Chaque voyage en avion est un moment « bittersweet » depuis quelques années. La conscience de réaliser quelque chose qui n’est plus vraiment acceptable avec les circonstances mais dont au combien je comprends le désir de réalisation et la nostalgie qui s’accompagne avec les lieux que l’on laisse derrière soi avec cette anxiété de ne pas pouvoir y revenir. Ce ne sont pas les gens, mais les lieux qui me serrent le cœur. Les lieux ne se déplacent pas. Les lieux ne peuvent pas écrire. Il faut y être pour vivre avec.
À quel moment a pu naître le sentiment de paysage ? Quand est-ce que l’animal ou l’humain que nous sommes a pu se sentir un jour heureux à la vue d’un lac noir au pied de monts escarpés ? […] On dit que c’est beau. On veut peut-être dire que c’est vital.
Le sentiment du paysage me travaille depuis Yosemite, je crois.
J’ai eu beaucoup de plaisir à suivre ce journal de Norvège, même si je ne l’ai pas lu dans les conditions prévues par l’auteur, préférant le confort de mon lecteur de flux RSS à la mise en page volontairement chaotique de la page web unique à explorer comme une Google Maps (j’aime beaucoup le concept, beaucoup moins ce que le texte en couleur surimprimé au collage photo fait à mes yeux).
Cet été, j’ai également eu l’occasion de revivre mon voyage au Vietnam à travers les stories d’une camarade de danse. C’est toujours étrange : les lieux continuent d’exister sans nous ? de changer et de rester identique ? Ce voyage vécu de manière si singulière, le voilà dupliqué, commun dans son extraordinaire. Je devine ce qui déborde la carte postale, j’ai vu les interstices des photos de vacances — c’est même pour cela que cela me fait si plaisir de suivre ce voyage dont je ne fais pas partie — et pourtant c’est maintenant que le mien m’apparaît comme carte postale. Expédiée depuis mon passé.
De même, je pourrais illustrer le voyage norvégien de Joachim Séné avec mes propres photos. J’ai assez envie de le faire, même. Il a réveillé des scènes et des pans de paysages précis.
C’est au ralenti que le soleil se couche si tard. Comme si le temps s’arrêtait, comme cette idée qu’on a parfois de désirer que la journée s’éternise, comme si ce vœux impossible se réalisait enfin. Dans ce mouvement lent, vient un sentiment de paix, d’éternité, mais aussi un effroi face à la possibilité que la Terre s’arrête de tourner. C’est à la fois la vie prolongée et la vie arrêtée.
Bergen est colorée, mais il fait gris. Il y a une foule, de la densité d’une station balnéaire française au plus beau de l’été. J’essaie de ne pas me reprocher d’être là, je ne reproche pas aux gens d’être là. Peut-être aux commerces d’y être. Mais il faut bien vivre.
Cette question, je crois, a déclenché mon envie d’illustrer ces entrées avec mes photos passées. Ou le fait que, là aussi, dans l’excursion narrée, mes photos ont été ratées.
Le Trollfjord
Le Trollfjord
[…] C’est trop beau pour être dit, trop sauvage, trop pour être visité. Une honte touristique s’empare de moi. Mais je ne regrette pas d’avoir vu. […] La question aussi de savoir pourquoi regarder, pourquoi se souvenir, pourquoi cette nécessité de découvrir ce qui se cache derrière le prochain bras du fjord, derrière cette île, derrière cette paroi, ce qu’il y a au bout du monde sans pourtant rencontrer personne, juste soi dans un environnement qui n’existait pas la minute d’avant.
Cet extrait m’est spontanément revenu en mémoire quand je suis tombé sur cette photo de Thierry Crouzet dans son journal de juin :
ICM, photo de Thierry Crouzet
Cette photographie serait peu intéressante si les lignes directrices nous menaient à un cul-de-sac — droit dans le mur —, s’il n’y avait ce biseau, ce virage qui nous échappe de l’impasse, nous propulse vers « cette nécessité de découvrir ce qui se cache […] derrière cette paroi ».
(L’échappée prend encore un tout autre sens quand on apprend que c’est l’institut du cancer où est traitée son épouse.)
Tout du long de nos heures (trois) de marche (roncées, ortiées, moucheronnées) nous serons bombardés de beauté […]
Je pensais que ça ne me ferait ni chaud ni froid de quitter cet endroit, mais ce n’est pas vraiment le cas, sans doute car je n’aime pas quand les choses se terminent.
[…] des vies entières, potentielles, miennes sans être miennes, sont oblitérées avant d’être vécues, comme si aller travailler et/ou rentrer chez soi et/ou retranscrire par ces mots ce qui fut traversé sans pour autant avoir été assez touché du doigt pour en faire une expérience véritable était plus important que, eh bien, vivre.
La gestuelle est si riche que savoir l’observer et la décrire suffit parfois à dire ce que les mots ont émoussé dans leur expression fixe. (Pourquoi je n’en finis pas de la danse.)
Il y a les côtes sublimes, puis les terres agraires monotones, sans cesse moutonnantes […].
La mer moutonne mieux que les moutons.
Ce matin, j’ai aimé les maisons cossues en surplomb des plages et des falaises. Elles dégageaient une force tranquille, une sorte d’éternité solide. Une opposition frontale aux éléments.
Hopper.
En trois phrases, un tableau de Hopper, sa lumière.
J’ai repensé à ces maisons en Norvège, aussi :
Mais un autre paysage surgit dans le récit de Thierry Crouzet :
Photo de Thierry Crouzet
Hopper, oui. La lande aussi, les bruyères comme en Cornouailles. La blancheur des ouvertures closes les évident, font de la maison un manoir de carton-pâte, un décor. Mi-Hopper, mi-Magritte. Non plus une porte sur la plage, mais une ouverture sur le ciel, auquel on ne peut accéder que par là, par le manoir-mandibule.
J’ai toujours été fasciné par le génie du lieu, par ces endroits naturels ou chargés d’histoire qui exhalent une force vitale indéniable, et je prends conscience que nous avons tenté avec notre maison de construire un de ces lieux, de lui donner une force propre, et beaucoup de gens qui y viennent nous disent la ressentir.
Août commence déjà. Il y a toute cette lumière qui s’infiltre entre les feuilles.
[…] Je me demande si l’équivalent existe pour les gens. Un mot qui voudrait dire que la lumière d’une personne s’infiltre dans nos failles.
[…] les dentelles d’ombres qui bougent sur le sol sous les arbres et ça m’a fait penser à la trace laissée en nous par la lumière des gens.
Alors je m’assois sur le perron, entre ce qui fut et ce qui sera, et je respire. […] Lire et écrire, ça ne semble rien et pourtant, tremblement de terre dans la jachère furieuse. J’ai envie, c’est inouï.
Mathilde, Du déboisement, Tant qu’il nous reste des dimanches
Gilda à propos de Perec :
Je suis loin, très loin, d’avoir lu toute son œuvre, parce que j’ai l’impression de la connaitre déjà.
Comme les copains, oui, ce gars-là me disait Bien sûr que tu peux toi aussi. Et de la même façon que certains et certaines des personnes que je suis sur les plateformes concernant la course à pied : eux font leurs séances dans des allures qui sont la tienne en sprint sur 100 m, mais rien n’empêche de faire la même […] à notre propre allure, notre niveau.
Ils guident au quotidien vers une bonne vie, et grande est ma gratitude envers ces personnes partageuses et l’écrivain pas comme les autres.
Ne pas s’empêcher de faire parce que ça a déjà été fait.
