La crème du chocolat viennois

Quatre août, quatre yeux glauques aperçoivent le 5 affiché sur le réveil, sous des paupières qui, sans allumettes pour tuteur, ont du mal à ne pas se refermer. Quarante-cinq minutes plus tard, Palpatine, nos valises et moi partons à l’aéroport, en traînant la fin d’un paquet de petits pains au lait comme un doudou lapin par l’oreille. On les a tartinés de confiture d’abricot la veille au soir, anticipant sans le savoir le motif de la Marille. L’abricot n’est pas tout à fait à l’Autriche ce que la myrtille est aux Etats-Unis, mais il n’empêche qu’on en trouve une fine couche dans une de ses pâtisseries les plus célèbres. La Sachertorte, dégustée comme il se doit dans son salon d’origine, est beaucoup plus légère que je n’en avais le souvenir.

 

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Même avec la Schlag à côté dans l’assiette et au-dessus du chocolat chaud. Pour la peine, j’ai pris un Apfelstrudel en plus. Je me serais bien lancée dans une étude comparative de ce gâteau aux pommes dans tous les salons de thé de la capitale, n’était cette déconvenue de taille : l’absence de cannelle, déjà constatée la veille chez Demel. L’espèce de frangipane dont était fourré celui de chez Sacher m’a définitivement coupée dans mon élan.

 

 

Cela est terrible, j’en conviens, mais ne perdez pas espoir, le chocolat viennois reste une valeur sûre. A condition de bien prononcer le ‘h’ et le ‘e’ de « heiße Schokolade » sous peine de se retrouver déconfits, comme cela nous est arrivé à la Gloriette, avec un chocolat glacé, « Eisschokolade ». Notre erreur a profité à une serveuse qui s’est mise à la paille, dos au comptoir ; le serveur a été compréhensif, et nous a servi la version plus adaptée à la température rafraîchie, avec un petit cours de prononciation. Comme j’y entends à peu près autant de différence qu’entre « brin » et « brun », j’ai opté par la suite pour un « hot chocolate » non équivoque. Ou même plus, d’ailleurs, parce que je me suis rabattue sur les grosses glaces italiennes de la Swhwedenplatz, la place suisse étant en toute bonne logique dépourvue de chocolat et bordée d’Italiens, glaces et pizzas. De toutes manières, le meilleur chocolat de Vienne était sans conteste celui de chez Demel, même s’il n’y a que sa chantilly viennoise qui le sauve de la comparaison avec celui de chez Dalloyau.

 

 

La cuisine est peut-être mon talon d’Achille chauvin, allez savoir. J’ai bien dédaigné de goûter la Schnitzel, l’escalope panée me semblant de peu d’intérêt. La Wurst plaisait davantage à la grande saucisse que je suis, mais comme elle effrayait démesurément mon coéquipier, je n’en ai mangé qu’au petit-déjeuner, et sans curry encore. Encore heureux, dirait Palpatine, qui ne comprend pas que des beans puissent remplacer les tartines dans l’assiette matinale (pourtant, avec les œufs brouillés et les pommes de terre paillasson qui les ont complété à Londres, c’était un régal). Je ne suis peut-être pas aventurière lorsqu’il s’agit de s’enfoncer dans le nowhere d’une banlieue (je suis une petite bourgeoise en vacances, j’assume), mais je mets les pieds et les mains dans le plat. Ce qui ne m’empêche nullement de reconnaître que le restaurant japonais où nous a conduit mon envie d’ « orgie de sushis » (Miss Red, en texto dans le texte) était une tuerie. Nous y sommes retournés pour parfaire le massacre de poissons ; tot, rot, gut.

 

 

 

Londres de choc

 

 

