Folles de tristesse

Beatrice (Valeria Bruni Tedeschi) est une bourgeoise extravagante – certes mythomane et bi-polaire. Elle s’amourache amicalement de Donatella (Micaela Ramazzotti), une mère grunge – et dépressive – à qui l’on a retiré son fils. Ce duo improbable s’échappe de la villa psychiatrique dans laquelle il est traité, ivre de joie et de psychotropes, pour découvrir, au terme d’un périple qui nous aura dévoilé leur histoire, que l’on ne peut guère échapper à soi-même. Exit l’euphorie hystérique, bonjour tristesse : c’est là que commence la joie. Et l’émotion : il faut attendre que les personnages nous aient épuisés de comédie pour nous sentir empli d’une humanité partagée avec ceux que l’on qualifie un peu trop vite de fous, qui ont peut-être simplement plus souffert que nous. La scène aquatique avec Donatella, où la mort disparaît dans une promesse d’éternité, est magnifique d’empathie : Paolo Virzì nous fait épouser sa vision, comprendre son geste, et rachète ainsi la volubilité quelque peu pénible de Beatrice. Les filles de tristesse, même Folles de joie, il faut se les coltiner.

Lui, Paul Verhoeven

Elle s’ouvre sur des cris équivoques : lutte ? ébats amoureux ? La caméra tourne, nous allons être renseignés… mais nous nous retrouvons face au chat, miroir de notre propre questionnement. L’animal se désintéresse assez vite du spectacle, que l’on suppose alors banal, et c’est à ce moment précis que l’on est catapulté sur la scène… du viol – avec du sang et des éclats de vaisselle que la victime s’empresse de balayer une fois tout terminé. Elle : Isabelle Huppert, la bourgeoise masochiste de La Pianiste. À qui d’autre confier le rôle d’une femme que sa profonde indifférence aux autres et à elle-même, engendrée par un père serial killer, fait à la fois garce et figure stoïque ? Elle a l’hébétude pragmatique. Il lui pleut devant comme derrière, jusqu’à l’incongruité, jusqu’au rire.

J’ignorais qu’on pouvait rire devant un thriller (le pull de Palpatine attestera qu’il s’agissait quand même d’un thriller) : sous cape, parce que ce n’est pas drôle, sous forme d’un hoquet sonore avec le reste de la salle, parce que ce n’est pas drôle mais quand même, secousses partagées avec Palpatine jusqu’aux fronts qui s’entrechoquent, puis chacun recalé dans son siège, les mains retournées dans le vide, mais what ? plaquées contre la bouche, sérieusement ? index qui reste en travers de la bouche, majeur et pouce qui enserrent la mâchoire, moue mi-perplexe mi-admirative de la perplexité dans laquelle on est plongé, fascination mi-amusée mi-horrifiée, et mon nez à nouveau dans le cou de Palpatine, torse martelé, bras malaxé, parce que je suis une petite nature et que c’est violent. Inattendu, en réalité.

I had to question the mermaids!

Tout juste sortie du Prêt A Manger, j’allonge le pas pour ne pas faire rater le début du film à Palpatine. Si je m’ennuie, je fais des bulles, préviens-je en désignant la paille et la cannette de ginger beer que je tiens à la main. Vaine menace : j’ai siroté The Nice Guy comme du petit lait. Si jamais j’ai fait des bulles, c’est prise de court par un fou rire, car le film est un concentré de punchlines, servi par un formidable duo de bras cassés (dont l’un au sens propre) ou plutôt par un trio, car à l’homme de main de cœur (Russell Crowe) et au détective privé à l’éthique vénale (Ryan Gosling) vient s’ajouter la fille de ce dernier (Angourie Rice), belle enfant terrible du cinéma. On se lance avec plaisir à la poursuite des sirènes dans les piscines de LA d’Amélia, fille d’une haute autorité au département de la justice et actrice porno engagée contre la pollution1, dont on ne sait si elle est folle, morte ou en cavale.