La possibilité de pouvoir le mouvement d’une main, d’échanger un regard, un sourire, de remarquer ce moment de silence accompagné d’un bouillonnement de pensée avant de vocaliser une réponse, de cette gorgée d’un café, d’un lieu où l’échange s’établit. […] La part essentielle de certaines discussions ne se fait pas dans les idées échangées, mais dans les moments partagées.
I don’t have to vow to love her for the rest of my life, because any alternate reality is unthinkable. There is something more powerful than love. It is the melding that occurs when two people spend a long time together. She is just part of me now.
[…] as I age I tend to find myself more and more drawn to the safe and comfortable zone. […] But I am aware that this causes a chronic shrinkage of my existence.
Je n’ai rien modifié ni retranché du texte initial en le saisissant sur ordinateur. Les mots qui se sont déposés sur le papier pour saisir des pensées, des sensations à un moment donné ont pour moi un caractère aussi irréversible que le temps : ils sont le temps lui-même.
Annie Ernaux, Se perdre
cité par Karl dans Tokyo à vélo, Les Carnets Web de La Grange
Pour le même raison, je dois supprimer rapidement les photos ratées ou qui font doublon ; au bout de quelques semaines, elles deviennent des reliques inamovibles du passé.
Les souvenirs, la mémoire d’une famille n’existe que dans l’oralité présente et quotidienne de nos collisions physiques. Vivre loin est synonyme d’une mémoire neuve, de celle que nous créons au quotidien. Celle du passé se déforme, se fane. Il n’y a que le souvenir du souvenir. Le souvenir des histoires que l’on nous a racontées. Ce ne sont plus des souvenirs, ce n’est plus l’histoire d’une famille. Il s’agit d’une mythologie familiale dont je suis probablement le mauvais narrateur.
Les courses au petit supermarché du coin. Une forme d’extase étrange. Ici, je suis l’étranger. Ici, tout est nouveau. Ici, je comprends les différences.
Je pensais avoir la pression du temps, ce qui m’arrangeait bien, comme ça, si ça n’était pas tout à fait ce que j’avais en tête, je pouvais me dire que ce n’était pas de ma faute, pas eu le temps. Maintenant, sans la butée du temps, c’est plus sérieux.
C’est ce que j’aime devant un travail artistique : ne pas tout saisir mais sentir la proximité et la surprise, l’augmentation de l’air respirable comme disait Jean-Pierre Faye.
Masto en résumé : […] des gens gentils racontent gentiment leur vie. Un air de ville abandonnée reconquise par des babacool vivant dans des baraques délabrées, tous très respectueux des autres, bienveillants, animés de bonnes intentions, mais qui n’ont pas beaucoup d’idées neuves […]
J’ai souri, il y a de ça. J’y fais un tour de temps en temps, plus par nostalgie de la belle époque de Twitter que par réel intérêt. Pour moi non plus, la mayonnaise ne prend pas (alors que je peux passer un temps infini sur mon compte Instagram danse).
[…] avant 2007-08, environ : on n’attendait rien. C’était une situation d’échanges, proche ou loin du clavier, il suffisait de sortir pour s’éloigner, et rentrer allumer l’ordinateur. Ou l’inverse, notez-bien. Il y avait pour toute situation un moyen très simple d’y échapper. C’est ensuite que c’est devenu intrusif et malsain, et je n’ai rien vu venir, c’était là dans ma poche.
J’ai lu ce recueil de Dorothy Allison sans rien savoir d’elle ni des Feminist Sex Wars, de la misogynie si bien intériorisée qu’elle s’est manifestée entre femmes, entre féministes même. All women are equal but some women are more equal than others, en quelque sorte. Manifestement t’étais moins égale quand tu venais d’un milieu ouvrier, que t’étais pas la fille du mec de ta mère, que tu écrivais sur les abus dudit mec et d’autres, et que t’avais de surcroît l’idée saugrenue d’être lesbienne et de ne pas t’en cacher (la discrimination avait l’air telle que je me suis demandée si elle n’était pas Noire, mais apparemment pas).
Plutôt que de mal résumer l’essai de Lucile Dumont qui occupe la moitié de l’ouvrage à le remettre en contexte, comme d’hab des extraits (j’aurais aimé une édition bilingue) :
Petite sœur toute rose aux yeux bleus,
petite sotte, petit animal de compagnie
avec tes yeux de verre vide
Comment je
te détestais, t’aimais, te voulais
fondue dans mes os
crevais d’envie que tu me passes le miel
avec lequel tout le monde te regardait.
Les femmes qui me détestent
détestent
l’insistance de leurs désirs, le débordement de leurs envies
ravalées et enfouies, disciplinées jusqu’au néant
[…]
Les femmes qui la détestent d’aimer les femmes.
Comment je peux parler d’elle, de nous deux ensemble ?
De quand elle me touche et que ça me réchauffe
d’entre mes jambes à mon visage
de son visage, terrifiant, merveilleux.
De quand je lui dis, « Ouais, nom de Dieu, ouais,
enfonce moi, apaise moi, baise moi, tout ce que tu veux… »
jusqu’à ce que je refuse une seule chose
[…]
son poing s’agite dans un courant d’air
un courant d’air qui revient sur la joue de ma maman
en passant par le bras de mon beau-père.
Ces deux derniers vers sont incroyables — de violence et d’adresse narrative, à court-circuiter le récit pour dire ce qui du trauma est hérité, se reproduit depuis et hors de l’hétérosexualité.
Je dis que la source de la peur
c’est le choix.
La source de tout désir :
le choix.
Dans la campagne terreuse où je suis née
les mots pour me nommer étaient si terribles
que personne ne les disait
[…]
J’ai compris que la chose que personne ne disait
était celle contre laquelle on ne pouvait rien.
Si personne ne disait Lesbienne
je ne pouvais pas dire fierté.
[…]
Si personne ne m’appelait Bâtarde, bonne à rien, idiote, putain
je ne pouvais pas me saisir de ma propre parole,
de mon amour pour celles de mon espèce,
pour moi-même.
Je n’ai jamais été capable de lui résister
les muscles d’une femme solide qui rit
ses mains râpeuses quand elle me retourne
me parle mal, me traîne d’avant en arrière,
quand elle baise comme un océan, comme une brute
laisse des marques de suçons
de morsures en forme de coquillages, […]
Ce n’est sûrement pas aussi bien que ça en a l’air
les femmes qui vont passer l’été en France
un croissant tartiné de beurre jaune
de la crème dans le café. Moi, je grossis
à Brooklyn.
« Les filles », elle a dit,
et alors j’ai su pourquoi elle nous avait interpellées,
ce qu’elle avait vu
dans la façon qu’avait mon amante
de me toucher la nuque, j’ai su
qu’aucune d’entre nous ne prononcerait le mot,
ne dirait lesbienne ni même amoureuses.
À la place, on a parlé de maisons, de cuisines
[…]
« Mais vous pouvez y arriver. Trouvez-vous un petit
truc important pour vous et travaillez-y
en y mettant du temps, des efforts, et prenez-en soin. »
Tu ne m’as pas demandé d’expliquer,
tu m’as juste prise dans tes bras
et tu m’as déchargée d’un peu de ma peur de mourir.
[…]
tu t’es glissée sur moi et tu as posé
tout ton corps contre le mien
avec douceur, ta main dans mes cheveux,
ta bouche sur mon oreille,
tu m’as enveloppée de silence et d’amour
et des muscles de tes cuisses
et tu m’as laissée pleurer. tu m’as laissé pleurer
comme personne ne m’avait encore jamais laissé pleurer.
