Le corps photographié

L’histoire n’a jamais été ma tasse de thé. L’histoire politique, plus précisément, celle qu’on nous fait apprendre par cœur et par dates. Je trouve en revanche fascinante l’histoire des mentalités, pour peu qu’elle ne se transforme pas en statistiques, parce que bon, le nombre de catholiques qui vont à la messe tous les dimanche versus ceux qui pratiquent seulement lors des grandes fêtes, cela me fait autant d’effet que le pourcentage des foyers électrifiés à la campagne en 1910 ; j’ai appris ces chiffres pour le concours, ils étaient oubliés le lendemain.

Le jour où j’ai eu l’intuition que l’histoire pouvait être fun (pour l’intérêt, c’est lorsque j’ai enfin compris que la dissert d’histoire fonctionnait sur le même principe que celle de philo), c’est lorsque Mimi nous a parlé de l’existence du Miasme et de la jonquille, une étude de Corbin à partir des odeurs du quotidien, ce qui m’a immédiatement fait penser au Parfum de Süskind ( l’ intuition et non la certitude parce que je n’ai pas lu ledit bouquin, il ne faut pas pousser, j’ai déjà L’Avènement des loisirs qui attend d’être rouvert pour être définitivement refermé). On peut donc faire de l’histoire avec n’importe quoi, sous les angles de vue les plus improbables. J’aurais pourtant du m’en douter, s’il est vrai que l’histoire de la danse n’avait jamais suscité en moi le rejet de sa collègue politique.

 

Dans Le Corps photographié, John Pultz et Anne de Mondenard croisent histoire de la photographie (corps moins figé à mesure que le temps de pose diminue ; possibilité de suivre les mouvements avec des appareils de plus en plus légers…), histoire des mentalités (du puritanisme qui filtre la sensualité jusqu’à la libération sexuelle) et histoire politique (la photo témoignage à la libération des camps ; développement du photoreportage avec les conflits de la guerre froide). On voit évidemment défiler noms et dates, mais toujours avec intelligence, s’il est vrai que le découpage en période recouvre des thématiques précises. La période récente, avec ses photos de guerre, de propagande, de publicité ou de mode, m’a moins surprise que l’émergence de la photographie au XIXème siècle, avec ses problématiques et ses potentialités.

 

Je n’aurais par exemple pas d’abord songé au recours de la photo par l’ethnologue pour assouvir et donner un caractère plus « scientifique » à son hystérie classificatrice, ni par les médecins pour tâcher de trouver des similitudes physiques entre les malades mentaux, technique bientôt récupérée par la police pour établir des portraits robots et tâcher de définir une physionomie du criminel (en superposant des clichés de coupables et en effaçant les particularités personnelles jusqu’à trouver des caractéristiques communes – tout à leurs théories fumeuses, ils n’ont pas pensé qu’ils obtiendraient un portrait similaire en procédant à la même manipulation avec des photos de victime, par exemple).

 

 

 

La photographie est bien d’abord une technique. Il est à ce titre assez fascinant d’observer ses interactions avec la peinture. Dans un premier temps, les photos permettent de réduire considérablement le temps de pose du modèle, elles sont un outil de travail. Ou un prétexte pour les amateurs du corps féminin, qui récupèrent ces photos -des nus, évidemment-, jusqu’à ce que se développe en parallèle une production pornographique qui circule sous le manteau. A quelques exceptions près, le corps masculin met alors du temps à devenir un sujet photographique… (et ne permet pas encore de se rincer l’oeil comme elles le voudraient pour certaines ; les dieux du stade n’étant pas mon idéal, je serais assez d’accord avec elle ^^)

La photographie va certes permettre à la peinture de se libérer de son obsession mimétique en vertu de sa qualité d’enregistrement du réel, mais c’est précisément cette qualité qui retarde la constitution de la photographie en tant qu’art, tournant opéré dans la première moitié du XXème siècle, en particulier avec les avant-gardes. Le corps est pris par le photographe sous les angles les plus improbables pour des formes toujours nouvelles, en plongée, contre-plongée, cadrage fragmentaire, « n’hésitant pas à déformer, déstructurer les corps qui devenaient ainsi volumes, matières, objets au même titre qu’une hélice d’avion ou une proue de bateau ». Il y avait notamment une photo de Moholy-Nagy, que je ne retrouve pas, mais qui prenait en contre-plongée un corps qui montait à l’échelle en corde d’un bateau, dont on ne voyait plus que les jambes, désarticulées, graphiques. « Moholy-Nagy ne cherche pas à donner une représentation cohérente du corps. Il choisit un point de vue inédit à partir duquel il construit une image dynamique. » On aurait dit une ébauche de Kandinsky géométrique ; la photographie artistique ne s’est peut-être finalement pas abstraite de la peinture… son champ propre serait alors bel et bien le reportage, le témoignage (Barthes n’est jamais loin).

