Sardaigne un peu, pour voir

La Sardaigne est un petit pays pourri : petit, parce que c’est une île ; pays, parce que les Sardes se sentent italiens comme les Basques se sentent français ; et pourri, parce qu’il n’y a presque que des cailloux. En Corse, ils sont rassemblés en gros tas, ça s’appelle des montagnes et on peut circuler autour. En Sardaigne, il y en a partout. De préférence sous votre pied, histoire que vous vous entailliez le gros orteil.

Ces cailloux ne datent pas d’hier puisque la culture de l’île se résume à ses nombreux sites nuragiques. Le nuragique, car c’est l’heure de paraître érudit, se situe quelque part entre l’âge de bronze et l’âge de fer, c’est-à-dire à la Préhistoire pour la différence que cela fait. L’homme nuragique soulève de grosses pierres pour faire des maisons grossières qui soulèvent à présent des questions auxquelles il est tentant de répondre par des grossièretés. Comme la feuille A4, mâchée malgré sa pochette plastique, nous indiquait qu’on avait retrouvé avec la tombe divers objets type un-gamin-de-4-ans-fait-de-la-pâte-à-sel, dont une aiguille à coudre, maman se demande comment leur est venue l’idée de se faire des habits vu qu’on est loin de cailler dans le coin (bon, c’était avant que le Mistral se lève). Tandis que fort peu encline à la visite de ces sites névralgiques nuragiques, j’émets la supposition qu’ils en avaient marre de se piquer les fesses en s’asseyant, celle que nous appellerons la dame de carreau hasarde quant à elle l’hypothèse selon laquelle les nanas en auraient eu marre de se faire enfiler à tout bout de champ. Personne ne s’est pour autant retourné dans sa tombe pour la simple et bonne raison que la « tombe des géants » était très vide. C’était encore davantage une fosse commune qu’un caveau familial mais, que voulez-vous, les géants sont partout sur l’île, jusqu’à la pointe qui fait face à Bonifacio ; les roches y semblent des boules de pâte à modeler malaxées par des doigts de géants. Cela finit parfois par donner des formes à la Magritte. On pourrait organiser un Boggle visuel, moins instable que la variante à nuages.

Au caillou sarde, dont il appert que ce n’est pas un problème récent, on n’a pas trouvé mieux que la réponse de la route en spaghetti trop cuit. Vu que ça gave vite, on ne risque pas d’aller trop loin, même lorsqu’on sait que tout près, il n’y a presque rien. On se doute d’avoir loupé de lointains cailloux mais le temps est beau sans nurage et on va à la plage.

 

 

Aller à la plage est l’activité la plus sensée que vous pouvez envisager en Sardaigne : la couleur de l’eau oscille entre le turquoise-piscine et le bleu-yeux de husky, les montagnes sont proches et les criques par conséquent très belles. Seulement voilà, j’ai découvert cette année que je n’aimais plus aller à la plage. Certes, il n’est pas nouveau que des gamins hurlant sèment du sable sur votre serviette quand celle-ci n’absorbe que l’eau et la crème solaire ou que l’eau paraisse perdre dix degrés entre les cuisses et le ventre. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que je vois les corps vieillis.

À l’âge où l’on fait des pâtés de sable (le pâté semble passé de mode, c’est une honte ; après on s’étonne que les jeunes ne construisent plus rien…), les vieux ramollis ne vous dérangent que s’ils sont placés entre votre château de sable et le bord de l’eau, ralentissant ainsi le ravitaillement des douves – ce sont des vieux, voilà tout. Seulement maintenant que je ne fais plus de pâtés qu’au Typex (je me demande pourquoi, en fait – ah, si, le sable sous les ongles) et que j’ai abandonné la lecture à la plage pour cause de maniaquerie livresque (même avec mains essuyées après le tartinage, bouquin couvert et hurlement quand il risque d’être corné dans une bousculade avec le maillot de rechange), les vieux ne m’apparaissent plus comme des vieux, de tous temps vieux, mais comme des corps vieillissant, de la viande qui répète pour sa future putréfaction. Et de penser que la volonté peut se relâcher autant que la peau (d’orange) et l’esprit régresser autant que progressent les bourrelais me terrorise. C’est particulièrement visible sur les femmes italiennes qui sont des bombes toutes rondes à 30 ans et de grosses choses toutes flasques à 70 – d’autant plus visible qu’elles ne nous épargnent rien ; grâce soit rendue au maillot de bain une pièce des mamies de la Côte d’Azur.