C. met du beurre sur la gâche comme le boyfriend sur les croissants ; je suis entourée de bons vivants. Grande inspiration pour aller me doucher dans les remontées d’égout (dégoût), la matinée est déjà passée. Dans des pots vides de poivre et de compléments alimentaires dont je ne savais pas pourquoi je les gardais, je glisse quelques cuillerées à soupe d’épices de différentes couleurs — c’est toujours celles que j’utilise le moins que j’ai trouvées en plus grande quantité.
Des touches de couleur violettes sont apparues le long de l’eau au parc Barbieux. « Hêtre à poil et charme à dents », C. me fait découvrir l’effiloché des feuilles de ce qui se trouve donc être un hêtre. Un peu plus loin, on sèche devant des tiges de fines fleurs blanches oblongues : un pavier blanc ou ??, la reconnaissance d’images ne permet pas de trancher. Chirashi saumon-thon-daurade ou chirashi façon tartare avec des herbes et de la vade retro coriandre, C. tranche pour l’originalité après avoir été copieusement influencée et m’invite. Les dés de saumon et d’avocat me ravissent à proportion des graines de sésame qui les parsèment. J’entends par-dessus, dans le lointain de la dégustation, des interrogations sur un couple sans langue maternelle commune ; pour elle et son compagnon, pour moi et le mien, les discussions font partie de l’intime, nous en avons besoin, et de sauce soja avec le poisson cru, je me lève pour récupérer les Kikkoman de la table d’à côté. Elle aimerait savoir dire non comme moi ; j’envie sa plus grande souplesse d’esprit. (Je ne sais souvent pas ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux pas.)
Après l’application de reconnaissance botanique au parc Barbieux, c’est une application de mesure sonore que C. dégaine dans le métro. Les 70 à 80 décibels constants confirment mon impression : le métro lillois est plus bruyant que le parisien. Je songe à acquérir un casque anti-bruits pour atténuer la fatigue des sept heures que j’y passe sur une base hebdomadaire.
À Lille, il y a
du soleil (!), on plisse les yeux
des pavés qui ne glissent plus
du cramique à rapporter aux collègues
des gaufres comme chez Meert mais moins chères que chez Meert
des vitraux modernes dont C. reconnaît les épisodes
aucun ancien titre sur les rayons danse du Furet et de la FNAC que j’ai connus plus complets
une architecture que l’on admire quand on réussit à décoller nos yeux des injonctions à consommer du rez-de-chaussée (et moi à décoller la cataracte de l’habitude)
des glaces pour savourer les vacances et l’amitié (pistache-pamplemousse après le chirashi saumon-avocat : le code couleur est respecté !)
une pause devant le conservatoire
sur la fontaine de la grand place
dans le parc près de Lille Europe (on fuit pour ne pas être stone)
dans la gare
avant de retirer nos lunettes pour se claquer la bise
et redescendre chacune sur son quai
de train
de métro
Vague de glace pistache et écume de sorbet pamplemousse
Au retour, je trouve une pile de Magazine M dans la boîte à livres : parfait matériel pour une autre après-midi de collage pluvieuse qui n’aura pas lieu (de suite). L’amitié qui rend tout plus fluide, plus neuf, plus simple, plus gai m’avait manqué. Je le savais, j’avais oublié à quel point. Il faudrait j’ai envie, vais tâcher de ne pas me faire ravaler par le tunnel, de ne pas évoluer étriqué à distance de cloisons dont je n’avais même pas remarqué l’apparition, muettes, transparentes. Au dîner, je mange le dernier scone au cheddar congelé l’été dernier au retour d’Angleterre. Aller de l’avant, on a dit, et recommencer.
Mardi 8 juillet
Moustique ou acouphène ? J’ai parié sur l’acouphène et me suis réveillée avec trois nouvelles piqûres, dont une dans la paume de la main.
J’ai branché un clavier ergonomique à mon Macbook, rehaussé sur une boîte à chaussure pour ne plus avoir à choisir entre douleur dorsale et tendinite. La posture est meilleure, mais je n’avais pas anticipé que le clavier Microsoft serait lu comme un clavier Apple. Où êtes-vous ? Venez, venez, mes petits caractères spéciaux.
Qui dit épilation dit podcast : Roxane Stojanov dans Tous danseurs. J’ai trouvé ça un peu gros qu’elle entre à l’école de danse de l’Opéra en ignorant que cela menait au ballet et à la carrière de danseur professionnel, puis je me suis souvenue que j’étais allée en classe préparatoire en ignorant tout de l’école à laquelle elle préparait (ça me permettait de repousser le moment de choisir une unique matière).
Cours de stretching postural. Quinze jours suffisent pour que mon corps entonne du Marc Lavoine : j’ai tout oublié quand tu m’as oublié. On ne s’énerve pas contre son soi-même, comme dit la prof, mais quand même un peu. Ça va rotationner, oui ?
Sur le dos comme un insecte renversé, un élastique passé au pied et tenu dans chaque main, j’essaye de développer par les ischio-jambiers sans engager le quadriceps (histoire de bypasser le genou). C’est mou du genou des ischio-jambiers, mais dur des adducteurs qui me font trembler, tétanisés dans leur contraction excentrique.
Mon genou ne peut pas (encore ?) aller dans l’hyperflexion (je renonce à m’agenouiller), ça me dépite, puis j’apprends que S. annule ses vacances pour être opérée rapidement des ligaments croisés ; finalement j’aime bien mon ménisque fissuré.
En visio, à distance, on tente de dénouer l’appréhension d’une plus grande distance encore, d’un déménagement auquel je ne prends pourtant pas part — auquel je ne prends justement pas part. De n’être pas concernée, je m’éloigne avant qu’il ne s’éloigne de moi, repli protecteur qui pourrait se transformer en prophétie autoréalisatrice si le boyfriend ne savait si bien me faire parler. Alors on parle. Déménagement, place à laquelle être.
Mercredi 9 juillet
Les courbatures aux adducteurs, bordel. Du blog, de la lecture. Retour de la tendinite flamboyante : j’en prends conscience en me lavant les mains ; le contact de l’eau qui coule est douloureux (!).
Chaque jour, le même effort pour cesser d’en faire et s’extirper d’une vision productiviste du temps. Avec précaution, pour éviter l’écueil de l’à quoi bon.
Vers 19h, je me désadosse du pin à l’ombre duquel je lisais pour m’allonger sur la pelouse en pente : le soleil est parfait, caresse le corps sans brûler, comme s’il sortait d’un bain de mer. Pour la première fois de la saison, j’ai la sensation de profiter de ces soirées d’été, sans regretter de n’avoir personne avec qui les prolonger.
Vous vous souvenez de ce dessin de xkcd ? Depuis que j’ai découvert des communautés de bunheads sur Reddit, je fais la même : I can’t. Someone is asking for ballet advice on the Internet.
Jeudi 10 juillet
Cours de stretching postural : il manque toujours des muscles-maillons dans la chaîne musculaire de l’en dehors, on cherche à les engager tous, davantage, mieux, dans la durée, en rotation. Un observateur extérieur ne nous verrait rien faire, plantées en demi-plié à la seconde ; intérieurement, ça travaille dur. En petite fente, pied arrière en demi-pointe, on cherche à étirer activement le dessus de la cuisse (comme si on était sur un tapis de yoga et qu’on voulait le déchirer) — c’est l’allongement que l’on est censé retrouver en arabesque. Mes adducteurs aiment-détestent l’étirement final que je proposerais bien en barre au sol s’il ne requérait deux élastiques par personne : allongé sur le dos, un élastique dans chaque pied et chaque main, on ouvre en double attitude en poussant les cuisses avec les coudes.
