« Arthur Schnitzler, le romancier viennois du tournant du siècle, a publié sous le titre Mademoiselle Else une nouvelle remarquable. L’héroïne est une jeune fille dont le père s’est endetté au point de risquer la ruine. Le créancier promet d’effacer les dettes du père, à condition que sa fille se montre nue devant lui. Après un long combat intérieur, Else consent, mais sa pudeur est telle que l’exhibition de sa nudité lui fait perdre la raison, et elle meurt. Évitons tout malentendu : il ne s’agit pas d’un conte moralisateur, dirigé contre un méchant richard vicieux ! Non, il s’agit d’une nouvelle érotique qui tient en haleine ; elle nous fait comprendre le pouvoir qu’avait jadis la nudité : pour le créancier, elle signifiait une énorme somme d’argent, et pour la jeune fille une pudeur infinie qui faisait naître une excitation confinant à la mort. »
Kundera est un dieu, ce n’est pas l’Immortalité qui viendra y contredire. J’en avais assez de ficher, fatiguée d’estimer la quantité de liens que je devais avoir omis d’après la découvertes de quelques échos tardivement perçus, alors j’ai rangé mes affaires et suis partie en quête de cette nouvelle qui permettait à mon divin auteur de redéfinir la pudeur loin de toute morale pudibonde : « La pudeur signifie que nous nous défendons de ce que nous voulons, tout en éprouvant de la honte à vouloir ce dont nous nous défendons. »
Mademoiselle Else, qui n’a aucune envie de se montrer au « salaud » qu’est M. de Dorsday, rêve à d’autres moyens de récupérer l’argent, ou plutôt à employer le même moyen avec d’autres, plus jeunes et largement plus attirants : « « Paul, si tu me procurais ces trente mille florins, tu pourrais me demander ce que tu voudrais. » Encore une phrase de roman : la fille au noble cœur se vend pour l’amour de son père bien-aimé, et… elle en retire du plaisir. Tout cela me dégoûte. » Demander tout ce qu’il voudrait, ou plutôt tout ce qu’elle voudrait. Mademoiselle Else, comme j’ai pu le constater rapidement, s’il est vrai que la nouvelle se lit d’une traite (ou presque – interrompue par un cours qui a vraiment eu lieu – j’aime ces lectures inopinées), est peut-être vierge, mais pas effarouchée.
Sensuelle, elle le dit elle-même, et l’on ne peut pas manquer de le remarquer lorsqu’on aborde la nouvelle par le biais de Kundera (qui a tout compris, comme d’habitude *Kundera power*). Au milieu de ses observations se glissent quelques formulations du désir : « J’aimerais bie’n me marier en Amérique, mais pas avec un Américain, ou épouser un Américain et ne pas vivre en Amérique. Une villa sur la côte, des marches de marbre descendent vers la mer, je m’étends nue sur le marbre… » ; « Dommage que le grand brun avec sa tête de Romain soit reparti. Paul disait qu’il ressemblait à un faune. Ma foi, je ne déteste pas les faunes, au contraire… » ; « Il ne sait pas quoi me dire. Ce serait plus simple avec une femme mariée. On dit quelque chose de légèrement indécent et la conversation est amorcée. » ; « Et à Gmunden, noble demoiselle Else, que s’est-il passé un matin de cet été, à six heures? N’auriez-vous pas aperçu les deux jeunes gens qui vous regardaient fixement du fond de leur barque ? Ils n’ont pas pu discerner mon visage, mais ils ont vu que j’étais en chemise. Et j’étais ravie. Ah! Plus que ravie, ivre de joie. De mes deux mains j’ai caressé mes hanches en prétendant ignorer qu’on me regardait. La barque demeurait immobile. Oui, voilà comment je suis, me voilà au naturel. Une dévergondée. Et chacun le sent ».
