Journal de juillet

1er juillet, dans la nuit, premières heures

Il est quelque chose comme 1H30 du matin, Mum est partie se coucher depuis quelques minutes. Au-dessus des valises éventrées dans le salon, j’aperçois la façade du moulin (un bâtiment en briques qui n’a plus rien d’un moulin hormis qu’on y mout ou vend quand même de la farine) illuminée de couleurs vives, chaudes, instables. Une flamme. Haute. Ma sidération réveille Mum qui n’était pas encore endormie. Elle appelle les pompiers, lesquels sont déjà sur place : pour preuve, il se met à pleuvoir d’en bas.

Avant de me coucher de l’autre côté, en fermant les volets, je constate que la rue déserte ne l’est pas : deux jeunes gens avec des casques sur la tête, un troisième qui monte dans une voiture, dont je retiens pendant quelques jours la moitié de la plaque d’immatriculation.

Il y aura donc eu un feu de poubelle (jaune, d’où la flambée impressionnante) à Versailles Chantiers, la banlieue la moins chaude qu’on puisse imaginer.

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Dimanche 2 juillet

From Mum to boyfriend. La transition est un peu étrange. Des discussions animées permanentes, infusées de rire et d’ironie, qui me manquent instantanément, je repasse au calme, aux discussions tranquilles, aux émotions qui ont le droit de cité. Tout à ses tractations immobilières, le boyfriend est tendu, tendu vers une nouvelle vie qui tarde à advenir. Je comprends, et ronge un peu mon frein, moi aussi. J’ai emmagasiné au contact de Mum une énergie que j’ai l’impression de dilapider sur le canapé — comme un retour à l’arrêt après un grand élan.

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Mardi 4 juillet

Déjeuner avec JoPrincesse, belle dans la fatigue que ça n’en est pas croyable, les yeux limpides comme l’améthyste rectangulaire à son doigt, ma princesse qui, pas toujours bien, va. Il y a du poids quand même, sur le chemin du retour vers son bureau — c’est souvent dans les derniers moments, dans la marche, qu’on livre ce sur quoi on a peur de s’appesantir. Ce sur quoi il n’y a pas grand-chose à dire, qu’on ne peut que traverser.

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Une épiphanie géographique me pousse à proposer à ma grand-mère de nous voir au débotté. J’aurais pu prévenir avant, quand même, elle aurait pu ne pas être là ; mais elle est là, et nous sommes là, à la table d’un bistrot. Ses doigts qui s’impatientent malgré elle me montrent mille photos, et pas toujours d’abord celle que l’on finit par étudier à deux.

Elle me montre-raconte le mariage normand de ma cousine : ils ont fait ça bien, ils sont doués pour ça, vraiment, elle verrait bien le couple en wedding planners et ça renforce mon impression de mise en scène dans l’obligation sociale. À la mairie, à Paris, j’avais moins vu son émotion que celle qu’elle avait à se voir dans l’émotion projetée, tant attendue, de manière quasi cinématographique, sur le tapis rouge au milieu de l’assemblée. Ma grand-mère ne tarit pas d’éloges pourtant, sur leur mariage, sur elle et sur lui, si gentils ou adorables, c’est vrai, qui tantôt ont débarqué en voiture pour l’amener passer une journée à la mer, une nostalgie qu’elle avait exprimée en passant et qu’ils avaient généreusement pris au pied de la lettre — même si la mer s’est transformée en déjeuner de campagne sous l’hypocondrie, réelle ou indûment supputée, de ma grand-mère. Je sens comme un reproche vague, informulé, qui s’adresserait à tous les autres, qui ne nous soucions pas assez d’elle — reproche qui ne lui ressemble pas et se comprend davantage comme une externalité de son humeur, agacée par la contrariété du moment (un ravalement de façade qui n’en finit pas et la prive de son balcon, dont les larges rebords ont été remplacés par une vitre à laquelle on ne peut plus s’accouder pour fumer* ; elle s’est plaint au gestionnaire de la résidence, a menacé de ne pas payer le loyer). Je ne lui connaissais pas cette humeur revendicatrice, et la culpabilité aidant, je le prends un peu pour moi. Heureusement je ne formule rien. C’est sûr, ce n’est pas moi, égoïste par omission, détestant conduire, qui conduirait ma grand-mère à la mer ; je dois reconnaître ceci à ma cousine, le soin d’autrui entremêlé à et soutenu par le souci des apparences et convenances sociales. Je lui en suis reconnaissante, à la réflexion ; je sais ma grand-mère entre de bonnes mains, et je peux continuer à lui donner le plaisir de lui ressembler, indépendante comme elle, comme elle dit — pour ne pas dire : qui n’en fait qu’à sa tête (de mule). Reste une vague aigreur qui m’attriste et cette fois-ci ne me fait pas regretter que ma grand-mère ne fasse pas traîner l’entrevue.

* J’allais écrire que, quand l’univers se rétrécit en vieillissant, chaque changement devient un monde — mais il n’est pas besoin pour cela de vieillir, ou je suis déjà vieille avec mon sapin coupé.