 

D’autres analyses m’ont évidemment frappée dans ce livre, mais elles sont plus ponctuelles, parfois presque anecdotiques, si bien que j’y reviendrai peut-être lorsqu’un jour, oubliées, une situation les fera ressurgir, et alors, connectées les unes aux autres, elles feront véritablement sens. En attendant, je garde mes notes informes pour moi ^^

 

L’opéra de renarde

Entre Kundera qui, à plusieurs reprises, a parlé de Janacek, et Palpatine, de la Petite Renarde rusée, forcément, j’avais envie d’accompagner ce dernier à l’opéra. Enthousiaste, j’étais allée me faire refaire un henné pour l’occasion, histoire d’être assortie à la chemise et aux lacets oranges de Palpatine – certes pas exactement la même nuance, mais les lacets étaient tellement pumpkin power… La Pythie n’a pas pensé au dress code, ni à lire l’argument sur le site de l’opéra, ce qui me rappelle que moi non plus. Ce n’est pas très grave, pour une fois, ce n’est pas difficile à suivre ; d’autant moins difficile que le premier rang de premier balcon (oh yeah… le parterre était à moitié vide) permet de lire les surtitres (le Tchèque est une langue vraiment très étrangère) sans rien perdre de la scène ni risquer de torticoli.

 

Une histoire de la nature, la description de Palpatine faisait dans la concision. Tout une troupe de bestioles surgit d’entre les tournesols, et vient tourner autour du garde-chasse endormie : escargot qui suit conscieusiesement le rail qui traverse la scène, grenouille qui saute de traverse en traverse, hérisson, sorte de cloporte marron dont on devine qu’il s’agit d’une chenille au cerf-volant qu’elle trimballe, mouches, libellule et autres trucs ailés, de piquants moustiques, notamment, qui emplissent des bouteilles de laitier avec une énorme seringue. Et bien sûr la petite renarde rusée qui n’en loupe pas une et finit par se faire capturer par le garde-chasse. On la retrouve alors, au bout des rails, devant la maison de celui-ci ; elle nous gartifie d’une conversation surréaliste avec le chien, sème la zizanie dans un poulailler bientôt ravagé, et tombe au passage amoureuse, avant de prendre la poudre d’escampette. De nouveau en nature, elle déloge un vieux blaireau, batifolle, se marie, met bas, n’en loupe pas une, et finit par se faire abattre par le chasseur Harasta.

Cela pourrait être mignon tout plein, et très vite lassant, voire tourner au spectacle scolaire déguisé, les bestioles étant pour la plupart des enfants. Sauf que. La petite renarde ne déloge pas le blaireau, elle l’expropie, et colonise le repère avec tous ses camarades. Lorsqu’elle attrape les poules, c’est en faisant semblant de se pendre après une harangue communiste (vous ne servez qu’à la lubricité du coq, il vous exploite, rebellez-vous !) qui ne fait pas beaucoup jacqueter la voletaille, pardon, le « prolétariat » – alors, afin de ne pas passer pour « une poule mouillé », le coq, aux attributs tout pendouillants, va constater le décès et défaire la corde autour de son cou, qui la rattachait à la niche. Je ris bien, aussi, lorsque Pelage d’or reprend en écho et en aparté (parenthèses aux surtitres) les qualités énoncées par la renarde : Emancipée ! Propriétaire !… « la femme idéale ! », conclut-il. Palpatine s’amuse bien. Il me fait signe lorsque le lapin vient sur le tapis, enfin, sur la nappe – ça, c’est de la private joke.