Cela amoindrit-il la répugnance à la perspective de se donner en spectacle pour M. von Dorsday ? Nullement. Au contraire, il est bien pire que le sacrifice requis d’elle ne le soit pas dans l’absolu. C’est même toute la subtilité de la nouvelle, de ne pas faire consister le dégoût dans l’acte même, mais dans la dégradation de sa signification : l’excitation du corps perd sa valeur en lui fixant un prix ; elle, veut se donner pour rien, c’est-à-dire pour son propre plaisir. La mort, qu’elle envisage à maintes reprises, n’a rien à voir avec le suicide d’une Lucrèce : s’il lui arrive de la souhaiter avant la mise à nu, comme évitement, elle se reprend et se dédie lorsqu’elle la prévoie à la suite – ne pas faire ce plaisir à un salaud, surtout quand la honte serait aussi l’expression de son désir, qu’il n’ y aurait alors plus de raison de réfréner. : « N’ai-je pas désiré toute ma vie une occasion de ce genre ? »
« Mais rien ne m’oblige à le faire. Je peux changer d’avis avant même d’être descendue. Je peux revenir sur mes pas, une fois arrivée au premier. Je peux aussi n’ y pas aller du tout. Mais j’ai envie… je me réjouis de le faire. » La tension érotique naît de ce qu’elle veut (se montrer nue) ce qu’elle ne devrait pas vouloir (humiliation du chantage), de ce qu’elle est tenue de faire ce qu’elle aurait voulu dans d’autres circonstances, et que néanmoins elle n’aurait pas tenté sans cette « occasion ». Dès lors, son souci est moins de se montrer nue que de gâcher le plaisir de celui qui l’exige, et la façon dont elle choisit de se montrer nue, à tous, écarte définitivement l’interprétation d’un dilemme entre le heurt de la pudibonderie ou de l’honneur d’une jeune fille de bonne famille. «Je voudrais trouver moyen de gâcher son plaisir? Si quelqu’un pouvait être là, pour me voir en même temps que lui ». Plus d’exclusivité, le salaud n’aura pas le plaisir d’arracher le secret de ce qui se donne librement. « De quel droit M. von Dorsday jouirait-il d’un privilège ? Si lui me voit, que chacun me voie. Oui ! L’idée est merveilleuse. Tous me verront, le monde entier me verra. »
L’écriture n’est pas celle d’hésitations apeurées et rationnelles, mais de revirements ardents du désir et de la répulsion, que rend particulièrement sensible le choix de la narration à la première personne. Vue de l’extérieure, on aurait cru qu’elle se résignait, non qu’elle osait : « Nue, toute nue. Comme Cissy m’enviera. Et les autres qui ne demanderaient toutes pas mieux que de le faire, et qui n’osent pas. Prenez exemple sur moi. J’ose, moi, la vierge. » On est pris dans un flux de pensée très dense dès les premières pages, qui relève moins du monologue intérieur que d’un dialogue permanent que la jeune fille mène avec elle-même (n’est-elle pas somebody Else ?) ainsi qu’avec le monde dont elle anticipe et façonne à sa guise les réactions. Les guillemets ne résonnent que dans son esprit, et il n’y a que des tirets qui puissent forcer son intériorité et faire parvenir des paroles à sa perception. Rien de monotone ou de trop coulant, donc, les remarques fusent, le style est vif et incisif, à l’image de celle qui en est l’émanation. Cela m’évoque Zweig (littérature allemande, aussi, même société mise en scène), qui aurait, en toute improbabilité, croisé Duras.
Les emportements de la jeune fille sont dans ces conditions particulièrement bien rendus ; sa folie, pas même déraisonnable, puisqu’elle telle que pour qui n’a pas accès à son intériorité. La fin, qui se produit nécessairement par délitement (interruption par points de suspension – les morts se racontent rarement), n’en est pas moins certaine, puisqu’elle est discrètement confirmée au travers de la jalousie de Cissy. La conscience por
tée à l’inconsciente : « Elle me parle, elle me parle comme si j’étais réveillée. Que veut-elle ?
– Savez-vous, Else, ce que vous avez fait ? Imaginez ! Vous êtes descendue vêtue seulement de votre manteau, vous êtes entrée dans la salle de musique et subitement vous étiez là toute nue devant tout le monde. Après vous êtes tombée évanouie. Une crise d’hystérie, prétend-on. Je n’en crois rien. Je ne crois pas non plus que vous soyez évanouie. Je parie que ce que vous entendez tout ce que je vous dis. »
Sa mort, au final ? Aidée du véronal qu’elle avait préparée au cas où. Mais surtout délitée par des forces antagonistes ne l’ont pas paralysée mais écartelée. « Pudeur et impudeur se recoupaient en un point où leurs forces étaient égales. Ce fut un moment d’extraordinaire tension érotique. »
Je suis une lectrice fidèle et non assidue de votre blog. La constance et la persévérance dont vous faites preuve dans cette entreprise depuis tant d’années sont remarquables et forcent mon admiration. Puis-je cependant vous confier que vous gagneriez à « fluidifier » et resserrer vos propos – ce que vous savez, n’est-ce pas ? Souvenez-vous de Gustave Flaubert « ce ne sont pas les perles qui font le collier, mais le fil ».