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Le boyfriend hésite à faire une offre pour une maison qu’il a visitée en Touraine. Il aimerait bien que je la vois. J’aimerais bien de mon côté rentrer à Roubaix pour me mettre à mon manuscrit sans trop tarder. Nous aimerions bien que nos vies projetées ne reculent pas devant nous, chacun à son projet. Autant battre le fer pendant qu’il est chaud : nous prenons des billets de train pour le lendemain.

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Mercredi 5 juillet

Aller en Touraine. Le boyfriend est tendu comme un arc pendant le gros du trajet. Cela ne me surprend plus désormais ; je laisse filer comme le paysage, sachant que cela s’arrêtera une fois à destination.

Un couple d’amis à lui nous hébergent ; ils viennent d’emménager. Elle, est vive et lumineuse, je me sens bien rien qu’à la regarder. De fait, je reviens sans cesse à son visage au cours de la conversation, comme l’aiguille d’une boussole après avoir tournoyé en fonction des prises de parole.

À l’étage, je dors dans une pièce flottante (bureau, débarras, future chambre d’ami) comme dans une cabane. Une petite étagère est remplie de livres sur la rédaction, la publication, l’organisation d’ateliers d’écritures. Je n’ose aborder ce sujet, qui pourrait nous être si commun, demander si elle écrit, autrement, ailleurs que pour des piges — qui se sont raréfiées, de ce que sait le boyfriend.

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Jeudi 6 juillet

Déjeuner dans un village en pierre. Le boyfriend se réjouit à haute voix de tout, des berges du Cher, d’un bout de bâtisse dans lequel il m’invite à reconnaître Sarlat, d’une place qui aurait des airs d’Italie (?)… Il souligne la beauté dès qu’il la voit, l’exprime pour me sonder, chercher un écho ; mais je ne peux pas surenchérir, tout juste me taire.

On visite la maison. C’est propre, bien aménagé, bien décoré, j’essaye de faire bonne figure. Je n’ai aucune intention de vivre ici à plein temps. L’agente immobilière me fait l’argumentaire sans s’occuper du boyfriend, comme si c’était acquis qu’il l’était (acquis, conquis). Elle me montre tel rangement astucieux en soulevant une marche d’escalier, insiste sur le long dressing en sous-pente… ma pauvre, si vous saviez, le peu de cas que je fais du rangement, le peu d’envie que j’ai d’habiter ici.

Je me rends compte en la visitant qu’ici n’est pas cette maison en particulier, tout à fait convenable, plutôt chouette même ; ici, c’est la région, la campagne, la végétation monotone, la boulangerie en voiture, les terres plates et les pierres grises. Prendre un appartement à Tours pour y donner des cours de danse sans être dépendante de la voiture et rejoindre le boyfriend dans sa maison le week-end, c’est un mensonge bien commode que je me suis racontée pour me rassurer. Pour garder les possibles ouverts. Ne pas paniquer. Repousser. Je ne peux plus repousser. La visite rend tout réel, me confronte à mes évitements.  L’enthousiasme inquiet du boyfriend tombe en moi comme dans un puits sans fonds, sans écho. Je ne peux plus le nier : tout en moi se cabre à l’idée de déménager ici. Tout en digérant le malaise, j’essaye de faire bonne figure, de visiter sérieusement, en faisant l’exercice de projection minimal : en enlevant la cloison, ça ferait une grande chambre ; là tu pourrais avoir  ton atelier. Je voudrais que la visite, mon imposture se termine, il y a erreur sur la personne, sur le lieu, je ne suis pas Madame boyfriend, je ne suis pas l’épouse parfaite qui se projette pour habiter dans cette maison, je n’ai au fond pas plus de poids dans la décision de son achat que M., l’amie du boyfriend qui nous y a conduit.

Devant un Coca, une limonade et un jus de fraise, le boyfriend me demande ce que j’en ai pensé, vraiment. Je rationalise, souligne les points forts objectifs du bien immobilier. Puis moins : je trouve ça dommage d’aller à la campagne pour se retrouver au bord de la route. Puis plus du tout : la maison est grande, mais avec les sous-pentes et le peu d’ouvertures, j’ai l’impression d’étouffer. / Je suis une sale môme qui vient d’abîmer le jouet que son copain voulait partager. C’est la consternation. Du boyfriend, la mienne. Son amie nous enjoint à en reparler plus tard, quand on aura digéré. Quand elle ne sera plus là, aussi.