Ces quelques clins d’oeil ne font pas pour autant un opéra engagé (il serait par exemple difficile de concilier le banquet qui suit l’expropriation du blaireau avec le massacre des poules), et si à l’entracte Plapatine s’extasie sur la multitude des différents niveaux d’interprétation, tout en étant spontanément d’accord, je n’arrive pas encore à les identifier. Il râle contre les parents qui y traînent leur progéniture, « ce n’est pas pour les enfants ; c’est comme de donner la Fontaine à lire à un môme, il n’y comprend rien ». Les questions de la gamine de derrière ne sont pas pour lui donner tort ; oui, c’est pour de faux, oui, la renarde fait semblant, non, elle n’est morte pour de vrai, etc. Cependant, si la parallèle avec la fable est tentant, il faut bien voir qu’il n’y a aucune « morale » dans l’opéra, les poules ne sont pas des corbeaux. Il ne s’agit pas non plus de satire, le ton est trop bienveillant pour cela. Une fantaisie, peut-être, qui ne se dépare jamais d’une lucidité bonhomme.

Comme je n’arrive toujours pas à formuler ce qui justifie le peu explicite « c’est génial » de Palpatine, je feuillette les essais de Kundera, j’arpente un peu la toile, et finit par découvrir ce que je cherchais sans en avoir la moindre idée, en trouvant des analyses qui donnent sens à des remarques isolées que j’avais pu me faire.

 

Parle toujours…

« Cela ne chante pas beaucoup », a observé la Pythie, perplexe. Palpatine l’était plus encore, sceptique qu’on puisse dire cela d’un opéra. Il me semblait pourtant comprendre ce qu’elle entendait par là. J’ai cru sur le moment qu’il s’agissait de la répartition entre chanteurs et orchestre, celui-ci jouant parfois sans ceux-là, notamment à chaque changement de décor ; à quoi s’ajoutait le fait que les voix, surtout enfantines, passaient parfois difficilement par-dessus la fosse. Mais on ne perçoit pas un opéra sous forme de statistiques, le déséquilibre était trop léger pour qu’il n’y ait pas autre chose, de plus fondamental. D’essentiel, à la vérité : l’opéra de Janacek est de l’ordre de la parole. Je ne veux pas dire par là que le rap serait redevable au compositeur ni même, plus sérieusement, qu’on aurait, comme dans Wozzeck (je pioche dans ce que j’ai vu, ce n’est peut-être pas immédiat, mais on fait avec ce qu’on a) que les voix se désolidarisent de l’orchestration et constituent à elles seules une nouvelle une nouvelle ligne mélodique. La musique de Janacek rend le phrasé de la parole. Il a en effet, comme l’explique Kundera dans les Testaments trahis, étudié le langage parlé, mis « la parole vivante en notation musicales », afin de dégager l’influence qu’a sur une intonation parlée l’état psychologique momentané de celui qui parle » et ainsi comprendre la « sémantique des mélodies ». En s’étant demandé comment une phrase est prononcée dans une situation réelle, il peut en tirer la « vérité mélodique », qui peut être éloignée de l’image (acoustique) que l’on en a, s’il est vrai qu’ « un événement, tel qu’on l’imagine, n’a pas grand-chose à voir avec ce même événement tel qu’il est quand il se passe. »

Kundera se penche surtout sur Jenufa, mais ce blogueur1 le transcrit très bien pour la Petite renarde rusée : (à propos de la rencontre entre les deux renards) « On imagine bien, dans l’opéra traditionnel, à quel traitement musical une telle scène aurait donné lieu. Air de bravoure pour le ténor dans le rôle du renard, air brillant pour la soprano-renarde et pour finir un duo émouvant célébrant l’amour entre les deux êtres avec accompagnement obligé de timbales et cuivres pour souligner la force de l’amour triomphant. Rien de cela chez Janáček. Toute la scène est traitée musicalement sur le ton d’une conversation orale avec ses étonnements, ses refus, ses appels, ses affirmations, ses réserves, ses espoirs dans une variété d’accents assez étendue. Quel sujet d’étonnement de constater une distribution des voix identique entre le soupirant et sa future conquête. Les deux rôles sont confiés à deux sopranos ! A l’écoute d’un enregistrement discographique, il y a de quoi être perturbé, à plus forte raison quand on ne comprend p
as la langue tchèque ! Mais sur une scène d’opéra, les caractères étant bien marqués, rien ne vient rompre le déroulement de cette conquête amoureuse. Et l’on ne s’étonne plus de l’absence de différence des voix. Qui renforce certainement cette fusion de deux êtres qui s’aiment. Et qui marque peut-être aussi la part féminine qui existe chez tout individu de sexe masculin.
» Pour ce qui est des caractères bien marqué, tout dépend de la distribution ; avec ses cheveux mi-longs, j’ai du vérifier aux jumelles qu’il s’agissait bien d’un homme…