Pendant, après le cours sur un banc, je discute avec L. Du gaspacho au bout du nez, elle me donne des nouvelles du milieu, me raconte la difficulté à trouver du travail pour les dernières diplômées. J’ai vraiment eu de la chance de tomber sur une année où 1) nous n’étions que deux diplômées en danse classique, 2) une professeur de danse de la région prenait sa retraite, offrant un grand nombre d’heures à reprendre.
L’après-midi se passe à lire : Les Femmes qui me détestent ; à regarder puis écouter : un entretien Blast avec une jeune sexologue au discours libre et bien campé, bouche rouge sur chemisier blanc. Explorer et communiquer, c’est entendu, mais jamais n’est abordé comment rewirer des désirs et fantasmes formatés par la société. J’écoute, je regarde de moins en moins, allongée sur le canapé puis dehors sur le tapis de yoga à regarder les cimes du saule pleureur s’agiter dans la golden hour.
Tentative de cilbir, recette issue de L’œuf quotidien (Christine Legeret, First éditions)
C. et moi cuisinons ensemble en visio, la même recette chacune chez soi (à quelques ingrédients et raccourcis près). On rit ensemble de nos hésitations et nos misères, l’alarme incendie qui se déclenche au beurre brûlé, l’œuf poché (mon premier !) qui perd un peu de blanc pas encore blanc, puis on tombe d’accord que ça ne ressemble à rien mais ce n’est pas si mal, et une fois le tout saucé et commenté, on discute encore une bonne partie de la soirée — discussion fleuve en mégapixels.
Vendredi 11 juillet
Dans un demi-sommeil, j’aperçois l’aura vibrer au coin de ma paupière (côté droit, tiens) : autant rester couchée et éluder la migraine en me rendormant. Au réveil, ne reste que la fatigue d’une douleur que je n’ai pas sentie.
Enfin, je me sens, bien, souple dans les heures, dans l’air sur ma peau, en vacances. Les endorphines jouent probablement : je n’ai aucune envie de faire du sport, mais jouer avec mes jambes sur le tapis de pilates traîné pour somnoler dehors, ça oui, pourquoi pas, jusqu’à faire une bonne séance, tester au débotté des exercices de barre au sol trouvés sur un nouveau compte Instagram — décidément les artistes du Royal Ballet font de bons coachs.
Deuxième (second ?) test d’œuf poché, avec la louche Nessie cette fois-ci : encore moins concluant.
Les arbres aussi ont le droit de se faire des mèches.
Les premiers lotus fleurissent
(je ne suis pas au parc Barbieux pour vérifier)
Samedi 12 juillet
La ligne 4 est fermée pour travaux. Ce sera donc le RER B. Qui reste coincé à Saint-Michel, un train en panne à Luxembourg. Ce sera donc le bus 34. Qui part de gare du Nord en suivant le trajet de la ligne 4 et arrive blindé. Ce sera donc le bus suivant. Qui est terminus à Luxembourg. Ce sera donc encore le suivant. Dans lequel on peut, victoire, se sardiner. Arrivée à porte d’Orléans, je ne repère ni le 68 ni le bus de substitution (qui substitue sur une portion moindre de ce qui est hors service) : ce sera donc à pieds que je rallierai Montrouge, tirant derrière moi exaspération et valise cabine. Paris, ce sera donc sans moi.
À l’arrivée : le boyfriend, des cartons, du houmous à la menthe et au citron confit.
Dimanche 13 juillet
[rêve] enlacée au lit avec la couette et un jeune inconnu, corps délié, muscles discrets, peaux parcourues, avec les mains avec plaisir, simple doux partagé, je caresse ses cheveux, culpabilité fugace pour le boyfriend c’est vrai c’est autre chose, juste là maintenant ça n’a pas cours, c’était trop fort non ce n’est pas vrai c’est très doux, les caresses des corps sans pénétration, est-ce qu’il y fait mention, je n’entends pas bien et soudain il a honte il a honte, se couvre le sexe des mains tandis que je le rassure, éponge aux Kleenex les traces d’urine sur les draps vert d’eau, le boyfriend pourrait le voir, je demanderai à l’hôtel de changer les draps, reléguée au second plan son inquiétude et la mienne, ce n’est pas grave, ce n’est rien, salive sperme cyprine sang urine on ne ferait pas de sexe si on craignait les fluides, ce n’est rien, le moment reste doux, je vais pour me rallonger près de lui quand…
… 6h30, je suis réveillée en sursaut par un moustique que je ne parviens pas à localiser, malgré un vrombissement soutenu qui devrait impliquer une forte proximité. Je repose l’oreille sur l’oreiller, l’entend plus fort encore : c’était l’acouphène droit qui s’était mis à vibrer.
Je lis Laura Cappelle dans le jardin, un jardin en pleine ville, je lève la tête sur différentes formes de feuilles, différents verts, suis le trajet des branches du cerisier d’à côté, un cerisier en pleine ville, la chance que c’est, que c’était. Bientôt chez le boyfriend il y aura plus de vert et moins de ville. Plus du tout de ville, même.
Allongée sur le boyfriend qui m’enveloppe d’un bras dans le dos, une main à la base du crâne, je me vide de quelques larmes, me retient, il en reste, pressent-il et presse doucement à l’arrière de mon crâne, ça sort, j’ai l’impression d’être une Pompot’ qu’on presse pour bien la vider, je le lui dis, on en rit.
Feu d’artifesses puis feu d’artifice oreilles bouchées, cervicales écrasées, à sautiller dans le dos du boyfriend quand le ciel entier s’illumine et crépite de toutes petites gerbes dorées. Les escarbilles sont ivres, les palmiers secoués, le vent décoiffe les tirs. Je n’avais jamais vu je crois les fusées multicolores qui s’annulent en petites gerbes dorées ni les escarbilles dorées qui éclatent en rouge rubis. Le public était de bonne compagnie dès le début, l’extinction des lumières de ville saluée par un immense ah de satisfaction anticipée. La pluie a commencé à tomber sitôt la ponctuation finale envoyée.
Lundi 14 juillet
Le chat surveille le gros poisson qui fait du bruit dans le ciel, puis après quelques passages s’en désintéresse. Cul à l’extérieur, pattounes à l’intérieur, il laisse l’hélicoptère patrouiller derrière lui. Je guette les bruits du ciel, mais pas d’avions au nez pointu, ni dans le ciel ni à l’écran. À la fin du défilé, je me souviens par déduction : la patrouille de France ne ferme pas le défilé, elle l’ouvre, loupée.
Patterns de désir, patterns familiaux, traits de caractère hérités, expériences passées… les makis nous offrent une longue discussion vespérale sur canapé, écran noir muet — de ces discussions que nous avons généralement plutôt par visio, quand parler permet de rester ensemble plus longtemps.
Mardi 15 juillet
Mon humeur tombe dans une ornière. Tout est vain, rien vraiment plaisant, je n’ai plus l’énergie ou l’envie d’entamer une quelconque activité qui me les ferait retrouver (l’énergie ou l’envie). Jusqu’à ce que par énervement ou par dépit, je massacre en partie l’humeur massacrante sur le tapis de yoga, le reste amadoué par des cacio e pepe. Il faut vraiment que chaque jour, je fasse produire à mon corps sa dose d’endorphines avant que le manque se fasse sentir.
Mercredi 16 juillet
M’astreindre à faire une demie-heure d’exercice ? Mouais, bof. Tester des exercices repérés sur Instagram pour la barre au sol et tenter de raffiner des sensations musculaires ? Une heure est déjà passée. Mes hanches sont ultra mobilisées et j’ai des endorphines pour la journée, ça me la fait. Tout est plus enjoué, j’en joue, médite des ciseaux une bonne partie de l’après-midi en découpant des journaux de décoration qui serviront bientôt à caler les cartons de vaisselle. En podcast, l’interview d’une choréologue, notatrice chez Angelin Preljocaj.