On en reparle dans le train. Je crache tout. Ma peur me fait cracher. Je crache sur les pierres, l’incarnation de l’ennui, je crache des pierres sur ses rêves à lui. Il accuse les coups. Je parle vrai, dur, sans plus aucun ménagement pour mes arrangements de conscience ou pour lui. Si j’ai le choix entre la maison à la campagne et mon appartement à Roubaix, je garde mon appartement à Roubaix (qui n’est mien que dans la location). Mais je ne veux pas qu’il décline la maison à cause de moi ; une autre ne fera pas plus l’affaire. Qu’il y aille sans moi. C’est rude, ça éborgne un peu plus son idéal de vie commune. J’essaye d’atténuer : on peut toujours essayer, je peux essayer d’habiter à Tours… mais effectivement, je n’en ai pas envie ; si jamais je le fais, c’est pour lui, et lui ne veut pas que je fasse ça, pour lui. Il a raison, je pourrais finir par lui en vouloir. Il exprime sa crainte que la distance géographique ait raison de nous, il a peur que je me lasse. Et pourquoi ce serait moi qui me lasse ? Ce peu de confiance (en moi alors qu’en lui) est vexant. J’ai peur aussi. Ma réaction de défense pour ne pas me laisser envahir par cette peur, pour ne pas perdre le contrôle, c’est de rationaliser, de raisonner comme si je n’étais qu’un cerveau sans émotion, comme si mes synapses ne pouvaient faire transiter que des informations factuelles : c’est un risque, la distance est un risque ; mais que l’un cède à l’autre et lui en veuille pour ça constitue également un risque ; et si ça arrive, si on en arrive à la séparation, alors il vaut mieux que chacun ait fait les choix avec lesquels il se sentait aligné et qui lui permettront de rebondir seul. J’ai l’impression d’entendre mon ex parler,  je me trouve détestable, à infliger ce que je crains de subir, mais prem’s, la peur est épinglée de tous côtés, elle ne peut plus bouger. Les incompatibilités structurelles et irréconciliables, j’en ai soupé, merci. Qu’il achète sa maison, que je reste chez moi, la logistique suivra. Je ne comprends pas sur le moment, si calme, si froide, que je suis en colère. C’est pratique la colère, ça empêche d’être triste.

Plus tard de retour à Paris : […] (incluant : nœud, sanglots, dénouement, apaisement)

Plus tard encore, il m’assure que ça va mieux, que c’était un quiproquo, un coup de mou, mais je n’en suis plus si sûre. Je propose de retarder mon retour à Roubaix, de rester encore un peu. L’affaire est classée. Je reste, pars, ébranlée.

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Vendredi 7 juillet

Paris – Roubaix. Nous nous sommes arrêtées sur une aire d’autoroute et nous ne sommes pas les seules : des oiseaux par dizaines, par centaines, par milliers, y font étape pour la nuit. Des escadrons se succèdent, murmurationnent dans le ciel en attendant les retardataires ou le retour des éclaireurs, et se posent sur un arbre au bord bord de l’autoroute, presque toujours le même, à se demander comment ils tiennent tous. Ça bruisse, ça piaille, on ne voit presque rien pourtant quand on s’en approche — sauf sur les branches les plus hautes, que les oiseaux quittent peu après s’être posés pour se répartir plus bas : on est prié de ne pas encombrer trop longtemps la piste d’atterrissage. De nouveaux groupes ne cessent d’arriver, la mégalopole aviaire est contrainte de s’étendre : des raids de quatre ou cinq oiseaux décongestionnent l’arbre en passant incognito sur celui d’à côté, vol à l’horizontale, rapide, efficace. Et ça continue d’arriver dans le ciel, escadron après escadron, un 14 juillet qui n’en finit pas. Ils ont du se passer le mot du surpeuplement, une banlieue dortoir vient de s’ouvrir sur un autre arbre beaucoup plus grand et loin de la route (un meilleur choix hôtelier que le F1 au bord de l’autoroute, si vous voulez mon avis). Cela n’empêche pas que de nouveaux groupes s’arrêtent encore à l’arbre de référence, qui n’en finit pas de se remplir et de se transvaser dans l’arbre voisin. Quelques individus supervisent les opérations depuis un lampadaire surplombant de bien 3 mètres l’arbre ; les organisateurs ont fort à faire pour que tout ce petit monde soit en place avant la nuit. Nous sommes reparties avant eux.

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Stupeur en arrivant chez moi, à l’amorce de l’obscurité : il y a un trou dans le jardin. Le sapin a disparu. L’énorme sapin au bout du jardin. Le sapin qui refermait la vue avec l’arbre d’à côté, ne laissant, l’été, qu’une fenêtre joliment encadrée pour me rappeler que je n’étais pas seule au monde. Le sapin qui, je le découvre en son absence, participait à étouffer les bruits du boulevard qui passaient la rangée de maisons. Était-il malade ? J’espère qu’il l’était, qu’il n’a pas été arraché pour un peu d’ombre, un peu de lumière cachée à récupérer. J’en veux à ce voisin, même si je ne sais pas ce qui s’est passé, même si je ne sais pas qui est ce voisin, ni même qui avait la charge de ce sapin au coin de quatre parcelles. Mon jardin est amputé. Ce n’est pas le mien, je n’en ai la jouissance que visuelle, depuis ma terrasse au-dessus, mais c’est mon jardin quand même, défiguré en mon absence. Il manque une présence. Ça me rend triste.

Je pense : heureusement que ce n’est pas le saule pleureur. J’en pleurerais. Je pense : on ne peut compter sur la permanence de rien. Je n’aime pas ce qui change quand ce qui change meurt. Je pense : au gigantesque peuplier de ma résidence à Paris, un peuplier magnifique de huit étages qui avait été abattu pour des questions de sécurité, il paraît. Il était resté trois souches (l’immense peuplier avait deux acolytes). C’était comme si on avait coupé mes racines, ce ne pouvait plus être si terrible ensuite de partir, de quitter cet appartement dont on avait mutilé la vue. Est-ce que l’histoire se répète ? Est-ce que le sapin coupé est le signal de me détacher de ce lieu, cet appartement que j’aime tant ? Je pense au terrain qui accompagne la maison que le boyfriend veut acheter, que nous avons visitée quelques jours auparavant : un terrain justement, plus qu’un jardin. Chez moi, c’est, ça a toujours été une fenêtre avec vue sur un grand arbre que je puisse aimer.

