Journal de novembre 1/2

Jeudi 2 novembre

On vérifie que je n’ai pas les cheveux coincés dans l’écharpe, non, je tourne sur moi-même, on s’étonne : mais t’as tout coupé ! Ça me va bien, il paraît. C’est ce qu’on dit, en tous cas, comme un opposé joyeux de condoléances toutes faites. T’as trouvé ta personnalité, me dit une fille. J’espère que j’en avais déjà une avant, mais je remercie.

Qu’est-ce qui t’a poussée à sauter le pas ? Pourquoi maintenant ? Cela décantait depuis un moment déjà. J’invoque la hernie discale comme catalyseur : se laver les cheveux tête en bas était devenu douloureux. Je ne raconte pas mon rêve d’une tresse coupée qui se dépigmentait inexorablement, une vague argentée du blaireau à l’élastique. Je ne dis pas   le délestage, la longueur concomitante à la décennie passée avec mon ex. Qui soudain s’est mise à m’encombrer, morte. C’est venu tout seul, comme une brindille séchée. Dans les mois qui ont précédé la rupture que je ne parvenais pas à acter, la dérision me faisait dire à JoPrincesse qu’il fallait que je rompe et que je me coupe les cheveux, et que je ne savais pas laquelle de ces décisions difficiles je prendrais en premier. La logique aurait voulu que je commence par les cheveux : c’est moins engageant, les cheveux, ça repousse, contrairement à un couple. J’ai finalement rompu avant de me couper les cheveux. C’était plus important. Et logique, rétrospectivement : se couper de l’autre avant de couper ce qui, en soi, reste du temps passé avec lui.

Il ne reste pas plus rien : il reste les bons souvenirs, qui se sentent autorisés à circuler plus librement, comme des pointes vivifiées d’être débarrassées de leurs fourches.

*  *  *

Premier jour du stage éveil-initiation. Beaucoup de stress, je patauge un peu avec la musique, mais ça se passe plutôt bien. J’ai apparemment proposé un exercice dalcrozien (un maître en éveil-initiation, qu’on n’étudie cependant pas). Si toi aussi tu n’en savais rien, tape dans tes mains.

…

Vendredi 3 novembre

Ma proposition d’exercice en face à face et en alternance cafouille tant et si bien que j’en ris. Mon stress descend d’un cran : le pire qu’il puisse arriver, c’est qu’il ne se passe rien. Mon erreur d’appréciation est même appréciée des formateurs, qui la transforment en démonstration d’adaptabilité — un tour de passe-passe que je n’ai pas vu venir et qui donnerait presque envie, comme l’a suggéré une camarade, de rater volontairement pour montrer qu’on maîtrise le rattrapage.

…

Samedi 4 novembre

Sous la douche, je me dis : des poids. Il faudrait des poids pour aider les enfants à sentir le swing des bras et plier davantage les genoux dans les rebonds du premier exercice. Il n’y a pas de poids dans la réserve d’accessoires de l’école, mais après avoir demandé à la directrice si jamais, elle en dégote deux qui appartiennent à une professeure. Si les enfants ne sont pas nombreuses, je les ferai passer. Elles ne sont pas nombreuses, et testent le mouvement avec chacune leur tour. C’est vraiment lourd, s’exclame l’une d’elles avec surprise. La formatrice m’interrompt une première fois, quelque chose ne va pas, je ne comprends pas exactement quoi et poursuis comme je peux. Elle m’interrompt une seconde fois un peu plus tard pour s’excuser : il est excellent, ton exercice, c’est moi qui n’étais pas réveillée. Ouf.

Avancer le bras opposé à la jambe dans un grand pas a posé problème à la séance précédente, et j’utilise cette fois-ci des foulards pour donner un repère coloré aux enfants : on avance le pied opposé au foulard, c’est plus facile à dire et concevoir que d’avancer le pied du côté du mur blanc et la main du côté du miroir (les enfants ne sont vraiment latéralisés que vers 7 ans ; ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est neurologique). Au bout de quelques essais, ça fonctionne, mais les enfants n’en peuvent plus de concentration, j’ajoute en urgence une course pour faire voler les foulards et se défouler. Il était temps, fait de la tête l’autre formatrice. Oups.