A la traîne


La traîne n’est malheureusement pas ici l’accessoire assorti à la couronne de la reine mère, mais les trois heures de retard qu’a pris l’Eurostar à l’aller, en comparaison de quoi les vingt minutes du retour ont semblé une bagatelle. Fort heureusement, mum and I avions prévu un week-end de trois jours et la promesse de billets gratuits nous a fait rentrer dans notre good mood. Un voyage est toujours un peu épique, c’est ce que j’essayais de rappeler à mum qui râlait (via mon anglais si fluent) contre l’hôtel. Un quatre étoiles qui vous colle un lit double quand vous aviez réservé deux simples (en général, lorsqu’on dort à deux, il y en a toujours un pour faire la crevette, c’est-à-dire se recroqueviller en travers du lit, voire pour adopter la technique du rouleau de printemps lorsque ladite crevette s’enroule dans la couette), ne prévoit qu’un peignoir pour deux et ne vous fait jamais monter la couverture que vous avez demandé (parce que le chauffage est aussi discret qu’un anglais à la voix enrouée un vendredi soir au pub, et que même coupé, c’est loin d’être silencieux) (d’où qu’on a trouvé un nouvel usage au peignoir) joue aux stars mais ne mérite peut-être pas ses étoiles. Qu’importe, nous ne sommes pas venues pour rester à l’hôtel.


I choose Liberty

 

Cela ne veut pas dire pour autant que nous n’avons pas passé un certain temps indoors. Outre la soirée au Royal Opera House que je raconterai dans un autre post, en bonnes non-alcooliques, nous avons fait la tournée des grands magasins. Je me souvenais des dais verts arrondis de chez Harrod’s, où nous n’avons fait qu’un saut ; nous avons en revanche escalatoré les cinq étages de chez Harvey Nichols pour jeter un œil au bar soi-disant à la mode, et exploré le labyrinthe de Liberty, dont les boiseries médiévalisantes abritent les fringues des grands couturiers dans des mises en scène loufoques.

 

 

 

Ce n’est évidemment pas là que nous avons pu faire des folies, la robe coutant le prix du voyage pour deux. Anyway, il n’y avait pas mon coup de foudre croisé devant la vitrine de Stella Mac Cartney sur New Bond Street.

 

 

Topshop, le H&M local, semblait plus abordable. En ce qui concerne les prix du moins ; parce que ça grouillait, là-dedans… it outweights le H&M des Halles sans problème – peut-être même en période de soldes (hypothèse, bien entendu, je tiens à ma peau). Du coup, le blizzard de la clim trouvait là une justification sanitaire, faut euthanasier le microbe. Bon, on risque quand même la crève pour peu qu’on se lance dans les essayages, ce à quoi ne m’a pas fait renoncer la queue ni la… l’originalité des fringues. Palpatine trouve que je m’habille « marrant » ; une anglaise ne comprendrait pas pourquoi : même le total look orange ne tient pas face à une palette de jaune d’or (les collants), rose fuschia (le sac), bleu dur (le manteau)… On trouve à Topshop des trucs immettables, que les filles enfilent sans se poser de question (vaut mieux d’ailleurs, parce que si vous levez le bras avec la robe-pull aux côtés transparents dentelés que j’ai essayée, vous vous retrouvez le cul à l’air), et impensables, comme le bustier qui hésite entre le corset et le soutien-gorge (et que je n’ai pas pris non plus parce que mon opulente poitrine -hem, c’est bien la première fois- ne rentrait pas dans du 36, et qu’il aurait fallu ôter cinq bons centimètres de tour de dos au 38 – mais sinon, les découpes en tissu translucide noir ne m’auraient pas arrêtée).

Plusieurs fois j’ai pensé à Palpatine, qui serait tombé amoureux en moyenne cinq fois par rue devant les chevelures rousses qui n’ont pas toujours besoin de l’euphémisme « blond vénitien », et au moins autant de fois en syncope devant les tenues qui en manquaient sacrément. Ceci dit, il n’y a pas tromperie sur la marchandise : vous pouvez constater de visu la fermeté du jarret ou le gras épanoui de la cuisse. Existe dans tous les coloris et en deux gabarits : la petite Anglaise et la grande baraquée, à côté de qui je suis fluette. J’imagine mieux à présent les visions d’horreur qu’a du endurer le Vates au concert de Lady Gaga, avec fan en body pailletés (et il n’était pas douteux que c’étaient des body, parce qu’elles n’étaient qu‘en body).