Le boyfriend est rincé de sa journée à liquider l’électroménager dans la maison de ses parents avant la vente, mais trouve tout de même l’énergie de ressortir pour un dernier tour à ce restaurant vietnamien dont on a tardé à découvrir la cuisine délicieuse, cachée dans un boui-boui en plastique.
Soir, tard : un désir dont je ne parviens pas à désirer l’aboutissement. Revenir des larmes enfouies à la surface, s’en (re)tenir à la peau, son odeur, sa douceur.
Les jeunes faucons apprennent à voler
Jeudi 17 juillet
Rencontre du second fils de JoPrincesse, promené en porte-bébé pour acheter son silence et papoter un peu par-dessus par-delà la fatigue que l’on sent immense dans la maisonnée. Six mois à survivre, de son propre aveu, et ça ira mieux. Que l’on puisse vouloir s’infliger ça m’est toujours aussi mystérieux, mais de l’extérieur, pour quelques heures, la fatigue est douce à goûter sur le banc du square, l’aîné et son père dans l’herbe devant nous, un inconnu qui ronfle de plus en plus fort à côté. Les cris reprennent dans le hall de l’immeuble, la parenté se referme sur eux en même temps que la porte de l’ascenseur et celle de l’entrée, chacun de son côté.
Vendredi 18 juillet
J’essaye d’instaurer l’habitude et déroule le tapis de yoga dans la chambre en diagonale pour mon shoot d’endorphines du jour.
Mon sandwich est déjà prêt lorsque C. m’annonce une urgence de boulot ; je sors faire le tour du pâté de maison pour ne pas le manger assise.
Le boyfriend a remis les clés de la maison de ses parents. La vente met un terme à un poids qui n’en finissait pas de peser, mais acte aussi le deuil de ses habitants ; je me doutais qu’au soulagement d’en être débarrassé se mêlerait autre chose. Quelque chose qui « a lâché » : il en dort toute l’après-midi sur le canapé. In fine, on n’ouvrira pas, pas encore, la bouteille de champagne « offerte » par l’agence immobilière.
Après-midi mère-fille pour papoter et tester un nouveau glacier : le litchi du café Isaka est adopté.
C’était le quartier où je travaillais il y a une vie, il y a cinq ans, c’est irréel et toujours identique bien que toutes les boutiques semblent avoir changé. Pèlerinage en pilotage automatique, comme pour rentrer : le jardin du Palais Royal (une peluche Jellycat croissant dans la boutique du conseil constitutionnel), la place devant la Comédie française et sa station de métro perlée, la cour carrée du Louvre et ses pavés plein de mauvaises herbes, le pont en bois pour traverser la Seine, un bout de quai pavé, Saint-Michel et sa fontaine empaquetée pour rénovation. Si on remonte le boulevard, on peut reprendre une glace à la Fabrique givrée — dont acte, sorbet basilic dégusté au jardin du Luxembourg.
Mum s’étonne des chaises libres (inoccupées et gratuites), des palmiers en pot, des fantômes qui descendent les escaliers (des femmes voilées), d’une enfant qui funambule seule sur une rambarde en métal, des papiers dans les arbres fruitiers. Je ne remarque rien, ne vois rien même quand je tente d’observer les bateaux à voile dont l’un reste un instant coincé dans la fontaine : je ne vois plus rien de Paris, du jardin du Luxembourg, je le sais, comme un décor en carton immuable, tout est connu bien trop connu, je m’y déplace comme un guide las, ici ceci, là cela, ne nous arrêtons pas, continuons d’avancer, par ici la visite où l’on ne voit plus rien. Sous 30°, Paris me paraît sale et saturée. Bruyante et grouillante. Je n’ai plus rien à y faire qu’y manger des glaces et m’en extirper.
Mum déverse son affolement qu’elle tente de contenir en perplexité face au déménagement de ma marraine, qui croule sous les affaires de deux générations avant elle et n’aura jamais fini ses cartons d’ici la fin du mois. Ni elle ni moi ne sommes pleines d’envie, et nos mollesses conjuguées ne suffisent pas à nous secouer.
Sorbets basilic et pêche-verveine
Salade melon, concombre, feta, basilic
Le boyfriend et moi continuons à regarder Dark, qui se regarde vraiment à deux. À tour de rôle, nous mettons la série en pause pour demander une confirmation d’identité (c’est bien le mec qui ? le frère de et le père de, qui travaille à ?) ou laisser le temps à une révélation de se développer, une onomatopée suivie d’un temps de réflexion au bout duquel on émet ou on ravale une hypothèse (et s’il était aussi… ?). Je suis bien contente d’être passée outre l’épreuve des deux premiers épisodes à malaxer le boyfriend de peur (ma sueur avait la même odeur qu’après le visionnage de certains épisodes de Black Mirror) : la construction narrative est hyper stimulante, l’enquête sur les disparitions et meurtres d’enfant se muant en énigme où les paradoxes temporels s’élucident ou se brouillent à mesure qu’est fouillée la psychologie des personnages.
Samedi 19 juillet
Le désir renaît régulièrement et se fige dès que ça devient génital. Il est là, pourtant. Blocage.
Ma participation aux cartons est entravée par mon allergie à la poussière. J’ai beau les laver régulièrement, mes mains se mettent à me démanger et Auchan n’a pas de gants sans latex en rayon. Plier les T-shirts et les chemises, porter des trucs à la poubelle jaune, ça je peux faire.
Saule pleureur urbain avant de retrouver celui du jardin
Un verre en terrasse avec des amis du boyfriend : voilà qui répond dans l’idée à mes envies de longues soirées estivales tranquilles. Ils se sont installés au bord d’une route ultra-passante. Il faut s’interrompre quand des camions passent et tendre l’oreille tout le reste du temps pour entendre le murmure à peine appuyé de l’un d’entre eux, régulièrement couvert par la conversation croisée avec son voisin tonitruant. Que des mecs, pères pour la plupart. J’ai l’impression d’être une enfant parmi des adultes ; nous n’avons que 8 ans d’écart, pourtant. La conversation se fluidifie et s’harmonise après la première tournée de bières. J’ai troqué le verre contre un burger VG, dont la digestion est un peu hâtée par la course imposée au retour par les trombes d’eau qui nous tombent dessus et nous trempent comme on n’avait pas été trempés depuis longtemps, même en ayant couru de porches en auvents. Paf, gros splotche dans une flaque inaperçue derrière la buée des lunettes.
Dimanche 20 juillet
À deux jours du déménagement, le boyfriend commence à emballer la vaisselle. J’arrache deux par deux les pages de magazines jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’épine dorsale de colle. Oh, Natalie Portman entre deux assiettes. On s’affaire comme on aurait dû le faire bien en amont. Pour vider, il faut d’abord remplir — l’espace vide avec tout ce qui était rangé (ou sédimenté au point de sembler l’être). Des tas se forment, la poussière vole. Celle au-dessus de l’armoire a au moins cinq ans, dedans je ne sais pas. Il y a des cadavres de mites, des mites vivantes, trois ou quatre, mais aucune trace de leurs méfaits… jusqu’à déplier les écharpes en laine, désormais miteuses, on peut le dire. Des tas apparaissent sur le lit, sur le plancher ; il faut presque la journée pour les transférer dans des sacs en tissu, en plastique ou poubelle. J’alterne le risque entre allergie à la poussière et allergie au latex. À l’heure du goûter, je vide le congélateur : dernier magnum. Et ça repart jusqu’au dîner. Participer au remue-ménage change la donne : ce n’est plus le boyfriend qui part, c’est nous qui le déménageons, l’excitation n’est plus un abandon. Je fais partie du mouvement, ne le subis plus.