 

La plage exclue, il n’y a plus rien à faire, ce en quoi excelle le jet-set à l’attention de laquelle se sont ouvertes moult boutiques de luxe. Dans le moindre village, on peut acheter des robes haute couture voire des manteaux en fourrure qui vous feriez faire un infarctus si vous les essayiez sans la climatisation, pourvu que ledit village se trouve sur la côte et que l’on puisse y arriver et surtout en repartir rapidement en yatch (que vous n’avez même pas besoin de prononcer « yôt » puisque les Italiens ne parlent pas anglais comme des vaches espagnoles : ils ne parlent pas anglais du tout, encore moins que français – au point que Black Swan, qu’on n’a pas osé traduire en France est devenu Il Cigno Nero). De tout petits yatchs, qui n’ont même pas toujours de jet ski ou d’hélicoptères à bord. Comprenez s’il faut une nouvelle paire de chaussure pour se consoler (par chaussure, on entend aussi des tongs transparentes qu’on appellerait des méduses si elles n’étaient pas incrustées de Swarovski – risque de désensibilisation à la paillette lors d’un séjour prolongé en Sardaigne).

Ou une robe. Parce que les robes italiennes sont vraiment très belles. À vrai dire, elles sont même coupées ce qui, aujourd’hui que la fripe se porte dans tous les sens mais toujours chiffonnée, est devenu synonyme de « bien coupées ». Et la bonne nouvelle, c’est qu’il y a en Italie un milieu entre la robe de plage Zara à 49,99 € et la robe de chez Paule K à 300 € (en soldes, robes de cocktail exclues). Résultat : trois robes dont l’une de soirée et le premier qui me renverse une coupe de champagne dessus, je le massacre de toute la force de mon décolleté voilé d’Amazone. Pas entièrement rempli, certes, parce que l’Italienne est plutôt bien pourvue à ce niveau mais cela me laisse de la marge pour engloutir sans arrière-pensée tout ce que la nourriture sarde peut offrir de substantiellement nourrissant.

 

Pour ne pas faillir à ma réputation et parce que l’heure du goûter approche, laissez-moi vous donner une idée de ce que l’on peut gloutonner en Sardaigne – de préférence chez soi qu’au restaurant car les plats sont un peu décevant par rapport à la qualité des ingrédients qu’on trouve sur place. Heureusement, il est difficile de rater une pizza. Pourtant, malgré la délicieuse composition pecorino-gorgonzola-noix (et après je m’étonne d’avoir des aphtes) sans tomate que j’ai pu déguster, la meilleure pizzeria du monde reste à Saint-Rémy-lès-Chevreuse qui, même au bout du monde (= RER B), reste plus accessible.

Les pâtes réservent plus de surprises puisque les Sardes ont eu la curieuse idée de fourrer leurs raviolis à la menthe et à la pomme de terre (excellent choix si vous hésitez entre pâtes ou gnocchis et que vous ne reculez pas devant le bourratif) et même de faire des raviolis-dessert, pâte citronné fourrée de fromage à déguster frit (on n’a pas osé) avec du miel (délicieux sucré-salé). N’étant pas très charcutaille, je passe directement au fromage et ne puis que réitérer mon amour de la mozzarella et du pecorino, malgré la forme rigolote du provolone. Je me demande seulement comment on peut faire de si bons fromages avec du lait si léger (demi-écrémé, vous êtes sûrs ? Oui ? Alors je plains les vaches sardes, ce ne doit pas être fun tous les jours niveau fourrage). Ah, oui, renoncez au pain, à moins de l’aimer dur et sans sel ou de se rabattre sur les gressins, les galettes locales (sorte de crackers épais comme du papier à musique) ou le pain noir (d’accord c’est allemand), surtout pour le Philadelphia (d’accord, c’est américain mais on n’en trouve pas en France – flash info : il débarque dans l’hexagone ! Merci mon dieu de la mondialisation).