E-bay ne peut se permettre une telle pub qu’en Grande-Bretagne :

Robe fleurie, chaussettes rayées et chaussures quadrillées…

 

Muffin top

 

M’enfin, comme dirait mon arrière-grand-mère, les gabarits massifs ne sont pas gros à lécher les murs. Et si vous pouvez vous habiller comme un ara dépareillé, les cup cakes bariolés en jaune ou bleu schtroumpf ne devraient pas vous rebuter. Sauf les glaçages dégoulinant, tout est crémeux : le gâteau non-identifié (non-goûté aussi), la whipped cream qui ne peut vraiment pas désigner la même chose que de la chantilly (je ne vous parle même pas de celle, nuageuse, de Dalloyau), le cream-cheese d’un sandwich au saumon, auprès de quoi le Saint-Morêt est mousseux, pour ne rien dire de la clotted cream qui équilibre non, vraiment, le mot n’est pas adapté mais on s’en contrebalance la confiture à la fraise sur les scones de chez Richoux, très légers et moelleux pour le coup.

 

 

Nous sommes retournées chez Richoux pour déjeuner, j’ai alors testé la Shepherd pie (désolée, il n’y a pas de morceaux de docteur dedans, pas plus qu’à Sloane square), avec du lamb et de la mashed potatoe dessus : j’ai été un peu dépitée en voyant que rien ne justifiait la pie, la pâte avait disparue, ni tarte ni tourte, j’étais devant un plat de hachis parmentier. Sauf que. Lamb, on l’a appris à l’école, désigne la viande de la bestiole sheep ; ce qu’on a oublié de nous préciser, c’est que la viande peut aussi bien être de l’agneau (doux, en tajine) que du mouton (fort, en couscous). Je peux vous dire qu’après un hachis parmentier au mouton, on se sent virile. Ouais, même avec un -e final. Le morceau de fudge aux noix et sirop d’érable (parfum choisi après moult hésitations devant l’étal d’Harrod’s, ignorante que j’étais de ce qu pouvait bien être du fudge) a contribué à faire glisser.

Autre expérience culinaire dans laquelle je me suis lancée (je n’ose dire gastronomique ; qui me connaît sait de toutes façons qu’il y a peu de chances que je me retrouve aux fourneaux) : l’english breakfast. La totale, moins les champignons : oeuf au plat, petite saucisse aux herbes, tomates fries, pommes de terre paillasson, et délicieux beans en sauce, que je me suis, pour les deux derniers, resservie. Je ne sais pas si cela contenait intrinsèquement trop d’huile ou si c’est de l’avoir ingurgité après un continental breakfast avec fruits, mini blueberry muffin (trop choupi) et toasts (rha, les toasts anglais), mais la digestion a un peu duré, et j’ai pu sans problème attendre le tea-time. Pour vous dire la chose, j’ai habituellement faim toutes les quatre heures : 8h- 12h- 16h- 20h si le monde était bien fait (mais en prépa, je petit-déjeunais une heure plus tôt, et les spectacles impliquent de prendre un goûter substantiel plus tardifs pour dîner à des heures indues de souper de l’ancien temps).

 

Qu’on peut être sain d’esprit et voir un éléphant rose – gaffe la môme adopte la tactique du caméléon.

 

Pour se dépenser, on pouvait toujours partir à la chasse, non pas à l’ours, comme à Berlin, mais à l’éléphant. Qu’on ne s’y trompe pas, cependant : il s’agit d’un safari-photo ; la véritable cible reste l’enfant qui le chevauche (à éliminer de préférence avant le trajet du retour en train).

 

En groupe, devant Buckingham Palace, une relève de la garde amateur.

 


Look right and keep left

 

Mais s’ils ont besoin d’écrire « look right » par terre à chaque feu, c’est que cela ne doit pas aller de soi pour eux non plus, sinon à quoi ça sert ? s’interroge ma dear mum que, peut-être cinq minutes avant, j’ai du retenir de traverser : allez, il n’y a personne… sûr, quand on regarde du mauvais côté. Pour les touristes, mum, pour les touristes.

 

 

A sa décharge, il faut dire que les Anglais manquent de logique : they look right before crossing, and keep left dans les escaliers, but have to stand on the right dans les escalators. Les Australiens, eux, sont cohérents jusqu’à ce dernier point. Yes, I know, après Berlin, ça fait très snob comme comparaison, mais on tend toujours à ramener le nouveau au déjà connu (certes, je suis allée à Londres avant d’aller en Australie, mais mes souvenirs d’enfant n’étant pas très frais, je connais mieux Brisbane que Londres). On a ainsi établi une grille de correspondances : l’avenue Montaigne est en partie accueillie par New Bond street ; Oxford street a des allures de boulevard Saint-Michel, ou des Champs-Elysées si ceux-ci ne trouvaient pas un équivalent plus probant dans la foule de Regent’s street, tandis que Westbourne Grove ne dépareillerait pas dans Saint-Germain. En revanche, Marcelline Lapouffe passerait mal dans le huitième british où se trouvait notre hôtel.