Vous êtes sévère avec les publicitaires, bourreaux de la grammaire, et vous avez raison. Cependant cela vous oblige à être irréprochable, et je me demande parfois si vous observez la sacro sainte règle de la relecture (pardon pour cette incidente un peu professorale que je m’autorise vu mon âge et l’ancienneté de mes études supérieures sur les votres). Que veut dire : « Au contraire, il est bien pire que le sacrifice requis d’elle ne le soit pas dans l’absolu. » ?
J’entends bien qu’un blog est un espace de liberté et de détente etc. Pourtant, nos loisirs peuvent aussi nous permettre de progresser (note un peu moraliste, j’en conviens).
Je renouvelle mes encouragements pour vos grignotages.
Fichtre !
Comme dirait mon grand ami G., pourtant capable des plus grandes tirades sans reprendre son souffle, mais aussi fervent adepte du mode « relâche » parce que très nécessaire : »It doesn’t rigole any more ! »
Et pour utiliser mes propres mots en cette fin de longue, longue, très longue journée : » You’re f….. good, Mimy, keep talking ! »
Pardon. Un moment d’égarement… (Et d’ailleurs vous n’avez pas pu remarquer que, re-fichtre, mentalement je vous ai tutoyée en anglais…)
En tout état de cause, vous m’avez donné très envie de lire ce livre. Comme souvent : vous donnez très envie, je trouve, et c’est assez rare pour être signalé. Envie. En vie. Vivante : la voici, la vérité. Toute nue. 😉
Manon >> Fidèle et non assidue, cela me plaît indéniablement, surtout pour un diable qui sort soudainement de sa boîte. Mais avouez que votre première sortie a tardé et que le ressort produit un son quelque peu grinçant. Me confier que mon propos gagnerait à être resserré, vous pouvez. Palpatine me serine bien que je ne sais pas « faire court ». Vous pouvez également me signaler mes fautes ou mes erreurs, me faire corriger des formules un peu obscures où se trouve un pronom qui ne renvoie à rien ( je corrige volontiers : « il est bien pire que le sacrifice requis d’elle n’en soit pas un dans l’absolu »), vous pouvez me reprocher de ne pas me relire, et ce, d’autant plus que je ne me relis effectivement pas, ou rarement. Ou mal. Ou vite. Ou en me préoccupant davantage de la tasse de thé que j’ai à côté de moi. Vous pouvez me mettre en garde de ce que je suis un peu l’hôpital qui se fout de la charité. Vous pouvez aussi renforcer le cocasse de la situation, en faisant l’hôpital qui se fout de la charité qui se fout des entreprises caritatives, et épingler mes fautes qui valent peut-être les « vôtres », avec un accent circonflexe. Vous pouvez, je vous y invite. Mais je peux également m’en soucier comme d’une guigne. Mon propos gagnerait à être resserré, je n’en doute pas un seul instant, c’est de ce remord-là que sont nées les phrases en gras sur mon blog (du moins si je n’ai pas inconsciemment cédé au pédantisme didactique). Il y gagnerait, moi pas. Voyez-vous, je suis quelqu’un d’extrêmement égoïste, j’écris d’abord pour moi. (Et ensuite pour qu’on me lise, mais c’est encore pour moi, s’il est vrai que « me » est le complément d’objet de l’action que j’espère des autres). Je ne fais pas un « papier » brillant, j’ordonne la confusion des mes impressions, je tâche de définir et de comprendre tous les je-ne-sais-quoi qui me touchent. Si parfois je m’y perds, c’est justement parce que je creuse mes petites obsessions et que l’émergence à la surface de la conscience est toujours lente – car délicate. Il est entendu que je ne suis jamais certaine de ne pas délayer lorsque je développe. C’est un risque que je prends, un défaut que j’assume pleinement – et cela vaut mieux, puisqu’il ne cessera de s’affirmer à mesure que je m’attaquerai à des choses qui me sont moins évidentes (et donc beaucoup plus fascinantes). Je sais faire concis et sans détour, c’était l’une des qualités de mes dissertations à la limite du trop court (au sens que l’adjectif peut avoir dans le cadre d’épreuves en six heures), dissertations élaborées par la reprise d’éléments du cours. Ici, je ne produis pas, je cherche. J’essaye, je tourne autour de ce que je n’arrive pas à saisir. Alors certes, ce ne sont pas les perles qui font le collier mais le fil directeur (belle citation que je ne connaissais nullement – je me répète au passage, mon fil directeur est souvent en gras) ; il se trouve que j’aime les perles, petites phrases que je prélève et collectionne, et que je me plais à façonner ici ces perles qui s’enfileront peut-être plus tard. Je filerai entre vos doigts en même temps que la métaphore : le collier est beau lorsque le fil n’est pas directement visible, mais, passé et repassé dans les perles, les tient fermement les unes aux autres en un assemblage harmonieux.