Comme quoi, j’aurais moins du faire attention au genre du film qu’à son ton, suggéré dès l’affiche par une typographie qui n’est pas sans rappeler celle de… Soul Kitchen (rien à voir, si ce n’est que dans les deux cas, j’ai bien ri).

 

1 La scène où le détective privé interroge les militants faisant les morts pour dénoncer l’effet de la pollution sur les oiseaux est croquignolesque. J’en ai retrouvé l’équivalent une semaine plus tard à Saint-Michel où un amas de jeunes gens en sous-vêtements exhibait des tatouages de code barre pour faire prendre conscience de la cruauté qu’il y a à consommer de la viande.

MILF’s day

Joyeuse fête des mères : totalement dispensable, tout à fait délectable. Même rouillés, les ressorts de la comédie romantique polyphonique fonctionnent toujours.

On notera toutefois que, pour masquer la rouille, on a un peu abusé de vernis : il n’y a rien qui dépasse, ni les coupes de cheveux ni les pelouses à la Desperate Housewives – pas même la barbe d’un papa-Ken ou la tignasse poivre et sel d’un FILF (une MILF au masculin, quoi). La maladresse, qui fait tout le charme de la comédie romantique, paraît de plus en plus organisée, cadrée, millimétrée, tout juste tolérée. Mais curieusement, cet aspect kitsch n’empêche pas des thèmes plus durs d’affleurer, avec une fille adoptée, un père veuf de sa femme soldat ou des parents racistes et homophobes (il n’est d’ailleurs pas improbable que le kitsch esthétique soit la conséquence de ces thèmes : il faut un maquillage à la truelle pour masquer cette merde). On guette vainement chez Julia Roberts le sourire de Coup de foudre à Notthing Hill ; c’est clairement Jennifer Aniston, avec son air de mom next door, qui s’en tire de mieux (et Kate Hudson, Juno-like).

(Quand j’étais ado, les personnages de comédies romantiques étaient adultes, sans enfants ; maintenant que je suis adulte, ils ne sont plus nullipares mais n’ont toujours pas, hommes, femmes, le mode d’emploi.)

Mon gars

Il y a le second degré et il y a l’alcool à brûler : Ma Loute. La bande-annonce promettait certes du what the fuck, mais la rapidité de l’enchaînement ne laissait rien soupçonner de son rythme benêt. Chaque saillie, chute ou bourde est suivie d’un temps de suspension strictement égal au temps qu’il faut pour se tourner au ralenti vers son voisin, échanger un regard exorbité, narines dilatées, et rediriger la tête vers l’écran avec la raideur entendue de qui porte une minerve. Vous n’avez rien loupé : à l’écran, Luchini est toujours sur le dos, les pattes en l’air comme un cafard gazé ou l’enquêteur coi sous son chapeau melon. Cet état d’hébétude tue le rire dans l’œuf, pour éventuellement – mais pas toujours, loin s’en faut – le faire renaître plus tard sur le mode du fou rire nerveux. Sur le moment, c’est peu de dire que cela tombe à plat : ça tombe et ça creuse, ça creuse… On ne sait plus ce qui est le pire : la famille d’idiots du village, d’une crétinerie crasse, ou la famille de bourgeois névrosés au dernier degré. Ni l’un ni l’autre : les deux, mon capitaine. Comme le dit si bien Mélanie Klein, chacun est le monstre de l’autre.

La seule respiration du film est offerte par la beauté aristocratique de Billie (une fille qui se déguise en garçon ou un garçon qui se déguise en fille qui se déguise en garçon, allez savoir) et son amour pour Ma Loute, l’aîné des benêts (le charme des oreilles décollées ou du pull marin, là aussi, allez savoir). Pour un court instant, l’hébétude se mue en fascination : on se sent léger, léger, à s’envoler comme un cerveau lent, puis c’est la chute, tout redevient lourd et dingue, pire que mes pires jeux de mots.

Mit Palpatine