Un homme… un chanteur, oui, mais un homme ou un renard ? L’opéra joue constamment sur le double registre humain/animal, sans jamais que l’anthropomorphisme n’aboutisse à la suppression des êtres humains, qui continuent à évoluer avec les animaux. C’est aussi pour cela qu’on ne bascule jamais vraiment dans le satire ; les poules prolétaires restent toujours en même temps la basse-cour du garde-chasse, et un temps figure allégorique, la renarde redevient animal l’instant d’après. Cette dernière participe activement au brouillage de la frontière, de part la relation privilégiée qui se noue entre elle et le garde-chasse. Avec sa queue de cheval plutôt que de renard, la renarde pourrait très bien devenir une belle tzigane à la chevelure rousse bien fournie. Elle serait en quelque sorte une Arlésienne morave, la femme absente dont parlent tous les personnages masculins (humains), Terynka pour le maître d’école et le chasseur qui la convoitent. Sa démarche séductrice la soustrait à tout ridicule, même à quatre pattes.

Scènes animales et humaines alternent et se font écho. Au résumé schématique de mon deuxième paragraphe, il faudrait ajouter la discussion à l’auberge du curé, du maître d’école et du garde-chasse, leur retour chez eux, puis la rencontre du garde-chasse et du chasseur qu’il soupçonne de braconner, et l’échange de nouvelles (le mariage de Terynka avec le chasseur, la renarde tuée…) quelques temps plus tard.

 

Un opéra-idylle

Lorsque Palpatine nous a fait la bande-annonce avant le spectacle, nous disant qu’il s’agissait d’une renarde et d’un chasseur, la Pythie et moi en avons rapidement conclu qu’elle finirait par se faire tuer. « Ce n’est pas ça », a infirmé Palpatine, il faut voir. Pourtant, la renarde meurt bel et bien. Mais effectivement, ce n’est pas ça. Mon voisin de gauche, qui depuis l’entracte dirige l’orchestre, a beau avoir secoué les mains avec force trémolos avant le coup de fusil, l’opéra ne se conclut pas là-dessus, et la scène, de tragique, en devient seulement triste. La suite, c’est l’entrevue entre le maître d’école et le garde-chasse, et le sommeil de celui-ci jusqu’au renouveau du printemps, lorsqu’à son réveil, il retrouve la même clique de bestioles qu’au début, à ceci près qu’il s’agit de leurs petits, voire petits-enfants pour la grenouille.

« Terminer avec la grenouille, c’est impossible, proteste Brod dans une lettre, et il propose comme dernière phrase de l’opéra une proclamation solennelle que devrait chanter le forestier : sur le renouvellement de la nature, sur la force éternelle de la jeunesse. Encore une apothéose. / Mais cette fois-ci, Janacek n’obéit pas. Reconnu en dehors de son pays, il n’est plus faible », comme c’était le cas à l’époque de Jenufa. L’apothéose ruinerait non seulement la dernière scène, qui ne serait plus perçue comme une consolation, mais atténuerait également la tension qui traverse la pièce entre les mondes humain et animal. Dans la mise en scène d’André Engel, elle la traverse très concrètement par la voie de chemin de fer. Aucun train n’y passe jamais, mais son immuabilité n’en suggère pas moins l’implacable linéarité du temps. Pour l’homme, du moins, dont c’est la seule manifestation manufacturée, au milieu du champ de tournesol. L’évolution de la nature, elle, est cyclique, comme le confirme à la fin l’apparition d’une nouvelle petite renarde, portrait craché de sa mère qui n’est ainsi pas entièrement morte. Pourtant, c’est bien le même homme, vieilli, lui, qu’entoure la bande des jeunes animaux, un homme qui peut tout au plus envisager son existence en analogie avec la nature, essayer de trouver quelque apaisement dans l’harmonie de sa répétition. Si l’anthropomorphisation de la renarde avait été complète, l’opéra se serait achevé sur sa mort, pour faire de sa vie un destin – puisque c’est toujours sous cette forme l’homme très individualisée que l’homme a tendance à penser son existence (les Stoïciens forment une exception, mais il suffit de voir la prolixité d’Epictète pour se douter de l’entraînement et de la force de volonté requise pour adopter une telle vision).