Un épisode de Dark puis Fern, l’apprentie de Frieren, devient mage de première catégorie. Le boyfriend la trouve régulièrement insupportable quand j’ai au contraire de la tendresse pour cette gamine douée et susceptible qu’il faut nourrir pour l’amadouer. Quant à Frieren, l’elfe presque immortelle moins indifférente aux autres qu’imperméable aux émotions humaines, je réalise après-coup qu’elle fait un très bon personnage avec TSA.
Lundi 21 juillet
Il devient possible de croire que l’on puisse venir à bout de la poussière, ce n’est pas une mince affaire. J’aspire, dépoile, microfibre, secoue, recommence. Le ventilateur s’ouvre en deux comme une grosse boule à thé. On fait la poubelle d’un caviste pour récupérer des cartons compartimentés. Le tapis du chat regurgite de quoi se tricoter des chaussettes. Le chat, lui, lèche le papier bulle (il adore le plastique) ; on attend avec une certaine délectation peu charitable qu’il croque une bulle, mais le bond ne se produit pas, il ne met pas les dents. Nous si dans le chirashi. Petit coup de mou avant la dernière nuit en ces lieux, qui ont abrité le début de notre histoire.
Je pense aux gestes qui vont disparaître : pousser la porte d’entrée sur le fer forgé ; tirer la cordelette pour ouvrir le loquet trop haut de la fenêtre ; doser la force pour déplier ou refermer les volets des volets sans les claquer ; tenir le dos gondolé de l’armoire pour faire coulisser la porte de la douche ; ouvrir à deux doigts dégoûtés parfois par le collant du graillon les placards de la cuisine, se planter de sens, qui ouvre sur quoi ; ramasser l’Opinel que je fais tomber en oubliant qu’il cale le battant dans la cuisine, écrabouiller le dévidoir de scotch qui occupe la même fonction dans le salon ; se baisser sous le bureau pour éteindre la multiprise ; se tordre un peu pour attraper sur le rebord de la fenêtre le chat qui ne veut pas rentrer ; tirer sur la poignée octogonale de la portée pour la claquer en faisant le moins de bruit possible… mais surtout tâcher d’insérer la clé comme un E renversé et sentir sa main repoussée une fois le pêne rétracté, la porte qui s’ouvre sur son odeur à lui, sa présence juste derrière.
J’ai ma matinée. J’ai oublié de saisir les appréciations pour le conservatoire. Je n’ai plus de matinée (mais j’ai un tiers des appréciations).
Le métro est dans les choux, je finis dans la serre du tram, à m’éventer, à deux doigts de me sentir mal.
Second spectacle pour mes élèves : je n’ai plus de couture à faire, les élèves ont encore plus de paillettes sur les joues, et je donne mes top à temps, casque sur les oreilles. Au lieu de stresser avant sa propre entrée, le second groupe s’éclate à danser la choré du premier dans les coulisses ; je dois de manière insistante leur faire signe de se mettre en ordre pour monter sur scène.
Lors des saluts, le visage de M. est au bord des larmes. Je demande à ma collègue s’il s’est blessé, il n’a pas l’air d’aller bien mais non, ce grand gaillard de dix-sept ans et plus d’un mètre quatre-vingt est seulement sous le coup de l’émotion : c’est son dernier spectacle avec le conservatoire, où il danse depuis tout petit (j’ai du mal à l’imaginer petit) ; à la rentrée, il sera au CNSM. C’est incroyablement touchant — rien de mièvre, ce jeune homme est une crème.
La photo de groupe passe à l’as. Ça se termine à peine que c’est fini, tout de suite après, dans le désordre et la débandade joyeuse, on préfère il faut avec puis sans les élèves évaporés : se souhaiter de bonnes vacances, dénouer les rubans dans les cheveux, récupérer les costumes et les trier en fonction des lessives à venir, tout ramasser, remplir une valise d’objets trouvés, mettre à la poubelle, dans des sacs, dans le coffre, effacer les traces.
SMS d’une camarade de formation : elle a trouvé les pièces « canons ».
Retour à mon canapé, où j’acte une seconde fin, celle de la série Étoile, que j’avais fini par apprécier premier degré. Surtout le personnage de Tobias, chorégraphe génial autiste insupportable attachant, caractérisé par son casque sur les oreilles et ses sorties intempestives, saluées par la même running joke : « Is he coming back? »
Petit bug quand je réalise que la coupe de cheveux de ce personnage et le bas du visage d’un autre me font penser à mon ex.
La chorégraphie sur les barres me fait regretter qu’il ne s’agisse pas d’une vraie pièce que je verrais avec plaisir in extenso. Christopher Wheeldon (le vrai chorégraphe de l’affaire) a décidément le sens du show, et son apparition en chorégraphe désarçonné par l’étoile qui fait sa diva est savoureuse.
Dimanche 22 juin
Quand c’est fini, y’en a encore : les appréciations de fin de semestre au conservatoire. Tenter de rendre justice à chacun tout en conservant une trace écrite de certaines choses potentiellement problématiques constitue un exercice de diplomatie épuisant.
Lundi 23 juin
Le retard au rendez-vous psy, bonne occasion de parler de la peur du gâchis (qui peut gâcher bien des choses), avant une glace au gianduja (que je ne sais jamais prononcer) et l’examen d’une partie de mes élèves. Nous savions tous qu’à une ou deux exceptions près elles n’avaient pas le niveau, mais je n’en ai pas moins envie de glisser sous la table ; ai-je si mal fait mon boulot ? J’ai encore beaucoup de mal à distinguer ce qui dépend de moi et ce qui dépend des élèves.
Mieux que la bataille de boules de neige, la bataille de nuages cotonneux.
Mardi 24 juin
Le collègue qui éructe d’entrée de jeu envers une autre, celle tellement crevée qu’elle en devient passive agressive… c’était manifestement la réunion qu’il me fallait pour retirer mon filtre bisounours. J’ai peaufiné ma technique de la statue de sel et les œillades d’hallucination.
Mercredi 25 juin
Dernier mercredi de l’année, je fais cours portes ouvertes, pour la chaleur et les parents.
Je reçois des cadeaux d’élèves : un porte-clé nounours que j’accroche illico à la fermeture de mon sac de danse, un bracelet à grosses fleurs roses avec des cabochons en flocons métalliques, une fleur en fils de chenille que j’accroche à mon chignon (« Tes élèves ont bien remarqué ton côté farfelu », commente la directrice) ou encore une danseuse en perles à repasser — qui ont bien évolué depuis mon enfance : ce ne sont plus des perles percées mais des billes lisses ou facettées. Cette ballerine en perles me confirme ce que m’ont suggéré d’autres dessins : une danseuse est toujours blonde et habillée de rose, sachez-le, même quand la petite fille qui la projette est brune en tutu blanc.
Je reçois des cadeaux de parents, aussi, dont du chocolat de chocolatier. Par cette chaleur, il est peu probable qu’il s’agisse uniquement de convention ; les enfants ont du cafter sur les tablettes grignotées pendant les cours.
Le dernier cours est annulé faute d’élèves, mais me sera quand même payé, youhou ! J’en profite pour souffler avant la réunion parents-profs du conservatoire, qu’une collègue plus ancienne mène gaiement, il n’y a qu’à se laisser porter, sourire et répondre du mieux que l’on peut. Des parents demandent s’il y aura la possibilité comme cette année de prendre un cours en plus, et avec quel professeur, car il y a des préférences (si je comprends bien, ici en ma faveur) ; ma collègue reprend en souriant (pense-t-on toutes deux à la dernière réunion ?), il y a des préférences, on en a tous, mais le planning, l’apport pédagogique… Le cas d’une élève revêche, que j’appréhendais un peu, se résout grâce à une maman pas du tout revendicatrice, qui se doutait bien qu’il y avait maldonne et une autre version à entendre, elle fera la médiatrice.
