Journal d’août 3/4

Le week-end du 15 août a été du 11 au 15 août cette année, en Touraine, chez les amis du boyfriend : ils sont éparpillés aux quatre coins de la France et se retrouvent une fois l’an pour quelques jours de fête.

le barnum illuminé et perdu dans la nuit noire

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Vendredi 11 août

L’amie du boyfriend qui héberge le grand rassemblement annuel de leur groupe nous récupère en voiture à la gare. Sur le trajet, le boyfriend demande qui vient ou ne vient pas finalement ; je demande qui est le qui qui vient lorsqu’il ne figure pas sur mon trombinoscope mental. Pour certains, j’ai le prénom mais pas le surnom : pour d’autres, le surnom mais pas le prénom ; pour d’autres encore, ni l’un ni l’autre, et parfois pas même la relation intermédiaire.

Le boyfriend se crispe en entendant le prénom du compagnon d’une ex-ex, avant d’apprendre qu’ils se sont séparés, et qu’il aura ainsi le plaisir de retrouver l’ex de son ex sans avoir à craindre ladite ex. Accueillir cet ancien ami dans le club des ex de V. amuse tellement le boyfriend qu’il lapsusse et me présente comme V. avant de se reprendre aussitôt. C’est parfait, on peut charrier qui de droit ; la moquerie se redirige gentiment vers le boyfriend plutôt que le récent célibataire malmené.

Deux gravures bleutées, sur un mur avec un décrochement, qui créé deux surfaces plus ou moins éclairées

Le AirBnB est étriqué et vieillot au possible. Il y a des meubles en bois sculptés, chaises et buffet ; des napperons en crochet ou en dentelle épaisse ; une suspension candélabre avec deux ampoules transparentes et une dépolie, toutes en forme de flamme ; de la vaisselle blanchâtre  ni opaque ni transparente ; des gravures de nature bleutées qui ont dû perdre leurs pigments rouges dans les années 1990 à l’étage, et une photo de rouge-gorge enneigé isolé du papier-peint fleuri par une baguette dorée dans la chambre au rez-de-chaussée, également dotée d’une descente de lit poilue. Pas de doute, nous sommes chez Jacqueline. Comme à Langeais, dans notre précédent AirBnB de Touraine, tenu par une autre Jacqueline. Comme mon arrière-grand-mère, Jacqueline pour tous ceux qui ne pouvaient pas l’appeler mamie-de-Sanary. C’est peut-être pour ça que je me sens facilement bien dans cette petite maison laide. Une familiarité d’époque passée. Je crois même reconnaître une babiole colorée en forme de poule-coquetier sur le buffet.

Plusieurs tentes ont été montées dans le jardin, mais tout le monde n’est pas encore arrivé : la grosse soirée du week-end est pour le lendemain. En attendant, c’est la Friday night fever ; cette première soirée est déjà bien tardive, bruyante et arrosée. Un feu est improvisé à même le sol, puis cerné de briques, pour alimenter en braise le barbecue pendant tout le week-end. Les premières grillades arrivent vers 22h, quand le saladier de taboulé géant a déjà été bien entamé. Ni trop sec, ni trop humide, le secret est de le cuisiner dans du gaspacho, apprends-je.

Il fait nuit noire quand il est temps pour moi d’aller me coucher, et j’appréhende d’arpenter seule vingt minutes de route noire, d’herbes noires, d’air noir, d’arbres, de bruits et d’ombres noires. D’être seule sur le chemin et peut-être de ne pas l’être. Une convive motorisée éprouve la même appréhension et fait très gentiment l’aller-retour pour me ramener au AirBnB. Je me sens vulnérable au nez-de-chaussée sans fermer la porte à clé (nous n’en avons qu’un seul jeu), et m’installe sur le canapé-lit à l’étage. L’escalier et la porte vitrée du salon tiennent à distance la crainte d’une intrusion ; j’y suis comme suspendue, contenue, en sécurité.

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Samedi 12 août

Est-ce dans les lieux les plus laids que l’on fait le mieux l’amour ? Nous ne sommes pas prêts de si tôt, en tous cas. Le boyfriend se hâte et part avant moi, m’offre un moment de solitude. Socialiser en grand groupe me prend pas mal d’énergie ; j’accueille avec gratitude la possibilité de recharger les batteries dans l’introversion. Je prends mon temps, je traîne même, à me préparer puis sur le chemin : je ne peux pas ne pas faire de la balançoire près de l’étang. Il me faut pourtant me réhabituer aux sensations de la vitesse courbe, des organes désorientés. Réapprivoiser une oscillation de petite amplitude me rend incrédule : je montais si haut, si petite ! Les jambes vers le ciel, le corps renversé vers l’arrière… mais c’est que ça aide à stabiliser le niveau à bulle interne !

Je me balance, lentement, longuement peut-être, et le paysage se met à respirer, le vent léger dans les feuillages, loin, sur l’étang tout proche, dans les hautes feuilles juste devant ; la chaîne métallique de la balançoire grince de tout mon poids, en rythme, irritante d’abord puis apaisante par sa régularité ; sur un banc dérobé, à ma droite, une conversation a lieu ; à ma gauche, de l’autre côté de la route, un coq invisible s’égosille tardivement ; le moteur de la voiture qui vient de passer s’amenuise dans une illusion de silence, qui ne cesse de bruire calmement. Je repense souvent à cet article contre-intuitif conseillant aux gens sensibles aux bruits de tenter d’identifier 5 sons distincts autour d’eux. C’est contre-intuitif, car on aurait tendance à penser que cela ramène à la conscience des sons que l’on avait occulté, mais c’est assez efficace : au lieu d’être un magma oppressant, le bruit se feuillette, se divise en couches identifiables  qui, en se spatialisant, écartent le son et tiennent à distance l’assaut sonore. On se retrouve au milieu d’un tissu sonore aux fibres espacées, extensibles. L’effet est apaisant.