 

 

L’enseigne de cette magnifique boutique d’art (auprès de quoi le crâne de Damien Hirst est bien vain – ici, c’est un squelette entier qui est endiamanté) est devenue une blague récurrente entre mum and I. Deux doses de rire par jour, à avaler matin et soir, en tube. Avant de prendre l’underground et que ne reste en tête : « Mind the gap, please » (alors que Mind your head serait plus approprié, je passe tout juste sous la porte) ou « Stand clear of the closing doors » (il est passé en boucle dans ma tête pendant un moment, un véritable tube, sans italiques cette fois). Aux petites phrases célèbres, on pourra ajouter des slogans glanés ça et là sur les affiches publicitaires (« Save a guitar on your insurance« ) selon le syndrome enfantin du je-viens-d’apprendre-à-lire-je-lis-tout-ce-que-je-vois, dans lequel ne manque pas de nous faire retomber une langue étrangère.

 

Une autre affiche dont le slogan « Westminster College. Make the wise choice » est illustré par un chouette sosie d’Hedwige me fournit ma transition pour une dernière partie sur le Londres
d’Harry Potter. Je ne suis pas allée errer entre les voies 9 et 10 de Charring Cross où arrive pourtant l’Eurostar, mais un tour cahotique à l’étage d’un bus rouge m’a confirmé l’existence du magicobus. Sans parler du choc devant les affiches qui bougent: j’ai mis un certain temps à réaliser que les photos animées étaient en réalité des écrans de télévision très plats et incrustés dans le mur en alternance avec des affiches papiers, elles sages comme des images. De là à ce que les publicitaires nous mettent sous Imperium

 

Un bus, une cabine et deux cab, il fallait faire le cliché.

 

 

Berlin go

Le château de Charlottenberg

 

 

et sa statue équestre copiée sur Louis XIV inspirée de Marc-Aurèle (photo pour Melendili)

 

 

Ne pas imaginer la position que j’avais pour que la statue dorée tienne le bouclier blanc.

 

 

Pas ça, pas la neiiiiiige !

 

 

Que les géants jouent à faire des boules de neige.

 

 

Asperge à la purée de pois

 

 

A l’intérieur de la Gedachtniskirsche, avec son Christ
A l’extérieur : marché de Noël, et son sucre d’orge géant
J’oublie toujours que Noël est une fête religieuse et j’ai l’impression que l’Eglise sacrifie au marketing lorsqu’elle met un sapin dans ses églises. Le monde à l’envers, je sais.

 

 

La Siegessaüle
Mais on se demande si ce ne sont pas plutôt les voitures qui ont gagné…

 

 

Bärchen über schön
Si la palette n’avait pas été à plus de 300 euros, je les aurais embarqués.
N’oublions pas que nous étions au pays de Steiff.

 

 

Au lieu de prendre les mini-tombeaux preuve de la mortalité infantile des siècles passés,
je photographie le fantôme d’une statue derrière un pilier.

 

 

Depuis les toits du Dôme

 

 

* sois fier de toi

Fait pour moi.

Je vous l’offre sous forme de voeux.

Muser à Berlin

Avant-dernier post sur mon voyage dans la capitale allemande (le dernier uniquement de photos, j’ai assez tapé sur mon clavier et vos nerfs).

 

 

 

La priorité est allée à la Alte Nationalgalerie (pour moi) et à la Gemäldegalerie (pour Palpatine), respectivement mini-Orsay et mini-Louvre. Ce qui est un peu étrange, c’est que le mini-Orsay est logé dans un bâtiment plutôt ancien, une statue équestre plantée devant, tandis que le mini-Louvre est implanté avec d’autres musées dans un espace très moderne. Ce dernier, s’il ne paye pas de mine de l’extérieur, est très bien aménagé à l’intérieur : lumineux, aéré, une hauteur sous plafond démentielle (dans les salles où les tableaux sont petits, on se dit un peu « tout ça pour ça ? »).

