L’au revoir de Nicolas Le Riche

Le danseur étoile n’aura cessé de le marteler à chacune de ses interviews : la 9 juillet ne marque pas ses adieux mais son « envol ». Comme un oiseau en cage ? Comme un gamin qui attend la quille, oui ! La grande fête qu’il a souhaité débute comme une kermesse : après Matthieu Chedid qui gratte sa guitare en avant-scène, place aux Forains et au Bal des cadets. Les élèves de l’école de danse y jouent davantage à l’adulte que Le Riche ne joue à l’enfant : c’est comme un gosse que l’étoile court en coulisses lorsqu’il faut laisser la scène à une délégation de Raymonda.

Tambours battant et extraits d’Orient, la soirée a des allures de bazar, où la merveille côtoie le toc. Le faune de 1912 se révèle ainsi être un beauf (pardon Jérémie Bélingard) qui drague une nymphe de la bonne société (Ève Grinsztajn). Hé ! Madmoizelle, t’as laissé tomber ton foulard, là ! Hé, mademoiselle, t’es bonne, tu veux pas aller prendre boire à la source avec moi ? Non. Plutôt mourir. Parce que, pour ce qui est de la séduction, la mort (Eleonora Abbagnato) sait y faire ; elle vous entraîne en un rien de temps un jeune homme vers des sommets d’angoisse et de beauté. Les pieds recroquevillés après un coup d’œil à la montre, le corps en chandelle et l’âme prête à vaciller… chaque pas est plus poignant à mesure qu’on revoit ce ballet.

Appartement entrouvre une porte sur une amitié comme n’en font que les années. Pour un peu, on ne se sentirait pas à sa place, d’observer sur scène l’intimité de Nicolas Le Riche et Sylvie Guillem. Pudeur exacerbée ou censure de control freak qui apparaît ridiculement masquée dans le programme, on ne saura pas ce qui a conduit la fille plus ou moins prodigue à refuser la retransmission, mais on aura bien senti que sa présence était un cadeau pour l’étoile, pas pour le public de l’Opéra – fut-il aussi le sien.

L’amertume se faufile encore dans un discours dispensable de Guillaume Gallienne, où des rimes ronflantes enrobent maladroitement quelques piques bien senties. L’extrait de Caligula qui suit ne quitte pas le registre du quelque chose de dérangeant. Impossible de baver sur Audric Bezard en Incitatus, la chorégraphie est déjà allée trop loin en effaçant les frontières entre l’homme et l’animal. Impossible non plus de rire, l’animal n’est nullement singé ; au contraire, il est aussi droit que l’homme qui l’interprète, risquant à tout instant d’abolir la ligne de démarcation tracée par la raison. Il ne fallait rien de moins qu’une étoile pour tenir cette folie à bout de bras, tenir, licou à la main, le rôle du sadique avec la superbe et le naturel le plus désarmant qui soit. La team Mathieu Ganio a regretté qu’il ne danse pas plus ; j’ai surtout vu la trempe requise par ce rôle plus dur qu’ingrat.

Josua Hoffalt et Karl Paquette ont été les dernières étoiles à rendre hommage à Nicolas Le Riche, en l’entourant dans le Boléro. Je crois que c’est là que j’avais repéré Karl Paquette pour la première fois, tellement sexy que je l’aurais bien mis sur la table, à la place de José Martinez. Cette envie d’intervertir les rôles s’est encore faite sentir, aussi inavouable soit-elle à une soirée d’adieu (de cet artiste-ci, qui plus est). Le regard ne cesse de passer du soliste au corps de ballet (et quels corps !) ; chaque nouvelle vague d’hommes apporte un regain d’énergie à Nicolas Le Riche qui termine, fatigué, sûrement, mais survolté, souriant plus largement à mesure que la fin se fait sentir. Ressuscité du suicide du Jeune Homme et la mort, il escamote la petite mort du Boléro, faisant de ces morts ratées l’emblème de la soirée : une soirée d’adieux qui ne se dit pas, où tout le monde fait comme si rien de fondamental n’allait changer, les blogueurs terminant leur compte-rendu sur le retour du fils prodigue au théâtre des Champs-Elysées.

Ce ne sont certes pas les adieux de Nicolas Le Riche à la danse mais ce sont les adieux de Nicolas Le Riche à l’Opéra, c’est-à-dire à une certaine idée de l’Opéra dans la mesure où l’étoile est « the last hurrah of the scintillating generation who grew up under Rudolf Nureyev ». Laura Cappelle a été la seule à l’écrire : « it’s clear the company will never be the same ». On a beau se réjouir des projets d’un jeune homme de 42 ans, la fin de l’ère Noureev a des relents de tristesse, qu’on aime ou non ses ballets. Aurélie Dupont clora le bal à la rentrée, alors que tous ont déjà quitté les lieux et plus encore que la présence de Sylvie Guillem, ce sont les absences qui se sont fait remarquer : Brigitte Lefèvre (brouille irréductible avec mademoiselle Non ? amertume d’avoir vu son poste brigué par l’homme de la soirée ?), Aurélie Dupont (avec laquelle il a formé un couple quasi-mythique suite au départ de Manuel Legris) mais surtout Wilfried Romoli et Kader Belarbi – quid des épousés ?

Nicolas Le Riche, assez sage pour ne pas tomber dans l’amertume, laisse l’Opéra derrière lui… et le spectateur de cette maison. On voudrait dire merci (ce qui n’est pas la même chose que bravo) mais on se sent à vrai dire assez inutile à applaudir un artiste si peu narcissique qu’il n’a pas besoin de nous – la danse a besoin d’un public mais lui n’a pas besoin de nous, il n’a pas besoin qu’on lui dise tout l’amour qu’on lui porte. Anne Deniau avait prévenu, elle avait raison : on ne peut pas être fan de Nicolas Le Riche. Il n’empêche, il me reste cette curieuse impression d’être une amante laissée sur le quai de la gare. Il est parti sans dire adieu.

 

(Mais on a aimé, c’est ce qui compte, je crois.)

Une réflexion sur « L’au revoir de Nicolas Le Riche »

  1. Je n’avais pas l’intention de l’écrire et puis peut-être avec le temps, le souvenir amer s’effacerait… mais non. Alors finalement, c’est en trouvant votre blog que je m’exprime, à cause de votre dernière petite phrase : un artiste si peu narcissique… Et bien c’est ce que je pensais… avant… et j’ai ressenti tout le contraire dans cette soirée ! J’y ai vu un homme frappé d’égocentrisme.
    J’aimais Nicolas, par sa personnalité artistique, mais aussi parce que ce que je croyais être sa personnalité tout court. Erreur… ou juste faux-pas ? En tout cas, cette soirée a gâché à jamais l’image que j’avais de lui hors des plateaux de danse. Cette soirée n’était pas une fête, c’était un panégyrique grossier à l’antique pour huiles ronflantes, manquant de simplicité et de générosité, en particulier envers ceux qui ont fait sa soirée, mais aussi envers ceux qui n’étaient pas invités à partager sur scène ces instants. Quel intérêt d’avoir convoqué Bullion, Gilbert, Ganio, Hoffalt et Paquette pour leur donner des miettes, voire les abaisser (Bélingard qui ne danse quasiment plus ayant le seul moment de danse) ? Pourquoi Dupont, Pujol, voire Letestu ou même Osta, ses partenaires n’étaient pas conviées à la fête ? Ce centrage sur un Jeune homme qui n’a plus la fraîcheur d’antan et sur un Boléro massacré par l’orchestre a desséché la soirée.
    Dommage, mais pour moi, Nicolas a raté sa sortie.

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