Viennoise au Châtelet

C’est toujours l’effervescence quand on découvre une compagnie dans des chorégraphes que l’on ne connaît pas : on a envie de suivre un visage qui nous a happé mais on ne veut pas perdre de vue la chorégraphie d’ensemble, si bien que l’on a le regard qui sautille en tous sens sur la scène. Trouver des liens avec ce que l’on connaît permet de calmer le jeu. J’ai ainsi trouvé une Polina Semionova dans le corps de ballet et une Marie-Agnès Gillot qui ne jouerait pas à être MAG parmi les solistes. Je me demande aussi un court instant si mon amie V. n’a pas quitté le Capitole pour Vienne, tant la fille qui est devant moi a les mêmes lignes, la même mâchoire, la même façon de danser – bizarre.

La troupe est jeune dans l’ensemble et les filles, particulièrement belles, ont des lignes Opéra-de-Paris : je ne sais pas si c’est l’influence de Manuel Legris que l’on sent ou que l’on imagine, en bons balletomanes monomaniaques. La soirée est en tous cas composée de manière à présenter l’éventail des possibilités de la troupe : la première pièce, très rapide et truffée de levers de jambe, est là pour convaincre les techniciens qu’il y a du niveau (et les hommes qu’il y a de la belle gambette – aucune tromperie possible sur la marchandise avec des costumes réduits à un simple justaucorps) ; la deuxième introduit un peu de sensualité chez les solistes et après les lignes des danseuses, exhibe celles du corps de ballet ; la troisième, masculine, réjouit la balletomane, qui commençait à se demander où les danseurs étaient passés ; la quatrième et dernière pièce est la bonne : la compagnie sait visiblement s’approprier le style d’un chorégraphe et faire oublier le caractère hétéroclite et démonstratif d’une telle soirée.

 

La chorégraphie de David Dawson est du Forsythe-like dans les jambes, twisté à la McGregor au niveau du haut du corps et dansé avec une rapidité balanchinienne. En résumé : du néoclassique qui se regarde fort bien mais risque à tout instant de prendre les danseuses de vitesse, entraînées et presque devancées par le flux de la musique.

Bach est un peu à la danse ce que le noir est à la mode : cela va toujours mieux qu’autre chose mais on a besoin d’un créateur pour retrouver la merveilleuse simplicité de la petite robe noire. Tout en évitant le premier écueil, qui est de danser sur la musique – la surimpression sans rapport d’un geste à un mouvement musical qui n’en a que faire et échappe toujours au poids qu’on veut lui faire porter –, David Dawson flirte avec le second qui consiste à vouloir faire avec Bach comme Noureev avec Tchaïkovski : un pas, une note.

À ma connaissance, l’alchimie Bach-ballet n’a jamais vraiment opéré que par « synchronisme accidentel » dans Le Jeune Homme et la mort, qui n’a pas été chorégraphié dessus (les répétitions se sont faites sur de la musique jazz) mais fonctionne merveilleusement avec : danse et musique s’entendent sans que l’une ne soit assujettie à l’autre. Pourtant, dans la tendance de David Dawson à ne pas vouloir laisser filer la musique, il y a l’avidité d’un amant qui voudrait retenir le corps qu’il caresse, qui lui échappe et qu’il sent à chaque baiser – le frisson de A Million Kisses to my Skin.

Pas de photo, il faut voir en entier ce diaporama.

 

L’électricité laisse place à la sensualité dans Eventide, « la tombée du jour » où les événements refluent pour laisser place à une certaine quiétude. Je n’ai pas retenu grand-chose de ce ballet orientalisant, qui emprunte aussi bien à l’imaginaire des Mille et une nuits qu’à celui de la Chine et de l’Espagne. Mes souvenirs sont à l’image de cette géographie fantaisiste : des alignements de justaucorps blancs, deux lanternes, trois solistes très femmes très belles dans leur court costume bordeaux, un sourire espiègle ou simplement heureux de danser, un panneau lumineux marbré pour un pas de deux dont je ne sais plus s’il était langoureux ou espagnolisant, et des hommes dans le costume le plus laid que j’ai jamais vu, un cycliste en lycra gris-bleu remontant jusqu’aux côtes avec un plastron qui donnait vraiment l’impression d’être une tâche de sueur – une touche de laideur plus prégnante que la chorégraphie tranquille d’Helen Pickett : les souvenirs sont injustes.

