Comme au feu d’artifice

Les gens sont rassemblés dans le noir, lèvent la tête et poussent des oh ! et des ah ! émerveillés à chaque explosion. De virtuosité et de joie, s’il est vrai que le Don Quichotte du Bolchoï est un véritable feu d’artifice. Ah ! Ossipova s’est littéralement jetée à la renverse dans les bras de son partenaire. Oh ! Ivan Vassiliev la lance à bout de bras dans les portés en écart. Et quand il enchaîne des sauts qui ne doivent même pas avoir de nom tellement ils en combinent de différents, on ne peut retenir un petit rire. Ce pourrait être une démonstration de technique insolente, mais la virtuosité n’est que l’échappatoire d’une énergie folle. Fougueux, éclatant, magnifique, formidable… vous pouvez prendre tous vos adjectifs, bien les malaxer et en faire une petite boule que vous jetterez sur scène pour qu’elle soit à nouveau envie (en un mot comme en deux). Voyez-vous, je crois que je suis devenue un peu amoureuse de cet artiste. De son passage aux étés de la danse, j’avais gardé le souvenir d’un réjouissant bourrin au regard fou de Courbet et aux cuisses en ballon de rugby ; je n’avais pas remarqué à quel point il est BEAU (à prononcer « bo », avec une explosive, comme si c’était un juron – de fait, j’ai souvent tendance à en ajouter un à cette exclamation : « Il est beau, bordel !»). Ni qu’il pouvait faire paraître de la finesse, comme ses jambes en collant noir. Il s’amuse, sa partenaire le provoque, ils s’aiguillonnent l’un l’autre. Leur danse est exultation. Après sa première diagonale, A. me demande si Vassiliev est remboursé par la sécurité sociale. C’est vrai qu’il mettrait une dépression KO en deux temps levés trois mouvements. Ossipova est aussi une folle furieuse : elle attaque sa diagonale à coup de sauts de chats balanchines et ses glissades se transforment en sauts écarts. Pas étonnant qu’elle ouvre la bouche dans ses temps de flèches qui explosent, paumes ouvertes, vers le ciel : rien que de parfaitement jouissif. C’est toute sa danse qui est un cri, désir et joie à l’état pur. Et quand ils dansent au premier acte dans un cercle d’une foule enthousiaste, je pense aux cercles qui se forment autour des danseurs de hip-hop. Voilà de la danse, par-delà le « classique » dont on ne sait plus trop ce qu’il est quand il est si bon. J’ai retrouvé au centuple l’entente complice dans laquelle nous avions répété une version simplifiée de Don Quichotte lors de mon stage aux Etats-Unis, où l’on se sentait appartenir à un groupe (et les fous rires qu’on cachait sous les éventails lorsque l’un des matadores murmurait sous cape un juron français qui lui plaisait particulièrement, parfaitement incongru, sans raison autre que nous faire rire par son accent, fiiiis de pioouute).

Toute la troupe est incroyablement vivante. Si jamais on ne m’offre pas Vassiliev pour mon anniversaire, devant qui je pourrais m’assoir et battre des mains en criant « encore ! encore un tour de manège », je veux bien le toréro qui se déboitait le bras dans le maniement de la cape et glissait sa main le long du bras levé puis du buste de sa partenaire comme s’il dansait le tango. D’une manière générale, lorsque tous les toréros avancent à petites foulées, bras raide en métronome, je suis prête à comprendre l’attrait que je n’ai jamais trouvé aux uniformes. On en aura confirmation à la sortie des artistes : la beauté slave n’est pas un mythe. Même en jean de beach boy des années 1980, les garçons sont canons. Et les filles seraient presque toutes mannequins si elles savaient faire les potiches. Je me délecte à regarder la soliste en orange (*orange power*) et ne suis pas la seule : avec A. nous chaussons nos jumelles quasiment en même temps à chaque fois. Nouveau rire. Pour finir le tour des solistes, il faut la fascinante danseuse aux cambrés de contorsionniste-illusionniste et l’adorable Cupidon, qu’il faudrait nourrir de toute urgence si on veut avoir une chance de la revoir lors de la prochaine tournée du Bolchoï. Et oui, un Cupidon, parce qu’on a calé une apparition en songe de Dulcinée dans le deuxième acte. A. a raison de dire que « c’était une bonne idée de mettre un acte blanc ». Don Quichotte est un joyeux fourre-tout : de l’espagnolade, et avec ça ? Vous me mettrez un peu de Tsiganes et de créatures romantiques. Parce qu’il ne faudrait pas oublier complètement la couleur locale, l’acte blanc sera seulement délavé, avec des tutus pastels autrement plus assortis que ceux du théâtre de Saint-Pétersbourg. Kitsch, vous dites ? Je ne l’admets qu’au sens kundérien alors, comme négation de la mort, joyeusement jouée par Basile pour attendrir le père de Kitri. Lorsque je vois le couple à la sortie des artistes, sourire aux lèvres et alliance au doigt, je repense à la main baladeuse de Basile, égarée sur le sein de Kitri alors qu’elle l’avait étreint contre sa poitrine en signe d’éploration. On n’en finit pas de sourire. Alors qu’on se repassait le rapide face à face avec Vassiliev, A. et moi, en mode « il-m’a-souri-je-n’avais-pas-l’air-trop-cruche ? », et que je ne voyais pas ce que j’aurais pu dire à part ce pauvre « Thanks« , A. me rapporte que je le regardais (imparfait de durée, même pour vingt secondes, temporalité subjective) comme un arbre de Noël. Pourrais-je l’avoir dessous, maintenant ?

