Les deux font l’affaire

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Cet automne-hiver, les publicistes voient double. Mais ont-ils trop bu pour autant ?

Il n’est pas rare que les marques mettent en scène des groupes : c’est commode pour montrer plus de fringues et donne un petit air de convivialité qui ne mange pas de pain. Mais il s’agit ici d’autre chose. Notre comportement social a beau être mimétique des autres, nos attitudes sont rarement un décalque de notre voisin. On s’amuse à dix ans à faire des pas chassés pour caler son pas sur celui de notre campagnon de promenade, pas à millimétrer notre foulée en forêt – en talons, évidemment (quoi, vous ne courrez pas en forêt en talons ?). Les deux messieurs de chez Lanvin ne sont pas assez nombreux pour swinguer en chorus line et, quelle que soit l’ébauche de mouvement, elle est figée par le redoublement. Arrêt sur image. L’attention est gagnée, reste à voir comment elle s’exerce.

Différences minimes, les tenues sont assez semblables pour qu’on ne puisse s’empêcher de les comparer et Bocage a même poussé le vice jusqu’à prendre la même mannequin afin que l’on ne soit pas tenté de comparer les filles plutôt que les produits et que le jeu des sept erreurs aboutisse nécessairement aux chaussures. Vice ou astuce marketing si vous préférez : entre les deux paires de chaussures, les deux robes ou les deux manteaux, vous élisez spontanément celui que vous préférez et cette simple réaction induit implicitement que vous l’appréciez. L’attention portée à la publicité se transforme ainsi insidieusement en goût pour ce qu’elle vante – ou, si votre dégoût des robes à fleurs est ancré trop profondément, du moins avez-vous lié une connaissance particulière avec la marque. 

Ce comportement économique a déjà été identifié par Dan Ariely. Soulagés de trouver des choses comparables, nous nous hâtons de choisir le terme positif de la comparaison en oubliant les autres alternatives – incomparable(ment meilleure)s ? La non-fiction rejoint la fiction : Kundera avait raison de dire que lorsque nous disons préférer une personne A à une personne B, cela ne signifie pas que l’on aime A (même si tel est par ailleurs le cas) mais que l’on n’aime pas B. Le manteau moumoute de Vuitton est vraiment affreux.

Pause pub

(on ne voit pas très bien avec le contre-jour, mais le montage est fort bien réalisé, les fruits ne font pas vieilles peaux)

 

Au pays de la Wurst aussi, on prescrit cinq fruits/légumes par jour. Pour atténuer la folie des alicaments, on rappelle que ce sont les merveilleux fruits de notre nature, même si parmi les arbres l’on aperçoit juste derrière le panneau un pylone en béton très assorti au gris de la plaquette. Pour faire passer la pilule, messieurs, vous pourrez toujours l’avaler avec une nana bière de votre choix :

 

Le détour du plaisir

« Aujourd’hui, je l’ai fait », sous des mines extatiques et rien d’autre, pas une marque (sauf peut-être à l’état de trace, l’empreinte de la couleur orange) : la technique marketing m’a rappelé la stratégie d’une campagne anti-tabac il y a quelques années, lorsqu’un message aveugle, « un ingrédient toxique a été découvert dans un produit de consommation courante », avait semé la panique – dans le monde de la communication, à tout le moins. « Je l’ai fait » : associé à un verbe d’action si vague, le pronom anaphorique sans référent est bien défini – le sexe est brandi comme la Revanche de l’individu sur la société, pensons-y toujours, n’en parlons jamais (encore qu’on pourrait se demander si, au contraire, on n’en parlerait pas tout le temps pour n’y penser jamais).

On a un moment de doute quand est ajouté (indice ? fausse piste ?) « avec un ami »en bas d’un visage masculin, mais après tout, l’homosexualité est tendance. Quelques jours plus tard, les affiches ont été remplacées dans le métro et, les nouvelles dûment complétées, on a pu découvrir le commanditaire, ING. De pas terrible, la campagne publicitaire est devenue ridicule : à qui l’ouverture d’un livret-épargne provoquerait-il un orgasme ? (peut-être à Picsou s’il n’est pas déjà impuissant, et encore, je doute qu’un compte vide le comble ; il faudrait au moins attendre le versement des intérêts).

