Mamootot

Balbutier le gaga

Sur les cinq spectacles d’Ohad Naharin présentés à Paris en ce mois d’octobre, j’en aurai vu quatre : Mamootot, Venezuela et Sedah21 à Chaillot par la Batsheva Dance Company ; Decadanse à Garnier (ne me manque que Décalé, une version de Decadanse compatible jeune public à Chaillot). Il fallait bien ça pour rattraper cette lacune : je n’avais jamais vu une seule pièce du chorégraphe « en vrai » – l’enthousiasme monté en neige par le documentaire de Tomer Heymann. Je crois avoir été un peu déçue par les chorégraphies : l’unité de chaque spectacle s’efface derrière leur gestuelle commune, celui-là semblant un prétexte à celle-ci. Heureusement, la gestuelle gaga est fascinante à observer en elle-même : le regard du spectateur part en syncope avec le corps du danseur, qui s’en trouve remodelé ; pendant Mamootot, je me suis surprise à penser que les fesses sont une magnifique partie du corps, moi qui y ai toujours été relativement indifférente, sur moi comme sur le sexe opposé. Surtout, la gestuelle gaga confère aux danseurs une étonnante puissance et singularité : les secousses qui les agitent semblent dessiner le relevé sismographique de leur personnalité. C’est ce qui rend les spectacles de la Bastheva company si intenses, malgré leur structure pas toujours évidente ; on ne voit plus des danseurs mais des individualités, aux contours très marqués (étonnamment forts pour des personnes si jeunes), qui ne s’adoucissent qu’aux saluts, lorsqu’on leur découvre une manière moins frontale, plus souriante d’être en scène.

Chasser le mammouth

Photo de Gadi Dagon

Les gradins de quelques rangées seulement, disposés de plein-pied autour d’un espace nu qu’ils délimitent comme scène, font de Mamootot moins un spectacle qu’une performance. On est là avec les danseurs comme en studio, si près qu’on voit les paupières battre, la sueur dégueulasser l’épais maquillage blanc, jusqu’aux tatouages et aux poils (y compris d’une danseuse – je me suis sentie moins seule). Mais surtout, sans rampe pour les aveugler, les danseurs nous voient ; plus étrange encore : ils nous regardent, passent au ralenti devant nous, scrutent les rangées de spectateurs laissés à leur merci par les lumières allumées.

Lorsque le spectacle est déjà bien avancé, ils tendent la main à quelques spectateurs, dont je fais partie, et sans trop savoir ce qu’on fait, on prend la main, on la serre, les yeux dans les yeux, inconnus ; c’est intense et ça n’est rien, ça n’a pas de sens sinon de rejouer un lien primal, pré-social, où sans code sans sourire on hésite, on se jauge et se lance peut-être, comprenant peu à peu que notre réaction définit en grande partie celle d’en face. C’est un peu bête mais aussi perturbant, un peu, et j’essaye ensuite, du blanc et de la sueur dans la paume, de ne pas penser aux autres mains pas forcément propres serrées avant ; je garde à l’esprit cette main morte jusqu’à chez moi, mon lavabo, et retrouve dans cette hantise éphémère du microbe la trace d’une peur primale de l’autre, inconnu, dont on se défie.

Dans ces instants, Mamootot rejoue symboliquement le face-à-face sans garantie, où l’on ne sait si l’on se trouve face à un chasseur ou à un mammouth ami. À d’autres, chacun vit sa vie, les danseurs comme individus ou comme groupe, coulés dans le même corps d’un costume unisexe, bleu-gris de travail farineux, version combishort. Ce n’est pas seyant, et ça tombe bien : la gestuelle gaga n’est pas là pour séduire. Elle fascine, comme le prédateur fascine sa proie pour mieux l’attraper ; on est subjugué par la force brute qui s’en dégage et nous cloue là sur place, impuissants devant les rages collectives, les syncopes individuelles, une traversée d’ondulations langoureuses, des frappes en groupe, la scène vidée par les danseurs assis parmi le premier rang de spectateurs, et même la nudité. Encore le coup de la nudité, on se dit ; et ça marche encore une fois. Le malaise, si proche, s’oublie lorsque le danseur continue de danser comme si de rien n’était ; bientôt, on ne remarque plus l’inévitable organe qui vit sa vie. Si on continue de scruter, ce sont uniquement les tatouages, nombreux, qu’on essaye de deviner : un signe de Nike sur la cuisse et quoi ? une bizarre étendue géométrique sur les côtes, une ville, un pays ? Au final, on ne sait pas trop ce qu’on a vu, mais on s’est senti vu, et c’est assez rare, assez bizarre pour plaire et déranger.