 

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Même flous, ils sont beaux.

4 réflexions sur « Comme au feu d’artifice »

  1. Résumons,
    ces russes ont prouvé par cette débauche de virtuosité et leur flamboyance, dont la technique n’est qu’un outil d’expression, que ce peuple a encore une âme, que les français ont perdu dans leur ensemble, s’abritant comme ils le peuvent derrière le  » propre » l’ élégant »,
    Bla bla bla…
    Qu’ils sautent tournent et bougent aussi vite avec autant de caractère , qu’ils soient aussi sexy qu’Ossipova et Vassiliev, et alors seulement on comparera les jolies jolies 5ème.
    D’ailleurs de quoi s’étonne-t-on? Les russes ont fournis presque tous les grands danseurs qui ont marqué l’histoire de l’art :Nourrev Baryshnikov, l’autre Vassiliev, , bien sûr, et tant d’autres méconnus, comme Soloviev, qui touchaient aux étoiles quand ils sautaient tournaient et interprétaient.
    On a oublié, et ils ne faut pas compter sur la dernière génération des « produits opéras » pour le savoir, que TOUS les danseurs d’il y a une cinquantaine d’années qui ont relevés l’Opéra de ses décombres d’après guerre étaient russes, comme aleksandre Kalioujni dont il serait bon de faire lire la critique par un journaliste du Figaro de 1950, aux danseurs et responsables chorégraphiques de l’Opéra :  » un danseur mâle »
    C’est à dire de nos jours un facho réac suspect.
    On a oublié que s’appeler patrick Dupond fut longtemps impossible : il fallait russifier son nom : il y avait des raisons…
    C’est Noureev qui a permis à l’Opéra de se relever.
    Eric Vu han se faisait coacher par Vassiliev en 1980, et maximova coachait je ne sais plus qui.
    L’un des seuls danseurs français a avoir eu cette âme magnifique fut Dupont, mais oui : regardez son don Quichotte à 20 ans, regarder cette rage de saut : sublime…et pas toujours propre , ben oui, mais on se souvient encore de lui et au japon par ex c’est une star : le peuple vote, et en démocratie c’est lui qui a raison.
    Qui se souvient de Fernando Bujones et Erik Brün : qu’ils étaient propres!, surtout le 1er, mais qu’ils étaient chiants!, aussi chiants que propres!
    Maintenant l’Opéra est dans les mains de B Lefèvre : le but est de muter l’Opéra en compagnie néo contempo : éradiqué le classique poussiéreux bourgeois et réac ( comme on vient de le voir! et comme la vulgate s’acharne à l’aimer ) vive le sérieux français, et sa b…intello.
    Les pointes deviennent de pire en pire, les jambes des filles tendent vers le beau jambon Serrano ( du fait de la technique contempo ), les garçons ne savent plus ce qu’est une cabriole double, il faut des jumelles pour voir un chat 6 ( du bas du mollet! tellement bas qu’ils en deviennent invisibles : essayer du haut des cuisses vous verrez, ah oui mais j’oubliais : il faut mobiliser des watts des joules, c’est à dire tout ce que les kinésios rois ont dénoncé comme destructeurs dans les sphères pédagogistes du ministère français!) et toute fin de saut fait redouter que soit la scène soit la cheville va céder, tant est terrible le « boum « , incongru sur la musique.
    Bientôt et comme tous les autres contempos subventionnés, ils finiront à poil sur scène, et rasés.
    C’est tellement plus profond..et moins cher!
    la France est vidée, décadente, et ça se voit dans son art. L’Opéra est chiantissime, mais mourra persuadé de détenir la sainte vérité.
    Certains danseurs de cette maison ont boudé le Bolshoï : certain(e)s ont honte d’être loin derrière ces monstres, mais plein d’autres ont simplement la tête enflée.
    Honte à eux.
    A terme le mieux sera de fermer cette compagnie qui en voulant tout faire ne sait plus rien faire ( à très haut niveau la pluridisciplinarité est une chimère ), et avec les grasses économies ainsi faites ( notamment le salaire de B L), il sera possible d’inviter plus souvent et longtemps, bien sûr le Bolshoï, mais aussi le Kirov, Cuba, le San Francisco Ballet et tant d’autres qui savent encore ce qu’est la danse vraiment classique, la danse tout court, sans pour autant être  » couvert de poussière », ou les filles belles sexy et fougueuses semblent être nées avec leurs chaussons, , et ou les garçons dansent comme des mecs :  » un danseur mâle »! Rappelez vous! ( Figaro 1950 )
    A ce propos, que ce tas de chlorophormés prozakés fonctionnaires aille voir ce qu’est danser grâce à la troupe de Moïsseiev en décembre : on a du mal à trouver les mots pour décrire une telle jubilation et technique