Vous pouvez m’attraper à la ligne, n’oubliez pas que tout est dans le t(h)on.
Anne D >> I’ll « keep » talking. Je suis assez égoïste pour que ce soit ma manière de donner… envie. La nouvelle est courte, un ou deux trajets de train ralenti par la neige qui tombe à nouveau devraient suffire…
Ça rigole once again.
M’en vais relire Miss Else. Et retrouver Arthur, je clâme que c’est un de mes chéris et j’ai lu deux nouvelles.
Et il serait grand temps que je me décide à faire sérieusement la connaissance de Mr Kundera, la citation sur la pudeur est magnifique et pourrait bien m’être d’une grande aide là, en ce moment.
Mimy, tu ne sais pas non plus faire court en commentaire, mais tu es une perle, alors ce n’est pas bien étonnant.
(prenez-en de la graine 😀 )
Comme il reste difficile de communiquer. Bien sûr on écrit pour soi, mais dès lors qu’on publie, on prend le risque d’être surpris par un lecteur, ou un diable -j’accepte le rôle- sorti de la boîte. C’est le revers de la médaille, et le paradoxe de cet espace à la fois privé et public qu’est le blog.
Si je n’avais jamais « posté » auparavant, c’est parce
que j’observais, sans vouloir prendre parti, et que j’étais curieuse du parcours de la toute jeune lycéenne passionnée de danse et de littérature, devenue une étudiante plus critique. Dommage que tu ne te relises pas, c’est très formateur -j’adopte la convention du tutoiement, mais peu importe- et tu verrais qu’il est difficile d’être à la fois aristocrate et révoltée, conventionnelle et rebelle. La position est dure à tenir, non ?
J’appuyais le propos de Palpatine qui trouve, souvent, que tu fais trop long. Si toi même, tu le penses, pourquoi t’embarrasser ? ne garde que le gras et jette le maigre ! Je pense encore à Gustave Flaubert « où la forme manque, l’idée n’est plus » (toujours dans la Correspondance). Pourquoi tu ne mettrais pas autant de rigueur à faire tes « disserts » qu’à mener tes explorations personnelles ? ma foi, c’est baroque.
Et maintenant tu peux m’envoyer au diable, après tout, moi aussi je m’en fous. Le « t(h)on » mou et poisseux, consensuel et flagorneur, des commentaires en général m’ennuie, au moins aurons-nous échangé du consistant.
J’ai trouvé ton billet sur la nouvelle très bon, peut-être parce qu’il me rappelle ma lecture et ce que j’ai ressenti (et pas forcément compris, la faute à mon niveau d’allemand) et aussi sûrement parce que tu as choisi les passages qui m’ont le plus marquée.
Et avouons le, parce que j’adore le titre. En le voyant apparaître dans mon fil rss, je me suis dit que ça serait drôle si ça parlait de Fraulein Else. Bingo ! Tu as une fait une heureuse ce jour là 😉
Comme Mo, j’ai hâte de découvrir Kundera (que je connais seulement à travers toi et Jacques et son maître, sa variation de Jacques le Fataliste qui m’avait énormément plu).
Ah et en parlant de la longueur de ton billet, je ne l’ai pas trouvé trop long. Il est riche, pertinent et surtout bien rythmé entre commentaires et citations. Et j’aimerai bien être capable de faire une telle critique d’un livre qui m’a plu.
En tout cas, continue tes billets comme tu l’entends (un blog, c’est quand même fait pour ça à la base), personnellement ta plume me plaît beaucoup et m’est avis que trop de rigueur tuerait en partie l’intérêt que j’ai à te lire.