Enfin, la glace à l’italienne n’est un mystère pour personne mais, si vous avez le cœur à renoncer l’espace d’un cornet à la stracciattela, vous pouvez renouveler votre foi en goûtant, par exemple, les parfums Ferrero Rocher, noisette-chocolat blanc ou peanuts (après le fudge au peanut butter, j’ai trouvé la glace). De manière générale, privilégier les noix et les couleurs laiteuses (coco dément, aussi). Buon apetito.

[Pour fêter l’échec du sevrage ordi + Cali, bientôt des photos]

Billancourt de recréation

Un archipieds dans la ville où j’ai vécu plus de dix ans ? Il était tentant d’y retourner avec une toute nouvelle perspective – je ne parle pas des centimètres que j’ai pu prendre mais de la visite architecturale qu’avait concoctée Denys. Aucun accès de nostalgie à déplorer, puisque c’est la partie Billancourt de Boulogne que nous avons arpentée, dans laquelle je ne m’aventurais guère à l’époque et pour cause : c’était le domaine des usines Renault, dont il ne reste plus grand-chose aujourd’hui, hormis quelques façades-souvenirs. En quelques années, des immeubles modernes plus ou moins hallucinants y ont poussé comme des champignons.

La plupart abritent des bureaux (je veux bien travailler dans celui qui est concassé, pardon profilé, en bas) mais il y a aussi bon nombre d’immeubles d’habitation. Il est résulte un quartier-dortoir qui manque singulièrement de vie… toute entière concentrée dans un parc où la marmaille ne dépasse pas le mètre de hauteur mais compense par le nombre – d’où les quatre ou cinq crèches aménagées dans le quartier, quand il est difficile de trouver une seule boulangerie. Moi qui me disais que ce serait plus vivant lorsque les immeubles seraient habités… Le quartier ressemble un peu à ces intérieurs impersonnels où trois bibelots, deux livres et un bouquet de fleurs luttent contre la blancheur vide qui les entoure. La tranquillité laisse une impression de demi-teinte et les immeubles-triplés or, bronze, argent d’un petit ensemble me semblent davantage relever du jaune, de l’ocre et du pas fini de peindre.

Je n’y habiterais pas (ou alors dans un de ces appartements avec des panneaux oranges – et violet, souligne Palpatine) mais la vue est agréable depuis le parc qui fait face à l’île Seguin (toujours vide) et d’où l’on voit une grosse maison de verre posée sur un cube de carrés blanc, noirs et marron, lui-même empilé sur un gros rectangle minéral. Cet ovni mis à part, le parc me fait assez penser à celui d’Ivry, juste à côté de chez Palpatine, et tandis que l’on sort par un portail similaire, entre des panneaux de bois, il me fait remarquer que tous les bouts du monde vont finir par se ressembler. Effectivement, en ressortant vers les grands bâtiments de bureaux, les larges trottoirs et les rares commerces (« restauration rapide responsable » : rire pour ce fast-food sain) j’ai un peu la même impression qu’à Bibliothèque François Mitterand ; ces endroits dans lesquels on aime le vert en fer et gris. J’aime mieux mon béton troué de platanes et les curiosités qui se cachent entre deux immeubles d’une ville sans urbanisme (comme cette fontaine-bassin avec son petit pont, un grand pin et de petites pelouses interdites qui m’ont rappelé mes fins d’après-midi après la sortie de l’école) ; j’y rêve les gens moins urbains mais plus civilisés, avec des relations sociales un peu moins froides que ne le laissent envisager toutes les brillantes variations sur le carré que nous avons pu admirer.

Se gaufrer à Bruxelles

Souvenir de voyage

 

Ce week-end, j’ai mangé une pomme. Inutile de déguiser, elle avait le même goût que d’habitude. Il a plu, j’ai eu froid, j’en avais assez d’avoir l’air d’un sac à patates, je suis partie en jupe, j’ai eu très froid, la batterie de mon appareil photo s’est révélée n’être pas compatible avec celle du modèle précédent de Palpatine, j’ai râlé, j’ai eu froid, je lui ai piqué son appareil, la section moderne du musée des Beaux-arts était fermé pour rénovation, je n’ai pas vu les tableaux de Khnopff, qui comptaient pour un tiers de ma motivation (gaufre et Magritte pour les deux autres), je me suis fait avoir avec les contingents de place du musée Magritte, je n’ai eu qu’une heure pour le visiter, j’ai encore eu froid, la nuit tombait tôt sur la brume et la bruine, la ville n’est pas très souriante en-dehors de son centre, j’ai eu froid et j’ai été épuisée.

 

 

Pourquoi faudrait-il toujours réussir tout de son voyage ? Quadriller la ville pour avoir tout vu et surtout rien loupé ? Aimer ce qu’on découvre plutôt que la découverte ?


 

De ce week-end, j’ai peut-être préféré le voyage à la destination / la fin d’après-midi et la fin de la nuit à l’hôtel dans les coussins adossés au miroir / la chemise à boutons de manchette de Palpatine / le brunch au saumon, fabuleux œufs brouillés, thé orangé et brioche aux morceaux de sucre, partagé avec Ariana / ce plaisantin rêveur de Magritte / le livre un peu daté mais enfin sur Khnopff / l’attente d’une averse musardée dans une boutique de Cds classiques, musique religieuse, et juste en face, les vitraux d’une église / feuilleter les dessins de Khnopff dans une salle commune de l’hôtel / attendre sur un fauteuil-caisson que l’opéra d’Ariana et Palpatine se finisse et les achève, tandis que je somnole en toute bonne conscience de touriste épuisée, entre les voix qui traversent les murs et les ouvreurs comme des garçons de café qui s’ennuient.


Je suis pessimiste, dit Palpatine et je trouve ça curieux quand on parle du passé immédiat (perfectionniste, plutôt, lorsque le moindre détail peut défigurer l’ensemble). Mais il suffit qu’il s’éloigne un peu (le passé immédiat, pas Palpatine) pour que je puisse dire qu’il est bon de se gaufrer à Bruxelles et que c’est rendre hommage à cette ville que d’imiter sa spécialité1.

 

  1Nous avons également honoré les moules-frites comme il se doit. Parfaitement conforme au régime : pas de dessert après les moules-frites à volonté (il a bien fallu en reprendre pour le vérifier) et pas de chantilly ni chocolat fondu sur la gaufre, juste un cheesecake au spéculos comme dernier dîner.

Gaufre de Bruxelles

 

 

Mais non, je ne vous ai absolument pas floués avec le titre de ce post : ne voyez-vous pas les alvéoles carrées de la gaufre dans toutes ces fenêtres à petits carreaux des façades de la Grand Place ?

N’ayez aucune crainte pour ma santé mentale morfale,  je n’ai pas manqué de manger une vraie gaufre ; il ne va pas neiger, c’est déjà fait :

 

 

Gaufre au sucre, donc. Croustillante à l’extérieure, brûlante et à peine cuite à l’intérieur, comme un de ces chichis qu’on ne trouve qu’à Sanary, parce que « chez Noune, les chichis ont un goût de paradis ». Les madeleines peuvent aller se rhabiller.