 

Alors que l’allusion sexuelle est purement gratuite et ne s’avère donc pas vraiment payante, elle prend en revanche tout son sens dans la campagne Suchard : sexe et gourmandise ont en commun le plaisir. Comme ces choses-là se font de préférence à deux, les affiches vont la plupart du temps en couple (même si quelques solitaires ne boudent pas leur plaisir), ce qui assure du régime de la métaphore (et ruine par la même occasion celui que vous aviez peut-être commencé, à base de légumes).

 

 

Montrer un rocher nu ? What’s the point ? me suis-je demandé, pas très réveillée, la première fois que j’ai vu la publicité. La lecture de celle qui la jouxtait m’a rappelé qu’il ne fallait pas déconner, « pas avant le mariage !», la chose est entendue.

 

 

La troisième affiche, je l’ai entraperçue alors que le train passait dans une gare où il ne marquait pas l’arrêt et n’ai eu le temps de saisir que les derniers mots « ou plutôt chocolat ? ». Parfait pour attiser l’envie la curiosité, parce qu’une alternative au sujet d’un rocher Suchard ne me semblait pouvoir être qu’entre chocolat noir et chocolat au lait (dilemme auquel ‘ai été confrontée il y a peu et que je n’ai résolu que par le recours au hasard – le choix d’indifférence est le pire et ne peut se résoudre que par une apparente indifférence).

 

 

Passer et repasser devant ces affiches donne envie de mettre un gros truc dans sa bouche : ce bloc de chocolat, c’est vraiment énorme. Pas du tout nu, puisqu’enrobé de chocolat par-dessus les noisettes, mais brut, ce rocher écrase l’érotisme de pacotille de la publicité et se déguste avec humour. Le dégradé lumineux ne voile aucune peau, faussement pudique ; il permet juste de rendre le relief des noisettes sans l’écraser au flash (nouvel écueil trash évité). Sauf lorsque les vitres du métro projettent sur le rocher le visage lascif du mannequin de la pub pour le Bon marché… pas de regards langoureux, de lèvres entrouvertes, ou de cuisses écartées, rien que le chocolat. C’est précisément grâce à cette simplicité que les commentaires, a priori pas spécialement indiqués pour vanter une friandise, sont à sa (dé)mesure : énormes. Le registre sexuel est explicite sans rien avoir à montrer, si bien que le sous-entendu se déplace vers le décalage entre le produit et sa mise en bouche, c’est-à-dire du côté des codes publicitaires. L’auto-dérision a déjà donné de bons résultats, comme le spot télévisé Herbal essence, ou il y a un peu plus longtemps cette affiche :

 

 

venue à point nommé après la controverse sur Babette :

 

 

(d’autant plus drôle que c’est une femme qui porte le tablier et que c’est elle qui tient le fouet)

 

A force de taper sur leurs propres créations, on se dit que les publicitaires seraient plus cuir que chocolat, mais que leur importe s’ils jouissent des faveurs des consommateurs ? Le « retour du plaisir », c’est avant tout une stratégie marketing qui jette un rocher dans la mare des 0%. Puisqu’il est ringard de dire qu’une chose est bonne (à moins d’ajouter « pour la santé »), que ce détail ne peut être qu’un avantage optionnel, et que le Suchard est trop calorique pour avancer ces arguments de poids (plume), il ne reste plus qu’à se coucher, le plaisir semblant aller davantage de soi au lit qu’à table (pas pour tout le monde non plus. Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus, de la pseudo-analyse catho ou du commentaire sur le carême). Un peu d’humour, voilà pourtant ce qu’on réclame en grandes lettres. Le slogan, lui, peu humoristique de nature, est relégué en bas de l’affiche, écrit minuscule. Le plaisir se fait tout petit, face à l’humour et au sexe : on va le manger. Retour ? Le détour du plaisir, plutôt… Le retour n’est autre que celui qu’on peut escompter sur l’évolution des chiffres de vente. Au plaisir de vous revoir. On l’a toujours SUchard et on ne va pas en faire un rocher.