Dans une lettre à Max Brod du 20 mars 1923, Janacek écrit : « Sur le chemin de Brno, j’ai eu l’idée du titre qui conviendrait sans doute le mieux :
Les Aventures de la petite Renarde rusée, opéra-idylle.
» C’est en lisant cela que j’ai compris d’où venait la beauté de la fin. C’est la même qu’à la dernière partie de l’Insoutenable légèreté de l’être lorsque Tereza et Tomas se retirent à la campagne et se rapprochent, par la douce monotonie de leur rythme quotidien, de la perception du temps de leur chien Karénine (contrairement à l’héroïne du roman éponyme comme au garde-chasse de notre opéra, il n’est associé à aucun chemin de fer) : l’horaire disparaît dans la durée ; l’éphémère de l’instant, dans l’éternité de la répétition qui emporte avec elle la crainte de la disparition. Ne reste alors que la tendresse, propre du vieil homme et non de l’enfant (lui n’a pas encore fait l’expérience de la disparition. Il est encore assez jeune pour craindre le ridicule d’un déguisement devenu pure poésie pour le compositeur âgé ou le spectateur souriant).

Le début et la fin de l’opéra forment une boucle, toujours traversée cependant par la ligne droite du chemin de fer, si bien que la mélancolie de l’homme teinte de tristesse le renouveau de la nature -à moins que celui-ci n’apaise le chagrin de celui-là. On peut prendre les choses dans un sens ou dans l’autre, toujours est-il que l’opéra, loin de tout pathos grandiose, se clôt dans la beauté, par un magnifique murmure.

 

1On sent qu’il aime son sujet, auquel il revient de façon cyclique, seul moyen d’approfondir… ce que j’ai trouvé de plus consistent sur cet opéra et qui mérite vraiment le détour.

Peter Pan

Spécial Dre (si tu passes encore par ici…)

 

Liiiiiis Peter Pan [Pitoeur Pâne] , qu’elle me serinait…

Quelques a priori. Nevertheless, I had fun in the Neverlands.

 

Incipit :

« One day when she was two years old [Wendy] was playing in a garden, and she plucked another flower and ran with it to her mother. I suppose she must have looked rather delightful, for Mrs Darling put her hand to her heart and cried, ‘Oh, why can’t you remain like this for ever !’ This was all that passed between them on the subject, but henceforth Wendy knew that she must grow up. You always know after you are two. Two is the beginning of the end. »

« The way Mr. Darling won her was this : the many gentlemen who had been boys when she was a girl discovered simultaneously that they loved her, and they all ran to her house to propose to her except Mr. Darling, who took a cab and nipped in first, and so he got her. »

« For a week or two after Wendy came it was doubtful whether they would be able te keep her, as she was another mouth to feed. […] ‘Mumps one pound, that is what I have put down, but I daresay it will be more like thirty shillings-don’t speak- measles one five, German measles half a guinea, makes two fifteen six-don’t waggle your finger- whooping-cough, say fifteen shillins’- and so on it went, and it added up diffrently each time ; but at last Wendy just got through, with mumps reduced to twelve six, and the two kinds of measles treated as one.
There was the same excitement over John, and Michael had even a narrower squeak […] »

 

Wendy and Peter – rencontre du deuxième type :

«  ‘What is your name?’

‘Peter Pan.’

She was already sure that it must be Peter, but it did seem a comparatively short name.

‘Is it all ?’

‘Yes’, he said rather sharply. He felt for the first time that it was a shortish name. »

 

« When people in our set are introduced, it is customary for them to ask each other’s age, and so Wendy, who always liked to do the correst thing, asked Peter how old he was. It was not really a happy question to ask him ; it was like an examination paper that asks grammar, when what you want to be asked is Kings of England. »

 

La chaîne alimentaire qui tourne en rond :

« On this evening the chief forces of the island were disposed as follows. The lost boys were out looking for Peter, the pirates were out looking for the lost boys, the redskins were out looking for the pirates, and the beasts were out looking for the redskins. They were going round and round the island, but they did not meet because they were all going the same rate. »

 

Foutage de gueule permanent :