Nous repartons à trois jeunes professeurs vers la gare, chacun avec une rose blanche et un petit pot de nougat, offerts avec des yeux brillants — encore gâtés. L’enthousiasme des élèves met à distance les tensions qu’il peut y avoir en interne, dont on débriefe et que l’on abandonne en devisant sur le chemin du retour.
Les iris fleurissent
Jeudi 26 juin
Le bon cadeau de Noël de Mum expire bientôt : semi-razzia à la boutique de danse. C’est trop, ça entache le plaisir d’une sensation de gâchis, la somme dépassant le montant de ce qui m’aurait spontanément attirée dans la boutique.
Derniers cours : ceux de trop ? Nous ne sommes que quatre en barre au sol (trois élèves), cinq en cours classique (quatre élèves, les plus jeunes). Tout dans le goût a déjà fini mais ce n’est pas encore fini, pas tout à fait, c’est infini de fait, j’aurais envie de m’arrêter avant la fin, je papote, digresse, reviens et enfin, ça y est. Nous allons prendre un verre à quatre ensuite. Dans un bar. Je ne fuis pas. Je découvre ce que font ces jeunes femmes lorsqu’elles ne dansent pas, leurs études, sauf pour une qui est déjà une vraie adulte, comptable avec ça. Une autre est en marketing, en partance pour un stage au Canada. La dernière, ou première, ou celle que vous voulez, la plus mutine en tous cas, fait du droit, aimerait tout plaquer mais elle ne sait pas pour quoi. Je ne pensais pas prendre le dernier métro, terminus bien avant chez moi, j’attrape le dernier (l’avant-dernier ?) tram.
Vendredi 27 juin, samedi 28 juin, dimanche 29 juin
Les vacances, enfin (à une réunion près). Le boyfriend là. Il n’est plus nécessaire de tenir, mais je tiens encore, comment, à quoi, à lui qui va partir, pas dimanche mais dans quelques mois, il va partir et rester, s’éloigner dans une nouvelle maison mais pas dans son affection, mes peurs enfouies ont du mal à faire la différence, il leur parle et me chatouille le flanc de son index, c’est toi qui as commencé, c’est vrai, c’est moi qui ai commencé à m’éloigner, ne t’éloigne pas, reste avec moi, collé, koala, tes bras autour de moi ou d’une partie de moi, cuisses, nuque, pieds massé pendant que sur un écran des chaussures fluo s’agitent autour d’un ballon ovale ou que toute la misère géopolotique et climatique du monde s’immisce dans le salon. Je lutte à coup de somnolence, de salade edamame-nectarine-ricotta ou melon-haricots verts, de culotte-canapé, me réjouis de baisers toute la journée sans m’interroger sur une éventuelle prolongation sexuée, d’allers et retours jusque tard dans la matinée pour voir si et, non, le regarder encore endormi dans mon lit, apaisant comme un gros chat, nos rythmes décalés, notre amour accordé par-dessus, une échappée solo à travers le parc Barbieux qui lui échappe, il dort toujours, du bon pain au retour, pas de couvertures de survie chez Lerclerc à coller sur les fenêtres mais une ginger beer qui fera l’affaire, même si, tout de même c’est étrange, le F du bouchon ressemble à celui des finances publiques. Le boyfriend, lui, comme toujours, est au Coca. C’est satisfaisant un frigo bien rempli, observe-t-il après m’avoir aidé à faire le plein, en prévision de ma semaine de repos post-infiltration. C’est presque trop, toutes ces denrées qu’il ne va pas falloir laisser se perdre. Si seulement mes craintes-rétentions-appréhensions pouvaient, il n’y a plus qu’à, en vérité, les laisser tranquillement se vider comme les clayettes, un jour, un repas après l’autre, sans se soucier de gâcher, juste savourer. On est bien ensemble, à se dire qu’on est beau, qu’on est belle, n’importe quoi, à péter, roter, rire ou même pas, à ne rien faire et doucement apprendre à n’avoir rien envie de faire de plus, qu’être ensemble, s’avoir sous la main la peau ton odeur, je te renifle comme le chat, ton petit chat qui te manque déjà.
Trois collégiens sur un banc du parc Barbieux m’interpellent, je suis prof, c’est sûr, j’ai une tête à être prof. Sont-ce les lunettes ? Les fringues ni féminines ni sportives ? Je ne porte pourtant pas mon sweat Pronote. Je réponds couci-couça de la main : « Prof de quoi, alors ? » Ils proposent les petits, maternelle ou primaire. J’abats ma carte de prof de danse. Prof de danse, c’est prof quand même.
Lundi 30 juin
Infiltration. Je redoute la douleur au moment de l’injection, mais cela n’a rien à voir avec l’infiltration dans le dos pour la hernie, la piqûre est presque plus discrète qu’une prise de sang. Je claudique par précaution au retour, pour solliciter le moins possible l’articulation. 48h de repos / immobilisation, pile pendant la canicule. Confinée dans mon salon que les dalles de la terrasse ont vite fait de transformer en étuve, je rêve de la (relative) fraîcheur sous les arbres du parc Barbieux et m’absorbe dans la rédaction-mise en forme de ma deuxième newsletter. J’y passe l’après-midi et la soirée, jongle avec diverses applications de dessin, téléchargement, conversion, finis par avoir gif et illustrations.
Les pousses de pinellia ternata apparaissent (quelles sont toutes ces plantes que je ne connais pas ?)
Mardi 1er juillet
Vers 6h du matin, peut-être même un peu avant, j’ouvre la fenêtre pour retrouver la fraîcheur mais ne me rendors pas, malgré une nuit de moins de cinq heures du sommeil (effervescence mentale puis chasse au moustique en amont de la nuit). Le mal de crâne que j’imputais à la chaleur ne m’a pas quittée, et le Doliprane n’y fait rien : c’est un effet secondaire possible du produit injecté. Avec l’excitation, les troubles du sommeil, l’euphorie (tiens, tiens) et les bouffées de chaleur. Timing impeccable, par trente-cinq degrés.
À 7h45, mes coups de marteau résonnent dans tous les jardins du quartier. Perchée sur mon escabeau (le poids déporté sur la jambe gauche), je cloue un vieux drap housse troué et une alèse sur le caisson en bois qui abrite le store banne qui aurait été bien utile, mais que la propriétaire n’a jamais daigné réparer. Il est cassé depuis bien avant mon arrivée dans cet appartement pourvu d’immenses baies vitrées, mais d’aucun volet. L’installation est laide, mais me satisfait ; le soleil peut arriver.
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Nouvelle appli où il faut que j’arrête d’aller compulsivement : l’appli météo
Si tu veux la meilleure place, déloge le chat. Le boyfriend n’est pas chez moi, ni donc son chat, mais je prends quand même sa place, allongée dans le couloir, le corps offert au moindre filet d’air filtrant sous la porte d’entrée : en boudin de porte, c’est l’expression consacrée (figurent également dans son répertoire la poule de Pâques, le mignon, le lapin). Alors que je suis sur le point de sombrer dans le sommeil après de nombreuses tentatives infructueuses, j’éprouve un frisson. J’ai frais (froid ?) par 35°, mettons 28° ainsi allongée, chaud et froid en même temps. Je me relève pour attraper un drap et me recouche sur mon tapis de yoga, comate ainsi. Je songe à Sophie Galabru quand elle écrit que la convalescence nous fait éprouver l’incompressibilité du temps. La canicule aussi. La canicule serait-elle une sorte de convalescence ? J’ai chaud et froid en même temps, mais surtout chaud, la nuque brûlante. Le thermomètre indique 37,1° mais il indiquait aussi 37,1° quand je frissonnais en plein Covid, je commence à avoir des doutes sur sa fiabilité. Je finis par dormir une heure dans mon lit et le crâne désenclavé me fait l’effet d’une fraîcheur retrouvée. L’application météo dit qu’il n’en est rien.