 

La vie comme un compte

 

Tout conte fait

 

Alors que la mode est aux airs langoureux et aux cuisses écartées, Hermès table sur un tout autre registre, celui des contes. J’ai d’abord – rendue sensible par l’engouement de Miss Red, à qui le conte est ce que le mise en abyme est à moi ?- été arrêtée par cette image-ci :

 

 

On reconnaît sans peine la princesse au petit pois, même si on met un certain temps à distinguer ce dernier (si, si, il y est, entre la main et la fin de la tresse qui nous y guide). Je trouve cette affiche particulièrement bien pensée : l’exigence de la cliente se métamorphose en sensibilité de princesse, et la finesse de la perception se confond avec celle de la soie.

 

Je suis alors partie en campagne (publicitaire – « La vie comme un conte ») et n’ai pas tardé à croiser moults êtres féminins de l’univers des contes.

Êtres féminins, parce qu’il va de soi qu’on ne peut être charmée que par le luxe et que les princes sont tout justes bons à être vendeurs.

L’univers, parce que les origines sont très diverses : contes traditionnels (Anderson avec la petite sirène et la princesse au petit pois, Perrault avec Cendrillon) se perdant dans le folklore indéfini  (la jeune fille à couronne de fleur pourrait être une nymphe ou une dryade de n’importe quelle tradition),

 

 

contes orientaux (la lampe d’Aladin, pour éclairer quelques mille et une nuits) et littérature qui, pour merveilleuse qu’elle soit (Alice), n’a pas grand-chose à voir avec une tradition orale. L’ensemble est très hétérogène, mais on s’en soucie assez peu, dans la mesure où il est davantage fait appel à l’imaginaire collectif (assez Walt Disney sur le fonds) que référence à des œuvres particulières.

 

 

[La jupe n’a pas suivie lorsque Alice s’est mise à grandir soudainement…]

 

 

Invitation au voyage

 

L’évocation est si allusive que ces personnages de conte sont arrachés à leur contexte d’origine et rempotés dans un ailleurs indéfini, celui du voyage et de l’évasion. Nous ne sommes pas en terra incognita, mais bien sur une île déserte, coupée de notre monde mercantile (on vous vend une image -de marque-, pas des produits), où tout n’est que ciel et mer à perte de vue. Où tout est possible, y compris mettre ses carrés Hermès à 200 euros dans le sable. Où tout n’est que luxe, calme et volupté : vous pouvez avoir un petit pois dans le cerveau, du moment que vous n’êtes pas chiche, allongez-vous donc, chère princesse, faites comme au spa – le massage cardiaque n’est pas compris après réception de l’addition.

 

 

Pour rejoindre ce paradis fiscal, c’est simple : vous n’avez qu’à voler ! On m’annonce dans l’oreillette qu’en l’absence de Wendy, cela pourrait être mal interprété. Il vous reste donc le choix entre le bateau, dont vous entendez peut-être déjà la petite sirène, ou l’avion – pourvu que vous vous y preniez avant minuit, vous devriez trouver chaussure à votre pied avec Air France qui fait la paire.

 

 

 

 

 

Marques de mythologie et mythologie de marque

 

C’est qu’on s’y connaît en voyage, chez Hermès, placé sous la tutelle du dieu éponyme. Quoiqu’invisible, apercevez sa présence ailée, qui talonne de près les fées. J’admets qu’un tel lien est un peu cavalier ; c’est pour ne pas oublier que la maison est à cheval sur ses origines. Réincarnation de l’écuyère, la princesse au petit pois se confond avec sa monture dont ce n’est plus la queue qui est enrubannée mais la tresse de sa cavalière.

 

 

Le petite sirène, quant à elle, n’a nulle envie de marcher, seulement de mettre le pied à l’étrier. Si le motif ne du foulard ne suffisait pas à faire passer le message, elle vous l’aurait délivré par courrier ; il attend dans sa sacoche qu’Ulysse passe par là. Si le dieu messager pouvait accélérer le passage et la perte du malheureux… parce que contrairement à son destin dans l’épopée mythique, le mari de Pénelope ne s’en sortira pas – avant d’avoir vidé son compte de fée. Elle vous en prie. N’est-ce pas merveilleux ?