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Samedi 8 et dimanche 9 juillet

Je découvre la béance du jardin au grand jour : il va falloir s’habituer, il va falloir du temps.

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Je suis toujours épatée par l’énergie de Mum. Les tâches deviennent faciles avec elle ; il suffit de se laisser entraîner. Le week-end est actif et ménager. Done : enlever les innombrables toiles d’araignées et gratter la mousse bien incrustée sur le bord de la terrasse ; couper les plantes qui grimpent et celles qui tombent ; accrocher les cadres qui traînent et en chercher pour les images qui attendent d’être exposées ; tenter d’accrocher un voile d’ombrage et réaliser une fois sur l’escabeau que le triangle isocèle ne le fera jamais quand il faudrait un triangle rectangle ; épousseter la toile, la replier et re ve-nez chez Le-roy Merlin.

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À la crêperie, la crêpe du moment est aux fèves, cuisinées au cidre, et à la salicorne, une algue très croquante et très iodée dont la découverte me met en joie — ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de goûter un nouvel aliment !

Ce qu’a déclenché la maison en Touraine m’a ébranlée. Dans la crêperie si mignonne, j’en parle encore, pour m’apaiser. Mum me raconte en miroir la fièvre acheteuse de mon presque-ex-beau-père : un jour, à 35 ans, acheter un bien immobilier était devenu un impératif, une obsession, il ne parlait plus que de ça, il n’y avait plus que des annonces, des visites, au point que cela avait fait vaciller leur couple. Cela me rassure et me fascine étrangement, d’avoir accès à un pan d’histoire que j’ai vécu sans le connaître, alors enfant, aujourd’hui âgée de l’âge des adultes d’alors.

Reste que. Je ne suis plus sûre de moi, de mon comportement, d’être égoïste ou simplement animée de désirs contraires, pas moins pas plus légitimes, autres seulement. Seulement ? Comment distinguer l’intransigeance de qui refuse de faire des efforts, du refus de se renier, d’emprunter une voie où l’on craint de s’éteindre ? Comment fait-on des compromis sans se compromettre ? Comment distingue-t-on les peurs profondes, légitimes, des réticences qui s’arc-boutent par crainte du changement ? Je n’ai pas de réponse à ces questions, j’attends qu’elles cessent de se poser, j’oublie, me barricade chez moi, dans mes projets. Une forme de fuite sur place.

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Lundi 10 juillet

« discipline is simply a love for your big self »  J’essaye de la mettre en place : reprise des étirements de yoga avant le petit-déjeuner, sessions d’écriture ensuite, mini-sieste, sortie pour s’aérer… Trouver les bons moments pour chaque activité sans se laisser tout dicter par un rythme optimal auquel on aurait manqué. Inventer une routine qui soutient par la répétition sans asphyxier par sa rigidité. L’exercice est délicat, nécessiterait pas mal de réinventions. De variations à prévoir.

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Mardi 11 juillet

Les plus grandes avancées dans le manuscrit sont les coupes ; je les conserve dans un fichier Coupes.pages qui m’ôte tout regret. Ctrl C, Ctrl X, Ctrl V : place nette.

Je retourne à la médiathèque comme à des retrouvailles. J’aime le possible qui dort là, sur les étagères à portée de main ; je m’en empare pour constituer mon butin. Butin, oui : j’ai toujours un peu l’impression de voler les livres que j’emprunte. De les emporter en secret vivre une vie dont personne ne saura rien.

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Mercredi 12 juillet

Grand transfert et tri des photos de Calabre. À chaque fois, c’est la même chose : j’oublie que mes précédents souvenirs de vacances se sont constitués autour de clichés sélectionnés et retravaillés, et je me trouve dépitée devant l’avalanche d’images médiocres qui débordent de l’appareil. Tout ça pour ça ? Tant de « attends deux minutes », de cadrages tentés, doublés, pour ça ?

Mal positionnée devant l’ordinateur que j’ai laissé au sol, je me paye de surcroît un début de tendinite (qui, si je suis honnête et impudique, vient également d’une expérimentation masturbatoire que j’ai du mal à vraiment regretter).

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Jeudi 13 juillet

30 minutes à chercher un extrait de ballet qui n’existait pas. C’est fou comme la mémoire capte des images fixes et recrée les séquences manquantes avec fantaisie. Ma mémoire de spectatrice enregistre les émotions, mais pas le détail des pas, qui ne reste qu’à condition d’avoir moi-même travaillé la variation. Je regrette de ne pas avoir noté à côté de chaque paragraphe à rédiger une URL YouTube — avec un minutage précis (parce que va retrouver tel entrelacé dans une vidéo d’1h30). Cela me rappelle la rédaction de mon premier mémoire sur Kundera : c’est toujours à la fin qu’on s’aperçoit de ce qu’on aurait dû faire depuis le début. Le regret est à tempérer : quand je l’ai fait, quand j’ai conservé une URL, la vidéo au bout a parfois été retirée. Forcément, les captations pirates sont moins stables que les références universitaires.