Madame de La Pommeraye

Même sans se souvenir de son apparition dans Jacques le Fataliste, on devine aisément le cours que va prendre l’intrigue de Mademoiselle de Joncquières : l’homme est bien trop prévisible pour qu’il y ait là véritable suspens. On ne se délecte pas moins de la comédie d’Emmanuel Mouret ; son verbe emprunté au XVIIIe dit moins mais exprime beaucoup plus que ne le ferait notre langue d’aujourd’hui. Aucun sentiment d’aucun personnage, blasé ou blessé, ne se laisse ignorer. On le sait : madame de La Pommeraye succombera au marquis des Arcis ; le marquis se lassera d’elle ; elle cherchera à se venger en utilisant mademoiselle de Joncquières (face à l’homme, la femme est un loup pour la femme) ; le marquis tombera dans le panneau et madame de La Pommeraye se fera prendre à son propre piège.

On pense rapidement aux plus fameuses Liaisons dangereuses. L’esprit n’est pas le même, pourtant. Il faudrait que je relise le roman de Laclos pour vérifier si ma perception est uniquement due à la structure du récit ou si la décennie écoulée depuis sa lecture s’en mêle, mais la vengeance de madame de La Pommeraye laisse un arrière-goût amer, qui s’évaporait promptement dans le cas de madame de Merteuil, jusqu’à donner l’impression de ne jamais avoir existé : la victoire stylistique des libertins écrasait la mémoire de leurs déboires. Surtout, on se fichait bien de la morale, abandonnée passée la postface et réintroduite artificiellement à la conclusion – elle n’a pas cours dans Les Liaisons dangereuses. Dans Madame de Joncquières (tel que filmé par Emmanuel Mouret, parce que je n’ai aucun souvenir de cette histoire racontée par Diderot), c’est plus subtil, car les rôles sont intriqués : celui de madame de Mertueil est tenu par madame de La Pommeraye qui, loin de faire profession d’être libertine, est aussi retirée du monde et indifférente aux intrigues de l’amour qu’une présidente de Tourvel, tandis que mademoiselle de Joncquières, ayant été conduite à la prostitution par un revers de fortune, n’est pas l’ingénue un peu bécasse que découvre Valmont en Cécile de Volanges (laquelle apprend vite à se servir de ses appâts, tandis que mademoiselle de Joncquières n’a, de la bouche de sa mère, aucun esprit de libertinage).

Le marquis, enfin, ne se joue pas de ses conquêtes comme Valmont : il tombe amoureux, en série certes, mais l’avoue volontiers. Cette absence de perversion le rend à la fois plus honnête homme et moins pardonnable. On ne peut lui reprocher son désintérêt pour madame de La Pommeraye, passé quelques années heureuses ; il a l’élégance de ne pas prendre de maîtresse, de s’oublier seulement dans ses affaires. De ne rien pouvoir lui reprocher le rend pourtant plus exaspérant encore : madame de La Pommeraye n’a d’autre coupable que la nature humaine trop humaine, et doit assumer la faute de sa colère qui, sans exutoire, l’envahit jusqu’à se cristalliser en vengeance. On croirait entendre Valmont en voix off : ce n’est pas ma faute. Après avoir ri avec madame de La Pommeraye du tour pendable joué au marquis des Arcis, la narration nous trahit et bascule aux côté du marquis : il est réellement tombé amoureux de celle qu’il a d’abord rejeté lorsqu’il l’a crue coupable du tour qu’on lui a joué, et finit par remercier madame de La Pommeraye de la lui avoir fait épouser. Le récit est garroté avant que l’histoire se reproduise, et que le marquis se lasse et retombe amoureux d’une autre : il s’en sort, tandis que madame de La Pommeraye qui soudain l’a bien cherché est abandonnée à son triste sort.