Vite (what’s up doc ?) il est si tard… Alors en vrac : « j’ordonne la confusion des mes impressions » mmmmmmmmmm j’adore… ! sublime, juste sublime. Mais ce n’est pas tout : « J’écris d’abord pour moi », quelle merveille ! j’avais raison : la vérité toute nue… Enfin ! Enfin quelqu’un qui assume, qui écrit haut et fort ce que tous ces bloggeurs de pacotille – ou observateurs tapis dans l’ombre, pouah, quelle horreur… – font semblant d’ignorer : bien sûr que le blog est un outil pervers, double, et violent : on dirait qu’il s’adresse à tous, en vérité c’est faux : il s’adresse d’abord à soi-même. Nous écririons tous, autant que nous sommes, pour exister un peu, persuadés que ce que nous vivons-pensons-ressentons-lisons-expérimentons a une quelconque importance ? J’espère bien que non… C’est donc bien un exercice centrique, et je veux bien avouer avec vous, chère Mimy, que j’écris aussi d’abord pour moi, et jamais, au grand jamais, je n’ai adressé un article en pensée à une quelconque personne (ce dont certain(e)s se sont parfois persuadé(e)s, ce qui me fait hurler de rire). Ah tiens non c’est inexact, une fois j’ai écrit un article en pensant à vous, comme c’est drôle… 😉 Enfin ce que je gribouille sur mon blog, je l’appelle « la partie émergente de mes carnets de notes », et c’est exactement ça : un doux mélange de vrai et de faux, de vécu et de rêvé, d’observé et de deviné – bien malin qui pourra tout démêler, hormis mes amis de longue date -, un mélange en tout cas à ma convenance, à mon rythme, et comme je l’entends. Je n’en parle pas, je ne fais pas de pub, je me contrefiche qu’il soit lu, tout au plus est-il parfois tourné vers mes amis, pas ceux de la toile, ceux de la vraie vie, puisque c’est un outil pratique pour signaler la même chose de manière à peu près esthétique à 3 ou 12 personnes, par un billet sur un blog plutôt que par un mail avec pièces jointes et multi CC – procédé peu agréable visuellement, me semble-t-il. Maintenant si certains y trouvent du bonheur, de l’amusement ou matière à réflexion, tant mieux, mais sincèrement ce n’est pas l’idée première. Le net n’est malheureusement pas une grande terre de partage, mais plutôt, à mes yeux, une somme d’individualités juxtaposées, ou, pour paraphraser Cocteau (beaucoup plus sympathique et débridé que Flaubert, toujours affaire de goûts…) : « tout a été dit mais personne n’écoute. » Pessimiste ? Point du tout… Car tout cela est désordonné, souvent joyeux, absurde, iconoclaste, et pas exempt d’un certain charme, étonnamment. Bref, chère Mimy, je préfère votre merveilleuse honnêteté face à vous-même, qui vous emmènera loin, à ces flèches qui se veulent assassines et qui, en vérité, tombent mollement avant la cible avec la grâce du… thon, puisque c’est l’animal du jour. On écrit comme on s’amuse, aussi, en tout cas en ce qui me concerne, et hélas ! il n’y a ni humour, ni fantaisie, ni consistance dans cet amas de mots signé par une « fidèle, mais non assidue » (pas le temps d’approfondir, mais il me semble spontanément qu’infidèle et assidue, ce serait quand même plus excitant…non ?). Dans ces mots je ne vois qu’aigreur quand on prétend rigueur, et quand je lis ce « tu » incongru, difforme, surgi de nulle part, un seul mot me vient à l’esprit : « patronizing » ; rarement un tutoiement m’était apparu à ce point comme l’inverse de ce qu’il est supposé être : antipathique, lourd et vulgaire, condescendant, et vide. Et voilààààà ! Pourquoi faire court quand on peut faire long ? Méditez là-dessus, bonnes gens (et vous aussi, Palpat… 😉 ) This time, I think I should be going… See you later, belle & rebelle ! 😉 et non, je ne me relis pas, il y a tant à écrire… chic !
Mo >> On a le droit d’adorer et d’avoir peu lu. Cela va souvent de paire chez moi, j’aime faire provision de découvertes, savoir que j’aimerai des textes alors qu’ils me sont encore inconnus.
Quels sont tes autres chéris ?
Palpatine >> A la première phrase, j’ai pensé répondre « merde », mais j’ai été prise de court… ^^
Manon >> Pour un troll…
Je ne doute pas qu’il soit difficile d’être à la fois « aristocrate et révoltée, conventionnelle et rebelle ». J’en doute même si peu que je ne prendrai pas le risque du conformisme de l’anticonformisme. Révoltée et rebelle, moi ? Railleuse tout au plus !
Trop long, sans grand doute, tu as raison, je le sais. Et pourtant c’est juste ce qu’il faut. C’est trop long ou ce n’est pas. Élaguer ce que j’ai fini de découvrir reviendrait à me couper l’herbe sous le pied (le gras enrobe, le maigre nourrit). La longueur n’est pas intrinsèquement en excès ; je ne juge trop longs mes posts qu’au regard de la forme sous laquelle ils sont publiés : l’écran ne se prête pas à une lecture suivie, lente, minutieuse et réfléchie. Surtout, le blog, par la fréquente alimentation qu’il suppose, les liens dont il est truffé, et l’interactivité à laquelle il invite (n’as-tu passé autant voir plus de temps à taper tes commentaires qu’à lire l’article qui les a suscité ?) est intimement lié à la vitesse, au zapping, à la lecture en diagonale (qu’on dira à sauts et à gambades, pour être mélioratif).
