interroger dans une bande-dessinée.
Errance en mer rouge, de Joël Alessandra
Même impression qu’à la lecture du roman Ça raconte Sarah : manifestement, lorsqu’on écrit à partir d’un vécu et que soudain le degré de fiction monte en flèche, cela part en vrille et se met à sonner faux. Peu importe ici, tant mieux presque : c’est probablement parce que le récit d’aventure s’emmanchait sur un carnet de voyage (extérieur et intérieur) qu’il m’a séduite. Je me suis gorgée comme le papier d’aquarelle, de soleil et c’est, au fond, tout ce que je pouvais demander.