Le feu d’artifice de Roubaix est annulé pour des questions de sécurité, suite aux émeutes récentes. Dans plusieurs communes alentours également. Les feux encore prévus sont tirés depuis des lieux peu commodes d’accès sans voiture ; je me vois mal marcher 3 km dans des zones semi-industrielles à 23h30, renonce. Vers 22h30, ça pétarade chez moi, je fais coulisser la porte-fenêtre et, surprise, cadeau : je vois un feu d’artifice depuis ma terrasse. Je suis trop loin pour sentir les détonations, mais je le vois bien, les gerbes bien rondes, par-dessus l’enfilade des murets.

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Vendredi 14 juillet

Première barre de reprise. C’est l’habituelle désertion musculaire.

Après-midi sauvegarde de photos : 5 Go libérés, tout de même.

Je propose à É. d’aller voir le feu d’artifice. Elle me propose d’aller dîner, ce que nous faisons à la Wilderie. Plaisir de saveurs travaillées, qui se goûtent, re-goûtent, découvrent. Je parle trop, high-pitched sans même qu’il soit question d’aigu. Ce n’est pas le son, c’est la fréquence à laquelle je suis, survoltée, à tout balancer avec une désinvolture surjouée, non pas dans l’intention mais dans le volume. Impossible de m’arrêter, tant pis pour l’autodétestation qui arrivera ensuite ; j’espère juste que ça amuse ma camarade davantage que ça ne la fatigue.

La glace à la moutarde dans la soupe aux petits pois était vraiment top.

On reprend sa voiture pour aller voir le feu d’artifice. Il est tard, nous sommes justes et nous ne sommes pas les seules. La route est embouteillée ; chaque talus a été préempté par des voitures qui se sont pris pour des 4×4.  La probabilité d’arriver à temps diminue à chaque instant. Elle me dit d’y aller, qu’elle va aller se garer et me rejoindre ensuite, elle les feux d’artifice… Je décline une fois, deux fois, puis j’entends les premières fusées, et t’es sûre ? Je pousse la portière et je me mets à courir sur le trottoir, j’aperçois les scintillements à travers les feuillages, j’oublie ma camarade, je cours, je m’enfuis : je cours de joie. Ça devrait toujours être comme ça un feu d’artifice, c’est ainsi que ça doit être pour moi, après des années à Ivry à courir vers le pont par surprise, parce qu’en proche banlieue parisienne, le 14 juillet n’est jamais le 14, t’entends là ? Je trouve un espace dégagé, une fenêtre d’observation en vérité, les fusées hautes encadrées par les arbres. Les fusées basses sont mangées, alors je quitte le champ-prairie pour le champ de Mars (il y en a donc un à Lille aussi !), je passe le canal, le pont, ajuste ma position par rapport aux lampadaires, enfile les bouchons d’oreille attachés à mon porte-clés, et profite enfin en toute sérénité des explosions qui tremblent jusque dans ma poitrine. J’adore cette vibration, cet ébranlement, qu’aucune musique pour une fois ne vient entacher. Le spectacle est parfait. Plein d’escarbilles et d’arbres dorés comme j’aime, des palmiers, des saules pleureurs — et même un palmier arborescent, comme un arbre généalogique qui se lapinerait en temps réel (il m’arrache un sautillement de joie-surprise). Tout le monde applaudit à la fin, la foule du moins, et moi.

Cette photo a été screenshotée depuis Instagram, j’avoue tout.

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Dimanche 16 juillet

Venue de nulle part, mais très présente dès que je pose le pied au sol : une douleur aigüe au talon. Bientôt 35 ans, et mon corps me surprend toujours. Une talalgie : avec un tel nom, ça ne peut pas être bien sérieux.

J’ai ainsi la virevolte claudiquante pour accueillir D., qui a bien voulu se rabattre de Lille sur Roubaix. Il revient de Belgique et rentre à Paris. À vélo. Oui. À chacun sa folie. Je reste dans ma langue alors que nous conversons en anglais à l’écrit ; par coquette fainéantise, je tais mon accent (français en anglais) et pour prix dois redoubler d’attention pour passer au travers du sien (tchèque en français). On mange dehors, sans table, sur deux chaises ; on cause chaînes musculaires, courbatures et découvertes tardives, et son immense silhouette s’attarde un peu sur le rebord de la fenêtre, comme un cadre un peu étroit ; le jour n’en a plus pour longtemps quand le garage daigne s’ouvrir pour lui rendre son vélo. He might curse me pour lui avoir fait découvrir les grains de café au chocolat, combo fatal de ses deux drogues préférées. Qu’il me maudisse autant qu’il veut, I know good stuff.

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Lundi 17 juillet

GROSSE tomate ananas.
Ceci n’est pas une assiette à dessert.

À midi, une newsletter m’informe qu’il y a désormais de la glace au sésame noir chez Picard pour une glace au sésame noir. À 17h30, le bac de glace (ridiculement petit) est dans mon congélateur. J’ai trop traîné, trop faim : je lui préfère des tartines de nocciolata. Mon talon, lui, aurait préféré ne pas claudiquer pendant 40 minutes.