    C’est pathétique.

    (commentaire de la critique lue et à l’origine de ce courriel )

    A propos de pathétique , je viens de relire la critique ci dessus, sympathique au demeurant, mais pathétique par le degré d’ignorance qu’elle révèle :
    « un homme-volant (ou alors ses chaussons sont sur ressorts, je n’ai pas encore résolu ce mystère). Quelque chose qui vous emporte sans que vous ne pouviez y laisser une once de résistance, et qui vous laisse un peu sonné-e sur le parvis de Garnier. Quelque chose que je n’avais en tout cas encore jamais vu »
    Il n’y a pas de mystère, il y a
    1) une âme, ça, ça ne s’apprend pas 2) une école, et ça, ça s’apprend.
    L’école russe est une école de puissance, les garçons ont des grosses cuisses, la vieille école comme on l’entend de certains « petits danseurs « , car pour sauter à une telle hauteur et atterrir sans se bousiller il faut une certaine quantité de watts, de joules, c’est parfaitement quantifiable, la danse ne peut pas échapper aux lois de la physique , à moins de concevoir un danseur au pourvoir chamane, le chi!, mais là c’est une autre histoire.
    En France cette école a été éradiquée par les tarés pédagogistes de la nébuleuse DE ministère, qu’il faut avoir cotoyés pour se rendre compte jusqu’où peut aller le fanatisme idéologique, même dans l’art.
    Tout effort est mauvais, voilà le résumé de ces « penseurs » au cerveau félé, mais surtout à l’ego bouffi et aux carrières inexistantes.
    Et in fine, selon cette logique, la Vie est mauvaise, puisque la respiration est déjà un processus de destruction par oxydation.
    Il faut avoir vu les cours en fixe du CND, par ex, le niveau des pauvres gamines à qui tout effort est interdit ( mauvais! ça use! et rester sur sa chaise , ça fait quoi? ) toute notion de transcendance écartée, et le comparer à n’importe quelle école de province en Russie, je l’ai fait, pour se rendre compte de l’abîme qui sépare ces deux mondes, qu’ici on ne peut récolter que ce qu’on sème.
    J’ai entendu avec mes propres oreilles une vieille prof ratatinée expliquer qu’il faudrait peut-être aller promouvoir la danse classique dans les cours de gym ou d’art martiaux pour attirer les garçons qui ont disparu des cours…
    mon Dieu…ne rien comprendre à ce point…
    Pourquoi y a -t-il des danseurs hommes sans problèmes à l’Est? Pourquoi Les hommes ici se réfugient-ils dans le hip hop?
    C’est si compliqué à comprendre?
    Même moi j’hésiterais à confier mon fils à un enseignant de danse en France!
    Donc voilà: non il n’y a pas de ressorts sous les pieds, il n’y a qu’une âme qui reçoit un outil efficace qui lui permet de s’extérioriser.
    Cet outil existe, et le ministère français interdit son usage.Donc on n’obtient rien ici.
    C’est mécanique, logique.
    Enfin : « jamais vu »
    Je ne sais pas qui a écrit ces lignes mais si c’est une critique pro c’est grave : les images sont innombrables à commencer par Barysh dans le Tournant de la vie et son Corsaire surnaturel ( le manège, avec un double saut, autour de la caméra )
    Toujours un russe
    Et Moïssiev
    Encore des russes
    Et Peter Chaufuss
    Tiens un danois! et de l’école française!
    Enfin la vieille, celle d’avant la révolution, donc suspecte, on entend les bruits de bottes…
    Un hommage, pour finir, à un danseur méconnu, oublié, français : stéphane Prince
    Magnifique, des cuisses qui le faisait sauter jusqu’au plafond, des lignes splendides, une giration qu’il avait eu de son passé de patineurs m’a -t-on dit.
    Chez Franquetti à la Cité Véron, je regardais en 1980 cet aigle avec admiration, moi jeune danseur incapable.
    J’ai pour toujours en mémoire sa suspension en l’air, son « move » de fauve.
    Ce type n’a jamais dépassé 1er danseur. On n » aimait pas.
    Quoi? trop masculin?
    En Russie il aurait été adulé.
    Il a été victime des prémisses du pédagogisme destructeur qui sortait de son antre : il était le danseur »suspect » : trop olympien, ( trop années 80 ), donc un peu réac, il pourrait mettre des bottes… ( le chat 6 en bottes pourrait cependant être intéressant )
    Il est à la retraite depuis longtemps. Moi je ne l’ai pas oublié. On ne se connaît pas, et ça n’a aucune importance.
    Si tu enseignes stéphane essaie d’en faire des comme toi : la danse a besoin de ça pour survivre ici, comme le fait Rudy Brians, le fauve des fauves, détesté de tant de danseuses étriquées au petit chignon.
    Mais il faudra envoyer vos élèves à l’étranger : ici ils seront saqués : suspects…
    La France crève de sa mesquinerie et de sa bêtise, en Art comme ailleurs, mais l’art est un microcosme qui fait office de prisme : très officiellement il y a un an ou deux la DRAC s’est émue de la baisse générale du niveau » malgré le DE »
    Ces débiles ne comprennent pas que ce DE stalinien avec ses commissaires censeurs détenteurs de la référence absolue en terme de bon goût et du reste, qui ne supportent aucune controverse, ne peuvent être l’objet d’un contre pouvoir, est justement la cause de cette chute et la démo est à la portée d’un bonobo.
    JAMAIS OSSIPOVA ET VASSILIEV N ‘AURAIT LEUR DE ICI.
    Ceux là c’est bien…de loin! de passage! Mais pour nos conservatoires nous avons ce qu’il faut : 18 ans + plus école de formation ( genre AID : la pourvoyeuse en apprentis pas chers de tout le show biz parisien ) + pas de carrière+ gentil-n’ouvre-pas-sa-gueule-récite-bien-sa-leçon-pédagogiste !