 

Quoique Windspiele évoque la légèreté du vent, la chorégraphie de Patrick de Bana me fait plutôt penser aux effets massifs de Thierry Malandain – à moins que ce ne soient les costumes d’Agnès Letestu, d’amples jupes lourdes pour les hommes, torses nus, et de longs jupons vaporeux pour les deux filles, associés à des tuniques qui leur font de belles épaules athlétiques. Belles, oui, car il y a une beauté dans la puissance et la détente des muscles, comme il y a une beauté propre à tout ce qui est lourd, massif, imposant. Il semblerait que beaucoup n’aient pas goûté à cette chorégraphie en bloc, qui n’hésite pas à employer les effets grandioses du 1er mouvement du concerto pour violon de Tchaïkovski ; cette grandiloquence me plaît comme un rythme ternaire d’Hugo : c’est trop mais c’est assumé. Et puis, surtout, il y a cet immense danseur qui occupe la scène. Tout le monde se demande d’où sort ce dieu nordique. Ses sauts sont formidables – pas formidables comme le feu d’artifice d’Ivan Vassiliev : formidables comme les prouesses d’un guerrier. Le programme indique Kirill Kourlaev mais je ne suis pas dupe : c’est Thor, c’est évident ; il a lâché le marteau pour la danse et ne nous en assomme que mieux. Je l’ajoute donc illico à la liste des artistes à kidnapper.
 

Windspiele, Kirill-Kourlaev / Wienerstaatsballet, photo de Michael Poumlhn

Photo de Michael-Pöhn 


Vers un pays sage m’a donné envie de découvrir l’univers de Jean-Christophe Maillot, malheureusement peu programmé à Paris (ou alors, j’ai loupé un épisode). Tout en blanc, les danseurs (et la musique de John Adams) me font penser aux marins des comédies musicales, entres sauts survitaminés et passes de simili-rock enjouées. La pièce, très lumineuse, part de leur entrain pour se diriger vers le lyrisme des danseuses-proues – le pays sage, sûrement, dessiné sur une toile tombée de nulle part (mais héritée du père du chorégraphe) au terme d’un magnifique pas de deux.

 

Une bonne soirée, au final. Un programme mixte est l’occasion de picorer et l’on finit toujours par trouver quelque chose à son goût – typiquement le genre de spectacle où j’amènerais une personne qui veut découvrir la danse et ne sait pas par quoi commencer (je me suis d’ailleurs retrouvée juste à côté de l’une de mes camarades de master de l’an dernier).

Mit Palpatine.

Je stoppe, tu stop, il spotte

You’d better stop ! pour que les Don Quichotteries sur le toit de l’Opéra ne se transforment pas en sketchs toonesques.

 

Vienne et surtout Londres ont confirmé ce que Berlin avait annoncé : Palpatine est un spot-addict. Dès qu’un bâtiment remarquable ou une vue surplombante pointe le bout de son museau sur une carte ou au bout d’une rue, il faut approcher la curiosité, et s’assurer qu’elle ne nous prenne pas de court en la prenant en photo.

Au début, je trouvais irritante cette manie touristique qui nous rapprochait sans cesse des lieux communs, i.e. banals et surpeuplés, quand bien même désertés par les populations indigènes. Videndum est ; comme s’il était besoin de s’embarrasser d’adjectifs verbaux en vacances… Impératif d’autant plus pressant qu’il est pressé : les photos sont arrachées au spot, c’est à peine si l’on prend le temps de cadrer.

Tout à l’heure au téléphone, Melendili me racontait son voyage à Londres et notamment le premier jour où, G. et elles ont joué à Où est Charlie devant Big Ben, Où est Charlie devant Tower Bridge, Où est Charlie à Westminster Abbey etc. parce que G. s’était fait payer le voyage par sa tante et qu’il fallait bien une caution de visite avant de se lancer dans le shopping, de flâner dans les parcs et d’écrémer les salons de thé. Mais Palpatine n’a de comptes à rendre à personne (hormis son banquier après avoir descendu Savile), aucune souris n’a été volontairement cadrée dans le viseur (sauf une dont je me passerais et dont j’interdis la diffusion), et on serait bien en peine de trouver un autoportrait dans la memory stick de son appareil.

 

Moment de flottement, donc, sur le beau Danube parfois bleu.

 

Et puis, en le voyant étudier la carte de Londres pendant une bonne vingtaine de minutes dans l’Eurostar, j’ai compris que sa manie de spotter n’était pas superficielle mais plane. Les points remarquables deviennent autant de repères qui organisent l’espace, et l’absence de cadrage, des plans larges qui replacent le lieu dans son espace – ce que signifie en réalité l’envie de « montrer comment c’est réellement ». Bref, zoom out. Le spot n’a d’intérêt que par rapport au non-spot. Il s’ensuit que :

  • le spot en lui-même, on s’en colle un peu (agaçant quand on a marché des kilomètres pour le trouver, agréable lorsque cela m’évite de visiter à nouveau le palais de Schönbrunn en lui-même, et permet une plus longue promenade dans le parc). Un clic-clac et ça repart ; pas besoin d’aller sur Mars.