Au dernier virage avant d’arriver à la maison des festivités, je croise le boyfriend en sens inverse, à l’arrière d’une voiture qui ralentit à peine : ils vont faire des courses et reviennent, gaillards. Je suis un peu dépitée, regrette de ne pas avoir moins ou davantage traîné. Il est trop tard pour faire demi-tour ; je prends mon courage à deux pieds et vais jusqu’au fond du jardin m’installer en bout de tablée. Une trentaine de personnes sont réunies sous le barnum ; c’est LA grosse soirée du week-end. Mes voisines sont adorables, mais c’est laborieux : les questions entraînent des réponses qui tournent vite court, et nous sommes un peu loin, un peu nombreuses pour nous absorber dans les conversations déjà amorcées — sauf une, sur le banc, qui a tôt fait de nous offrir son profil et de nous abandonner à nos chaises. Nous concentrons nos efforts sur les mines du secourable bébé à nos côtés, dissimulant nos silences dans des sourires.

Quand j’ai raconté ensuite la scène au boyfriend, énumérant les personnes présentes, il s’est mis à rire : nous nous étions retrouvées entre +1 toutes plus introverties les unes que les autres. Convenablement présentée par un tiers de confiance huilant nos silences, la lâcheuse sur son banc s’est révélée une timide ancienne danseuse, passée au yoga pour fuir la frustration du corps qui ne sait plus, de l’épanouissement perdu dans l’indifférence des cours-bataillons. Je la comprends tellement (cela me confirme qu’il y a vraiment quelque chose à faire pour les cours adultes). J’aurais bien continué à discuter longuement et à boire sa beauté en l’écoutant parler, assise en tailleur le dos bien droit, mais nous nous sommes tues quelques temps après une flambée enthousiaste — je n’aurais jamais pensé entendre parler du prix de Lausanne au milieu de la barbac’, dans l’odeur du CBD.

C’est tout un concept de découvrir trentenaire un genre de fête qu’on n’a pas fait dans sa vingtaine, avec des quarantenaires qui se sont pour certains reproduits. Ce ne sont pas forcément les femmes qui ont les cheveux les plus longs, ni les hommes qui boivent le plus. La musique tantôt se danse, tantôt se hurle. Les cigarettes ont des formes plutôt coniques et le taboulé est fait maison avec la menthe du jardin. L’évolution du groupe se devine aux pièces rapportées : les plus anciennes ne dépareillent pas, y’a un truc brut de décoffrage commun, hérité d’une jeunesse qui dépote ; les plus récentes (dont je fais partie), rencontrées après un assagissement relatif, sont plus soft, allant jusqu’au profil catho-bourgeois. L’ensemble est très hétéroclite et surprenant, mais parfait pour me secouer un peu et me faire prendre conscience par contraste de cet entre-soi bobo-BCBG-citadin, où être intelligent est plus ou moins synonyme d’être intellectuel (et où l’on est beaucoup moins accueillant). Debout, près de la maison, je discute un temps avec mon homonyme à une lettre près. Les lapsus auront été suprenamment peu nombreux durant le week-end. Ici, je suis la femme à Titi, ça me va bien aussi.

Ce soir-là, Titi compte mitonner une petite sauce aux champignons, mais il est réquisitionné en secret pour dessiner la carte d’anniversaire de notre hôte. Je le vois qui s’énerve d’être pris au dépourvu, partagé entre l’agacement qu’on considère le dessin comme une activité de môme ou de génie, qui ne prendra que quelques minutes, et le stress de décevoir (et se décevoir) en produisant quelque chose dont il ne sera pas un minimum satisfait. Je perçois le décalage entre la requête de ses amis et la manière dont il la reçoit. Il peste contre la dernière minute et s’escrime au brouillon avec un portrait sans référence de l’anniversairée. Je suggère un gâteau avec des bougies, tout aussi indiqué et bien moins complexe à dessiner. Les interruptions sont nombreuses, à cacher régulièrement la carte et à faire semblant de dessiner avec les enfants rassemblés en admirateurs, mais la carte est finalement patissée et les signatures successives obéissent au même régime de manège secret. La cuisine peut alors reprendre sans métaphore ; le boyfriend rejoint le saladier débordant de champignons émincés.

le barnum illuminé tandis que la nuit commence à tomber (il fait nuit dans les arbres et encore clair dans le ciel)

Plus tard dans la soirée ou dans la nuit, on se met à danser. Forcément, je ne suis pas en reste et me fais remarquer : j’ai beaucoup moins d’inhibitions à danser qu’à parler en groupe. Le boyfriend n’est pas en reste, ça me surprend-réjouit-m’émeut. Il headbang et je rencontre incarnée sa jeunesse dont je n’avais que des récits.

En pause près du feu, un enfant de 12 ans m’explique que son père a recommencé à fumer. « Ça me navre un peu, » conclut-il, employant vraiment le verbe navrer à 1h30 du matin tandis que ledit père danse avec un certain grammage dans le sang.

Être identifiée comme prof de danse en soirée est un peu étrange. Une convive qui a l’alcool adorable et admiratif me demande sans cesse : « Vas-y, montre-moi des mouvements, je copie. » Darling, c’est du hard rock et je (ne) suis (pas encore) prof de danse classique. Je n’ai pas de move à t’apprendre, je fais littéralement n’importe quoi. « Ce n’est pas vrai, tu ne fais pas n’importe quoi, tu mélanges plein de styles, » corrige le 12 ans qui analyse décidément beaucoup trop finement les adultes. Je gesticule boîte de nuit, accentue flamenco, déhanche pop, décélère contempo, tourne, sautille aussi sur place avec les autres quand ils s’y mettent.

