En roue libre

Le livre le plus drôle ne provoque que le sourire parce que le rire est une conduite collective. Dans une salle de cinéma où les spectateurs sont juxtaposés et étrangers les uns aux autres, les conditions du rire sont réalisées.

J’ai repensé à cet extrait récemment lu des mémoires de Simone de Beauvoir lors de la séance d’En liberté ! Un peu plus loin dans la rangée, une femme riait plus fort et surtout plus longtemps que tout le monde. Même s’il a suscité à son tour quelques rires d’amusement, son rire n’a pas eu un effet contagieux ; bien au contraire : il m’a sortie du film et m’a fait regretter de ne pas savourer la comédie comme cette femme la savourait manifestement – et comme la bande-annonce me le faisait anticiper, avec son rythme resserré.

En liberté ! est rythmé, mais le rire vient comme à contre-temps, sans avoir le temps de se propager : les personnages sont déjà passés à autre chose, l’intrigue continue, plus avant dans le délire. C’est ce qui rend le film à la fois frustrant et réussi : il n’est pas qu’une suite de gags. Le comique semble presque obtenu par inadvertance, résultante-résidu de personnages partis en roue libre. Adèle Haenel est parfaite en flic qui part en vrille après avoir découvert que son mari était un ripou, et Pio Marmaï en innocent qui a très envie de faire toutes les conneries pour lesquelles on l’a mis en taule (Rousseau qui vole des pommes en 2018 et combinaison latex). Damien Bonnard et Audrey Tautou viennent compléter ce duo de choc, cette dernière faisant ressurgir le fantôme d’Amélie Poulain avec vingt ans de plus lorsqu’elle demande à son mari libéré plus tôt que prévu de recommencer encore et encore la scène de son arrivée. Ce petit bijou de fantaisie poétique côtoie sans problème le braquage d’une bijouterie en costume SM, avec une otage qui s’exclame « Ah non, c’est pas Daesh » en voyant le braqueur fracasser la vitrine à coup de gode géant. La petite phrase s’est rejouée dans ma tête avec la même régularité que l’anaphore en putain d’Adèle Haenel lorsque son personnage prend conscience que tout ce qu’elle possède provient de coups montés. Mention spéciale aussi pour les CRS qui sortent au pas de course en zigzagant entre les barrière de pseudo-sécurité devant le commissariat, et pour les vigiles qui assistent incrédules à la scène en mangeant des crackers comme des pop-corns. Plus c’est barré, mieux ça passe.

 

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