À quel moment me suis-je dit que c’était une bonne idée de faire des gaufres salées par 35 degrés ? Je me prends une vague de chaleur à chaque ouverture de l’appareil.
Mercredi 2 juillet
Sentir l’air, le frais sur soi. Le sujet de ma newsletter m’obnubile. Je dessine, décalque, mets en page, écris, corrige, remodèle. Les pensées trouvent toujours à s’emboîter autrement, je cherche sans cesse un nouvel agencement, même pas je : ça cherche en moi, le cerveau en roue libre, tout faire tenir ensemble, les embranchements mutuellement exclusifs de la pensée linéaire. L’euphorie mentale pourrait très bien s’inverser en son contraire, et de mouliner, spiraler. Depuis combien de temps n’ai-je pas pris ma vitamine B12 ? La corrélation une nouvelle fois se vérifie.
Jeudi 3 juillet
Grande messe de clôture au conservatoire. Le volume d’information n’est pas assez soutenu pour que l’attention se soutienne d’elle-même. Je me concentre alternativement sur les quelques sièges en velours rouge élus par le soleil, les dorures-moulures, l’ombre d’un pigeon, ma posture, ce qui est dit au micro et retransmis trop fort par l’enceinte*. Deux heures à se retenir d’exister.
Puis c’est la dernière réunion, deux heures et demie à énoncer des jours, des horaires, des initiales et des combo de lettres et de chiffres pour tenter de concilier l’inconciliable. Surchauffe cérébrale. À un moment, mon cerveau a cessé de fonctionner, la phrase m’a échappée. Après, à quelques mails près, ce sont les vacances.
* Je me maudis de ne pas avoir osé bouger, de m’être résignée à subir ce qui a fait monter d’un cran mon acouphène, lequel une semaine plus tard n’est toujours pas redescendu. Ça m’apprendra, ça ne m’apprendra rien.
Le fils de ma marraine, de quelques années plus jeune que moi, s’est suicidé. Ça ne se dit pas (ça n’empêche pas de le faire). Il nous a quitté, c’est la formule, pour une fois pas si usurpée ; il y a eu action et volonté de sa part. Je ne l’avais pas revu depuis des années, depuis l’adolescence peut-être, il n’y a pas de lien affectif, pas de chagrin. Mais de la sidération, il y a. C’est irréel. Ça me réancre dans le changement, bizarrement, charriant encore plus loin un pan de passé.
Vendredi 4 juillet
Mum a filé à la mer pour l’enterrement.
Au premier étage de la médiathèque, on entend les couverts tinter dans le patio en contrebas. Je les perds d’ouïe dans mes recherches, les retrouve au moment d’aller biper mon butin. Comme une fenêtre sur un passé estival.
Pastèque, feta, olives noires, un classique estival
La terre se courbe, s’apaise et le cyclorama de la végétation réapparait lorsque je suspends ma lecture allongée dans l’herbe, dans l’ombre d’un petit arbre que j’occupe seule. Les mémoires de Petipa ne sont pas du tout ce à quoi je m’attendais. Le sujet d’une autre newsletter ?
Tendinite à l’avant-bras droit. Je résiste (mal) à la tentation d’écrire (taper), scroller.
Samedi 5 juillet
Je fais le ménage, une partie : l’appartement passe de complètement cradoc à « il faudrait passer un petit coup ». Le genou ne moufte pas : c’est l’autre genou, sur lequel j’ai basculé tout mon poids pendent quelques jours, que je sens au bord la douleur. La blague. Le soir, Mum me parle des fleurs blanches et du cercueil rouge comme un jouet d’enfant. Je n’y avais plus pensé jusqu’à me faire des gaufres à la banane (très bonne alternative au banana bread) et les manger chaudes, fondantes, éminemment plaisantes. La troisième newsletter est prête en avance. Vacance. L’à quoi bon menace. La conversation caresse.
Dimanche 6 juillet
[rêve] dernier cours du mardi soir, une barre cassée, les élèves espacées dans presque deux salles, un corps a été découvert dans le jardin du conservatoire, je laisse Laura Cappelle poursuivre le cours, me rends à la découverte du corps, il n’est pas en décomposition mais le squelette est récent, encore tâché de sang, les corps finissent toujours par remonter de terre, une armure métallique a été découverte, un pan plein, un autre aéré, la place d’un pacemaker, un arrêt cardiaque, je reviens au cours, Laura Cappelle me corrige le poids du corps dans un fondu, elle a tout assuré, j’aurais dû rester, un autre cours ailleurs à donner, s’y rendre est laborieux, le temps de trouver comment s’organiser dans les couloirs de l’immeuble panoptique, de marquer l’exercice en croix avec les mains, c’est déjà fini, nous n’avons fait que deux exercices, la circulation est déviée, le retour en train, à Marseille, compliqué
Premier dimanche du mois. C. et moi attendons l’entrée gratuite devant le palais des Beaux-Arts sous nos parapluies ; je ne pensais pas me souvenir de la sensation de froid si tôt après la canicule. On visite en dilettante, en amies qui se retrouvent, parlant de ce qui se trouve devant nous comme de ce qui ne s’y trouve pas. Dans la galerie des sculptures, on tripote des morceaux de marbre, brut, lisse, poli, de cire et d’argile mis à disposition sur des tables entres les sculptures, on admire et on médit, entre liens et anachronismes, on réfléchit à ce qu’on aimerait manger. C. reconnaît plus que moi : le Greco, une sculpture de squelette encore en décomposition, les bleus de Geneviève quelque chose, qui l’amusent moins que les textures vinyle de Soulages.
Scène d’intérieur, Jacobus Virel
Le transi, de François Pompon
(On m’a confié en DM Insta avoir connu des femmes qui se tiennent les seins comme dans la vision de Saint-Antoine au moment de l’orgasme, mea culpa.)
Une fois la dernière anamorphose de Felice Varini reconstituée, nous filons nous réfugier chez moi, bien au chaud derrière des nouilles instantanées pimpées à la hâte d’un œuf mollet mal écalé. Et c’est une après-midi de discussions sur le canapé, où je finis par m’éventer en racontant les croustillances de ma courte période Tinder. La glace fudge brownie rafraîchit, les gaufres à la banane tiennent lieu de dîner. C’est décadent, dit-on à plusieurs reprises. C. a 8 ans quand elle régresse ainsi, soit trois ans de plus que moi.
Nous reprenons la discussion sur le radeau-canapé, on feuillette un livre de recettes emprunté à la médiathèque comme un couple feuilletterait le catalogue Ikea, on tourne toutes les pages, on commente, on se donne rendez-vous pour une recette à cuisiner de concert chacune de notre côté. Puis la conversation se fait plus intime, le jour la nuit tombe, est tombée, nos pieds ont quitté terre, nous ont rejoint sur le canapé où nous parlons psy, rigidité mentale, loyauté mal placée, il faut qu’il faudrait remplacer par j’ai envie, qu’on aurait envie de remplacer par, on se corrige, on se reprend comme un métier, comme un ouvrage, jusqu’au moment où demain approche et déplier le canapé-lit.