Le récit est narré de tel sorte qu’on rit, puis qu’on rit jaune, lorsque le focus passe sans préavis de madame de La Pommeraye au marquis. La comédie s’apprécie pleinement le temps qu’elle dure, mais ce qui perdure lorsque les lumières se rallument est une forme de triste amertume et de lassitude face à la constance de l’inconstance humaine, et sa prévisibilité. Il suffit de corseter une jeune beauté dans le silence et de faire ployer sa nuque dans l’obéissance (de la foi, on y croit), paupières tombantes comme en plein orgasme, pour qu’elle se transforme en objet de convoitise ; cela fonctionne à merveille sur le marquis, mais aussi sur le spectateur tel Palptine qui reconnaît aisément être passé à côté de l’actrice dans d’autres rôles : aplomb, regard et paroles retrouvés, son pouvoir de séduction s’étiole. Est-ce acquérir une sensibilité féministe que de trouver cela lassant ? Je laisserai le sourire ridé, magnifiquement fatigué de Cécile de France répondre à la Mona Lisa.

La vie qui mijote

Dans Gastrophysics, l’auteur remarque que les aliments retiennent davantage l’attention et stimulent mieux l’appétit lorsqu’on les voit en mouvement : à la nature morte se substituent dans notre esprits des ingrédients frais. Eric Khoo, le réalisateur de La Saveur des ramens illustre cela mieux que n’importe quelle expérience pseudo-scientifique : comme la dessinatrice des Petites distances, qui ajoute de la buée au-dessus de tous les plats et boissons chaudes que ses personnages ingurgitent, il filme à ras les marmites le mouvement de l’eau de cuisson, wannabe bouillon : ça frémit et ça fume ; les aliments s’agitent et les heures à laisser mijoter assurent qu’on aura bien salivé au moment de goûter.

Cela donne faim tout autant que patience, car tout dans la vie des personnages semble obéir au même principe : il faut laisser mijoter. À  la mort de son père, Masato hérite de son restaurant de ramen et d’une valise pleine de souvenirs qui l’invitent à retourner sur les traces de son enfance et de sa mère, Singapourienne qui a été la muse culinaire de son mari japonais et la honte de sa mère, laquelle l’a reniée pour avoir convolé avec l’ennemi. On devine assez facilement comment les choses vont évoluer une fois que Masato a retrouvé son oncle, qui le prend sous son aile (sa faconde achève de tirer le film hors d’un mutisme nippon déjà entamé lors de conversations assez directes avec l’autre oncle), et sa grand-mère, qui ne veut pas en entendre parler. Peu importe ; on ne commande pas un ramen ou un bak kut teh (son équivalent singapourien) pour être surpris – ou alors par ses saveurs, plus subtiles en bouche que le souvenir qu’on avait en tête : chaque dégustation partagée est ponctuée d’onomatopées de régal, et c’en est un que le film tout entier, son histoire familiale pudiquement voilée-dévoilée dans les volutes de vapeur.

Mit Palpatine

Bandes dessinées, septembre 2018

L’Immeuble d’en face, Vanyda

La première fois que je me suis dit : mais il y a d’autres personnes qui font ça ! au cours d’une lecture, c’était dans un roman de Japrisot à propos des superstitions auxquelles on ne croit pas, mini-contrats passés avec soi-même pour s’accoutumer à l’imprévisible. Depuis, j’adore retrouver ce genre de confidence impromptue, qui doit, pour fonctionner, porter sur un détail que l’on estime vaguement honteux et trop anecdotique pour être rapporté. Je vous présente ainsi Claire, mon alter ego dessiné ; le texte correspond mot pour mot, jusqu’à l’exclamation habituellement tenue par Palpatine :

La fille fait un câlin à son copain torse nu quand soudain " - Putain ! Un bouton ! Trop beau"… Attends… - AIE ! - Il était énoooorme !!"
Dites-moi que vous aussi…

 

Émilie voit quelqu’un, tome 2, Théa Rojzman et Anne Rouquette

Une histoire toujours aussi barrée, interrompue de temps à autres avec des exposés délurés sur quelques concepts-clés de la psychanalyse, comme celui de résistance, illustré par un schéma d’installation électrique.

"Y'avait une promo sur les névroses, deux pour le prix d'une."
Perso, j’ai pris un package TOC.