Aujourd’hui, je montre les exos en chantonnant — le Cakewalk de Debussy, la  marche des hippopotames de Fantasia… C’est faux, mais ça fonctionne, je ne perds pas le tempo. Comme je le craignais, les premières mesures de la Sicilienne de Fauré que j’avais encore en tête en arrivant aux studios m’échappent sur l’instant ; je persiste encore quelques secondes avant de capituler : tant pis, ce sera Harry Potter. Et j’ai chanté la sicilienne d’Harry Potter avec mon foulard orange à la main, tandis que je sentais les filles se marrer près des miroirs.

C’est dingue comme 20 minutes peuvent prendre de la place dans une journée. Du reste, il ne me reste pas grand-chose. Ah si : la petite fille avec les chaussettes zèbre assorties au sweat zèbre a toujours les mêmes chaussettes. On dira que c’étaient les chaussettes pour la danse.

Dans les retours individuels, la formatrice souligne comme point positif une bonne relation pédagogique aux enfants, évolutive, très empathique ; on sent beaucoup de sensibilité, c’est précieux. Et dans le négatif : ma séance manque d’élan, de poésie. Autant dire de danse. Gloups. J’ai vraiment du mal à faire simple sans que ce soit simpliste — quand L. m’étonne toujours avec sa gestuelle très claire et très poétique.

*  *  *

Est-ce ce soir-là qu’on regarde la première partie de The Revenant avec le boyfriend ? C’est vraiment un film de sadique. Rapidement, on comprend que le héros ne mourra pas (je veux dire, il ne meurt pas après avoir été lacéré par un ours, ni en tombant d’une falaise dans des sapins, le mec est littéralement increvable) et tout le suspens consiste à se demander quelles autres formes de torture lui réserve le réalisateur. Tout du long, la nature est belle et l’homme est laid. En commun, ils n’ont que l’hostilité, blanche indifférence pour l’une, cruauté vengeresse pour l’autre. C’est assez vain et magnifique.

…

Dimanche 5 novembre

Je passe une partie de la matinée à déplacer des trucs. C’est ce qui me vient à l’esprit lors d’un énième parcours entre la cuisine, le salon et la chambre. Pas : je range, trie, jette, époussette ; mais : je déplace des trucs. Quelque part entre la table, le sol, la poubelle, le lave-vaisselle, la table basse, le sac à linge sale, le tiroir de la salle de bain, l’armoire à pharmacie dans les toilettes, le plan de travail dans la cuisine, le placard de la vaisselle, le frigo, le rebord de la fenêtre et le manteau de la cheminée, je déplace des trucs.

Le reste de la journée est englouti par le compte-rendu du stage d’initiation et des exercices à préparer pour le lendemain. Feu le week-end.

…

Lundi 6 novembre

La hernie discale n’aime pas trop les sauts. Je marque donc les exercices de tours en l’air que j’ai bricolés pour le cours de technique masculine : je montre avec les pieds les positions de départ et d’arrivée sans décoller, et pivote sur demi-pointes pour matérialiser le temps en l’air. Ça ne va pas, ton tour en l’air est en-dedans. La remarque me laisse perplexe. Je suis bien partie vers la droite depuis une cinquième pied droit devant. Comment le tour peut-il être en-dedans sachant que les deux jambes restent collées en l’air ?  Je finis par comprendre que le choix de la jambe sur laquelle je pivote trahit une mauvaise conception du tour en l’air : il ne faut pas penser à enrouler avec le bras qui ferme, mais à ouvrir avec l’épaule opposée. Pour une fois, être blessée m’aura été utile.

