L’exposition Lanvin présentée au musée Galliera pourrait être résumée en quelques mots-clés, martelés par des cartels par ailleurs fort bien rédigés.
Mère-fille
Jeanne Lanvin avait, semble-t-il, une relation assez fusionnelle avec sa fille, Marguerite. La petite fille et sa mère figurent ensemble sur le logo de la maison, dessiné par Paul Iribe à partir d’une photo de fête costumée (elle aussi exposée). On le retrouve sur les flacons de parfum de la maison (c’est curieux de retrouver dans une vitrine de musée ce qui appartient pour moi à la collection de flacons de Mum) et jusque sur les ex-libris de la couturière (l’ex-libris, ce fantasme de bibliophile). La jeune Marguerite est également à l’origine de la réorientation de sa mère, modiste, vers le vêtement – pour enfant. Sont exposées des tenues de petites filles modèles qu’on a bien du mal à concilier avec l’idée d’amusement. Pouvait-on seulement goûter ainsi habillée ?
Nœud
Symbole du lien affectif entre la mère et la fille ou simple élément de mode (faut pas pousser mémé dans les orties non plus), le nœud revient assez souvent sur les robes de Jeanne Lanvin. On en trouve des vrais, en tissu (des discrets, pour nouer les ceintures des robes ; un plus volumineux, qui fait des ailes de sylphides dans le dos de la robe) et d’autres à plat, comme motifs de broderie.
Broderie
S’il y a un dénominateur commun entre les robes exposées, c’est bien les broderies qui les ornent. J’ai été un peu déçue déconcertée par cette conception très ornementale de la mode, où le vêtement est moins un agencement de proportions et de volumes qui sculptent la silhouette qu’un prétexte à parure. En y réfléchissant, pourtant, on retrouve semblable divergence en architecture où l’on privilégie tantôt les volumes (avec des lignes épurées) tantôt l’ornement (sur une structure plus simple). Jeanne Lanvin inclut sautoirs et autres bijoux dans ses robes mêmes. Perles, sequins, cabochons, cristaux de Swarowski (comme par hasard mécène de l’exposition) compensent ainsi la simplicité des coupes : les robes sont souvent longues, droites, avec un haut blousant resserré sous la poitrine ou à la taille et de longues manches. Ce n’est pas franchement exaltant, même si ces robes devaient donner une certaine prestance, qu’on imagine à partir des ports de bras et des mains maniérées des croquis. Il y a en effet dans ces grandes manches ouvragée une certaine noblesse, que confirment les noms de comtesse qui les ont eu dans leur garde-robe. Marguerite elle-même devient comtesse de Polignac (et son mari de la rebaptiser Marie-Blanche – Marguerite, c’est d’un commun…). Il n’empêche, tout cela sied mieux à la maturité (ou à la petite enfance) qu’à la jeunesse : j’ai été presque choquée par la totale absence de décolleté. De fait, les dos sont souvent bien plus élégants que les bretelles ou cols ronds de devant. Et cela est sage, tellement sage. Presque ennuyeux. Disons élégant.
Élégance
La nouveauté est une telle idole dans nos sociétés, qui fonctionnent sur des mythes positivistes, que l’élégance fait pâle figure à côté, comme tombée en désuétude. Le commissaire d’exposition s’excuserait presque de ne pas pouvoir parler de révolution ni citer telle ou telle robe comme coup d’éclat qui aurait marqué l’histoire de la mode. N’aurait-il pas mieux valu, alors, se concentrer sur l’histoire tout court et nous plonger dans une époque où l’élégance était autrement appréciée ? L’exposition ne parvient pas vraiment à nous faire pénétrer un monde qu’évoquent quelques photos et croquis publicitaires. Une plaque « Madame / Défense d’entrer / S’adresser en face » indique pourtant à elle seule une certaine époque et hiérarchie sociale – une époque où la robe du soir prenait son sens par rapport à une « robe d’après-midi », ainsi qu’on peut le lire sur la légende de certains croquis. Ces indices parlent malgré eux ; ils n’ont pas été arrangés comme c’était le cas du Roman d’une garde-robe, au musée Carnavalet, qui exposait moins de pièces, parfois moins raffinées, mais réussissait à rendre la vie des maisons de coutures et de ses clientes. L’approche n’est pas la même, me direz-vous – musée historique vs musée de la mode –, mais on sent que le poids de l’histoire travaille le commissaire de l’exposition Lanvin lorsqu’il qualifie de « belles endormies » certaines robes, sûrement trop fragiles pour être enfilées sur des mannequins, exposées à plat dans des vitrines. À défaut de nous faire entendre la petite musique d’une époque, le commissaire file la métaphore musicale, avec d’ingénieux miroirs installés au-dessus des vitrines horizontales, comme des couvercles de piano, grâce auxquels les robes « se lèvent », mi-souvenirs mi-apparitions. Il faudrait imaginer, aussi, les concerts et opéras qui ont inspiré les noms de certains modèles et fourni l’occasion de les porter, mais le parfum de cette époque (Arpège…) s’est éventé depuis bien longtemps.
Savoir-faire
Je ne sais pas combien de fois le mot « savoir-faire » apparaît sur les cartels, mais en nombre suffisant pour créer une certaine frustration : on voit ce qui est fait, qui est exposé là, devant nous, mais on ne sait pas le travail, les techniques que cela implique. Le peu de place est peut-être en cause, mais je regrette que l’exposition ne soit pas plus pédagogique. Qu’est-ce que cela aurait été si l’idée géniale de l’exposition Valentino à Londres avait été reprise ! La dernière salle était consacrée au savoir-faire, justement, avec des vidéos montrant les gestes des couturières et des échantillons de leur production à différentes étapes. Les organisateurs de cette exposition l’avaient bien compris : c’est du tour (de main) que surgit la magie. Elle n’opère donc pas vraiment à l’exposition Galliera, qui mise davantage sur la nostalgie d’un monde perdu qu’elle ne cherche pas à ressusciter.