 

Les Brumes de Sapa, de Lolita Séchan

Petite, j’ai eu des collections, parallèles ou successives : billes, timbres, peluches, petits animaux en verre soufflé, images Panini, photos de danse (j’ai eu presque toutes les images de ballet du web français dans un classeur, à ses débuts)… Depuis quelques temps, l’envie me reprend de collectionner, de manière dématérialisée, des images et des textes, de rassembler le similaire pour jouir de la variation et faire surgir le sens de la répétition. À moins que cela ne soit pour me donner l’illusion de m’y retrouver dans un monde foisonnant, qui se refuse à une taxinomie d’opérette. Il faudrait ouvrir un tumblr par jour pour n’en pas voir le bout, alors je me contente de me dire que cela pourrait faire l’objet d’une collection : les manières de dessiner la mer, les faux gribouillis qui se comprennent d’emblée, les notes de bas de page croustillantes, les motifs des balustrades en fer forgé… En lisant Les Brumes de Sapa, ce sont les surprises des touristes que je me suis dit qu’il faudrait rassembler par pays, d’origine et de visite, pour faire ressortir des idiosyncrasie de chacun ; lorsque la narratrice décrit le bruit de Hanoï et la difficulté pour traverser la route, j’ai vu illustré le récit identique que m’en avait fait Palpatine…

Je vous fais part de mes petites obsessions de lectrice, mais ce roman graphique est bien plus que le carnet de voyage par lequel il commence. Sur la trame éculée du voyage sabbatique à l’autre bout du monde pour tenter de donner un sens à sa vie, Lolita Séchan brode un motif inattendu : rien ne se passe, aucune révélation ;  Lolita ne dépasse pas sa condition de touriste et revient du Vietnam aussi perdue qu’elle est partie. C’est seulement lorsqu’elle repart ailleurs pour ses études qu’apparaît la trace laissée par le voyage : elle est habitée par le souvenir-fantôme de l’enfant avec qui elle a discuté lors des derniers jours à Sapa, dans les montagnes. Cette enfant la suit partout où elle va ; elle décide de se lancer à sa poursuite.

Je n’avais jamais vraiment pensé qu’on pouvait décider une amitié, mais Lolita la décide-dessine comme on dessine sa vie : en repassant à maintes reprises sur un crayonné qui aurait tout aussi bien pu s’effacer. La répétition fait apparaître un motif, donne peu à peu du sens à ce qui était jusque là arbitraire : l’amitié entre Lo Ti Ghom, l’enfant de Sapa, et celle qui s’est vue renommée Lo Ti Tah prend prend réalité, forme et épaisseur au cours de multiples voyages  à Sapa. La vie se tisse dans ces allers et retours, les études, les projets, chacune étant rappelé à son monde par ses incursions (asymétriques) dans celui de l’autre : Lo Ti Tah revoit ses problèmes d’Occidentale à l’aune de ces de Lo Ti Ghom, laquelle vit dans une tradition qui parfois lui pèse mais qu’elle ne pourrait rejeter sans y perdre son identité.

Les réflexions, comme le trait, sont d’une grande finesse, d’une grande sensibilité. Quantité de thèmes y sont abordés, sans jamais empiéter les uns sur les autres : la relation à l’autre, dans la culture et l’intimité ; le poids des traditions et l’insoutenable légèreté de la modernité ; la joie du partage et sa fatigue, ou encore la dépression d’un parent (les brumes de Sapa, ce sont aussi celles-ci), les silences qui l’entourent et les peines, les joies souterraines…

Brumes de montagne,
brumes d’incertitude face à l’avenir,
brumes de tristesse d’entre lesquels apercevoir la joie,
Les Brumes de Sapa est un magnifique roman graphique que j’ajoute sans hésiter à ma bibliothèque imaginaire.

 

[…] de quel droit fige-t-on quelqu'un ?
Ce décalage entre l’évolution d’une personne qui vit loin de soi et l’image toujours retardée, toujours nostalgique que l’on a d’elle est un thème qui m’intrigue depuis mon amitié effilochée avec A. partie vivre en Australie. « J’ai changé » soulignait-elle, sans parvenir à percevoir que, sans être partie à l’autre bout du monde, je n’en avais pas moins changé moi aussi, à ma mesure. Nous avons chacune parlé à une version obsolète de l’autre, jusqu’à, comme des navigateurs dépassés, ne plus être compatibles qu’à moitié, discussions tronquées.
"Plus mes rêves grossissent, moins j'ai de chance d'être heureuse"
Ces derniers temps me reprend l’envie du petit, de la gribouille et de la bidouille comme à la fin du mon adolescence (j’ai d’ailleurs tendance à ressortir du fond de ma garde-robe les vêtements de cette période-là, moins élégants mais plus confortables que les plus récents). C’est petit mais ça peut grandir, au lieu d’être un but, une velléité écrasante – l’envie du petit.