*  *  *

Full fat au restaurant : après des beignets de saumon (soit des beignets d’un poisson déjà gras, étrange crossover entre le fish and chips et les tempura de crevettes), je prends un beignet de banane qui me fait plaisir bien au-delà de son goût — un morceau d’enfance gustativement oublié : les repas au restaurant chinois avec ma mère ou mon père, où je prenais invariablement du canard ou du poulet sauce aigre-douce à l’ananas. Le boyfriend a moins de chance ; sa bière ne lui apporte qu’une migraine. Il va s’étendre en attendant que ça passe, et au bout d’un quart d’heure, il faut se rendre à l’évidence : sa nuit a déjà commencé.

…

Mardi 7 novembre

Cours en autonomie avec un pianiste accompagnateur adorable : c’est l’occasion de passer en revue tous mes exercices pour le cours du lendemain, pour ajuster carrures, tempi et comptes — sachant qu’ajuster est un euphémisme. Je suis soulagée d’avoir pu faire ce travail en amont ; ça aurait été quelque peu catastrophique in situ.

Les attendus de la commande musicale n’ont vraiment rien à voir en danse classique et contemporaine. En classique, il faut que ce soit carré ; si on demande à l’examen trois phrases de huit comptes plutôt que quatre, on a intérêt à avoir une sacrée bonne raison pour l’argumenter lors de l’entretien avec le jury. En contemporain, c’est l’inverse : on attend des étudiants qu’ils ne se reposent pas toujours sur des comptes de huit, et aient l’audace de compter en cinq, sept ou dix, voire mélangent les comptes à l’intérieur d’un même exercice (bon courage). Je suis bien contente d’être en classique sur ce coup-là ; devoir rester en deux, quatre ou six comptes de huit n’est pas cher payé.

…

Mercredi 8 novembre

N. aide une enfant à faire son chignon — avec les pinces du chignon de mariée de sa mère. C’est quelque chose. Il y en a cinquante. (Combien de temps faudra-t-il pour dilapider cet héritage familial dans les doublures de vêtements, les coussins du canapé et les rainures du parquet ?)

C’est mon premier cours de danse classique donné à des enfants, et je donne un cours que je n’aimerais pas prendre : ça flotte dans les transitions (ma capacité à compter le ternaire est telle que je peux terminer la même phrase chorégraphique en quatre ou huit temps sans sourciller) et surtout ça ne danse pas. Les élèves sont maintenus dans un espace rigide, et je me sens corsetée par le thème que l’on m’a donné : le pivot, c’est parfait pour les tours, mais à l’échelle du cours, cela fait beaucoup de changements de direction qui plongent dans une concentration très cérébrale, bien peu goûteuse en termes sensibles. Dans des niveaux plus avancés, je rajouterais des pas de valse et de bourrée à tout va pour prendre davantage l’espace, mais pour des enfants qui en sont à leur troisième année de danse classique, ces pas de liaison constituent des difficultés supplémentaires davantage que des respirations. (La formatrice me soufflera : des courses. Il faut les faire courir dans l’espace au début de l’exercice pour pour changer de côté.)

Le cours ne se passe pas mal pour autant ; les enfants sont de bonne composition et essayent tout ce que je leur propose. Mais c’est presque pire : je vois dans leurs yeux qu’eux pas plus que moi n’y prennent vraiment plaisir, et c’est pour moi un cours raté, même s’ils ont appris des choses. Est-ce donc cela qu’entendait la formatrice du stage d’initiation en qualifiant ma relation pédagogique de « très empathique » à l’égard des élèves ?

À la fin du cours, j’échange quelques mots avec le pianiste qui a essuyé tous mes flottements musicaux. « Arrête de t’excuser, » m’enjoint-il au troisième ou quatrième désolée de ma part. « On est tous là pour apprendre ».