 

 

Inculture pub : la campagne de Surcouf n’est pas ma tasse de thé

 

 

J’étais presque surprise que la négation soit restée intacte après une telle torture infligée à la langue : « On ne choisit pas sa famille, on choisit plus ou moins ses amis alors choisissons vraiment son ordi. » Sans parler de la logique tout à fait discutable de cet aphorisme publicitaire (quel rapport entre la famille, les amis d’un côté et l’ordinateur de l’autre ? – mis à part peut-être pour le geek intégral qui remplace les premiers par le second) ou du paternalisme dont on fait preuve à l’égard du client (pauvre chou qui ne savez pas faire la différence entre fréquentations de bon ton et amis véritables, ne seriez-vous pas une victime ? Pas d’inquiétude, Surcouf est un ami qui vous veut du bien), cette publicité pour Surcouf est une abomination grammaticale. J’imagine sans peine le publicitaire qui a choisi le pronom indéfini de la troisième personne du singulier parce que ça parle quand même vachement mieux au client un peu bœuf, et dont l’élan bute sur l’injonction à mi-chemin de sa rude tâche.

Hum, non, rien à faire, choisis, choisissons, choisissez, y’a pas choisit ! Que faire dans un cas si contraire ? Puisqu’on ne veut pas de nous trop majestueux, pas question de tout recommencer depuis le début et de réécrire le slogan, on change en nous en cours de route. Mais il faut montrer qu’on n’a pas oublié, alors on revient à la charge avec l’adjectif possessif du singulier au lieu du pluriel. Non mais c’est vrai, quoi, puisqu’on ne choisit pas sa famille, autant lui choisir son ordinateur et lui offrir un truc bien pourave qui lui pourrira la vie, c’est une super vengeance, au moins aussi belle que celle du publicitaire contre la dictature des dictées enfantines. Puis d’abord, sur l’ordi (qui se souligne, parce que nul n’aime être diminué), le correcteur orthographique et grammatical veille au grain, alors ne viendez pas m’embrouiller le pois chiche avec ça, même Cicéron c’était pas toujours carré.

 

 

 

Vous entendez la souffrance du publicitaire ? Ne l’embêtons pas trop avec son français, admirez plutôt son travail graphique, tout ce rouge si puissamment communiste, ça parle au peuple, non ? Mais si, voyons, le vulgus pecus qui se baffre de pizza tiède en calbute, cette allégorie du glamour contemporain ! De la propagande écrite en blanc sur rouge, y’a que ça de vrai, ce sont les bonnes vieilles méthodes qui marchent. Comment ça la comm’ des communistes n’était pas hype ? Même les hypermarchés capitalistes se la sont réappropriée ; n’allez pas prétendre que vous n’avez pas vu la super promotion sur la côte de bœuf 100% pur bœuf avec astérisque de chez Carrouf ou Lidl, bande de moutons. Les ordis doivent se vendre comme des petits pains, alors on fera comme s’ils étaient au même prix, qu’il y aura même pas besoin d’avoir été sage, si c’est pas cool, ça, après avoir choisi un modèle pourri pour votre famille non choisie.

 

*Pop ! goes my heart*
Sans Hugh Grant, c’est juste ringard.

 

Comme la campagne publicitaire de Surcouf a quelques décennies de retard, on pourra bien tolérer que les murs du métro gueulent encore en plein moins de janvier qu’un « vieux barbu court dans les rayons en criant qu’il n’aura jamais fini avant le 25 », on n’est plus à ça près.

 

 

D’autres marques profitent de la dernière vague de Noël avec un peu plus de subtilité, comme Lipton dont les sachets font davantage penser à un sapin ratatiné sous les décorations qu’à la splendeur pharaonique invoquée. Avec ces petits monticules pyramides de verdure, Lipton atteint son sommet : c’est presque du thé. Il ne faudrait tout de même pas nous prendre pour des bleus, ça reste un déguisement du Yellow, cousu de fil blanc : au bas de la piste, l’étiquette jaune est là pour nous le rappeler. A vos marques, prêts ? Infusez !