Janáček a le génie si discret que j’ai failli oublier de vous en toucher un mot. Après avoir découvert La Petite Renarde rusée l’année dernière, je ne pouvais pas manquer Kátia Kabanová. Si cet opéra, adapté de la pièce d’Ostrovski, L’Orage, n’a plus le caractère idyllique de l’autre – ou seulement sa nostalgie–, sa musique a toujours ceci de particulier qu’elle est insoumise aux voix qui la traversent. Les paroles peuvent être simples, à la limite de la banalité, mais toujours la musique les détournera du lyrisme et de la mièvrerie qui le guette. Kátia Kabanová ne rêve pas d’un ailleurs, mais d’ici, vivre là. D’Emma Bovary, elle n’a que le mari, et encore est-ce beaucoup dire puisqu’il est davantage le fils de sa mère1 que le mari de sa femme. Ariana me faisait remarquer qu’il n’y avait pas d’homme dans cet opéra ; des chanteurs, oui, mais pas d’homme. Effectivement, pas plus que la mari l’amant n’est capable de soutenir la force de vie que lui propose/oppose Kátia, et tous ces garçons peuvent bien la désirer comme femme, ils l’égalisent comme fille. Tout autour, la nature, celle de Varvara (sa belle-sœur) comme celle de la Volga, est là pour lui rappeler cette diminution – grelots de joie tristement risible, toujours hors de portée (merci pour l’affreux tableau de rennes dans la chambre à coucher, qui m’a fait entendre le traîneau du père Noël). Comme la peinture de l’immeuble qui la contient, Kátia Kabanová se décolle du monde et finit par se jeter dans la Volga, elle aussi appauvrie en canalisations – d’égout (dans un tel décor, on ne peut que la comprendre). Auparavant, elle a avoué son aventure à son mari, qui a eu besoin de toute la voix de sa mère pour ne plus entendre l’évidence de sa propre faiblesse. Car désolée, Kátia Kabanová l’a vraiment été : isolée, dévastée, vidée de tout son désir. On le sent vaciller toute la soirée, sous la voix fragile et fervente d’Angela Denoke. Tant et si bien que même l’orage qui éclate et précipite la fin de l’opéra comme de l’héroïne n’entame pas la sérénité de cette musique. Je suis peut-être bien bouleversée mais étrangement calme. Apaisée.
1 Je comprends mieux maintenant, ou autrement, pourquoi les personnages de mère sont toujours écrasants chez Kundera : elle est « Maman », jusqu’au sein du nouveau couple.