La formatrice m’explique que je ne dois pas chercher à copier N. Elle, a reçu un enseignement académique (elle ne dit pas professionnel ou de haut niveau, juste : académique), elle sait, elle peut faire ça, carré, ça lui convient. Pas à moi. Je ne dois pas chercher à la copier — à faire du mauvais Opéra de Paris, avait dit Wayne Byars à la cantonade un jour férié que des petits rats avaient fleuri au milieu des amateurs, instantanément rigidifiés sous l’effet du mimétisme et de l’admiration. Je dois rester davantage dans les dynamiques, que je perds à décomposer le mouvement (et les visages). Aussi pertinent cela me semble, j’ai du mal à voir comment je vais pouvoir m’y prendre. J’ai énormément appris avec ma binôme classique, mais pour le coup, je regretterais presque de ne pas être dans la promotion suivante où les étudiantes, plus nombreuses, ont des profils plus variés (et des niveaux moins impressionnants).

*  *  *

Rendez-vous avec le rhumatologue. Je suis un peu surprise qu’il ne regarde pas les images de l’IRM, seulement le compte-rendu — mais après tout, c’était le travail de la radiologue. Une opération lui semble tout à fait injustifiée, et une infiltration tout indiquée. Comme souvent avec les médecins, je dois lui extorquer les informations à coups de questions en rafale (est-ce que l’infiltration fait mal ? où est-ce que ça se fait ? est-ce que je peux re-danser après ? combien de temps après ? y a-t-il des mouvements contre-indiqués ou au contraire à privilégier ? si jamais l’infiltration ne donne pas les effets escomptés, quelle est la marche à suivre ? est-ce que je reviens le voir ?). Le soir, quand ma mère me demande ce qu’il a dit pour les disques abîmés et l’arthrose, je me rends compte que j’ai complètement oublié d’aborder le sujet et qu’il ne l’a pas soulevé en regardant les radios. Pour le topo complet et la dimension préventive, on repassera.

*  *  *

Je suis à la barre à la cheminée avant après dîner pour préparer puis noter au Bic bleu illisible les exercices du lendemain matin. Ce qu’il reste de soirée, je la passe avec le boyfriend devant la première heure de Brazil.

— How are the twins?
— Triplets.
— My, how time flies!

…

Jeudi 9 novembre

Je donne un cours (de danse classique aux contemporains). 1h15.
Je suis des cours (d’analyse du mouvement). 4h30.
Je prends un cours (de danse classique). 1h45.
À la fin, je suis : à court d’énergie. Gloire aux électrodes du kiné.

Le cours de la fin de journée est donné par H., une ancienne étudiante diplômée au printemps dernier. Les pliés sont traversés par les bras du Lac des cygnes, l’adage est plein de torsions où donner du dos : j’adore — et danse probablement un peu plus que je ne devrais.

À la barre, pour indiquer le tempo et la dynamique au pianiste, H. chantonne un air de Disney. Amusée, je n’arrive plus me concentrer pleinement sur la mémorisation l’exercice ; je cherche à retrouver les paroles : prince Ali, oui c’est bien lui, Ali Ababa… à genoux, prosternez-vous ? profèrent les fous ? pour ?… pas de panique, on se calme, criez prince Ali… Autour de moi, personne n’a reconnu la musique ou personne ne s’en amuse. La première option est probable si on considère l’âge des élèves et la date de sortie d’Aladdin (Wikipédia suggère que j’avais 4 ans). Mais je n’étais pas née non plus lorsque Bizet a composé l’Arlésienne, que chantonne H. pour un autre exercice. La plus sûre conclusion serait de s’en tenir à des goûts musicaux partagés.

Dans la catégorie « cela fait 25 ans que je fais un pas de base de traviole », je pioche aujourd’hui le dégagé derrière. Je brossais avec tout le pied, jusqu’à ce que le talon s’élève et laisse le gros orteil seul au sol, au lieu de pivoter en premier les orteils avec une flexion dans la cheville. À part ça, je me dirige vers l’enseignement de la danse classique.