Le contraste avec ma réserve de sociabilité parlée est manifestement flagrant : « Toi, t’aimes pas les gens, mais quand on met de la musique… » La remarque tout sourire émane d’une nana pas croyable, qui pourrait tout à la fois être routière et puéricultrice (en réalité technicienne du spectacle). Sur sa table de mixage, tous les curseurs ont été poussés au max ou à l’excès — saturation et exaltation. Je voudrais trouver plus opposé à moi que je n’y parviendrais pas : elle est extravertie au dernier degré, gouailleuse et sans aucun filtre, tellement cash et grossière qu’elle ne parvient pas à être vulgaire, beaucoup trop franche et primesautière pour ça ; elle ne laisse pas sa part au lion à chaque tournée de barbecue, et s’abreuve à un cubi de rouge qu’elle est seule à siffler, un vrai mec dans l’idée ; par la voix, le rire et la corpulence, elle déborde et occupe la place… sans jamais empiéter sur celle des autres, qu’elle est prompte à prendre sous son aile, et que je te cajole et te mijote ; c’est peu de dire qu’elle met l’ambiance, et ses yeux qui brillent fort, on sait sans hésiter que ce n’est pas que d’alcool. À côté d’elle, nous sommes tous étriqués, nous manquons tous de générosité. Je lui ai laissé la charge des rares interactions que nous avons eues, c’est trop pour moi, une autre planète, ça me ferait presque peur, et en même temps, la force de la sympathie qu’elle transpire, c’est pas croyable. Ça m’a fait plaisir du coup, quand le boyfriend m’a rapporté le lendemain son incrédulité enthousiaste : non mais ta femme, elle a pogoté et tout… (J’ai cependant dû Googler pogoter.)

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Dimanche 13 août

C’est le lendemain de la grosse fête, ça dort dans les hamacs, les tentes et le coffre ouvert d’une voiture, dont ne dépassent que des pieds.

On récupère le shampoing acheté en même temps que les victuailles pour le groupe et oublié sur la table de la cuisine ; non, ce n’était pas du miel.

Après la soirée de la veille, les corps qui ont tant bu, mangé et dansé, le mien qui est sorti de sa réserve, les interactions me semblent plus fluides. Le déjeuner, décousu, frugal ou pantagruélique, se diffracte en saladiers, puis on somnole dans l’herbe. J’ai passé ma robe rouge dos nu et fleurie, et je suis dans l’ambiance : dominicale, champêtre.

Un jardin, des arbres, un barnum, mes pieds en sandales rouges, assorties à ma robe

Faim, ennui, fatigue, opportunisme… comme la veille, je mange presque en continu. Le manque de chocolat (j’ai oublié ma tablette de secours au AirBnB) me fait bouloter les gâteaux des enfants ; je m’enfile des faux Prince juste pour le fourrage cacaoté. Ça me rappelle l’époque du conservatoire, certains soirs où l’on rentrait tard avec Mum : on trempait des Prince dans un chocolat chaud et l’on décrétait avoir dîné.

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Lundi 14 août

Après-midi jeux de sociétés, dont je n’ai jamais entendu parler. D’abord Just one, où le groupe doit faire deviner un mot à une personne en proposant chacun un unique mot (adjectif épithète, référence, association d’idée, second élément d’un mot composé…). Le twist étant que si deux personnes proposent le même mot, il est éliminé des indices proposés à la personne devant deviner : on est ainsi poussé à chercher des associations originales pour éviter de voir neutralisées les plus bateaux (au point que parfois personne ne se risque à l’évidence). Par exemple, pour faire deviner le mot « pince », le groupe a proposé « barrette », « outil », « -mi », après élimination du « crabe »… Cela m’a rappelé quand je jouais à Pyramide avec ma grand-mère : j’adorais les associations lexicales, et j’ai eu l’impression d’en retrouver la dextérité (petit pincement incrédule quand mon « absinthe » s’est fait éliminée pour cause de doublon, alors qu’il fallait faire deviner le mot « fée »).

Après Just one, nous avons joué à Meuthe, qui est en quelque sorte l’inverse : à une question donnée, il faut répondre par écrit ce qu’on imagine que le groupe va répondre en majorité (chocolat et non vanille pour le meilleur parfum de glace, preuve que je joue avec des gens bien). Les réponses à côté de la plaque suscitent de l’amusement (mais d’où tu sors ton rhum-raisins ?), mais je préfère tout de même le jeu précédent, qui, tout en conservant un enjeu sur les choix du groupe, stimule la créativité.

On est ensuite passé à un jeu de rôle, et bien que j’ai tenté, je ne sais pas jouer à ça, ça ressemble trop à de l’improvisation théâtrale. En tant que spectatrice, ça aurait été parfait. J’ai assisté incrédule à une parodie de pub pour la bière (pratique quand il y a une tireuse à deux pas), à une attaque de zombie (l’attaque à la pelle de chantier était si imprévue et si réaliste qu’il a fallu longuement rassurer le fils de la cible — non, on ne veut aucun mal à ton papa, c’était pour de faux) et à une parade Disney (K. méritait déjà en petite sirène, allongée sur le ventre sur le banc et balançant les jambes telle une ado écrivant son journal dans une série US, mais alors le papa qui battait des cils en triturant ses cheveux réarrangés à la va vite en tresse sur le côté, a battu des records en reine des neiges en casquette).

Photo de nuit, avec ma silhouette diffractée. Une rose est surexposée, qui semble répondre à un "haut les mains"
Haut les mains !

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Mardi 15 août

Rose qui semble lever les mains (deux bourgeons de part et d'autre de la rose)

La dernière tablée est un peu off — ou juste calme ? On rationne poliment sa gourmandise sur le gratin de pâtes au pesto, et on boulote pour compenser du fromage sur les derniers morceaux de pain (dé)congelés. Quelques téléphones passent de main en main : on admire sur Instagram les gâteaux délirants et les doudous faits main d’une ancienne cheffe pâtissière de haut vol reconvertie en créative mère au foyer. Sa petite fille et la cousine de celles-ci jouent avec leur trottinette ; il s’agit non pas tant de trottiner que de passer et repasser au stand F1 tenu par leur papa pour regonfler les roues (en plastique dur, plein) avec la pompe à air ayant œuvré pour les matelas des convives campeurs.

