La bande-annonce de Première année contenait déjà l’essentiel de l’aspect sociologique du film : on y dénonce l’absurdité d’un concours créé pour éliminer le maximum de candidats, sur des critères très éloignés des qualités requises par la profession à laquelle ils aspirent. Le hangar avec des tables à perte de vue m’a rappelé le concours de l’ENS l’année où j’ai khûbé ; quand on arrive là-dedans, il faut jouer pour soi une partie de Qui est-ce ? et abattre mentalement des rangées entières de candidats si on ne veut pas se laisser démonter par le nombre. Les frères de l’un des protagonistes sont d’ailleurs normaliens, et nous avons le droit à une discussion sur la reproduction des élites dans la cour aux Ernest de la rue d’Ulm (qui constitue peut-être mon plus grand regret de ne pas avoir intégré ; lors des oraux, je me voyais très bien déambuler tout une année dans ce charmant patio) :
– Pourquoi tu crois que tu réussis ?
– Parce que je ne suis pas trop con ?
– Non, parce que tu as les codes. Le concours est fait par des gens comme nous, pour sélectionner des gens comme nous.
Ce que la bande-annonce n’annonçait pas, en revanche, c’est que le film de Thomas Lilti est une très belle histoire d’amitié – une de ces solidarités mystérieuses qui n’est généralement développée que dans les histoires d’amour. Rien de niais, pas d’effusion ; tout est rentré. Le rythme du film est celui d’une comédie, très enlevé, et le réalisateur dit même avoir pris exemple sur les films de sport, de boxe précisément, dans lesquels on voit la tension s’accumuler au fil de l’entraînement pour culminer dans le combat (le concours) vers lequel file l’intrigue. Les seules accalmie dans les folles révisions des deux étudiants sont justement les instants où leur relation se modifie ; ce sont des regards, beaucoup, des mouvements de lèvres, des silences. C’est se rapprocher, s’entraider, suspecter l’autre de vous utiliser, le voir au bord du burn-out, puis de l’autre bord, se fermer à lui et revenir sur sa capitulation, le reprendre comme binôme de révision… Ces moments sont muets mais, d’être les seules décélérations du film, se chargent d’une force qu’on ne leur soupçonnait pas. Du coup, en plus d’être très drôle, Première année est aussi un beau film, plus sensible que ce que le traitement comique commandait (belle évocation aussi de la relation d’un des deux étudiants à son père chirurgien, jamais satisfait de son fils – contrepoint bien trouvé à l’avantage donné par son milieu social).
Et le duo d’acteurs de Vincent Lacoste et William Lebghil est juste parfait.
(Oui je lis toujours, de temps en temps, depuis 10 ans 🙂
Je sors du film et je me suis fait la même réflexion sur la capacité (quoique je me la fasse souvent) et la docilité. Ô comme ce film nous replonge dans l’ambiance prépa, à défaut d’avoir fait médecine. Pas tant par les étudiants qui cherchent à faire tomber les têtes (ce n’etait pas comme ça chez nous), mais plutôt par la mise en image de cet élan opiniâtre, du travail avec un grand T.
Étonnamment émouvant en tout cas, je me suis retenue de verser une larmichette !
– Khâgneuse malgré elle toujours –
Comme cela me fait plaisir de vous voir par ici (je ne me souviens plus si l’on se tutoie ou si l’on se vouvoie) ! J’avoue que c’est le nom de l’adresse mail qui a fait tilt, « khâgneuse malgré elle » me laissant patauger dans une purée de pois mémorielle – mine de rien, ces années commencent à dater… de même que cet « élan opiniâtre » vers le travail (tellement ça !), que j’aimerais tant et tente de retrouver. L’avez-vous conservé ?
Je pense qu’on peut se tutoyer, meme si nous voila arrivées a l’aube de la trentaine 🙂
»Journal d’une khagneuse malgré elle »: c’était le titre du fameux grand méchant blog.
Concernant »l’élan opiniatre », mon experience du monde professionnel me porte a croire qu’il faut trouver cette sorte d’acharnement salvateur dans des projets personnels extérieurs ou la creation de son job personnalise… (en gros, le monde du travail rend un peu abruti!). Le dernier enjeu intellectuel ou de recherche de depassement que j’ai vécu, c’était lorsque j’ai passe le TOEIC ou prepare un entretien. *inserer un peu de honte ici* Tristoune, en comparaison de la khagne.