Avec le double de danseurs, le studio est saturé : de sueur étouffante, de membres qui obstruent l’espace, de bavardages qui ne laissent pas de place au silence quand la musique s’arrête. Le brouhaha visuel me rappelle les cours open du Marais. Je retrouve aussi un horaire auquel mon corps est habitué : contrairement à N., qui a suivi un cursus professionnel où l’on est à la barre dès le matin, j’ai toujours dansé le soir après les cours ou le travail. Depuis le début de la formation, mon corps est à la peine lors de nos entraînements matinaux — tandis qu’il est plus délié lorsque je commence à fatiguer en fin de journée. La volonté et l’attention vacillent, mais l’effort a alors cette vertu paradoxale de me dé-fatiguer.

Je me capte de loin dans le miroir, short large qui s’évase comme une minijupe trapèze, cheveux courts ébouriffés par un bandeau à picots comme les danseurs qui ont les cheveux trop longs (dixit N.) : je ne ressemble plus à grand-chose, j’aime bien. La décontraction des classiques-turned-contempo est encore loin, mais j’ai tombé le chignon. Souvenir de cette femme à Paris qui prenait le cours en grandes chaussettes et faisait prendre l’air à ses cheveux courts dans des déplacements plus grands qu’elle. Il n’y avait pas de maladresse dans sa danse approximative — plutôt d’autres maîtrises ou ambitions. Seule solution pour ne pas être moins bien que : être ailleurs. Je suis quelque part, à la barre, entre notre ancienne camarade qui donne cours et ces lycéennes fringantes qui me renvoient l’image d’une ancienne moi, à l’époque du conservatoire, en collants blancs, chignon laqué et appétit pour la grande technique. C’est loin, c’est tendre. Je me suis déplacée depuis.

Avec Melendili, plus tard, on parle de ça, d’être entre et à la fois. Ni nouvel arrivant dans le monde du travail ni parent, à cheval de ces deux mondes. À une pendaison de crémaillère qui se dédouble pour cause de place, elle est invitée deux fois : à la soirée des célibataires les plus jeunes et au goûter dominical des darons (qui pour certains regrettent la soirée — prévenus en avance, ils auraient pu s’arranger). On ne sait pas où la mettre — un bel objet sans place définie, dont on se demande s’il sera davantage en valeur sur le manteau de la cheminée ou le devant de la bibliothèque. Je ne sais pour ma part pas toujours sur quel pied danser : j’oublie assez souvent les dix ou quinze ans de décalage qui me séparent de mes camarades pour qu’ils ressurgissent à l’improviste sous forme de fossé creusé de nulle part, tandis que je reste à distance constante des trois quatre personnes de mon âge qui, non seulement n’ont pas démissionné de leur emploi pour suivre cette formation, mais ont pour deux d’entre elles des enfants en bas âge.

Melendili est moi serions des ni ni et des à la fois. Ni étudiante ni adulte-qui-coche-les-cases. Ni les soirées en semaine ni les goûters où un nouveau-né prend le sien au sein. Mais un peu de tout ça à la fois, à notre corps défendant parfois. Melendili échappe peut-être encore davantage aux cases que moi, qui suis casée (même si, en couple, j’habite seule — est-ce que je souligne cette défausse pour me sentir plus proche d’elle ?) : pas tant parce qu’elle est célibataire, que parce qu’elle ne cherche pas à faire couple. Une autre amie, un cran au-dessus, a pris la décision de ne jamais se mettre en couple. On parle d’enfants aussi, de ceux qu’on ne veut pas, qu’on ne sait pas si on veut, qu’on se fait à l’idée de ne pas avoir, ou qu’on fait avoir à d’autres (cette histoire de parentalité homosexuelle me semble bizarrement plus attendrissante que toutes les annonces de naissance qui arrivent de moins en moins comme des surprises). On parle, on parle, en haut-parleur, deux heures durant, le téléphone posé sur la bibliothèque basse à côté du canapé, un plaid sur les genoux, c’est doux.

Le boyfriend est reparti. Je m’endors plus difficilement sans avoir sur moi la trace de sa chaleur et de son odeur, l’apaisement de sa présence.