 

                                                                                                                                                                        J’ai parfois l’impression de vouloir des rencontres égoïstes, moins pour découvrir l’autre que pour me réinventer moi-même – comme si l’on partait d’un miroir vierge, qui ne présente pas les petites scories noires des amis de longue date, qui donnent un charme et une patine à nulle autre pareille, mais nous obligent à toujours nous présenter à ces miroirs sous le même angle pour pouvoir nous y refléter. Vous voyez de quoi je parle ?

 

Après une rapide recherche, il s’avère que Lolita Séchan est bien la Lola du chanteur Renaud, qu’elle remercie pour tout ce qu’il lui a transmis de sombre et de lumineux (je trouve ça magnifique comme remerciement, et cela me donne l’impression d’une intimité plus grande encore en me rappelant tous les trajets en voiture avec mon père passés à chanter les chansons de son père à elle). Outre la notice biographique, il y avait une photo d’elle à côté et j’ai été saisie par sa beauté. Pour les femmes qui me lisent : est-ce que vous avez parfois cette surprise, vous aussi, malgré le fond féministe que vous vous souhaitez d’évident, d’être surprise qu’une femme talentueuse soit de surcroît si belle ? Je n’arrive pas à savoir si cette fascination presque douloureuse (mais très ponctuelle, hein) relève d’une vague misogynie intériorisée sous forme de compétition envieuse ou si c’est juste un étonnement statistique de ce que surgit parfois entre nature et culture une personnes aux qualités si disparates et complètes – que l’on aurait mauvaise idée de jalouser, car les brumes… les brumes…

Illuminations Ianesques

Hippolyte et Aricie, suite orchestrale de Jean-Philippe Rameau

Cette musique me fait penser à un rinceau végétal qui délicatement s’enroule autour de statues tout de muscles et de drames noués, animant le marbre d’élans et de soupirs. (À un moment, je surprends les personnages hiératiques en pleine bourrée auvergnate ; c’est assez curieux.)

Les Illuminations, pour voix haute et orchestre à cordes, de Benjamin Britten

Anne Deniau a dit de Nicolas Le Riche qu’on ne pouvait pas être fan de lui. C’est la même chose avec <3 Ian Bostridge <3. Je joue à la fan girl parce que c’est drôle, mais en vrai, la courbe d’appréciation du ténor passe toujours par une petite phase de déception. Cela a sûrement à voir avec le fait qu’il se définisse comme chanteur plutôt que ténor : sa voix ne séduit pas d’emblée ; elle n’est pas forte et chaude, ne vous embarque pas avec elle. Mais elle article étrangement, étire, claque et intrigue, et au bout de quelques phrases, on écoute, oui, vraiment. On regarde également : sa voix est une synecdoque de son corps, lui aussi sec et sexy, le charme éminemment british.

Highlights des illuminations…

Phrase : « J’ai tendu […] des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »
Je retourne les mains vers mon T-shirt, mais seul Palpatine lit l’inscription : Dance with me?

Parade : il titube et éructe comme un érudit sortirait du pub – un bizarre cocktail de flegme et de tension, l’haleine chargée de sarcasme.

Fanfare, Interlude, fin de Parade : trois fois, la phrase « J’ai seul la clef de cette parade sauvage » et trois fois, avant de lâcher l’épithète, il reprend « de cette parade » d’un ton où la menace le dispute au mystère, avec une telle sorcellerie que j’en espère presque qu’il donne cette unique phrase en bis (évidemment non).

Nous finirons sur une image : Ian Bostridge de dos, en première position, le poids du corps légèrement décalé sur la gauche, tête de même, comme si le voyageur Caspar David Friedrich marquait un temps de pause pour se ré-acclimater des sommets perdus à l’entrée d’une ville braillarde.

Symphonie n° 5 en majeur, dite Réformation, de Felix Mendelssohn

Autant le romantisme pictural me botte, autant son pendant musical a tendance à me faire le même effet que les peintures de la Renaissance. Une demie-heure d’ennui luxueux.

(Confirmation pour JoPrincesse : j’avais déjà entendu la symphonie italienne et dispensable du compositeur – je me suis fait sourire moi-même à la relecture.)