    C’est pathétique, ou c’est criminel ?

    1. Et vous appelez ça un résumé ? J’appelle ça une diatribe et plus encore, de l’impolitesse : vous débarquez sans vous présenter, probablement sans même avoir lu la critique dont vous ne faites pas le commentaire, et vous déblatérez sans voir que votre intrusion venimeuse est malvenue quand l’atmosphère était tout à la joie. Vous n’avez même pas la décence d’adapter votre éructation (il n’y a rien de ce que vous citez « ci-dessus ») directement copiée-collée depuis le blog d’Amélie.
      Laissez-moi vous dire que vous ne faites pas preuve de fougue mais de grossièreté, et ne pouvez qu’inciter les gens à prendre le contrepied de ce que vous dites par pure réaction.
      J’aime les danseurs bourrins, les Jorge Donn, Vasiliev, Gil Roman ; ma prof de danse est une folle furieuse, un bolide dans Who cares ? ; il n’y a qu’au cours de Rudy Bryans que j’ai jamais fait trois tours sur demi-pointes (plus difficile pour moi que sur pointes) ; j’ai entendu les consignes trop précautionneuses rapportées par des amies passant le DE ; et j’ai constaté aux auditions des écoles supérieures que des filles superbes dont un cambré suffit à se pâmer se sont vu préférer des filles insipides qui battaient leurs chats six. Mais j’aime aussi les José Martinez ou Manuel Legris ; j’apprécie l’idée de ne pas avoir le corps brisé (brisé, pas courbaturé, ça, j’adore) ; j’ai aussi vu des danseuses remarquables être sélectionnées ; et ces fameuses consignes de DE étaient toujours rapportées sur le mode du « cause toujours tu m’intéresses ».
      Je déteste quand on crache sur tout ce qui bouge sans distinction. Entre le fade et l’âme slave, il y a aussi la danse intense de Nicolas Leriche ou d’Aurélie Dupont. Et encore est-ce se cantonner à l’Opéra. Allez donc faire un tour au théâtre de la Ville, où il y a le pire mais aussi le meilleur, ça vous calmera un peu.

    2. Je trouve dans votre… « discussion » (?) toute l’histoire et la question du style : une technique est une vision. Ce n’est pas récent, on sait que l’école russe et l’école française ne se ressemblent pas. C’est qu’elles ne proposent pas la même vision du mouvement, du corps, de l’espace. L’école française est foncièrement aristocratique, l’école russe est romantique. Du 18ème au 19ème, un abîme…
      Je crois que c’est cet abîme là qui vous sépare. 🙂

    3. Belle synthèse, mais je crois que ce qui nous sépare est moins la vision d’une école (de ce que j’en ai vu, j’adore l’école russe) que celle de la courtoisie. Mais bon, tout le monde ne peut pas avoir votre élégance.

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