Les départs s’égrainent, on attend mollement l’heure du train, sur le banc du bas, sur les chaises du haut, sur le muret de la terrasse, brièvement allongés sur l’herbe, ça traîne et puis ça y est. Nous voilà rentrés.

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Mercredi 16 août

Journée chill de décompensation. Je procrastine le tapis de yoga matinal et me re-glisse sous la couette du matelas pneumatique sitôt les volets repliés : quelques pages de lecture fenêtre ouverte pour attraper la douceur du jour.

Je reprends doucement :
pied dans le calme
le bouquin (relecture, illustration et recherche iconographique)
une petite barre-au-milieu de reprise : je ne cesse de reprendre, cet été (autrement dit : je ne cesse d’égarer ma discipline)

J’ai été rajoutée sur le WhatsApp du groupe : à moi les recettes ! (Tu m’étonnes que la tartinade à la courgette était bonne : il y a un Saint-Morêt entier dedans.)

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Jeudi 17 août

La chaleur revient et, avec elle, la perception de l’été.

Une proposition amicale et une nocturne gratuite entament notre flemme récupératrice. Allez, pourquoi pas, je n’ai jamais mis les pieds au musée du quai Branly ; c’est l’occasion de vérifier le malfondé de mon a priori sur les arts premiers, qui ne m’attirent pas du tout.

Jardin, volumes, passerelle qui serpente de l’accueil jusqu’aux salles : le musée est aussi chouette qu’on me l’avait raconté. Dès que l’espace s’élargit, tu te mets à danser, me fera remarquer le boyfriend en fin de visite. Je ne l’avais pas conscientisé, mais il y a de ça, un appel de mouvement comme un appel d’air, créé par le bâtiment et sa scénographie sombre comme une scène de théâtre. Les œuvres mettent en corps, aussi : je me surprends à mimer les expressions des masques d’Océanie, beaucoup plus toonesques que je ne l’aurais imaginé. Je ne sais pas si ce sont les proportions improbables (qui te déplacent les organes mieux qu’un manège à sensations) ou les matières organiques (le bois, c’est de suite plus vivant que du métal ou de l’huile sur une toile), mais y’a un truc ténu, tenu, qui fait écho dans le corps, je crois. C’est assez fort en tous cas pour qu’un visiteur se mette à douter : si ça se trouve, ça porte malheur de regarder tout ça.

Dans un reflet de vitre sombre : nos silhouettes noires qui se découpent sur des costumes colorés

Malgré sa belle mise en valeur de la dimension esthétique des œuvres (qui de fait éveille en moi une curiosité à laquelle je ne m’attendais pas), la muséographie m’a fait tiquer : les œuvres sont rangées par ère géographique, d’accord, mais toutes les époques sont mélangées et il faut vraiment rester attentif aux mentions minuscules des cartels pour distinguer ce qui date du XVe ou début XXe siècle. Est-ce que ça ne contribue pas à renforcer une vision très occidentale de peuples primitifs anhistoriques ? Et en même temps, cette présentation renverse  la curiosité pour l’exotisme en fascination esthétique…

Nous nous attardons un peu à la sortie dans les jardins illuminés, dont la féérie m’a rappelé Hong Kong et Kuala Lumpur. Je ne sais pas si ce sont les plats nus vus un peu plus tôt, mais je rêve de dhal, non : de palek paneer ! C’est l’heure de dîner, et l’heure pile : petit shoot de Tour Eiffel qui frétille avant de mettre les pieds endoloris du boyfriend au repos dans un Uber.

Des nouilles instantanées, sur le canapé, tard. L’amour, sur le canapé, tard.

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Vendredi 18 août

Pas de barre : incriminons la chaleur, c’est commode. Je me perds dans la recherche iconographique et le découragement ; j’illustrationne à m’en faire mal aux yeux pour compenser. Lis ensuite pour décompenser (toujours cet ouvrage passionnant de Wilfried Piollet, qui le devient un peu moins lorsqu’elle passe la parole aux gens qui témoignent de son enseignement et nous perdent en remerciements).

On passe la journée à taper dans nos mains et à nous faire piquer tout de même. À l’heure du dîner, alors que la chaleur s’installe pour la nuit, le boyfriend se lance dans la confection d’un deuxième gâteau au chocolat, four allumé, blancs montés en neige à la main — il est meilleur en cuisine qu’en kairos. Quand la bête est au four, salade lentilles-échalotes-pomme fruit : ça désarçonne le boyfriend, et puis si.

The Devil all the Time sur Netflix : entre la religion et les armes à feu, il n’y a rien à sauver. C’est comme La Bête humaine : on aurait pu aligner les protagonistes le long d’un mur et les fusiller, le résultat n’aurait pas été très différent — sauf que si, parce que bizarrement, même en n’allant nulle part, ça fait un très bon film. Précisément parce que ça ne va nulle part, à la réflexion : à chaque fois que des fils narratifs se recroisent, une boucle se forme et se referme, resserrant un peu plus le nœud à chaque fois, jusqu’à clore en un garrot bien crade l’hémorragie diabolique. (Plaisir aussi à recroiser Mia Wasikowska.)

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Dimanche 20 août 

J’apprends la fermeture de la plate-forme des skyblogs sur Mastodon et sauvegarde in extremis le mien avant suppression. Tout ceci ne nous rajeunit pas (mais j’ai découvert le format PNG depuis).