  • Vienne a mis le spotteur dans l’embarras. Dans les rues d’immeubles massifs et meringues, tout est spottable, et rien ne l’est. Rien en particulier, pas plus le mastodonte jaune sur la droite que l’archi-ouvragé blanc sur la gauche ; c’est le Ring, Palpatine tourne en rond et shoot ses adversaires au hasard. Il s’est alors trouvé dans l’obligation, pour conserver son concept, d’en inventer une nouvelle variante : le spot homéopathique, dilué dans la ville.

 

Au pas de course, Mimy se prend pour Cortex
(et je déteins, parce que ce n’est pas moi qui ai ensuite eu l’idée de cadrer les touristes sous les sabots du cheval pour les écraser)

Vu ainsi, tout en participant au safari-photo, je peux moi aussi jouer à Où est Charlie ? Œil pour œil, sans aucune dent, je préfère poursuivre ma spécialisation ès cadrages bizarres ; les détails qu’ils découpent trouveront toujours dans ses photos les plans panoramiques dans lesquels ils se réinscrivent. Conclusion : j’ai épuisé les piles de mon appareil en réglage de zoom, Palpatine a grave spotté, et ce verbe barbare (ou barbarisme verbeux) m’a collé une affreuse ritournelle dans la tête, « on va spotter ! sur une étoile ou sur un oreiller… ».

 

Pause pub

(on ne voit pas très bien avec le contre-jour, mais le montage est fort bien réalisé, les fruits ne font pas vieilles peaux)

 

Au pays de la Wurst aussi, on prescrit cinq fruits/légumes par jour. Pour atténuer la folie des alicaments, on rappelle que ce sont les merveilleux fruits de notre nature, même si parmi les arbres l’on aperçoit juste derrière le panneau un pylone en béton très assorti au gris de la plaquette. Pour faire passer la pilule, messieurs, vous pourrez toujours l’avaler avec une nana bière de votre choix :

 

Widerschein

Doppelgänger : Demel, deux touristes

 

Pas de jeu des sept erreurs possible. Il est en revanche possible de chercher à quels monuments correspondent les reflets.
Pour s’échauffer, un cheval blanc d’Henri IV – non, ce n’est pas une statue équestre.

 

 

Allez, un vrai :

 

 

Faisons comme l’ombre du monsieur, grimpons en difficulté…

 

 

… pour atteindre le stade de l’anamorphose :

 

 

Keine Ahnung ?

 

 

Débouler à Vienne

 

Le bureau des boulets, bordélique.

 

Au commencement, il y avait des boulets : Palpatine et moi. Qui n’ont néanmoins pas toujours bouleyé, en témoigne l’escapade au cimetière de Grinzing, rondement menée, tombe de Mahler trouvée sans große malheur.

Mozart, lui, ne repose pas vraiment en paix s’il est vrai qu’on ne cesse de lui manger le nez les couilles la couille. La Kugelmozart est pourtant une confiserie à déboulonner, inventée après la mort de celui dont elle usurpe le nom. Second scoop (histoire de le rétablir dans sa virilité) : le compositeur n’est pas rock, comme on voudrait nous le faire croire, mais bien disco, ainsi que le (ré)clamait cette boule à facettes :

 

 

Si vous avez trop chaud à force de vous agiter sur la piste de danse, secouez plutôt la boule de neige du Belvédère pour vous rouler des pelles made in Klimt (et un râteau artistique) ou prenez deux boules de glace bon marché, dans un Tüten chocolat noisette qu’il ne faudrait pas Becher (lécher suffira).

 

(au milieu du fratras)

 

A finir avant de rester bouche bée devant les immeubles de Hundertwasser, architecte ayant perdu la boule au point de nous pondre cette usine délirante :

 

 

La cerise sur le gâteau n’en reste pas moins la grosse boule dorée du pavillon de la Sécession, imaginé par Otto Wagner (qui a commis une affreuse poste) et Gustav Klimt (deshalb es ist schön), réalisé par Josef Maria Olbrich.

 

 

Article sponsorisé par l’omnipotente Austriabank qui règne sur le petit monde autrichien,

 

avec en partenaire non-officiel une Wurst non-autrichienne, parce qu’avec Knacki ball, c’est bon d’avoir les boules.

 

 

 

Se mettre en boule sur une boule rebondissante –
en velours bordeaux, nous sommes au Belvédère s’il vous plaît !
J’avais très envie de repartir avec une sous le bras,
mais outre le peu d’assise (une boule roule par définition),
cela n’aurait pas été très discret.