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Mardi 18 juillet

Reprise des cours de posture / chaînes musculaires, je ne sais jamais comment les nommer. Les annonces par mail disent : atelier du mouvement ; on dit tous : cours — y’a cours la semaine prochaine ?
S., dont j’ai enfin retenu le prénom, se réjouit de me voir si guillerette — elle dit : souriante — alors qu’elle me trouvait l’air abattu à la fin de l’année scolaire — je nuance : crevée. Contente de reprendre, d’autant que ça amoindrit la douleur au talon.

…Mercredi 19 juillet

Je me motive à retourner à la fac pour aller emprunter un livre sur la motivation, plus motivant que celui que j’ai commencé parce que c’était le seul de la liste qui était disponible à la médiathèque de Roubaix. C’est en outre la dernière fois que je peux profiter de ma carte d’étudiante à l’université, qui deviendra caduque à la rentrée.

Je me dis que ça va être étrange de retourner à la fac alors que la licence est terminée, mais ça ne l’est pas — pas plus qu’y retourner à trente ans passés pour reprendre des études. Les locaux, déserts, sont une incitation à saluer les deux personnes que j’y croise. La bibliothèque, par contraste, paraît peuplée : six personnes à tout casser, qui ne cassent rien, lisent sagement.

Je ne sais pas si c’est parce que je lui offre une diversion ou parce que c’est l’avant-dernier jour d’ouverture, mais le monsieur derrière le comptoir est vraiment tout sourire lorsqu’il me tend l’ouvrage qu’il est parti chercher en réserve — dans le magasin, c’est le terme officiel sur les notices bibliographiques en ligne, un peu étrange pour des ouvrages qui ne sont pas des magazines et que les lecteurs n’achètent pas.  Je regrette un peu ma demande quand je soupèse la bête, mais ne voulant pas avoir fait déplacer le bibliothécaire pour rien, je gaine les abdos et range l’austère pavé dans mon sac. Tant pis si je ne le lis pas. De fait, je le lis, et la lecture est un régal : les plus belles histoires sont toujours des rencontres qu’on a failli manquer. C’est en tous cas ce qu’on en retient pour souligner à quel point cela aurait été dommage de ne pas.

Aventures des barres mobiles, de W. Piollet / Les Débuts, de Claire Marin / Poétiques et politiques des répertoires, les danses d'après I, d'Isabelle Launay

Une fois rentrée, je ne lis pas, évidemment. Je fais des collages que je ne colle pas ; promener mes ciseaux dans un programme de la saison culturelle 2021/2022 a le double avantage de me permettre de le jeter sans regret après l’avoir dépecé et de soulager mes yeux hors écran. Chaque jour, je fais mon Duolingo sur écran, j’avance mon manuscrit sur écran, je réponds aux atermoiements de C. sur écran, je vérifie l’heure sur écran, la météo sur écran, je regarde pour me détendre une série sur écran,  je conserve avec le boyfriend sur écran, et les écrans finalement font écran au sommeil. Cette fois, j’utilise mon téléphone pour téléphoner et je ne Skype pas le boyfriend.

Collage avec une main emmanchée au-dessus d'un buste en robe Vichy + les mots "nébuleuse" et "métamorphose" Collage : des morceaux de visage qui font la largeur des carreaux du carrelage utilisé comme fond + mots "nocturne" et "ballet"

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Jeudi 20 juillet

Le public du jeudi midi n’est pas le même que celui du mardi ou vendredi soir : nous sommes une majorité de danseuses, et la professeure axe le travail sur l’en-dehors. Au premier rang, deux adolescentes dont l’une au moins est en horaires aménagés travaillent correctement, en utilisant des sensations que j’essaye encore de provoquer en moi, bien loin de pouvoir les convoquer sur commande. Je mesure tout ce qui m’a manqué à leur âge, qui me manque encore. Évidemment que je ne pouvais pas y arriver, il me manquait tout — l’essentiel du moins, à partir de quoi avoir une chance de développer tout le reste. Petite déprime de ne pas comprendre quoi comment travailler. Petite joie aussi de constater qu’il n’y a pas trace de jalousie, que je suis loin de ces jeunes filles à présent.

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J’ai vu chez les voisins un enfant sur le bord de la fenêtre au premier. Il a sauté bras écartés et disparu… chez lui. Première fois que cette fenêtre était habitée. Elle était derrière le sapin.

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Vendredi 21 juillet

Je passe plus d’une heure dans la salle d’attente du médecin en vacances. Je le remplacerais bien par son remplaçant, volubile, amical. Lui aussi a des problèmes d’oreille, du coup il est bien au fait, un ami ORL lui a fait un petit topo plus avancé, vous êtes certaine que le sifflement ne se fait pas par pulsations, non en continu, très bien, très bien, cela peut annoncer une rupture d’anévrisme si le sifflement n’est pas continu, il faut faire attention, vous comprenez, je comprends — qu’il a envie de parler aussi, pas de lui, mais avec les gens, qui viennent se déverser dans son cabinet, qui n’est pas à lui, sans attendre autre chose qu’une ordonnance. Je suis en formation pour être professeure de danse, il admire les gens qui font de la danse et vivent de leur passion (ça n’est pas encore fait), lui c’était le piano mais il est médecin. Il espère que sa fille en fera, de la danse, il faudrait qu’il regarde les cours ; il en a pris pour son mariage, lui-même n’est pas doué, mais sa femme si, un bon filon, les cours de danse particuliers pour les mariages, il me le recommandera encore une fois à la porte, même si je ne sais pas danser les danses de salon, je pourrais apprendre c’est vrai, le professeur gagnait plus que lui en une heure.

