Painting with Light

Lent développement

L’art et la photographie des préraphaélites à l’âge moderne : l’exposition Painting with light oscille entre juxtaposition (l’art des préraphaélites à l’âge moderne, la photographie des préraphaélites à l’âge moderne) et coordination (la réaction de l’art à l’émergence d’une nouvelle technique). La seconde option est évidemment la plus stimulante ; c’est ce qui fait de l’exposition un tout supérieur à la somme de ses parties, lesquelles, hormis quelques chefs-d’œuvre (pour l’essentiel issus des collections permanentes du musée), ne sont pas des plus passionnantes prises individuellement.

La curiosité de découvrir les supports des premières photographies (plaque en argent, notamment) le cède assez rapidement à un intérêt poli, sans commune mesure avec l’émotion esthétique que je viens habituellement chercher au musée ; si je n’avais pas déjà été à Édimbourg, j’aurais probablement passé la première salle au pas de course, les photos de panoramas n’étant pas spécialement ma tasse de thé. Les photos posées m’amusent davantage, moins en leur qualité d’étude préparatoire (cela sert notamment pour les positions difficiles à tenir – genre une grosse jarre en équilibre sur la tête) que pour les souvenirs qu’elles font remonter, de quelques après-midis passées avec ma cousine, avant le numérique, à nous déguiser et à installer des décors de bric et de broc pour nous photographier ensuite dans ces mises en scène – une ou deux photos par composition, guère plus1.

Peu à peu, en même temps que la technique abordée se peaufine, les clichés d’intérêt purement historique se raréfient, le propos de l’exposition se construit, et de vagues souvenirs de Walter Benjamin s’animent dans un coin de mon esprit… l’ère de la reproductibilité technique…

 

Déroulé de la pellicule

Dans un premier temps, les peintres voient dans la photographie une formidable aide et s’enthousiasment pour sa précision. Mimésis médiée : l’art copie la photographie qui enregistre la nature. Cette passion ravivée pour la chose en elle-même s’accorde bien avec le scientisme ambiant. Pour John Ruskin, il s’agit de peindre ce que l’on voit « rejecting nothing, selecting nothing » : la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Comme si la vérité était factuelle et non discursive… Le leurre est tenace : Millais se voit ainsi reprocher de peindre à partir de plusieurs photographies combinées. C’est pourtant là que cela devient intéressant, quand les écarts par rapport aux photographies font ressortir les partis pris de composition, quand on se rend compte, via la disparition des arbres photographiés, que la berge nue choisie par le peintre pour son Ophélie renforce l’horizontalité du corps flottant.

La précision photographique a du bon…

Glacier of Rosenlaui, John Brett
[Quand la précision donne le tournis et l’observation scientifique redevient esthétique… On dirait vraiment une mer de glace, houleuse, figée dans l’instant par un sort.]

 

et du moins bon.

[Ce tableau de David Octavius Hill, réalisé à partir de photos individuelles et premier de ce type, est vraiment creepy : l’empilement m’évoque les catacombes…] 

Un peu comme l’apparition d’un mot infléchit les nuances de sens de ses synonymes, le développement d’une nouvelle techne oblige les autres à s’interroger sur leur spécificité et à se re-positionner. La photographie se révèle imbattable sur le plan de la précision millimétrique : les peintres la lui abandonnent progressivement au cours du XIXe siècle, et l’esthétique picturale évolue vers le flou. Précisément ce qu’il fallait pour que Rossetti nous fasse des tableaux à tomber. Cause ou conséquence, on constate sur les photos que les modèles des peintre pré-raphaëlites (qu’ils se partagent) ont des chevelures mousseuses…

Le mouvement de balancier ne s’arrête pas là : le flou pictural inspire en retour une photographie soft focused (je me demande quand même dans quelle mesure le flou des peintures n’est pas lui-même inspiré des « ratés » de la photographie, lorsque les temps de pose démesurément longs donnaient un caractère fantomatique à tous ceux qui y posaient). La photographie va ainsi pouvoir se développer comme un art à part entière – en témoignent les premiers photomontages. Orphée, comme par hasard…

 

Révélations ?

Extase toujours devant Lily, Lily, Lily Rose (un peu abusé de « privatiser » THE tableau de la Tate, non ?). Et quelques belles découvertes…

 

Two’s Company, Three’s None, Marcus Stone
[Ces jeux de regard…]

 

Dew Drenched Furze, Millais
[Cela fait un peu near death experience pastel…]

 

A Wet Night at Piccadilly Circus, Arthur Hacker
[Encore plus chatoyant en vrai.]

 

Bon à savoir : l’Eurostar a un partenariat avec les grands musées londoniens. Ce n’est indiqué nulle part dans les musées, mais on obtient deux places pour le prix d’une sur simple présentation de son billet de train (de moins de cinq jours). À 16 £ l’entrée de l’exposition, c’est appréciable !

1 Ce que l’on a pu rire de nos tenues de camouflage derrière le yucca, de nos madames Irma de pacotille (on aperçoit l’élastique de cours de récré auquel sont suspendus quantité de paréos) ou de la mendiante en sweat Kappa, qui demande une petite pièce sur carreaux Séyès… (Tendresse particulière pour celle où avec ma longue tresse, mon physique de planche à pain, un short ras du cul et le pistolet en plastique de mon petit cousin, je joue à Lara Croft.)

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