« The pirate attack had been a complete surprise: a sure proof that the unscrupulous Hook had conducted it improperly, for to surprise redskins fairly is beyond the wit of the white man. »

 

Les interventions de l’auteur, qui fait passer le ludique de la fable au sujet :

« Let us now kill a pirate, to show Hook’s method. Skylights will do. As they pass, Skylights lurches clumsily against him, ruffling his lace collar; the hook shoots forth, there is a tearing sound and one screech, then the body is kicked aside, and the pirates pass on. He has not even taken the cigars from his mouth. »

« To describe them all [their adventures] would require a book as large as an English-Latin, Latin-English Dictionary , and the most we can do is to give onea a specimen of an average hour on the island. […] Which of all these adventures shall we choose ? The best way will be to toss for it.
I have tossed, and the lagoon has won. This almostmakes one wish that the gulch or the cake or Tink’s leaf had won. Of course, I could do it again, and make it best out of three; however perhpas fairest to stick to the lagoon. »

 

Comme quoi, contrairement aux Petits écoliers, le bouquin de J. M. Barrie n’est pas que pour les enfants. Qu’on emmerde doublement, parce que les biscuits Lu – Côte d’or sont cent fois meilleurs. (Il y a des associations, comme ça, qui ont du bon ; je recommande la tuile chocolat noir-oranges confites, aussi, dans la même collection, et il faudra que je goûte les cookies Granola)

 

Man Ray

 

Un après-midi, à la bibliothèque de la fac, alors que je commençais à avoir le cerveau embué, j’ai rangé le livre que j’étais en train de ficher, me suis glissé dans le rayon photo et m’en retournée avec un Taschen sur Man Ray.

Je me suis assise à ma table avec mon livre d’images.

Une exposition pour moi seule.

Avec le caprice et la lenteur d’un enfant attentif, j’ai pris le temps de feuilleter, quitte à passer plus rapidement sur certaines manipulations d’image, expérimentations certes intéressantes mais nullement fascinantes. Pour certaines et pour moi, du moins, s’il est vrai qu’on ne peut pas n’y voir qu’un déploiement de technique : « On ne peut non plus tenir aucune de ces œuvres pour expérimentales. L’art n’est pas une science. » J’ai recopié la citation dans mon agenda à côté de la liste des photographies que je souhaitais retrouver, mais ne puis me souvenir si c’est un propos de Man Ray, ou un extrait de l’essai que Breton lui a consacré, et qui provoque bien plus l’imagination et la pensée que ne le fait le reste du texte, à caractère plus informatif, voire biographique. On y apprend tout de même que Man Ray ne portait pas grande attention à la datation et numérotation de ses tirages, bref, que son originalité réside dans la perspective innovante d’un regard (original) que dans l’authenticité d’un tirage (originel).

 

Traüme haben keine Titel

(le Taschen est trilingue, et je trouve que cela sonne mieux en allemand)

 

Larmes

 

Les larmes n’ont pas été versées, seulement posées sur un visage qui n’a pas pleuré. Coupées de toute cause, comme des fleurs pour constituer un bouquet, elles n’ont d’autre utilité que leur beauté, sphères translucides qui ornent les joues comme des perles.

Rondes comme les paquets de mascara qui émoussent la pointe des cils. Comme les narines noires. C’est alors seulement, en repartant de ce conduit nasal, que je perçois le regard levé et sa direction implorante – le titre ne me laissait percevoir que les larmes, étanches à toute tristesse (elle-même non miscible au visage).

 

 

Noire et blanche : comme deux notes en contrepoint, deux photographies en négatif qui font apparaître le visage comme un masque.

 

 

Les lèvres ne se s’étreignent pas. Baiser en négatif : s’enlacer. L’amour qui croît comme une plante, lèvres-feuilles grimpantes – photosynthèse de l’autre.

 

 

Après la langue, le corps de bois, qui ne laisse pas de marbre. Le retour à la raison reviendrait-il à donner le Primat de la matière sur la pensée ?

 

Primat de la matière sur la pensée

 

Voilà qui est fondre de plaisir (main sur le sein, seule certitude), baigner dans son fantasme. Désir qui déforme (main qui pétrit). Attendre l’étreinte qui rassemble (ses esprits). Le corps se vide de sa chair, comme un cadavre se vide de son sang (main qui détruit), il s’évide jusqu’à ce que sa forme s’estompe, se fonde, et fasse corps (efface corps).