J’ai été déçue qu’il ouvre son cabinet à plus d’une heure de chez moi. J’en aurais bien fait un ami, si tant est qu’on puisse inviter son médecin remplaçant et sa femme à boire un verre.

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À la moitié de la séance, l’ostéo-kiné-grand-manitou a réglé le décalage à l’origine de ma douleur au talon, si bien que j’ai le droit à un cours particulier sur l’en-dehors au niveau de la hanche. Rien d’autre qu’une jambe sur la barre en seconde vue depuis l’extérieur ; l’ouverture à une compréhension incarnée et à un levier d’action depuis l’intérieur. Légère euphorie ensuite à la perspective de pouvoir « rouler mon jambon » — ledit jambon étant ma cuisse poilue.

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Samedi 22 juillet

Je triche un peu en mettant quelques termes que j’aurais voulu traiter sous le tapis, mais je persévère, je tiens, encore une matinée, encore quelques lignes, et ça y est, je peux décréter le premier jet.

Habemus premier jet. Il y en a qui ont un pape, moi j’ai un premier jet. 147 pages à relire, corriger, compléter, reformuler, mais 147 pages rédigées. Je suis fière de moi, indépendamment de la qualité même du contenu. Juste de l’avoir poursuivi jusque là.

Et rien. Pas d’exultation véritable. Je sais que s’ouvre une nouvelle session de travail, d’un autre ordre. Seulement, à présent, je sais que c’est possible. Calme tranquille. Satisfaction d’avoir bouclé ça avant l’arrivée du boyfriend.

On se retrouve et c’est comme si je n’imaginais plus ses mains sur moi. Je n’imagine plus ses mains loin de moi. Nous passons la soirée à discuter peau à peau sur le canapé.

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Dimanche 23 juillet

Il y a des choses en moi qui ne cèdent qu’à la douceur. J’ai dormi, je me suis rendormie. Au réveil, la chambre s’est agrandie, les moulures se prolongent au plafond, je suis dans le salon, dans la pièce d’à côté et pourtant je suis avec lui, je le sens tout autour de moi.

Tout est calme, dans l’appartement, en moi. Même le chat ne miaule pas de ne pas avoir tous ses humains dans la même pièce. Je me rends compte que je peux écrire, encore, que j’ai l’espace pour cela.

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Lundi 24 juillet

C’est le début des journées qui se perdent dans une continuité de somnolence, câlins, écrans. La tablette du boyfriend assure la bande-son, entre boucles sonores de Slay the Spire, analyses politiques et linguistiques (l’Académie française en prend un coup).

Chat sur le canapé en plein soleil
Plein feux sur la star à la golden hour (il y aura eu quelques belles éclaircies dans ce mois pluvieux).

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Mardi 25 juillet

M. vient rencontrer le chat et son propriétaire. Pour l’occasion, j’ai fait un marbré. À moins que pour le marbré, j’ai créé l’occasion (ce serait mal, je mériterais encore moins le thé au jasmin que M. m’a offert de manière tout à fait adorable et démesurée). J’en mange avec de la glace au chocolat ; le boyfriend avec de la crème anglais ; notre invitée met tout le monde d’accord avec glace et crème anglaise, elle a cours de danse le soir. Ils ont quinze ans d’écart et des jeux vidéos en commun. Je ne comprends pas tout quand ils en parlent, mais j’aime bien les écouter, il y a des promesses de joie et d’explorations dans leurs souvenirs. On finit quand même par terre à parler danse, le boyfriend sur le canapé.

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Mercredi 26 juillet

Après trois jours de canapé intensif, nous programmons une sortie sur Lille. Je suis toujours stupéfaite de l’efficacité du boyfriend quand il a quelque chose à acheter, mettant la même absence d’hésitation dans un achat à 29, 50 ou 170 €, alors qu’il n’a pas de larges moyens, seulement un budget bien étudié en amont. J’hésite au Monoprix entre trois sachets de riz à 2,99 ou 3,99 €. Lui, fait son shopping comme on fait des courses ; moi, je fais mes courses comme on fait du shopping. Le seul moment où il s’attarde, c’est chez Rougier & Plé, qu’il appelle Graphigro. Le seul moment où je n’hésite pas, c’est chez Meert : glace au chocolat et sorbet Pa(passion)Ma(ngue)Ba(nane).

Grosse glace

Je confesse, c’est la taille des cornets que je voyais graviter autour du stand qui m’a attirée. On a l’impression qu’après s’être calés sur les prix parisiens, à Meert, ils ont été pris de remords, parce que bon, ce n’est pas parce qu’on se la joue qu’on n’est pas des gens du Nord ; du coup, ils compensent en servant l’équivalent de 4 boules pour les 2 à 5 €. Avec mon demi-litre de glace, je retrouve, adulte, la joie d’une grosse glace, qu’on tient à deux mains d’enfant. Le sorbet, quoique bon, a été à la limite de me lasser, ce que ne pourrait faire, ô grand jamais, la glace au chocolat, d’un pourcentage de cacao peu élevée, mais avec ce goût « rond » qu’ont les chocolats de bonne maison.