Journal d’août 2/4

Lundi 7 août

Qu’il m’est étrange désormais d’arriver Gare du Nord sans monter dans un TGV pour Lille ! Je monte à la place sur la plateforme d’embarquement de l’Eurostar. La volée d’escaliers me projette quelques années en arrière, cinq, six, quand la virée londonienne était annuelle. L’excitation est intacte.

Dans le train, je regrette que les enfants d’à côté ne soient pas rivés à quelque écran. Même le père flegmatique finit par craquer et demande à ce que le vroum vroum cesse ; la figurine en plastique rouge quitte alors le circuit automobile pour se lancer dans une aventure imprécise, à mi-chemin entre la guerre et les travaux de voirie. Are we gonna scuba-diving? demande l’un ou l’autre enfant avant que le train s’engouffre dans le tunnel sous la manche. C’est à présent une mini-tour Eiffel scintillante qui nage devant la vitre obscurcie. What is the name of the fish who is friend with the mermaids? J’ai l’impression d’une colle, mais la mère renverse la tête sur l’appui-tête, ferme un instant ses yeux globuleux et les rouvre aussitôt avec la réponse : Flounder. Aussi évident que Londres est la capitale du Royaume-Uni. Flounder. Je me demande sur le moment si la mère a inventé une réponse pour avoir la paix ou si elle a revu 23 fois un dessin animé que je ne connais pas. Douze jours plus tard, alors que je rédige cette entrée, Wikipédia tranche : il s’agit du nom original de Polochon dans La Petite Sirène de Disney. J’aurai gagné Flounder en plus d’un mal de crâne.

Je n’ai pas encore vu les bus rouges, les bandes jaunes et les taxis noirs que déjà je suis dans l’exaltation d’être à Londres. Je suis à Londres ! Je suis dans la file d’attente pour recharger mon Oyster Card, et je vis ma meilleure vie en dévorant sans attendre un sandwich triangle au chutney de carotte. Ce sera mon obsession du week-end : les sandwichs triangle. Pickles, chutney, cresson… Dix ans plus tard — littéralement —, l’Oyster Card de Mum a conservé 0.28 £. Un refill et c’est parti. J’avais oublié les cercles rouges sur le tissu des sièges dans le métro, logo du tube et London Eye fusionnés et répétés à loisir en un même motif. Mind the gap!

Arche décorée de flamands roses entre des immeubles
Décoration à The Yards, près de Covent Garden

Notre première journée, première après-midi, est dédiée à ce qui s’apparente à un pèlerinage : il faut passer par Covent Garden et la boutique du Royal Opera House, rallier Piccadilly, faire le plein de thé et fureter dans les étages de Forntum & Mason avant de repartir en traversant Saint James Park. À la fin de la journée, nous sommes crevées : dîner pic-nique de sandwichs triangles à l’hôtel. Les chips au vinaigre ont un tout autre goût à Londres.

Une PLV du lapin d'Alice au pays des merveilles, installé à une table avec la vaisselle assortie

Candélabre laissant deviner dans la pénombre une nuée de tasses ailées (comme le vif or dans Harry Potter)

Jolis pots de lemon curd en enfilage

Saint James Park dans une lumière dorée

Un écureuil traverse le bitume du parc avec une noisette dans la gueule, dans la lumière dorée

Un écureuil avec sa noisette dans la fourche de deux branches

Un parterre de fleurs hyper coloré

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Mardi 8 août

C’est un 6 août à Londres que j’ai découvert le maquereau fumé, et le buffet de l’hôtel me permet de célébrer cet anniversaire. J’observe pour voir qui d’autre que moi mange du maquereau fumé froid au petit-déjeuner. Personne ne semble y toucher, et je vois passer beaucoup d’English Breakfast fumant avant de repérer qui se sert un monsieur absolument fade à l’exception de ses lunettes noires rectangulaires. Bartelby prend donc du smoked mackerel au petit-déjeuner.

Immeubles londoniens

Le temps est pluvieux, mais j’ai dans l’idée de faire découvrir Canary Wharf à Mum. À notre arrivée, les hommes d’affaire sont en pause déjeuner, ça téléphone, sandwich et latte dans les recoins du jardin central. Costumes bien coupés… I’ll get back to you… oreillettes en place… of course… tous professionnels, imperméables à la pluie. En s’extrayant des buildings, je retrouve l’esplanade qui marque le début de la promenade le long de la Tamise, et de l’autre côté de la rive, l’hôtel où j’avais passé un autre anniversaire (et découvert le maquereau fumé) avec Palpatine. Londres est un palimpseste de souvenirs avec lui, quand bien même cette promenade, je l’avais faite seule, pendant qu’il assistait à une journée de présentation de MBA. J’avais gardé le souvenir d’être repassée régulièrement du front de rivière à la rue derrière les immeubles lors de certains tronçons privés  — des travaux interrompent encore un peu plus la déambulation. Mais je parviens à retrouver l’improbable petit port entre les immeubles en briques, qui achèvera de ravir Mum.

Jolie maison près de la Tamise, décorée avec des bouées de sauvetage

Une jolie porte bleue-violetteTransmutation de la pluie en thé en nous réfugiant chez Richoux. Le Richoux blend n’existe plus, la vaisselle n’a plus de liseré rouge ni les scones de raisins secs, ceux-ci sont servis dans une corbeille à pains (de fait, c’est accurate, ils partent comme des petits pains), et la vitrine de gâteaux variés tous plus riches les uns que les autres a été remplacée par moult parfums de cruffins en apparences identiques (une brioche feuilletée fourrée, désignée par un mot-valise associant la hype du croissant à la forme du muffin). Ce qui ne change pas, en revanche, c’est la sainte-trinité scone – clotted cream – confiture de fraise dans nos assiettes. Plus les années passent, plus je vide avec plaisir le petit pot de clotted cream.

Clotted cream, confiture et demi-scène tartiné

Mum m’a fait découvrir Londres, les scones, l’Earl Grey, Big Ben, Westminster, les bijoux de la reine, Liberty, Camden Market. Je continue à lui faire découvrir ce que, de la ville, j’ai cartographié sans elle : après le quartier récent de Canary Wharf, ce sont les librairies anciennes Hatchard’s et Daunt Books. Je redécouvre la seconde : j’ai toujours aimé son architecture, ses galeries, ses boiseries, sa verrière, mais j’avais aussi toujours considéré cette librairie de voyage comme n’étant pas pour moi, passant à côté de ce qu’il peut y avoir de poétique à regrouper les ouvrages par origine géographique, faisant dialoguer guides et récits de voyages avec la fiction évoquant ou écrite depuis les mêmes contrées. Les fauteuils en osier du sous-sol, où l’on dépose notre fatigue feutrée, ne sont peut-être pas pour rien dans cette ouverture tardive. Au rez-de-chaussée, Mum s’attarde devant un ouvrage richement illustré de Lonely Planet (je ne savais pas qu’ils faisaient des beaux livres !), que l’on feuillette à deux, et j’embarque le premier tome de l’autobiographie de Deborah Levy. La libraire à la caisse fait une drôle de tête quand j’étale mes piécettes pour qu’elle m’aide à trouver l’appoint ; elle m’en rend une qui me semblait pourtant avoir le bon chiffre : c’étaient des centimes hong-kongais.

Photo floue où un monsieur bien habillé avec une pochette lit dans une magnifique librairie avec un vitrail

Marylebone, le quartier de Daunt Books, plaît beaucoup à Mum, déjà en train de repérer les hôtels dans le coin pour un prochain séjour. À un croisement de ce coin chic, sur un banc, un homme en fin de carrière éructe au téléphone, se replie un peu plus sur sa pochette en cuir à chaque occurrence de « Stop this shit! » — he’s clearly loosing his’. Une poussette tourne la tête, et tout le monde au carrefour. En France, l’homme continuerait plus fort pour donner la mesure de son énervement. Ici, il parait encore plus en colère (contre lui ou son interlocuteur) d’être vu en train de perdre son flegme, tente de murmurer ses cris. Et bientôt se détourne ou se lève, je n’ai pas osé lui imposer plus longtemps un regard supplémentaire.

Ambiance du restaurant Pachamama

Glazed aubergine, heritage carrot, fried plantain, peruvian chocolate

Pour finir la journée, mieux que le triple-A, le quadruple-A du Pachamama. J’y avais brunché il y a une éternité avec JoPrincesse, et c’est la seule adresse qui m’est revenue lorsque Mum m’a demandé où l’on pourrait réserver pour dîner. J’y ai retrouvé le yaourt fumé qui m’avait marquée, ici pour adoucir des aubergines cuisinées dans une sauce fort piquante, mais fort goûtues. C’est ce qu’ont en commun les plats végétariens que nous commandons, tous relevés, avec des saveurs inhabituelles, très travaillées. Le dîner en devient festif : on s’esbaudit de chaque bouchée, chaque saveur goûtée du bord de la fourchette puis ravitaillée, ravivée à pleines fourchettées. Entre la salle sombre et les ingréidents grillés, fumés, on ne voit le voit pas très très bien ce que l’on mange, mais le dîner monopolise la conversation, on ne parle que de ça, on goûte, re-goûte de-ci de-là, les sauces séparément, ensemble, et bientôt en croisant les plats, qui se succèdent de plus en plus rapidement, au point de se juxtaposer par cuillères entières dans nos assiettes, carottes rôties au miso, aubergines façon barbecue ribs et bananes plantains. Le dessert arrive avec une bougie plantée dessus (de la glace au quinoa fumé, imaginez !) et on nous offre deux shots de liqueur, pas très fort nous assure la serveuse — Mum, qui se ne laisse pas démonter maintenant qu’elle carbure au prosecco, begs to differ.

Le quadruple A du Pachamama

Saint Christopher's place, éclairage violet de nuit

Lumières nocturnes

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Mercredi 9 août

Tout comme les chips au vinaigre, c’est à Londres que les toasts à la marmelade d’orange amère s’apprécient vraiment. Re-enactment au petit-déjeuner.

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Sous la douche, je constate avoir le corps couvert de boutons, et reprenant la notice de l’antibiotique (une infection du conduit auditif interne), je fais soudain le rapprochement avec la tension des nerfs oculaires que j’ai notée depuis plusieurs jours et la démangeaison des muqueuses ressentie dans la nuit (dénomination pudique pour dire que tu as envie de te gratter l’entrejambe comme un vieux kangourou). Mes symptômes sont en gras dans la liste des effets secondaires potentiels, et la notice exhorte à consulter un pharmacien ou un pharmacien sans tarder, l’allergie pouvant être dans de rares cas mortelle. Lorsque j’explique mon cas à la pharmacienne la plus proche, celle-ci répond que ce n’est certes pas ce qu’on a envie d’entendre lorsqu’on est en vacances, mais qu’il faut aller vérifier aux urgences, une piqûre pourrait être nécessaire — l’hôpital est juste derrière.

Long story short, on a beaucoup poireauté, Mum à la limite de faire un malaise à force de rester debout (mais refusant mordicus d’aller s’assoir plus loin dans un coin de verdure), jusqu’à ce que l’infirmière de triage, très patiente avec mon vocabulaire médical limité (les muqueuses ont été remplacées par lips et down there), prenne ma température, ma tension et estime qu’il n’y a pas besoin de piqûre. Je décline auprès de la dame censée m’enregistrer les trois heures d’attente pour voir un médecin (I can’t tell you what you do, but I would do the same) et retourne à la pharmacie acheter les mêmes anti-histaminiques que j’aurais pu me procurer trois heures plus tôt.

La pharmacienne me reconnait, me vend ce qu’il faut et me rattrape alors que m’apprête à sortir pour m’expliquer que je peux augmenter légèrement la posologie indiquée, vu qu’il s’agit d’un médicament sans ordonnance. Sa voix est douce mais ferme, posée ; on la sent compétente, d’une compétence qui ne l’a pas départie de son empathie. Mum a la même impression : cette femme inspire confiance ; si elle habitait ici, c’est elle qu’elle choisirait comme pharmacienne. C’est probablement ce que je garderai de positif de toute cette précaution inutile : l’image discrètement chaleureuse de cette professionnelle de santé, cheveux noirs, peau mate, blouse blanche, probablement d’origine indienne ou pakistanaise.

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La journée est bien entamée, le programme compromis. On tente tout de même les Kew Gardens, chaudement recommandés par Melendili et repoussés au jour du départ pour cause de météo. C’est tout de suite (après 45 minutes de métro) un émerveillement et un regret : j’aurais dû prendre les anti-histaminiques de suite pour profiter plus longtemps de cet endroit qui mérite d’y passer la journée, nonobstant les avions qui rasent le site à intervalles réguliers. Même la portion de ville qui sépare la station de métro des jardins botaniques est mignonne à s’y attarder.

Détail de l'architecture e la serre, en forme de fleur

Au milieu de jardins à la française que nous n’aurons pas vraiment le temps de parcourir, une serre de palmiers nous propulse en pleine jungle. On peut en admirer la canopée en accédant à une galerie surchauffée par des escaliers irrésistiblement coloniaux avec leur peinture blanche écaillée autour d’ornementations métalliques. Pour un peu, on pourrait nourrir un tyrannosaurus depuis cette position en surplomb.

Serre des palmiers aux Kew gardens, vu d'en haut

Merci de ne pas monter si vous avez des problèmes de santé, c’est l’aventure tropicale par 38 degrés. Une plante tente l’évasion, a trouvé une ouverture où déployer une racine téléphonique. De retour à une hydrométrie et des températures plus clémentes, on se dévisse la tête, on compare la forme des feuilles, de toutes ces essences exotiques. Je découvre comment pousse le poivre et m’amuse d’un petit tronc qui ressemble à une asperge géante — mais pas autant que de la statue d’une licorne altière dehors, que je ne peux m’empêcher de légender proud unicorn.

Mum la tête renversée pour admirer les palmiers

Une deuxième serre est consacrée aux moules à tarte flottants nénuphars, dont certaines variétés géantes, et une troisième à toutes sortes de plantes grasses et cactus. C’est déjà l’heure de repartir, sans peluche radis ni carte postale splendide — la boutique est elle aussi un lieu de perdition.

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Il n’y a pas que la Circle line et la District line qui circule aux Kew Gardens : nous l’apprenons à nos dépends, nous découvrant égarées sur une ligne orange. Entre ce pseudo-RER et un arrêt en pleine voie, notre avance fond comme neige au soleil. Le trajet retour inclut ainsi : une longue station assise sous tension, des instants de panique, un sprint entrecoupé de longues foulées essoufflées pour récupérer les valises à l’hôtel et moi qui en ressort en courant de guingois une valise cabine à chaque main (Mum me confiera dans l’Eurostar avoir du réprimer un fou rire à cet instant), le tout culminant par du slalom et des petites roues à grande vitesse dans les couloirs du tube. À l’embarquement de l’Eurostar, Mum bipe et passe, je reste coincée : l’heure maximale d’embarquement est passée entre nous deux, c’est dire si nous étions juste. Heureusement, Mum a invoqué ses anges gardiens et un employé bien luné me laisse passer, nous épargnant le supplément de 160£ par personne pour n’importe quel train ultérieur de la soirée. Moralité de cette journée : ayez toujours des anti-histaminiques et de l’avance en voyage.

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Jeudi 10 août

Canapé intensif.

Relecture d’un nouveau chapitre du roman de M. C’est de mieux en mieux de chapitre en chapitre. Préparez-vous à ce que je vous harcèle avec à sa sortie. J’hésite encore sur la punchline que Télérama lui accolerait si c’était un film dans son programme TV. Ma première take était : chick-litt de transfuge de classe ; mais quid d’intrigue en open-space ? Start-up perverse narcissique ? Le diable s’habille en sneakers ? My Little Vanity Fair?

Journal d’août 1/4

Mardi 1er août

Cours de posture, plutôt axé sur le haut du corps.

Le soir, humeur à la chouine, flambée de TOC et insomnie, du genre à se demander de qui et comment je me rapprocherais en cas de fin du monde : Mum-McGyver, en cas de fin du monde incertaine, qui nécessite de la combativité ? le boyfriend, en cas de fin du monde certaine, à finir enlacés ensemble comme le vieux couple de Titanic ? Mais pitié, pas la noyade, ça me semble trop horriblement douloureux. Ou alors on dînerait tous ensemble, avec des amis encore, comme à la fin de Don’t look up ? On dirait les peurs enfantines conjurées à grand renfort d’alternatives impossibles : tu préférerais être sourd ou aveugle ? ne plus manger de toute ta vie du chocolat ou des pâtes ?

Vers 1h30 (2h ?), je prends mon téléphone et tombe sur ce tweet :

Tweet d'Austin Kleon : "This full moon can kiss my ass"

Après recherche, il s’avère que c’est carrément une super lune. Je me suis plantée dans la filmographie : c’est Melancholia qu’il fallait invoquer.