Mettre autant de rigueur dans mes dissertations que dans mes explorations personnelles ? Ce sont deux approches totalement différentes qui exigent des formes spécifique : la dissertation est mise en forme d’éléments appris (tournée vers le convaincre) quand l’exploration personnelle est in-formation, tentative de dé-finir, de dégager de leur gangue d’imprécision des éléments qui ne sont par conséquent pas encore maniables (tournée vers la découverte).
Du reste, tu ne sais pas à quel point je déteste les dissertations. Le jour où j’ai découvert que cet exercice franco-français n’était pas (quoique la plus révérée sous nos latitudes scolaires) l’unique forme à laquelle pouvait s’essayer la pensée, j’ai été soulagée. Rassurée, le jour où j’ai pu lever la main lorsque la prof de français de khâgne a demandé qui détestait cette épreuve – et qui a reconnu qu’il s’agissait d’un patchwork plus ou moins habilement cousu de fil blanc (et les transitions grand écart, n’en as-tu jamais fait ?).
Cela doit être étrange de se faire tutoyer par une sale gamine, non ? Mais tu m’as prise de haut, alors je te réponds bassement. Et pourtant, je ne t’envoie pas au diable (ou du moins ne te souhaite pas d’y rester – j’avais commencé par envoyer Palpatine sur les roses, à son premier mail, et il ne les a pas laissées se faner), je reconnais la valeur de tes remarques et suis ravie qu’elles m’aient permis de m’apprendre clairement pourquoi je poursuivais avec un peu d’acharnement l’écriture de ce blog. Le ton seul m’a déplu, ce qui, néanmoins, ne m’a nullement empêché de vous adresser une réponse à l’image de mes posts – trop longue.
Anne D. >> Palpatine ne m’a pas piqué la réplique, je peux cette fois : je vous aime ^^
(Vous avez senti le « tu » comme moi, j’ai pu me défaire de mon soupçon de paranoïa)
Noircir pour soi son blog-note, relevé de citations et d’impressions prélevées sur le vécu – je ne sais pas trop si c’est pour oublier ou pour se souvenir. A moins que ce ne soit la même chose.
Oui, c’est pareil. Se souvenir permet d’oublier. Ou l’inverse. Cette phrase surgie je ne sais d’où qui remonte brusquement : « je ne te quitte pas, je te laisse un moment » ; j’avais trouvé ça beau. C’est un peu ça, la valse between memories and oblivion. Non ?
Hmm…
…
Et moi aussi 😉
Je présente ici les plus plates excuses pour
1) la dimension excessive du commentaire qui va suivre
2) la maladresse de mes propos antérieurs
Et je veux bien être traitée de diable, de troll, de carrabosse etc si mon intervention est importune. Mes remarques sont le fruit d’une lecture attentive, voire attentionnée, au cheminement d’un esprit « in-formation ». Je ne lis pas en diagonale cent soixante mille blogs par jour pour y poster des commentaires propres à faire mon autopromotion, ruiner l’humeur des gens ou distribuer des satisfecit qui m’assurent de la sympathie, ce dont je me fiche bien quand je pense que la conversation vaut mieux que ça. Je tente d’aller au delà du propos laudatif entre « jeunes gens égoïstes » mais l’expression de mes paroles fait tort à ma conception. Mea culpa.
Au fond, ce n’est pas tant la longueur des papiers qu’une question de rythme dont je parle quand je dis « fluidifier et resserrer le propos ». En tout état de cause,
Bravo pour le bel acharnement tant à écrire ce blog qu’à le défendre, et ce avec beaucoup d’intelligence (ce dont je ne doutais évidemment pas), c’est à dire en argumentant, et en dominant la première réaction d’envoyer paître l’interlocuteur critique.
Bravo aussi pour la formule que j’aime beaucoup « à sauts et à gambades », mais là encore je vais t’énerver/vous irriter (décidément ! mais de contacts rugueux peuvent naître des étincelles, voire parfois la lumière). Plutôt que le terme didactique de « mélioratif », j’aimerais mieux que tu parles de/vous citiez Montaigne qui me semble, en l’occurrence, une référence plus appropriée et tellement plus féconde, tant sur son mode de lecture que d’écriture. S’il revendique lui même cette façon de penser, d’écrire, et de mener librement ses Essais, il se relit et se corrige en permanence…
Bravo enfin d’avoir pris le temps de poser les termes de l’analyse dissertation/élucubration perso (ceci n’est pas péjoratif, c’est pour faire court). L’idée du discours « aux autres » et du discours « à soi » est séduisante, mais du coup, je m’interroge : la dissertation pour convaincre d’une opinion, ou la dissertation pour exposer une synthèse ? il y aurait de l’ordre du discours rhétorique là dessous que j’en serais pas surprise. Une idée ?
