Une jeune fille qui va bien
« On n’a pas la peste, quand même », mention juive sur la carte d’identité, confiscation de biens : la bande-annonce comprend la quasi-totalité des références du film au sort des Juifs. De fait, le film de Sandrine Kimberlain, et c’est là son intelligence, n’est pas un film sur les Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, c’est un film sur une jeune fille qui se trouve vivre à cette époque et être d’une famille qui allume des bougies pour Shabbat. Juive, elle le devient par le port de l’étoile jaune ; sinon, c’est surtout un sacré numéro, sœur espiègle, amoureuse aux grands yeux, et apprentie comédienne. Oui, c’est vrai, elle a une curieuse tendance aux évanouissements, mais pourquoi envisager la menace latente quand on peut très bien les expliquer par l’anxiété face au concours d’entrée au Conservatoire ?
C’est toute la force du film de réussir à reléguer-refouler l’arrière-plan historique le temps de nous faire vivre les émois et les élans enthousiastes de cette jeune fille comme les autres – juste un peu plus piquante, plus irrésistible, parce que la caméra suit la double comédienne avec un regard amoureux. Rebecca Marder, de la Comédie française, surjoue-t-elle comme actrice de cinéma ou joue-t-elle seulement à merveille ce rôle d’apprentie comédienne ? Un ange passe. Un troupeau d’anges passe. À vrai dire, ce serait presque la marque stylistique de Sandrine Kimberlain, dont on reconnaît le style de jeu même quand elle se trouve derrière la caméra.
On est là à se dire que c’est agaçant à ravir, à attendre les baisers du bel assistant ophtalmologiste et les résultats du concours d’entrée au conservatoire, quand l’écran noir de fin nous prend par surprise. La réalisatrice évite si bien la position surplombante du destin rétrospectif qu’on se retrouve soudain dans celle de toutes ces vies, toute cette vie : fauchée.
Crazy stupid love (Netflix) : comment ai-je pu passer à côté de cette pépite pendant tant d’année ? Emma Watson, Ryan Gosling, Steve Carell et Julianne Moore nous offrent une comédie romantique qui n’oublie pas d’être d’abord une comédie, aux répliques parfaitement écrites et envoyées. Il se peut que des coussins aient été maltraités pendant le visionnage.
Passing (Clair-obscur en VF sur Netflix) : la photographie est splendide, même si, comme le fait remarquer le boyfriend, on sent un peu trop l’école de cinéma : quand on visionne le film sur tablette et qu’on ne peut pas se promener dans l’image, on retrancherait bien quelques (dixièmes de) secondes à chaque plan. Un peu lent-long, donc, mais splendide. Et déroutant : l’amie d’enfance de la protagoniste, Afro-américaine pâle de peau, se fait passer (d’où le titre Passing) pour blanche… y compris auprès de son mari raciste. Cela m’a plongée dans une perplexité sans fin, le visage de l’actrice ne laissant pour moi aucun doute sur (une partie de) ses origines. Je me suis mise à scruter les mille nuances chromatiques de peau noire, moins noire, jamais noire en réalité dans ce film en noir et blanc, la couleur oscillant en fonction des éclairages, à contre-jour, au soleil, en soirée, dans le regard des uns et des autres… jusqu’à abdiquer : la photographie du film révèle la couleur de peau comme statut social.
Celle qui prend la lumière, c’est cette femme blonde qui regrette de s’être coupée de celle qu’elle était ; pour goûter à une vie authentique, qui ne lui est plus permise, elle s’immisce dans celle d’une ancienne amie, jusqu’à faire surgir la rivalité. J’ai été bien contente de regarder le film sur tablette, à la fin, lorsque le retour sur image s’est avéré nécessaire pour lever un doute… et installer une ambiguïté prévue par le scénario. En arrêt sur image, j’ai vu ce que je voulais voir : un bras contre un corps ; mais pas ce que je voulais : s’il pousse, protège ou accompagne dans le moment fatidique du passing away.
The King (Netflix)
Moi au boyfriend : » Je suis contente de l’avoir vu avec toi, parce que je ne l’aurais pas regardée seule », sous-entendu : il me faut quelqu’un pour me dire quand la guillotine est tombée, que je puisse de nouveau regarder l’écran.
Le boyfriend en réponse : « Je suis content de l’avoir vu avec toi, parce que je ne l’aurais pas regardé seul non plus, c’est trop girly. »
GIRLY.
Les mecs se défoncent en armure au marteau dans la boue, dans un contexte où la politique internationale est un concours de bites géant, mais c’est trop girly. Matez un peu le pouvoir de mon crush de cougar sur le boyfriend : il suffit qu’il y ait Timothée Chalamet (et Robert Pattinson) au casting pour que le film devienne girly. Du coup, pour la rubrique « genre » de la critique de Télérama le jour où le film passera à la télé, je propose : Thimotée Chalamet en armure.
Et sinon, à part ces querelles de mec/meuf et le fait que « Chalamet a la classe quoiqu’il fasse, ce con » ? On a affaire à un souverain dans la veine platoniste, qui hérite du pouvoir alors qu’il n’en a pas la moindre envie, tente de calmer le jeu autour de lui, et s’y trouve embarqué en essayant de ne pas devenir ce qu’il méprise. J’avais découvert ça avec The West Wing, série sur la gestion de la Maison Blanche par un équipe de good guys embarqués en realpolitik : autant je déteste suivre l’actualité politique ou apprendre l’Histoire, autant j’adore observer les tensions entre les impératifs moraux et les enjeux du pouvoir (la politique versus le politique, peut-être).
Normal People (FranceTV)
Ici aurait du se trouver une série de screenshots de tendresse, main sur la nuque. J’avais besoin de ça en février.
Je suis tombée amoureuse du personnage, ai-je dit à Melendili qui m’a conseillé la série. Elle a renchérit sur son personnage à lui. Je pensais à elle (beaucoup trop de tentations d’identification et d’homo-auto-érotisme avec les premières de la classe maigrichonnes). Leurs parcours sont tracés avec beaucoup de justesse – et de malentendus à base d’auto-sabordage (communiquez, bordel)(et n’attendez pas pour aller chez le psy).
J’ai rarement vu des scènes de sexe-tendresse si belles – même si, à la fin de la série, je me suis rendue compte avec une pointe de déception que c’était très phallocentré : le SM soft existe, la tendresse aussi, mais pas le cunni.
Je rebondis sur The King qui est le seul film que j’ai vu de ta liste, et que j’ai a-do-ré. Et en te lisant je me suis dit que le film avait en effet quelque chose de très féminin dans sa sensibilité et son esthétique. En regardant son équipe, je vois que c’était une femme qui était directrice artistique, peut-être est-ce ce qui me parle ainsi ?
Pas certaine de percevoir la sensibilité féminine là-dedans, ni même de savoir ce que je pourrais mettre sous ce terme, mais ça me va déjà mieux que « girly ». ^^