 

 

Les salles sont distribuées autour d’un gigantesque patio cathédrale entièrement vide à l’exception de ses piliers : le rien est aussi au musée, mais celui-ci prépare à la contemplation.

 

 

Le caractère dépouillé des salles vient aussi de ce qu’il n’y a absolument aucun cordon de sécurité autour des œuvres : la distance à respecter est indiquée par un changement de marqueterie – j’ai mis un temps fou à m’en apercevoir.

 

 

C’est que l’Allemand a intériorisé les interdits. Jusque dans les transports en communs. Dans le métro, comme à Vienne, aucun tourniquet ni barrière, on composte le billet à la première utilisation et après on circule comme dans un moulin. Tant de discipline a quelque chose de reposant – même si je n’ai pas tenu plus de trois jours avant de recommencer à traverser à la parisienne, signe infaillible de ce que nous n’étions pas locaux. Seul relâchement de l’ordre : la disposition des tableaux dans les salles selon le principe de ‘montre-moi ce que tu as dans le ventre, crache tout et on fera le tri ensuite’ – agencement à la berlinoise, choucroute, quoi.

 

 

Des collections en elles-mêmes, je ne vous dirai pas grand-chose, sinon que j’ai découvert au mini-Orsay un impressionniste allemand qui m’a bien plu, dénommé Menzel. J’ai bien pris des notes, pourtant, j’y ai pensé pour une fois, histoire de pouvoir retrouver les tableaux qui m’ont marqués et qui ne figurent jamais dans les cartes postales vendues à la sortie. Mais ce serait trop long, pas forcément berlinois. Rien de très nouveau : l’époque des impressionnistes me plaît bien et j’ai toujours autant de mal avec la peinture classique, surtout italienne. Eventuellement je me ferai plaisir en reprenant sur un ou deux tableaux à l’occasion.

J’ai également insisté pour aller faire vite fait un tour au musée Bröhan, des arts décoratifs (on n’est pas impunément la fille d’une fan d’art nouveau, qui vous fait traverser les 80km de la banlieue viennoise pour visiter l’un des dix travaux d’Otto Wagner – enchaîner les visites rappelle davantage ceux d’Hercule) et à celui du surréalisme, le Scharf-Gerstenberg, où il y avait du Dali, des délires chouettes, d’autres incompréhensibles et surtout un peu de Magritte. Tant qu’on était dans le coin, on a fait un saut au musée Berggruen. Picasso et son temps : pas mon trip, mais ça se regarde, contrairement à Klee.

 

De son côté, Palpatine a insisté pour aller visiter le Dom, grande cathédrale qui avec sa décoration un rien surchargée compense à elle seule tous les riens de la ville. Que Leibniz soit avec vous.

(fin abrupte d’un post en cadence mineure)

Le touriste et la photo

 

Le touriste enregistre. Cela commence à l’aéroport et se poursuit une fois arrivé à sa destination, touristique, forcément, moins grâce à sa mémoire qu’à l’aide de cameras, en français et en anglais (le touriste, contrairement à l’autochtone, est ou s’efforce d’être polyglotte – ce sont potentiellement les mêmes, me direz-vous, mais il le même n’est pas toujours identique). Les appareils suppléent à la mémoire, cela permet si bien de ne pas oublier, que les choses vues et non regardées ne se décomposeront jamais tranquillement dans un coin du cerveau. Ce serait dommage de recycler quand on peut avoir à tout instant du neuf en ressortant l’album photo – nom très métaphorique que l’on donne au dossier informatique contenant les clichés numériques qui ne seront jamais tirés, ni sur papier glacé, ni au clair. On risquerait de s’y retrouver.

 

Sur place, on ne regarde rien, mais à deux fois. D’une part, on se rend directement aux « monuments », ces grandes bâtisses étiquetées qui nous épargnent de regarder alentours dans la mesure où le « site » est hors lieu (et temps, peut-être, mais justement, chaque chose en le sien) ; d’autre part, on tourne le dos à ce qui est « à voir », parce que la photo refuse de témoigner qu’on a des yeux derrière la tête. A chaque fois que je vois ces grappes qui montrent les dents et qu’un raisin sans raison (c’est ça de laisser tomber des oh ! tout le temps) cueille en prenant soin d’arracher tout le plan avec, j’ai envie de dire au propriétaire de l’appareil que s’il veut prendre le monument, il n’a qu’à dégager ses amis qui le masquent, et s’il veut prendre ses amis, il est prié de ne pas se planter au milieu du chemin. Sans compter que par -6°, on n’en verra pas un grand bout, de ses amis. L’élégance n’est déjà pas l’apanage du touriste (je m’inclus dans le lot : j’ai arpenté le Canada avec un « angel » sur les fesses, Florence en tongs et Berlin en Timberlands et bonnet), mais là, c’est pire que tout.