Photo à dessein : la ligne contourne le dessin et marque la frontière du rêve.

 

Enough rope

 

C’est devant Enough rope que j’ai pris conscience d’à quel point Man Ray rapprochait la photographie du dessin : on se croirait devant les rinceaux végétaux de Mucha – enchevêtrement et contours appuyés. Il est curieux de constater que la photographie, qui a libéré la peinture de son obsession mimétique, s’en écarte à son tour par le retour au dessin ; qu’il faille rapporter la photo à la peinture pour la constituer en art. Surtout que cela lui passe la corde autour du cou, pour exister spécifiquement.

 

 

Ici, ce n’est plus une main qui dessine l’autre, comme dans les Mains dessinant d’Escher, mais une main qui efface l’autre alors qu’elle la saisit, à peine émergée du mur plus granuleux que la peau – le spectateur doit se faire archéologue et épousseter les grains du bout des lèvres, animant le mouvement de la bouche aux doigts écartés, soufflés comme des akènes. Le visage, lui, est déjà dégagé.

 

J’aime les corps musclés en finesse, presque androgynes. A peine un nu, des seins discrets.

 

 

La photo que je préfère, marquée et marquante. La raie m’arrête dans ce visage parcouru de traits et, autre punctum, les poils dont l’ombre modèle de divins avant-bras (concept melendilien, habituellement employé à propos de sujets masculins). Douceur des bras en l’absence d’oreiller.

 

 

RAYon X

 

Anatomies

 

Cette photo me fait penser à un entrefilet d’un ancien Danser, qui présentait le travail d’un photographe dont on se détournait en qualifiant son travail de pornographique, alors qu’il ne révélait jamais rien d’impudique et présentait seulement les corps sous un angle inquiétant, un pied devenant par exemple un organe monstrueux derrière lequel disparaissait presque tout le reste du corps.

Pour le cou, j’ai d’abord vu dans cette Anatomie quelque chose comme une puissante mâchoire de requin, mais en repensant à l’affiche de l’exposition sur les images subversives (que je n’ai pas vue), je me suis dit que la métaphore se trouvait plutôt du côté végétal… Ne m’en demandez pas plus, espèce de glandus ^^

 

Erotique voilée

 

Éclipse d’un sein et manivelle bien placée ; les genres sont renvoyés à un tour de la fortune. Érotique grâce à la roue voilée et démontée.

 

Prière

 

Prière d’insérer. Jeu de mot d’un goût douteux pour un fruit peut-être juteux. D’émotion. Dévotion. Une pêche lourde et délicate bien en main.

 

 

Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas…


 

Mr et Mrs Woodman se proposent comme modèles – pas nécessairement à suivre. A voir, en tous cas, sans aucun risque de voyeurisme : deux corps, un point de jonction, toutes les positions deviennent affaire de forme à concevoir.

 

Quand Lalo remplace Lola…

 

… Palpatine n’est pas nécessairement dans tous ses états. A chaque orchestre ses beautés : une violoncelliste pour l’orchestre de Radio France, dirigé par Myung-Whun Chung. Pour une fois, le nom m’est familier, l’enregistrement de mon CD de l’Arlésienne s’est fait sous sa baguette. Peut-être bien magique, parce que j’ai du mal à comprendre quelles les musiciens peuvent en retirer : la mesure, peu exubérante, je vois bien, mais les vagues latérales initiées par les bras et suivies par le corps, ou la main gauche par laquelle tout le corps secoué de tremblement se raccroche au vide, je ne vois pas trop. On dirait parfois qu’il est possédé par la musique plus qu’il ne la dirige, mais cela doit être une impression de non-mélomane. Quoique… Palpatine penche pour le pilotage automatique de l’orchestre, parce que toujours est-il que ça marche (cette phrase n’est absolument pas française, mais je commence à être fatiguée et je ne vois pas où ça coince précisément – help me).

 

Deuxième nom imprononçable de la soirée, qui me fait irrésistiblement penser à de la mousssaka, bien que l’association phonétique soit une hérésie aussi bien géographique que culturelle : Moussorgski, dont des extraits de la Foire de Sorotchinski ouvre la soirée. C’est enlevé et coloré comme un marché – oriental ou méridional, parce que je peux vous assurer que ce n’est pas le genre de sonorité qu’on trouve en Dordogne.

