L’île de Giovanni

Kour-, Kour-, Kourlaev… non, ça, c’est un danseur… Kirill, Kouril- : Kouriles, les îles Kouriles ! Une heure quarante plus tard, je retrouve enfin le nom de l’île de Giovanni, réinscrivant l’animé de Mizuho Nishikubo dans le cours de l’histoire. L’épisode devait occuper environ deux lignes dans mon cours de khâgne ; autant vous dire je n’ai pas fait la fière quand j’ai vu les Russes débarquer sur l’île des protagonistes au lendemain de la seconde guerre mondiale. La Russie ? Au Japon ? En 1945 ? Les dates sont à peu près les seules références au contexte historique de tout le film. Alors que prendre un point de vue enfantin a, depuis les Lumières, tout du truc narratif, pratique pour dénoncer une réalité que le protagoniste ne comprend pas (sur le mode, on ne voit jamais aussi intensément que quand on voit quelqu’un ne pas voir), c’est dans L’Île de Giovanni un moyen de replonger le spectateur dans le brouillard du présent, au moment où il ne fait pas encore partie de l’histoire et où l’on n’en connaît ni la suite ni le fin mot.

Il en résulte un animé très nuancé, où les enfants nippons apprennent à jouer avec les « Ruskofs », en dépit des intérêts contradictoires de leurs parents. Giovanni (version occidentalisée de Junpei, avec un peu beaucoup d’imagination) en pince même pour Tanya, la petite fille blonde (du jamais vu) qui habite chez lui, dans la maison dont sa famille s’est fait expulser. Lorsque la population insulaire est déportée1, c’est de la laisser seule sur l’île qui inquiète Giovanni et son petit frère – un renversement de perspective qui fait sentir à quel point tous ces gens, pris dans la tourmente de l’histoire, en ont moins été les acteurs que les jouets, tout résistant ou commandant qu’ils aient été. À la génération des parents qui agissent par devoir envers leur patrie, même lorsqu’il n’y a plus d’espoir que cela change quoi que ce soit, succède la génération des enfants dont le devoir, semble dire le réalisateur, n’est plus nationaliste mais pacifiste : l’unique devoir des enfants, qu’ils soient enfants ou adultes, comme Giovanni qui revient, vieil homme, sur son île, c’est de ne pas en vouloir éternellement à des étrangers, qui ont eux aussi agi selon leur conception du devoir. L’ennemi historique peut alors laisser place à une multitude de gens avec lesquels danser bras dessus bras dessous, au Japon et au rythme du folklore russe. Jolie (a)morale de l’histoire : il faut se souvenir des circonstances et oublier à bon escient pour que l’espoir fasse vivre.

Mit Palpatine

1 En Russie, où l’on meurt littéralement de froid mais aussi où l’on voit, wow, de vrais trains pour la première fois.