Morceau de gâteau de riz dans une sauce veloutée épicée Manchoo (raviolis coréens)

Deux heures plus tard, nous sommes assis au restaurant coréen ; est-ce vraiment raisonnable. Pas plus ni moins que le choix d’un plat très épicé, dont la texture extrêmement douce, veloutée, masque et souligne la force.  C’est le genre de repas dont on se souvient, à défaut de savoir si c’est pour son goût qu’on l’a apprécié.

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Je passe la journée à tirer sur mon lobe d’oreille gauche, pour qu’y pénètre le son. J’ai consulté mardi un second médecin : aucun bouchon, seulement une otite. Je mets les gouttes qu’il m’a prescrites… et retire le soir des bouts de bouchon. Ça siffle toujours, mais j’entends à nouveau.

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Vendredi 28 juillet

Je fais ma barre en culotte sur un album de musiques de film ; le boyfriend  le prend comme un blind test. Harry Potter pour les dégagés ; La la land pour les ronds de jambe en l’air ;  mais quand même, Ghostbuster au piano, ça fait bizarre (pour les frappés).

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Samedi 29 juillet

J’ai les neurones qui frétillent quand je lis Les Danses d’après, d’Isabelle Launay. Je retrouve notamment appliquée au ballet, devenue limpide, une réflexion sur la notion d’œuvre que j’avais découverte mais pas assimilée, embrouillée, dans une énième lecture à transposer (Écoute. Une histoire de nos oreilles, de Peter Szendy). Pourquoi a-t-on passé deux années de licence danse à lire des ouvrages qui n’avaient aucun rapport avec la danse quand il existe un corpus certes restreint mais passionnant de spécialistes ?

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Ses iris fusionnées aux pupilles, noires, sa peau translucide et ses taches de rousseur, la tête renversée sur l’oreiller. Sa beauté à ce moment. J’aimerais qu’il la voit comme je la vois. Qu’il se voit comme je le vois. On aimerait tous ça, je crois, que nos aimés se voient avec amour, le même qu’ils nous portent et ne se portent pas toujours à eux-mêmes.

Ça vaut en sens inverse. Lui voudrait plus et mieux pour moi. Pas que moi je sois plus ci ou ça, pas que je sois mieux pour lui, mais plus, mieux : pousser les murs, aérer les peurs idiotes, m’ouvrir de l’espace. Et il le fait, j’en ai : entre ses bras.

Pas de non-dit. Pas si facile quand on a tendance à se cacher les choses à soi-même. De toutes petites choses qui grossissent en silence, et redeviennent toutes petites quand on les exprime comme des énormités. Ce n’était rien. Rien : une simple peur. (Qu’il m’en veuille encore pour — nom de code — la Touraine.)

Je commence à pouvoir formuler. Ce qui se passe quand ça ne passe plus. Ce corps avec lequel,
parfois,
brièvement,
vertigineusement,
je ne coïncide plus,
qui s’interpose entre lui et moi dans les moments qui pourraient être les plus fusionnels.

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Dimanche 30 juillet

Le boyfriend se ferme toujours à l’approche du départ. Son sac prêt trente minutes avant le moment qu’il s’est fixé pour mettre le chat dans sa bulle de cosmonaute, il lance une dernière partie de Slay the spire et je résume : encore trente minutes à se tendre sans agir. Il répète mes mots, sa mâchoire esquisse un sourire, c’est exactement ça, trente minutes à se tendre sans agir.

Moi, c’est après. Je ressens l’absence soudaine comme un phénomène physique, dépressurisation, dépression météorologique, dé-. Je m’active en attendant que ça passe, je lance une machine de draps (sauf la taie d’oreiller avec son odeur), je range, je jette, je nettoie, j’efface toute trace de son passage pour conjurer l’absence et retrouver l’aplomb d’un espace sans partage.

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Lundi 31 juillet

Atelier du mouvement sur l’en-dehors de la hanche et le centrage articulaire. Je n’ai jamais autant travaillé en jambe sur la barre, car je n’ai jamais eu une posture correcte — les hanches toujours plus basses que je l’imagine, l’articulation du fémur perdue dans les ailes iliaques. Il faut gérer le découragement, devant l’ampleur, voir plutôt l’ampleur de ce qui s’ouvre. C’est une décision qui n’est pas à prendre, mais à reprendre sans cesse, et ça clignote comme un néon en fin de vie ou en début d’allumage, comme un muscle qu’on n’arrive pas encore bien à contrôler, qu’on contracte par intermittence. À la volonté clignotante, le découragement oppose sa résistance ; c’est le muscle antagoniste dont on doit apprendre à inhiber la contraction pour rendre le mouvement possible.

Dans l’après-midi, soudaine overdose de canapé : me voilà à la barre à la cheminée. Ça ne travaille peut-être pas comme il faut dans les hanches, mais en-dessous, dans les jambes, mollets, fessiers, je retrouve un certain tonus musculaire qui fait du bien.

4 réflexions sur « Journal de juillet »

  1. Souvent sur le blog je me retiens de partager du trop quotidien qui, je me dis, ne parlera à personne d’autre que moi. Mais quand je te lis, je réalise à quel point j’ai tort 🙂

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