Le méditerranéen, malgré que j’en ai, n’arrive qu’avec le deuxième morceau, une symphonie espagnole d’Édouard Lalo, dans laquelle on entendrait presque des accents tziganes de temps à autres. Mais c’est peut-être à cause du violon de Vadim Repin, dont je n’aime pas trop le son grinçant. Sans aucune gitane qui danse à son rythme, cet instrument geignard ne s’accorde pas de l’orchestre en bon ordre au milieu duquel il évolue, ni du costume impeccable de son maître (parce que c’est évident qu’il le maîtrise avec classe), qui n’est pas en train de mendier quelques larmes à son public.

Cela m’agace et ne cesse donc pas de m’attirer, jusqu’à ce que le violon revienne en grâce à l’oreille que je n’ai pas avec le morceau bonus joué par Vadim Repin et les autres cordes, qui, après enquête, se révèle être des variations sur le Carnaval de Venise de Paganini. C’est vrai que le soliste avance masqué : sans rien annoncer au public, il adresse quelques mots aux violonistes dont la mine se réjouit (celui qui est le plus excentré battait déjà joyeusement, de son archet sur le pupitre, la mesure des applaudissements), ainsi que celle de Palpatine lorsqu’il fait le signe de pincer les cordes. L’orchestre hoche la tête, le violoniste se met en joue et fait feu -d’artifice : le morceau est génial, ça sautille, esquive, feinte, sautille à nouveau et me donne envie de danser. Vadim Repin est visiblement virtuose, il se joue des difficultés et tous les musiciens semblent beaucoup s’amuser. Rire du public aussi : après avoir calé les pincements de corde, ceux-ci s’avèrent trop ténus pour que le soliste ne les recouvre pas en jouant, si bien qu’il fait mine de tendre l’oreille et aussitôt le volume augmente, comme si l’on avait tourné le bouton d’une chaîne hifi.

A l’entracte Palpatine hésite à se faire tenir la jambe par l’ami bavard, et finit par alpaguer l’ami russe pour qu’il nous en fasse une imitation, qui me fait rire sans pour autant connaître l’original et me donne une idée de l’énergumène. L’imitation des différents chefs d’orchestre, à la sortie, valait également son pesant de cacahuètes. Sonnerie – Palpatine se rassoit tranquillement en disant que le meilleur est passé. Peut-être mon esprit de contradiction s’est-il réveillé à ces mots, peut-être ne suis-je tout simplement pas lassée par le top 50 des salles de concert que je fréquente assez peu, peut-être aussi mon préjugé est-il naturellement favorable au compositeur de musique de ballet : toujours est-il que la symphonie pathétique (n°6) de Tchaïkovski m’a beaucoup plue. Même si je décrochais parfois brièvement de temps à autres, mon attention avait moins de mal à se concentrer que lors de la première partie (certes, l’effet gâteaux à l’entracte n’est pas à négliger non plus dans le degré d’éveil), dont les huit minutes du premier morceau, notamment, étaient vraiment trop courtes pour qu’on puisse entrer dedans et en profiter pleinement. J’adore les moments de quasi-silence où l’on se demande presque s’il va l’emporter sur la musique, avant que celle-ci ne reparte avec plus d’allant. Je ne suis pas certaine d’avoir trouvé cela « pathétique », à moins d’y entendre moins la pitié que l’empathie. Mais bon, pas besoin de souscrire au larmoyant, le programme précise même que le compositeur n’a pas ajouté l’adjectif de lui-même, et qu’il est davantage à entendre dans le sens de « passionné » ou « émotionnel », « comme un regard sans illusion sur ‘la douleur de vivre, les amours impossibles, la culpabilité, le pressentiment de la mort’. » Mouais ; en gros, mettez-y ce que vous voulez, du moment que cela possède une certaine force émotive. Après le troisième mouvement, le public n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher d’applaudir. Les puristes de le déplorer, mais franchement, cela me dérange beaucoup moins que les manifestations de tuberculeux qui se mettent à tousser du de concert, ou que la brève cacophonie des instruments qui se ré-accordent – laisser éclater son enthousiasme n’a rien de pathologique, au moins… à moins de voir le plus grand conformisme dans la surenchère d’applaudissements après une débauche musicale. On ne pourra en revanche rien reprocher au magnifique silence de la fin, qui a mis une bonne demi-minute à se relacher.