La visite au cimetière de Grinzing, à partir d’une bourgade fort pittoresque, a été une belle promenade. La tombe de Gustav Malher, qui en était le prétexte, n’avait rien de morbide : c’est à peine si l’on pense qu’un homme y est enterré, tant fleurit, en roses rouges, le mythe qui y est enraciné.
Le caveau comme fosse commune familiale ou
les poignées comme les fers d’une bague de mariage.
Je ne sais pas si je trouve belle et forte cette éternité partagée,
ou si elle me fait simplement horreur.
Avant de trouver le compositeur, pourtant, nous avons erré dans d’autres secteurs et croisé des âmes en peine, en chair et en os : des petites vieilles, surtout, déséquilibre démographique entre les sexes oblige, qui, coup d’œil aux stèles et soustractions, ne feront peut-être pas de vieux os. On ne meurt pas très âgé, dans ce cimetière, et même jeune parfois, comme c’est le cas de l’homme enterré en face de Malher. Peut-être détestait-il le compositeur. Peut-être ne le connaissait-il pas. Ce serait alors d’un inconnu qu’il récupérerait quelques échos de l’attention portée au musicien lorsqu’une passante comme moi se retourne pour voir ce qu’il y a derrière la célébrité et prend la première stèle pour la jeter à cette vaine immortalité.
La photo rappelle une dernière fois un visage avant qu’un ange passe (la babiole kitsch, devant) et n’efface ses traits par le silence. Pas de briquets pour Kurt, des photophores pour celui qui a vu le jour. C’est très humain un cimetière. Très calme, presque idyllique avec son clocher en arrière-plan. Pourtant, Palpatine et moi ne pouvons nous empêcher d’engager une étude démographique, nominale, sociologique et esthétique, ni de plaisanter du mauvais goût des uns et de l’orgueil des autres.
Alors pendant que j’ai encore mon mot à dire, je vous en prie, pas de stèle démesurée, pas d’angelots à la cellulite plastique et au rictus de marbre, pas de couronne, ou alors en petite monnaie, et surtout, par pitié, pas d’italiques. Va pour le doré, mais pas d’italiques. Tout sauf ça. Bon, et si à la place des chrysanthèmes, je pouvais avoir des coquelicots ou mieux encore, des fleurs tropicales oranges, ce serait parfait… enfin, achevé, surtout.
De son côté, Palpatine prévient : « celui qui me met une croix, je reviens le hanter ». Il préfèrerait une tombe boudoir sur laquelle on viendrait s’envoyer en l’air. Si jamais des questions de décence et d’outrage publique à la pudeur rendaient ses volontés malaisées à exécuter, à défaut de petites morts, il se contenterait d’une vivante très sculpturale, une version lascive et féminine de cette petite chose légère légère pour clore sa vie comme Chateaubriand ouvre ses mémoires.
A en croire leur tombe où la date de naissance n’est pas suivie de celle de la mort, certains ont pris les devants. Pas de plus belle vanité que de s’attaquer à l’éternité, s’en rendre compte permet de redescendre sur terre : pourquoi, dès lors, la mention d’une fonction politique sur la stèle serait-elle moins risible que le gynécologue qui a choisi d’y faire graver son métier ? On fleurit les tombes sans voir le florilège des statues sociales de l’éternité – ciel, quelle vanité pour des espoirs décomposés.
(Tout ceci pour expliquer pourquoi le quart de mes photos viennoises ont été prises au cimetière.)