Le touriste enregistreur s’identifie très bien dans sa version japonaise (il y en avait très peu, d’ailleurs, à Berlin – majoritairement des Français et des Italiens). On est toujours rassuré de se voir loin de la caricature. Quoique… s’il nous faut la caricature pour nous sentir à l’abri, on risque de partager à moindre échelle le trait qu’elle force. Peut-être sommes-nous même pires, car naïvement convaincus de voir les choses pour elles-mêmes. Mes photos ne monument n’ont pas de premier-plan familier, mais les regardé-je pour autant ? Une pellicule de poussière, oui ! Tout juste bon pour à servir de « documents » qui n’illustrent rien du tout (ils ne rendent rien plus clairs, seulement plus colorés – c’est l’encart publicitaire et récréatif des manuels scolaires).

 

 

Vous m’objecterez qu’on peut très bien en être conscient et jouer au touriste, comme Palpatine qui shoot dès qu’il y a un spot, reconnais sans difficulté qu’il ne regarde ensuite plus les clichés qu’il a ainsi pris et me reproche de ne pas être une  « bonne touriste » (reproche motivé par la crainte de devenir à son tour un mauvais touriste, puisque sa batterie étant tombée à plat, en l’absence d’un chargeur, je détenais le pouvoir photographique – qu’avec ma bonté naturelle mais discrète –limitée et autoritaire, donc- je mettais à sa disposition) : « Photographie-nous donc le tombeau au lieu de prendre des détails ! ». On n’a donc plus le droit d’admirer les reflets du Divus Fredericus, il faut admirer sa dépouille la mort dans l’âme. Je suis dans une église et prends des photos : mon attitude n’est pas convenable, mais seulement parce que ce ne sont pas les photos consacrées. Il y aurait donc une essence du touriste. Pourquoi alors notre touriste modèle râle-t-il contre les montreurs de dents qui prennent de « photos de touriste » ?

Mon cobaye m’en apprend autant par sa lucidité (les clichés qu’il ne regarde plus me font prendre conscience de ce que les monuments tombent en ruine dans ma mémoire) qu’à son insu, par ses légères incohérences (on ne joue jamais totalement au touriste, on s’autorise à l’être, et on l’est donc déjà). Après tout, nos photos, pour légèrement différentes qu’elles sont des « photos de touriste » (disons cliché, à partir de maintenant) n’en remplissent pas moins la même fonction, purement sociologique, du témoignage de présence : « J’étais là ! ». Et les amis, pas du tout incrédules, d’être parasités par ce bourdon collant (c’est le sucre, normal, me direz-vous).

 

Sommes-nous embarqués ? La photo inexistante ne risquant pas de devenir cliché, la solution radicale serait de ne rien enregistrer. Mais il faut parier ! Je mise sur les « détails ». Les détails- synecdoques, d’abord, ceux qui évoquent (du moins m’évoquent) immédiatement ce dont ils sont issus. J’ai découvert cela en prenant conscience de ce la photo des vieilles baskets de Dre à côté du drap rose qu’on avait étendu pour un goûter dans le parc du château me rappelait davantage l’après-midi que j’y avais passée que celle où l’on voit Dre allongée sur la dos, le casque sur les oreilles, un paquet d’Oreo près de la tête, en train de lire la brochure d’une université australienne – aussi figée qu’une allégorie, parée de tous ses symboles. Encore heureux que ses baskets n’étaient pas des Converse, c’est déjà assez adolescent comme madeleine. Depuis, je me fabrique mes petits souvenirs, je traficote les cadrages et bidouille des images – interrupteur, qui produisent à coup sûr des étincelles dans les circuits inusités de ma mémoire.

Outre ces détails synecdoques, je cultive les détails qui ne font pas taches et deviennent au contraire aisément autonomes, comme les éléments d’un tableau, qui une fois isolés, finissent par en former un nouveau à eux seuls. Je les cadre et les coupe du terreau où ils ont fleuri ; ce sont mes propres compositions, si modestes soient-elles.