…

Vendredi 10 novembre

Il est question de spirale à un moment du cours de danse — « comme un pot de confiture » précise le professeur en mimant l’ouverture du couvercle. C’est le même professeur qui demandait d’avancer la tête comme si on essayait de croquer un cookie devant soi. My kind of teacher. 

Il persiste cependant à appeler Célestine une danseuse qui ne s’appelle pas du tout Célestine. Elle le corrige avec le sourire, il se corrige de même, puis en pleine diagonale : « Bien, Célestine ! » Les trois danseuses sont gagnées par un fou rire peu compatible avec l’exercice de saut demandé ; les visages se fendent au-dessus des corps qui tentent de conserver le gainage requis, que leur dispute le hoquet du rire.

Les première année se sont réfugiés dans un vestiaire pour déjeuner : pour un peu, l’absence de chauffage et d’isolation de la salle dédiée rendraient superflu le frigo. La force d’inertie prend le relai de la force d’attraction des micro-ondes, et je m’attarde dans le froid avec quelques autres. On se montre des photos de nos chats comme d’autres se montrent des photos de leurs enfants (j’ai annexé le chat du boyfriend). My kind of gagaterie.

Le CHU de Roubaix m’a rappelée pour me donner un rendez-vous dans cinq jours. J’ai l’impression d’avoir gagné un billet coupe-file à la loterie.

…

Samedi 11 novembre

Il fait un temps à aller se promener en forêt, même si, en forêt, je regrette de ne pas être si bien équipée que cette famille en bottes bleues et roses. Je suis partie baskets au fusil, oubliant tout des précipitations record des derniers temps. Tu n’as pas entendu parler des inondations ? s’étonne le boyfriend en visio quand je lui raconte le soir venu ma promenade boueuse. Si, si, il faisait si beau que je n’y ai plus pensé.

D’un bond de tram, je troque le bourbier forestier contre les chemins secs du parc Barbieux. Couleurs et lumière d’automne y sont splendides.

(Je profite du soleil pour un shooting souvenir de mon scalp capillaire,  avant de glisser la mèche de cheveux dans une enveloppe pour Solid’hair.)

…

Dimanche 12 novembre

Improvisation de poivrons sautés, sauce épicée et cacahuètes.

…

Lundi 13 novembre

En danse classique, les garçons ont des techniques giratoires et saltatoires qui leur sont propres, en pendant des pointes pour les filles. Apprendre à l’enseigner est une très bonne idée. Seulement, enseigner ce qu’on n’a pas soi-même appris n’est pas commode. Ça l’est encore moins quand on n’a pas le corps en état pour l’expérimenter. Et quand je m’emmêle les pinceaux avec la musique, c’est le pompon : blocage en travers de la gorge. Je chevrote.

N. donne un cours particulier à une camarade contemporaine qui souhaite se préparer aux auditions. Il faut voir l’air incrédule de celle-ci quand, épiphanie, elle découvre des sensations qu’elle n’a jamais perçu dans des mouvements aussi simples (et complexes) qu’un port de bras en première ou seconde position (eh oui, la structure vient de rotations inverses !).

La journée est longue et me laisse abrutie. Le cours des garçons que l’on observe jusqu’à 20h30 est pourtant très chouette. Le plus jeune a de belles capacités encore inexploitées ; pour l’heure, il se contente d’être adorable et se pince les lèvres  de concentration. Par un encouragement ou une correction, on apprend son nom, Teddy, et c’en est trop pour le petit cœur attendri de N. : « Et en plus, il s’appelle nounours ! » (En réalité, pas du tout, c’est pour cela que je m’autorise à l’écrire.)

…

Mardi 14 novembre

C’est le retour de l’eau qui monte dans les rêves, les émotions qui débordent, des valises à faire avec trop de vêtements à rouler dedans.

Cours en visio d’un prof boomer, ça coince. Quand je raconte l’épisode au boyfriend dans notre visio du soir, il a comme toujours une lecture sensible et sensée de la situation : ce professeur en sciences de l’éducation n’est pas pédagogue, voilà tout, voilà l’ironie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *