Journal de septembre 1/2

Vendredi 1er septembre

Pas envie de quitter le boyfriend. Me lover contre, tout contre lui.

(J’ai spontanément indiqué juillet au lieu de septembre pour les premières entrées de ce journal, c’est dire mon désir de rentrer.)

Mum me remmène à Roubaix, avec mon lumbago et mon barda. Monter en voiture sans courber le dos implique une chorégraphie adaptée : le dos tourné à la portière, fléchir les jambes et attraper la carrosserie au-dessus de l’ouverture pour se tracter vers le bas et déposer ses fesses sur le siège avant de pivoter. Tadaaa.

Courses chez Leclerc. Est-ce la rentrée scolaire ? le début du mois avec le salaire qui vient de tomber ? la veille de la braderie de Lille ? Je n’ai jamais vu autant de monde. Sur le présentoir à côté de la caisse, où l’on trouve habituellement des magazines de recettes mal fagotés, un Magazine HPI. Soit une publication pour un phénomène qui concerne 2 % de la population (un chouilla plus si l’on inclut les proches), dans un lieu que l’intelligence a déserté — sauf à s’appeler Annie Ernaux. Regarde les lumières, mon amour. Est-ce une honte que de s’intuitionner HPI, quelque chose qu’on ferait passer sur le tapis à la dernière minute comme les serviettes hygiéniques quand on est ado ? Ou un booster d’ego, qui ira bien avec les chewing-gums pour l’haleine mentholée ? Quoiqu’il en soit, on salue la performance marketing : déjà deux numéros à son actif, c’est le Magazine HPI n° 3, il aura au moins tenu jusque-là.

Chez Décathlon, c’est la valse des hésitations. Mum hésite entre deux tailles de moufles-mitaines pour la marche nordique — une invention ingénieuse, avec un clapet maintenu par un aimant pour découvrir la mitaine quand il ne la capuchonne pas en moufle. L’une est un peu juste, l’autre risque de gêner la préhension du bâton. Elle essaye l’une, puis l’autre, puis l’une, puis s’excuse, elle essaye une dernière fois l’une puis l’autre, puis l’une… et je me vois soudain de l’extérieur,  je vois d’où je viens, pas de nulle part, prise dans cette filiation de l’indécision comme elle dans l’hésitation, l’instinct contredit ou mis en doute par tout un tas d’arguments rationnels. Je reçois lesdits arguments pour et contre et pour, j’essaye de les ordonner pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, et c’est finalement le non-choix qui l’emporte : acheter la taille qui n’est pas disponible en région parisienne, sans l’échanger contre celle acquise dans le doute ; il sera toujours temps (dans la limite de quinze jours ouvrés) de rendre l’une ou l’autre paire.

Au retour, je mets de côté le short de sport rapporté sans lui ôter son étiquette : ai-je bien fait ? (Depuis le mois suivant, je peux affirmer que oui, mais ce n’est pas la question.)

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Samedi 2 septembre

On a tenté sans succès de faire rentrer le vélo dans le coffre pour l’emmener réparer. On s’est promené à la braderie organisée par le centre commercial dégriffé en plein air de Roubaix, sans qu’aucune fripe ne nous donne envie de l’acheter. On a mangé :
/ un clafoutis chèvre, petits pois, menthe — première impulsion pour me remettre à cuisiner et tester de nouvelles recettes ;
/ de gros gâteaux au Grand Café Roubaix, allitération à prononcer la bouche pleine de cheesecake à l’Oreo ;
/ un chirashi saumon et anguille, avec une soupe miso qui réconforte et réchauffe même après une belle journée. La vaisselle japonaise m’a donné envie d’un thé au jasmin. L’objet seul a suffi à induire une envie, de gestuelle, de saveur.

Théières individuelles et gobelet sans anse pour le thé, noir avec une bande décorée de motifs bleus

Deux sigles animent la conversation : HPI (l’enfant d’une de ses amies a été diagnostiqué et à peu près tout qu’elle lui raconte fait écho à des anecdotes de moi petite ; je rétorque que c’est souvent génétique, ce truc-là, suivez mon regard, je ne vais quand même pas brandir les baguettes) et les TOC (je savais qu’elle en avait eu, elle aussi, et qu’ils avaient disparu quand elle avait habité en couple, mais j’ignorais qu’ils étaient reliés au même lieu). Ce partage de vulnérabilité, en créant de l’intimité, me relance paradoxalement dans une dynamique plus joyeuse.

La conversation enjouée se poursuit jusqu’à 1h du mat’ sur le canapé — et à côté quand on en bondit pour se montrer des trucs de danse ou de Pilates. En lui faisant mettre son poids en avant, je fais comprendre à Mum la différence entre repousser au niveau des orteils et les crisper. À sa joie de comprendre une consigne-correction qui n’était reliée à aucune sensation répond la mienne, de voir que je suis capable d’aider à cette prise de conscience (comme la dernière fois avec ma marraine et une position de yoga dans laquelle elle perdait l’équilibre).

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Dimanche 3 septembre

Bouillotte froide, douleur accentuée au réveil, rêve à l’avenant : mon ex nous a livrées à des Russes, je le retrouve et le gifle à répétition sans réussir à lui faire perdre son sourire narquois.

Promenade au parc Barbieux : le bien que font les arbres.

Rangement, tri, administratif : impression d’efficacité et de place nette.

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Lundi 4 septembre

L’ostéo me soulage du lumbago, un nerf reste coincé dans le processus. Changement de douleur comme un changement d’ostinato dans la musique de Philip Glass.

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Mardi 5 septembre

Vive l’opium, vive la Lamaline.

Rentrée (administrative). Aujourd’hui, on se fait la bise. Dos en carafe oblige, au lieu de me pencher, je plie les genoux, et les plus petites s’offusquent du différentiel ainsi souligné.

Réunion de rentrée avec tous les partenaires de la formation, soit une rangée de personnes avec de petits papiers illisibles posés devant eux, qui essaient tous de faire court et échouent tous sauf deux (concis, expressifs, engageant). Pourquoi on s’inflige ça ? Les intervenants ont l’air aussi ennuyés que nous tant qu’ils n’interviennent pas. Douleur au nerf, ça dure dans le corps plus longtemps que ça ne dure dans l’abstraction du temps mesuré.

Dans la promo, personne n’a envie d’être là — ni à cette réunion, qui est une redite de l’an passé, ni pour reprendre la formation, qui a assez duré. Surtout mon binôme classique, avec qui nous nous entraînons mutuellement. On voudrait déjà être diplômées. Les petits fours salés sont délicieux, je n’ai aucune gêne de socialisation, n’essayant pas de parler à des inconnus, et pourtant j’ai l’impression de me retrouver en-dehors de ma place ou plutôt que ma place serait précisément d’être toujours un peu à côté, de ne pas savoir à quelle distance me situer, de trop en dire, parler de moi ; je réponds à comment ça va et tu as fait quoi cet été  avec trop de franchise ou de chance (j’ai le dos bloqué et des congés de privilégiée) ; on me répond court quand je retourne la question, et je voudrais n’être pas si plus vieille ou encombrante, ne pas ressentir si vivement les petites frictions interpersonnelles passées ou à venir. Bref, j’ai le nerf crucial crural à vif, et je suis contente de vite rentrer, me plonger dans les souvenirs de l’été avec du tri de photo.

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Suite de En thérapie (l’épisode avec Carole Bouquet est vraiment mal joué). Le début de la série offrait la simplicité d’un patient par épisode, d’une énigme à déchiffrer ; mais le psy prend de l’épaisseur, cesse de n’être qu’un psy, et l’énigme devient un imbroglio, une impossibilité de démêler ce qui se joue. J’aurais voulu qu’il n’y ait pas d’enjeu autre que les patients, que les relations humaines deviennent enfin un peu lisibles. Je suis fatiguée, je crois, et repousse d’heure d’aller déposer et retourner la douleur dans le lit.

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Mercredi 6 septembre

Proposer une intervention sur les violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant, c’est plutôt une bonne idée ; programmer la même intervention deux années d’affilée pour le même public, moins. Même (surtout ?) quand on s’aperçoit n’avoir pas retenu grand-chose d’une année sur l’autre. C’est très long, et la douleur en position assise n’arrange rien. De fait, je passe la dernière heure debout au fond de la salle.

Léger étonnement qui n’en est pas vraiment un : dans la salle, la plupart des filles connaissent la vidéo du consentement expliqué avec une tasse de thé ; les garçons, quasiment aucun.

Manque d’enthousiasme. Je me sens sans énergie, sans aucune envie de porter des projets, alors que tout le monde n’a que ça à la bouche, des projets, informes, flous, projetés comme ça devant nous dans l’éther des possibles qu’il faudrait actualiser. Encore trois heures de réunion, assis par terre cette fois, c’est une manie de danseurs. Heureusement, il y a eu de la Lamaline entre temps.

De nouveaux étudiants me vouvoient à l’école, j’ai l’âge d’y être professeur. Sur le retour, deux pré-ados assis sur un perron me saluent d’un bonjour madame. Bonjour, je réponds évidemment ; encore quelques années avant d’ajouter les enfants.

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Jeudi 7 septembre

Nouveauté intéressante sur le papier : un atelier d’accompagnement psychologique à la réussite par une artiste-enseignante-chercheuse-coach. Sur place, je ne sais plus trop : la composante psychologique prend des allures de Ted Talk new age. L’empathie de l’intervenante se fait parfois démonstrative, et on ne sait plus si on assiste à une performance ou un atelier mené par une hypersensible. Il y a quelque chose de touchant et en même temps de pas bien sec ; on sent qu’elle essaye de se réparer elle-même en chemin. Le cadre collectif pose également des limites ; il y a un moment où ça coince au niveau des généralités, et le besoin d’une réponse individuelle se fait sentir.

Je ne participe pas aux échanges, je ne saurais plus où m’arrêter. Cette retenue brouille les frontières celle que j’étais et celle que j’aimerais être : une élève qui ne participe pas, et une camarade qui adopterait une posture plus en retrait, pour ne pas envahir et manquer l’autre en parlant trop, en le regrettant parfois après. Sociabiliser me coûte en cette rentrée, j’ai besoin de solitude.

L’intervenante ressemble de manière perturbante à mon amie Klari — la même manière de poser des silences dans son récit, des expressions du visage un peu semblables, encadré par une coupe de cheveux que je lui ai connue — et à Laura Cappelle — j’ai plus de mal à trouver en quoi, probablement une fluidité gestuelle couplée à une absence de self-consciousness corporelle. Ces superpositions m’arrivent sans cesse : je vois une personne et j’en vois d’autres en palimpseste, qui colorent inévitablement ma perception. Ces gens double ou triple d’emblée me fascinent. J’ai d’ailleurs du mal à décoller mon regard d’un étudiant en qui je retrouve la silhouette et le fort désir de rationalité de mon ex, mêlés à la sensibilité un peu nerveuse et aquiline d’un ancien camarade de lycée (son regard restait fixe et il tremblait quand il tenait à exprimer une idée, la main suspendue devant lui, comme pour la retenir). Ça ne colle pas, une expression si juste et libre des émotions avec le souvenir de mon ex alexithymique ; je dois me retenir de dévisager ce jeune homme que j’ai l’impression de reconnaître et dont je ne sais rien. Mon regard s’attarde quand il rend la parole.

Le boyfriend trouve ça étrange, ces palimpsestes de personnes. Quand il rencontre quelqu’un, il préfère s’attacher à ce qui rend la personne unique. Moi aussi, sur le papier, mais cela passe souvent, malgré moi, par un processus de différenciation sur un fond de similitudes. Chercher pourquoi telle personne me rappelle telle autre, c’est trouver le début de la formule qui rend cette personne unique, sa combinatoire propre de traits communs.

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Nouvelle séance d’ostéo et pleurs  : de douleur / de la crème solaire qui pique les yeux / de catharsis émotionnelle ? Le corps, c’est l’inconscient, rappelle l’ostéo-thérapeuthe. Et cette phrase qui pique : est-ce que tu te sens à ta place dans ta vie en ce moment ?

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Vendredi 8 septembre

À chaque jour sa conférence. Aujourd’hui, conférences sur les risques psycho-sociaux pendant les études, par une conférencière psy spécialisée dans les arts de la scène. Je trouve ça rudement bien, cette sensibilisation aux questions de santé mentale. L’intervenante s’est attachée à décrire certains mécanismes mentaux, à rassurer sur ce qui est normal (la névrose, avoir des coup de blues, consulter quand on soupçonne que ce n’est pas qu’un coup de blues) et a consacré un volet de sa présentation au phénomène d’addiction (qui m’a moins parlé, le chocolat étant ma seule drogue — mais ça m’a fait repenser à une BD qui évoquait l’addiction à la cocaïne de Freud).

Cette femme posée, douce et ferme derrière ses lunettes noires, inspire confiance. Son exposé est beaucoup plus apaisé, maîtrisé que la veille. Sa posture est tout autre, sans tentative de recettes : il y a des mécanismes psychologiques qui peuvent se décrire, et un travail d’analyse qui reste du cas par cas.

“Est-ce que l’analyse n’est pas de la surinterprétation ?” lui demande-t-on dans le public. J’ai bien aimé qu’elle souligne dans sa réponse la manière problématique dont des psychanalystes ont pu discourir en adoptant une posture de sachant, pour imposer une analyse sur des plateaux télé par exemple, alors que l’interprétation est toujours une suggestion dont s’empare ou non le patient. Le thérapeute est là pour accompagner avec humilité.

Il a également été question de la place du professeur, qui se pose de manière particulièrement aiguë pour les musiciens, dans la mesure où ils travaillent leur instrument seul à seul. La relation professeur-élève peut devenir transférentielle et rejouer la relation enfant-parent — dans ce qu’elle a de bénéfique (booster, réparer…) mais aussi de néfaste (pression, enfermement dans des schémas). Ça me donne envie d’étudier la psychologie, et met en résonance mes découvertes du moment (une lecture sur les sciences de l’éducation, et la série En thérapie).

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Un mariage musulman a lieu au parc Barbieux. Entre les youyous et la musique, c’est tout de suite plus gai. Me rapprochant pour apercevoir les musiciens et profiter discrètement des festivités, je me mets à discuter avec un couple lui aussi interpellé par la musique. Ils sont là pour installer leur fille étudiante. Le parc, la ville, oui je m’y plais, les gens sont adorables, d’ailleurs on le devient soi-même un peu plus, un peu moins Parigot-tête de veau. On évoque la météo et le climat, l’architecture, à Croix, à Roubaix, la danse, ah les cygnes, le Lac, la grâce, surtout par le Mariinsky, ce n’est pas moi qui le dit. Il est aussi question de sécurité, de la rue des Arts où je danse et où leur fille dormira. La mère a l’air soucieuse des débordements des fêtes estudiantines : ils ont eu de la prévention à ce sujet, mais elle est inquiète que l’école ne prenne pas davantage en charge ces choses, et je me trouve à utiliser beaucoup plus vite que je ne l’aurais cru mes connaissances de seconde main bien fraîches de la conférence sur la prévention des violences sexistes et sexuelles : procédure disciplinaire et procédure pénale sont indépendantes, la victime peut choisir d’engager l’une ou l’autre, ou les deux ; le personnel de l’établissement en revanche est tenu de d’engager une enquête si on lui remonte un signalement. J’enchaine sans transition sur la ville, la médiathèque, Pancook (dont j’ignore encore la fermeture), la Manufacture, l’entrée gratuite à La Piscine les vendredi soir, ma formation, je raconte, les profils sociologiques qu’on y trouve…

Elle est violoniste, lui astrologue, je suis Lion lumineuse. Puis il y a Vénus, Verseau, Pluton qui va changer de signe, des chiffres dans tous les sens, juxtaposés, additionnés à la Vierge ; mon prénom entre en résonance avec la mère de la Vierge, ça alors ; mon chiffre est le 14, d’ailleurs Versailles, Louis XIV,  le roi Soleil, moi Lion, rien n’arrive au hasard — il n’y a pas de coïncidence dirait le psy d’En thérapie. J’essaye de ne pas trahir par mes expressions faciales d’incrédulité ou d’amusement. Je ne voudrais pas le blesser, et après tout, rendre visible l’invisible, pourquoi pas, interpréter en tous sens, n’est-ce pas grisant ? Je me demande comment on s’arrange avec la religion — ils sont catholiques —, mais après tout ne rien laisser au hasard, la destinée… Il avait prédit le Covid, voyez-vous. J’avance et ensuite je démontre, je n’avance rien que je ne puisse démontrer ; il justifie a posteriori en faisant feu de tout bois. Une barbe blanche engageante : je finis par faire le rapprochement avec le papa de Melendili, c’est le même gabarit.

Elle, me parle plutôt de sa fille, très mature, qui le soir de ses 13 ans se lamentait qu’il lui restait 5 ans avant de pouvoir décider de sa vie. Elle l’a menée en Corée du Sud, sa vie, et ses parents ont été très au fait de la géopolitique tant qu’elle était là-bas ; eux sont de Pau. Elle craint un peu le décalage, sa fille de 20 ans très mature avec des 18 qui ne le sont pas toujours, dans une culture de fête d’école de commerce. Elle trouve courageux d’entamer une reconversion professionnelle en ayant 15 ans de plus que mes camarades. Le décalage. J’essaye de dire ce que je sens de la nouvelle génération, sensibilisée à de nouvelles thématiques, engagée, rodée à l’argumentation, un aplomb plus grand, peut-être et tant mieux. Et c’est à nouveau la valse des chiffres astrologiques, qui me pleuvent dessus, jusqu’à ce que la mère écarte avec élégance le rideau de pluie pour nous renvoyer au soleil chacun de notre côté.

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Apolcalypase en cuisine en tentant de faire des galettes de blé. Ne jamais faire confiance à une recette qui préconise d’ajouter “de l’eau”, sans préciser la quantité.

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Samedi 9 septembre

Trop chaud, déprime latente.
Je fais un tour à la médiathèque sans rien emprunter, fiche de lecture oblige.
J’ai aussi noté “visio catharsis” sans plus avoir aucune idée de la discussion à laquelle cela fait référence.

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Dimanche 10 septembre

Aussi chaud, mais plus gai. Je prépare le cadeau d’anniversaire de Mum, trie et traite les photos de Londres et Chamonix.

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Stage de rentrée, du lundi 11 septembre au vendredi 15 septembre

Un stage de rentrée sans pouvoir danser, c’est une semaine entière à observer les cours et répétitions assise dos au miroir (mais pas adossée, pour raisons de sécurité), jusqu’à 5h30 d’attente par jour. Autrement dit une épreuve d’endurance. Le comportement contestable du professeur-chorégraphe rend la semaine encore plus éprouvante.

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Lundi 11 septembre

Je rêve d’une tresse coupée, qui se décolore à vue d’œil. Le pigment disparaît, les cheveux deviennent gris-blanc dans une vague de dévitalisation inexorable, du bout coupé à l’élastique.

Il y avait un autre rêve dont il fallait que je me souvienne, dont je ne me souviens plus.

Je me tâte pour une coupe courte asymétrique (j’ai les cheveux longs jusqu’aux reins).

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Mercredi 13 septembre

2h30 dans salle d’attente du médecin, qui diagnostique un syndrome de la charnière thoraco-lombaire, bloquant le nerf crural. Au niveau de l’inversion des courbures vertébrales. Rien à voir avec la tendance à gommer à outrance les courbures dans une mauvaise compréhension de la danse classique, évidemment.

Ostéo, il me débloque à la hâte ; le gyrophare arrête de faire tourner la panique dans ma tête.

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Jeudi 14 septembre

Photo en noir et blanc à travers une fenêtre : vue sur le fronton d'une ancienne usine stylée mais délabrée et les toits

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Vendredi 15 septembre

Un rendez-vous rapide dans un centre de radiologie conventionné secteur 1, je ne pensais pas que ce soit possible. Le compte-rendu me réjouit moins : discopathie étagée de T11 à L3. J’ai du mal à ne pas pleurer dans le bus. Ce côté irréversible. J’ai abîmé mon corps. Un disque, ça ne se reconstitue pas comme un os. Quatre disques, encore moins.

L’anxiété, la douleur, toutes deux lancinantes. L’ironie de peut-être ne plus pouvoir danser quand justement je remets la danse au centre de ma vie en me reconvertissant comme prof. La blessure de la carrière d’interprète impossible aurait dû m’avertir ; la tentative inconsciente de réparation devient un second coup. L’idée de devoir éventuellement reprendre un bullshit job sans la danse à côté comme dérivatif me semble intenable. Je tragédise intérieurement dans le bus, fais bonne mesure, et mauvaise en arrivant chez moi.

Lorsque je montre la radio au boyfriend en visio, il ne voit pas le léger guingois des lombaires ; il s’émerveille spontanément de ce que ma colonne soit si droite, les vertèbres si bien alignées. On ne voit jamais que ses propres radios quand on n’est pas médecin, et sur les siennes, ce n’est pas une colonne que forment ses scolioses, mais une hélice — enfin j’imagine, je n’ai jamais vu que mes propres radios, et perdu le trajet de ses vertèbres sous mes doigts. Je devrais avoir honte de paniquer devant lui, devant une colonne grecque de chamallows bien empilés.

Sous un temps resplendissant, un parc très vert avec un plan d'eau, un grand seule pleureur et une demeure de châtelain en arrière-plan
Une pause déjeuner au square Catteau, dont j’oublie tout le temps l’existence alors qu’il est proche de l’école. Quand je parcours l’album photo de mon téléphone, je me rends compte qu’il raconte parfois une autre histoire des jours que les notes prises pour ce blog.

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Samedi 16 septembre

La réaction de N. face à mes déboires vertébraux et leurs potentielles implications me touche ; elle sait exactement l’endroit que ça touche.

La restitution du stage a lieu à la Manufacture de Roubaix pour les journées européennes du patrimoine. Les classiques dansent en basket à l’extérieur dans la cour de briques et de béton, les contemporains à l’intérieur entre les machines à tisser, et tout le monde se change dans une salle habituellement dédiée à des ateliers. Il y a des tables, des chaises, trois canapés, une table basse avec des plantes en crochet, bientôt recouverte d’épingles à cheveux et de trousses de maquillage, et tout un tas de bocaux et casiers remplis de laine dans des états divers, dont un de MOUTONS, dit l’étiquette. Je regrette de ne pas avoir soulevé le couvercle de ce souvenir digne de Saint-Exupéry.

La pause est longue entre les deux représentations de l’après-midi, certaines bossent sur leur ordi, somnolent, ça discute et boit du café — il y a toujours quelqu’un pour préparer du café quelque part —, les filles remettent du sang sur leurs lèvres (le chorégraphe voulait une teinte sombre et a choisi le rouge le plus vamp du panel), elles ont une allure folle avec leurs chignons banane, et je mange le makrout le plus gros et gras de ma vie. …

Dimanche 17 septembre

Suis-je ralentie par la douleur ou un perfectionnisme las dans cette fiche de lecture ? Je n’ai pas de problème pour jeter les mots, mais l’articulation fine est compliquée. Devoir affiner, décider définitivement des mots à employer alors que vous voyez l’idée.

Au parc Barbieux, au milieu de l’allée : un mini-chaton noir. L’homme qui l’a posé au sol l’appelle en continu. L’étonnement se fraye un chemin au travers de ma réaction de mammifère énamouré : ça ne suit pas, un chat.  Mais l’homme soutient que si, son chat le suit, ils font leur promenade au parc ensemble tous les jours. Le chaton furète au pied d’un banc et j’échange un regard entendu avec ses occupantes, un chat, ça ne suit pas.

Moins mignon que le chaton noir, une guêpe noire. Je la laisse vaquer sur la vitre toute l’après-midi ; le soir venu, quand l’attrait des lumières électriques remplace celui de la lumière du jour, c’est une autre affaire. Opération évacuation, non sans sursaut, douleur.

Il serait temps que ce lumbago prenne fin, je commence à trouer mes chaussettes (j’ai trouvé une position pour me laver les pieds sans avoir mal, mais pas pour me couper les ongles des orteils).

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