Ne m’oublie pas : la bande-dessinée d’Alix Garin emprunte son nom au myosotis (forget-me-not en anglais — et Vergissmeinnicht en allemand, m’apprend Wikipédia) pour une très jolie histoire entre une grand-mère et sa petite-fille Clémence, qui l’enlève de son EHPAD sur un coup de tête.
J’ai aimé les couleurs délicates, tout comme les lumières et les émotions, délicates elles aussi.
J’ai aimé ces évocations du passé en noir et blanc quand Clémence revoit son enfance dans la maison désertée de sa grand-mère :
C’est plein de joie…
… de tristesse aussi…
… plein de beauté.
Et, alors que les annonces immobilières me laissent de marbre, mon petit cœur se serre devant une maison dessinée à flanc de falaise (réminiscence d’un autre dessin, d’une autre dessinatrice, que je regrette de ne pas avoir acheté) :
Janvier Comme un oiseau dans un bocal de Lou Lubie, toujours géniale dans la bichromie et le mélange de récit et d’essai.
Février Coming in d’Élodie Font et Carole Maurel, récit d’un coming out à soi-même.
Mars-avril
Un trou de trois mois sans lire de bande-dessinées, puis c’est revenu.
Juin Céleste (seconde partie) de Chloé Cruchaudet 💜
Proust depuis le point de vue de sa femme de chambre. J’avais déjà beaucoup aimé la première partie.
Septembre Brontëana de Paulina Spucches La jeune femme et la mer, de Catherine Meurisse : j’aime toujours autant le trait et l’humour, mais le récit pour moi ne fonctionne pas cette fois.
Octobre Peau d’homme d’Hubert et Zanzim 🧡 Blanc autour de Wilfried Lupano et Stéphane Fert
Novembre Un si grand amour, histoire d’une rupture de Pauline Aubry 💛
Plusieurs fois, je me dis qu’il faudrait mettre en récit ce qui se trame d’enquête chez le psy, et cette BD est un peu ça, en partie. Cela m’a fait l’effet que Liv Strömquist semble faire autour de moi (mais pas sur moi).
Décembre La Mer verticale de Brian Fresch et Ilari Urbinati L’été du vertige d’Adlynn Fischer
(Les quatre dernières BD n’ont pas été empruntées mais lues sur place, entre les cours que je prends et ceux que je donne.)
(J’essayerai de mettre en forme les planches capturées en souvenir qu’il reste encore dans mon téléphone…)
Lou Lubie confirme avec Comme un oiseau dans un bocal qu’elle est toujours géniale dans la palette restreinte et le mélange de récit et d’essai.
Seul bémol à cette bande-dessinée : l’animalisation / anthropomorphisme des personnages m’a parfois dérangée. Autant ça fonctionne bien pour le drôle d’oiseau, autant le poisson à l’étroit dans sa tête-bocal m’a perturbée par moments (mais si elle est le poisson, alors quid de corps avec bras et jambes ? elle n’est que son cerveau ?). Et globalement, les animaux avec des seins (qui ne peuvent pas s’apparenter à des mamelles), ça me eww depuis les pubs Orangina.
Cette dimension animal anthropomorphisé mise à part, j’adore les métaphores graphiques de Lou Lubie, comme ici les idées qui brindillent et arborescent quand on voudrait dormir.
Et j’aime son humour. Notamment quand il est question de bouffe :
Et pas que de bouffe.
Bonus pour avoir décorrélé l’intrigue principale de la sous-intrigue amoureuse et développé pour les deux personnages principaux une relation d’intimité qui ne soit pas romantique.
J’ai gardé essentiellement trace de ce que m’a fait sourire, mais la dimension didactique est toujours aussi bien amenée. Sur le fond, pas mal de choses m’ont parlé, comme l’hypersensibilité au bruit, bien rendue ici sur la case du milieu, avec un lissage et une disparition de toute hiérarchie visuelle qui correspond bien aux superpositions sonores qui assaillent de toutes parts :
Ou encore cette envie de tout faire, soulignée avec cet humour que j’aime tant :
Coming in d’Élodie Font et Carole Maurel : un joli titre pour le récit d’un coming out à soi-même, lu d’une traite à la médiathèque de Montrouge.
Sans surprise pour qui me connait, j’ai apprécié les métaphores des processus mentaux, notamment ce combat de catch entre deux voix intérieures chez la narratrice :
La séquence se termine par une victoire rouge, qui lance à la bleue défaite « Dramagouine, va ! »
J’ai eu un instant de surprise en découvrant ce dessin du parc de la Citadelle : hé mais je connais, c’est (presque) chez moi ! Autant les représentations de Paris ou New York ne me surprennent pas, autant je n’associe pas Lille à un cadre (cinémato)graphique et ça me semble improbable de retrouver la ville dans un livre, comme si elle existait dans un monde résolument imperméable à la fiction.
J’ai failli ne pas lire La vie gourmande d’Aurélia Aurita : j’ai cru l’avoir déjà lue et en fait non, je confondais avec Comme un chef. Aurélia Aurita emploie le même principe de monde en noir et blanc, d’où les saveurs surgissent en couleurs — cette fois-ci non plus au service d’une biographie, mais d’un nouveau volet de sa production autobiographique.
Le récit, un peu déstructuré, commence au moment où elle répond à une commande du chef de Comme un chef (d’où l’air de déjà vu) et finit par évoquer son cancer, en passant par tout un tas d’épisodes culinaires et amoureux qui l’ont complètement enseveli dans ma mémoire. Si je n’avais pas pris en photo une planche ironique sur l’atelier « bien-être » dédié à des femmes cancéreuses sponsorisé par des grandes marques de cosmétique, j’aurais carrément zappé l’épisode. J’ai surtout été marquée par ce que je connaissais déjà d’Aurélia Aurita et qui me plaît dans ses bande-dessinées : la gourmandise avec laquelle elle parle de sexe, et l’enthousiasme avec lequel elle parle de bouffe.
Case suivante : « Ce soir, l’amour a un goût de bisque de homard. »Je crois me souvenir de ce souvenir déjà narré dans ses chroniques japonaises…
Bonus pour le récit de sa rencontre et de son amitié avec Mona Chollet, mais noooon ?! entre petit pincement de jalousie, incrédulité de voir mes mondes entrer en collision et joie du cross-over :
C’est amusant, on ne sait jamais quel détail d’une lecture viendra se rappeler à nous dans un contexte qui n’a rien à voir. Il y a peu, alors que le boyfriend se réjouissait que je n’ai pas senti l’ail dans le plat qu’il contribuait néanmoins à équilibrer, j’ai repensé à ce passage de La Vie gourmande dont je n’avais pas même cherché à garder une trace, où Aurélia et une amie dégustent dans un étoilé un plat où le chef a inséré une pointe infinitésimale d’une substance qui, en plus grande quantité, agirait comme poison. Sur le moment, j’ai trouvé ça complètement con. J’y ai repensé aujourd’hui encore en testant une recette de risotto de coquillettes et petits pois au fromage ail et fines herbes, qui m’attirait inexplicablement dans ce bouquin alors que je n’aime toujours pas l’ail. Il faut croire qu’un goût peu aimable excite les papilles et qu’on en a parfois autant besoin que le réconfort procuré par, par exemple, le chocolat aux amandes que je boulote en rédigeant ce paragraphe. En écho me revient l’anecdote d’un programmateur musical ou d’un critique, je ne sais plus, qui se demandait si, vraiment, la vieille bourgeoise qui s’indignait d’un morceau contemporain n’en avait pas davantage profité que le Mozart sur lequel elle avait roupillé…