Peut-être, cependant, ne constituent-elles pas pour autant un antidote à la photo touristique, s’il est vrai qu’elles ne retiennent rien ou si peu du lieu d’où elles sont prélevées. Je classe d’ailleurs celles que je préfère ensemble, hors de leur dossier-pellicule d’origine. Je prends les choses qui me paraissent s’animer d’elles-mêmes, qui attirent mon attention et ce sont mes petites obsessions que je retrouve un peu partout, ombres, jeux de reflets, inclusions… Je prends bien davantage que je ne comprends la chose pour ce qu’elle est. Force a été de constater lors de la projection des photos de Palpatine (version geek de la séance diapo) que celles-ci sont beaucoup plus larges que les miennes (et pas uniquement à cause du grand angle, je serais tentée de dire) et correspondent davantage à ce qui est, quand les miennes donnent plutôt une idée de ce que j’ai vu et qui n’a plus grand chose à voir (avec ce qu’il y avait « à voir »). Moralité : je ferais un piètre reporter.

 

Ce n’est pourtant pas faute (enfin, si, justement) d’être entraînée par le mécanisme du clic ; à la flemme de sortir l’appareil et de prendre le temps de faire ma photo, succède la capitulation frénétique, on fera voir et non sentir. Le safari-photo commence (c’est pratique, l’ours est l’emblème de Berlin, il y en a un peu partout). Le moindre bâtiment un tant soit peu ancien ou flanqué de colonnes est alors radiographié, même s’il n’est pas plus esthétique que son voisin contemporain (moderne, encore,
avec une architecture bien déjantée…). C’est là une curieuse suspension du sens du progrès, pourtant si furieusement implantée dans notre inconscient. Ou plutôt une curieuse inversion : tout ce qui vient avant serait plus digne d’intérêt que ce qui lui est postérieur. Il faut croire que l’expérience touristique est régressive (vous noterez à ce jugement que le sens du progrès n’est levé que le temps des vacances)… ce dont on n’aura pas grand mal à se convaincre en constatant les horreurs qui sont vendues aux touristes et que ceux-ci n’auraient jamais achetées dans leur propre pays, qui vend pourtant les mêmes T-shirts idiots aux inscriptions graveleuses, les mêmes mugs à mettre au placard et les mêmes boules de neige qui n’ont pas même la décence de fondre.

Cela participe du mouvement qui cherche à oublier par la fétichisation du souvenir. En vacances, le touriste se veut vide de lui-même. S’il s’autorise ce qu’il condamne en son propre pays, c’est pour mieux se fondre dans la masse et surtout ne pas s’apercevoir de ce qu’il est au contact de ce qu’il n’aurait jamais soupçonné n’être pas ou autre. C’est à l’étranger que je me suis aperçue qu’être français ne se résumait pas à l’arbitraire d’une nationalité sur le passeport, mais what we took for granted, ou plutôt qu’on ne remarquait même pas, constitue pour les étrangers une caractéristique inhérente à notre nation. Du moins telle qu’elle est perçue dans les autres pays. Je ne sais pas si les Français sont mal-aimables, mais ils sont certainement très râleurs en voyages. Et l’on peut avoir des surprises : si les clichés associée à la pilosité féminine sont ici réservés aux pauvres portugaises, ils nous sont aussi impartis outre-atlantique (en prime, nous sommes censées puer – like a French whore). C’est ainsi qu’au stage de danse aux Etats-Unis, je me suis retrouvée à ne pas laisser une seule journée de répit à mon rasoir car les points noirs que les regards cherchaient en scrutant nos jambes, n’avaient rien à voir avec l’acné du visage… On est dans l’anecdote amusante, mais je reste persuadée que cela vaut pour des comportements ou des traits de caractère bien plus essentiels – à tel point que je finirai par croire que non seulement c’est toujours de soi que l’on va à l’autre, mais que l’on se découvre davantage soi que l’autre, que l’on cherche tout juste à connaître. Dès lors, pas besoin d’aller en Papouasie du Sud pour se sentir dépaysé ni de vouloir à tout prix visiter une « belle » ville : Berlin et son rien, loin de me faire nager en plein vide, m’ont ramenée de vacances.