Avançons ! reconnais-tu que ce qui est intéressant dans tout cela, c’est le raisonnement, l’exercice intellectuel, la figure réalisée. Il y a des figures libres et des figures imposées, certes, mais les figures, quelles soient libres ou imposées observent les mêmes règles et c’est pour cela que je réfute la dichotomie que tu sembles instaurer entre l’exercice « scolaire » et l’exercice personnel, mais peut-être que je schématise ?
Ce que j’entends par rigueur, c’est le soin mis dans la présentation finale, qui doit être le même partout et tout le temps (du moins dans ce qui est montré au public, mais même pour soi de mon point de vue). Peut-être que tu appréhenderas/vous percevrez mieux cette idée quand tu auras écrit/vous rédigerez votre mémoire, parce que dans cet exercice tu dois rendre/vous exécutez une figure imposée, bien définie (y compris avec bibliographie !) mais en même temps, à l’intérieur, tu es/vous êtes complètement libre dans la forme. Et tu veux/vous souhaitez que ce soit bien écrit et agréable à lire, n’est-ce pas ? donc je pense que tu veilleras à/vous aurez soin de ne pas délayer et de tenir la rampe, d’aller à l’essentiel et de garder pour toi/vous les méandres de tes/vos réflexions pour n’en exposer que les résultats. Ils n’en paraîtront que plus pertinents et plus vifs. C’est comme la magie, le théâtre, la danse etc : si tu vois/l’on vous montre les machineries, la technique, l’envers du décor, c’est fascinant mais moins charmant, non ?
Je suis une méchante troll et je rentre dans ma boîte, mais avant, je renouvelle ma supplication : relis tes papiers, c’est fondamental. Ne pas le faire c’est donner à ses mots autant de poids que plume au vent. Et surveiller l’orthographe, c’est une question de dignité, vis-à-vis des autres et aussi vis-à-vis de soi-même (je suis mortifiée de l’omission d’un accent circonflexe).
Je ne sais pas choisir entre « vous » et « tu », je garde les deux. « Etrange d’être tutoyée par une sale gamine » ? pas plus que de se faire tapoter la joue par une vieille cloche (propos grinçant ? non ! provocation irrésistible).
Zweig (proche de Schnitzler, d’ailleurs), Gracq, Yourcenar. Diderot. Maurice Leblanc, parce qu’Arsène. Yoko Ogawa. Jane Austen, depuis peu.
Sinon: la dissertation m’a toujours donné beaucoup de satisfaction, par le bel ordonnancement des connaissances ou des petites théories. La recherche m’empêche de dormir parce que je suis de ceux qui doutent et qui n’accorde pas de poids à leur parole. Et pourtant je sais que devant ma thèse j’aurai infiniment plus de plaisir que devant un plan en trois parties trois sous-parties – qui reste cela dit un excellent moyen d’obtenir l’admiration de tout un Hauptseminar, et ça c’est toujours flatteur.
(et moi aussi je suis outrée par l’oubli d’un accent circonflexe, mais dans les copies, pas sur les blogs.)
Je ne dors pas (pour de pénibles raisons) alors je viens en terrain charmant.
Les derniers commentaires m’inspirent 3 réflexions : 1/ dans de nombreux domaines, pour ne pas dire tous, je préfère l’envers du décor, la fabrication, les techniciens, la mécanique, les essais, les ratages, les non-choix, l’envers du décor, au « produit fini », fût-il un spectacle, fût-il magique. Pourquoi ? Parce que c’est là, justement, dans tout ce que je viens de citer, que s’opère la magie, qu’existent les alchimies. Le spectacle ou l’oeuvre achevée ou le produit fini, c’est terminé, et donc lisse, et déjà mort. Ou en route vers.
2/ L’absence d’accent circonflexe ne me fait pas frémir tant que je sais que la personne qui l’a oublié aurait pu le mettre (subtile nuance). Et que c’est juste une question de rapidité, ou de distraction. Et cela s’entend, cela se voit, cela se sent… Quant à ne pas se relire, c’est sans doute très mal, mais comme je l’ai déjà mentionné, ça permet d’écrire autre chose ; et c’est bien ce dont il s’agît : civilisation zapping, lecture en diagonale, écriture rapide. Donc oui, il y a deux styles de fautes (d’ortographe et les autres) : selon le contexte. Le ton condescendant, par exemple, est acceptable quand il y a un rapport hiérarchique ( ce n’est pas pour cela qu’il est plaisant, mais en tout cas acceptable). En revanche dans une société de gens de blogs, c’est tout à fait vulgaire, déplacé et irrecevable.
Et enfin 3/ : pour « ruiner l’humeur des gens », il faut avoir de l’ascendant sur eux. Raté, et raté… 😉 Si j’osais, j’écrirais aussi d’ailleurs que quand on prétend aimer les conversations on ne se limite pas à des monologues (je n’ai rien vu, rien lu, rien écouté, je continue de parler… fascinant). Vrai, si je n’avais pas l’âme plombée, ça me ferait sourire…
Manon >> Mortifiée ? vous vous moquez de moi. Mais soit, je l’ai fait avant vous. ^^
Mon mémoire contiendra mes méandres, c’est par là qu’il a jamais une chance d’être bon. La présence du processus à l’intérieur de la réalisation ne la rend pas moins charmante – le propre du charme n’est-il pas d’être un envoûtement, et donc une fascination ? (moins « charmant » de grand-mère, là, peut-être) Penser le contraire serait faire preuve d’incohérence quand on a choisit de travailler sur une œuvre comme l’Immortalité qui fonctionne sur une mise en abyme, avec un personnage d’auteur qui ne cesse de faire irruption dans le récit et d’en tirer tous les fils. Et ce n’est pas un hasard non plus si j’aime tellement le Nouveau Roman.
Convaincre d’une opinion ou exposer une synthèse, vraiment ? Outre qu’il est difficile de convaincre d’une opinion (c’est un avis, une croyance, pas un raisonnement – on peut en revanche persuader d’une opinion, mais ça, ce serait davantage un exercice d’école de commerce, un essai à l’anglo-saxone) et que la dissertation n’est pas le lieu de l’avis personnel (pas plus que de l’argument d’autorité, soyons clairs), on pourrait dire qu’elle propose une synthèse convaincante.
Dissertation/ élucubrations perso, mêmes règles quelque soit la forme ? Ce n’est pas ainsi que j’envisage les choses. Ce serait plutôt à chaque forme ses règles, puisque chaque forme invente ses propres règles, bien plus que celles-ci ne dictent une quelconque organisation à celle-là.
Mais je suis d’accord, « ce qui est intéressant dans tout cela, c’est le raisonnement, l’exercice intellectuel ». Aussi mettrai-je un terme à cette dispute qui risquerait de devenir moins stimulante.
Manon >> J’oubliais : avez-vous un blog ?
Mo >> Zweiiiiiiiiiiiig ! (Schnitzler m’y a aussi fait penser, comme une même sensibilité). Et puis Ogawa… j’ai vu un recueil qui est sorti, je résiste encore, d’autres lectures prioritaires.
Anne D >> L’envers du décor et pouvoir imaginer ce qu’on peut bien fabriquer… 🙂
Je connais très peu Kundera, et me fie à vous. Je n’ai lu que l’Insoutenable légèreté, il y a mille ans. Mais il y a quelques mois, j’ai vu au théâtre « Jacques et son maître », qui m’a transportée d’allégresse. Outre que j’adorais déjà le ton et la façon, au sens de construction, de « Jacques le Fataliste », le travail de transfiguration était « envoûtant », stimulant et porteur : ajouter du sens au sens, quoi de plus ? Selon moi, c’est bien ainsi que « le nain » devient à son tour « un géant ». Quant au Nouveau roman, je vais vous dire très sérieusement ce que je pense : Gustave Flaubert l’a inventé avec « Madame Bovary ».
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Etre lue en diagonale et comprise de travers, ça me ronge, comme une faute d’orthographe qui m’échappe. Donc, non, je n’ai pas de blog. Mais je me dois d’être honnête, et arrêter de squatter votre canapé. Je devrai ouvrir un « espace public » afin de poursuivre cette conversation et vous laissez libre de me porter la contradiction, ou pas. Cette « dispute », je la vois comme une rencontre sur la longue route des sommets, sur la route… comme Jacques dont « le maître ne disait rien et Jacques disait que son capitaine disait » etc
(Je n’ai pas encore lu Jacques et son maître, mais chut)
J’ai souri, je crois.
(ma nature métaphorique qui reprend le dessus)