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Mercredi 2 août

Je pense finir de rédiger mon journal de juillet, et tombe dans une faille spatio-temporelle en m’attaquant aux jours en Touraine. Je sens qu’il faudrait que je fasse une pause, mais je ne peux pas lâcher avant d’avoir réussi à décortiquer ce qui s’est joué, qui se (re)joue au moment où j’écris, le mélange des émotions, je voulais simplement raconter, je ne pensais pas être embarquée dans un imbroglio qui aurait sûrement plus sa place chez un psy. Il est 12h30. Il est 13h30. Besoin d’analyser, de comprendre, de réussir à formuler sans complaisance mais sans non plus redoubler la méchanceté, j’essaye. Il est 14h. Et tout de suite après : 16h. La vessie pleine à exploser sans avoir eu l’envie de faire pipi. L’estomac vide sans aucune sensation de faim — c’est le plus étrange pour moi. J’avale un déjeuner-goûter à toute blinde, le rythme de l’obsession fait long feu. C’était manifestement une session thérapeutique.

2h30 au téléphone avec Luce. On ne se téléphone pas souvent, mais quand c’est le cas, ce n’est pas pour faire semblant de prendre des nouvelles ; ce sont des discussions-fleuve comme si nous étions côte-à-côte sur le canapé avec une tasse de thé à la main et un gâteau entamé sur la table basse. Sauf qu’elle est en Croatie, moi à Roubaix, et qu’on cause potentiel estuaire.

Le soir, le boyfriend en visio résume : en fait, t’as fait deux trucs de ta journée. Tout à fait.

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Jeudi 3 août

Encouragée par la lecture des Barres flexibles de Wilfride Piollet, je tente une « barre » au milieu (essentiellement en première et seconde position) et : ça fait travailler les appuis d’une manière qui n’a rien à voir avec la barre… ni le milieu, en réalité. Et ça vient ! Les sensations liées à la rotation du mollet en ouverture, le repoussé des orteils même lorsque le pied est immobile à plat, et  la construction du dos avec l’empilement des volumes au-dessus du bassin : ce ne sont plus des cubes qui tiennent en équilibre jusqu’à ce qu’un transfert de poids y mette un coup de pied, mais une structure en tenségrité. Je sens par moments que dos et jambes se prolongent l’un l’autre, comme si des porte-jarretelles venaient relier bas et bretelles. La stabilité que je lutte pour trouver à chaque exercice de dégagé au milieu semble enfin à portée de travail.

Barbie au cinéma

Danseuse à genou en tutu blanc avec des motifs géométriques noirs, mains flex, bijoux et rouge à lèvres

Première illustration vectorielle depuis longtemps : j’ai perdu l’aisance qui me faisait placer les nœuds de manière quasi-intuitive, mais je suis rassurée, je n’ai pas oublié comment manier l’outil-plume.

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Vendredi 4 août

Je profite des éclaircies pour lire Les danses d’après I dehors. Enfin du soleil. Cette lecture me transporte, de si bien mettre en lumière les spécifités du monde du ballet.

Deuxième barre au milieu, il y a définitivement un truc à creuser. Je mélange le seul exercice de barre flexible dont je me souviens d’un stage à Cannes (par un élève de Wilfride Piollet, j’imagine), avec des exercices classiques simplifiés à l’extrême et effectués au ralenti. Ce qui est génial, c’est que ça me donne envie d’expérimenter, et ça m’enlève la pression de ne pas être assez bonne pour transmettre : si je fais un peu autre chose, ça cesse d’être directement comparable et donc forcément moins bien.

Sauvegarde des fichiers Vectornator (mes illustrations vectorielles de danse) : c’est un gros chantiers par le nombre de fichiers en jeu et la tendance de l’iPad à planquer les fichiers natifs, mais je suis plus détendue ainsi à l’idée de repartir avec ordinateur et tablette (c’était un peu inconscient de ne pas l’avoir fait avant, même si j’en avais exporté une partie en SVG).

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Samedi 5 août

Oyster card, carte Navigo pour Paris et carte Pass pass pour les Hauts-de-France

Je rallie Montrouge la veille de mon anniversaire. En arrivant dans le hall de l’immeuble, ça sent bon le gâteau au four. C’est inhabituel : le boyfriend cuisine uniquement du salé, et l’appartement d’à côté a jusqu’ici été loué en AirBnB. En entrant, l’odeur s’intensifie, c’est bien ici ! je suis accueillie par l’odeur du gâteau au chocolat — sorti du four sous mes yeux, à peine entrée. Le boyfriend s’est équipé, a été acheter des saladiers et une balance de cuisine juste pour moi, pour me faire un gâteau d’anniversaire. Ça me touche beaucoup — encore plus quand j’apprends que, préparation Alsa mise à part, c’est vraiment son tout premier gâteau, chocolat ou pas. Jusqu’ici, il n’avait jamais osé, pris dans l’ombre d’un père aux réalisations pâtissières particulièrement imposantes (cuisinier aux aspirations contrariées, rivées à un bureau de banque, c’était vraiment le chef de la famille). Ça me touche énormément, l’attention et l’héritage endossé-surmonté, et ça m’en cale un coin, avec 6 œufs (presque autant que les 8 de la recette maternelle) montés en neige à la main !

Le boyfriend n’a de cesse de trouver des jeux vidéos qui pourraient me plaire et me convertir, convaincu que, c’est comme la lecture, il suffit de trouver ce qui fera mouche. Me voilà en train de cliquer sur des cartons et d’en sortir tout un tas d’objets auquel je tente de trouver une place, dans une chambre d’enfant puis d’étudiante. L’amusement vient surtout de commenter les choix avec le boyfriend, qui en a fait d’autres lors de sa partie. Peluche cochon avec les autres peluches pour une douce ménagerie versus avec les autres figurines cochon pour débuter une collection, les évidences sont parfois autres. D’un déménagement à l’autre, des objets disparaissent, d’autres s’ajoutent et des tendances apparaissent : le matériel de dessin persiste et s’étoffe, le mètre linéaire de jeux vidéos s’approche du mètre, la collection de poussins grandit. Je range les livres comme on penche la tête devant les rayonnages de qui nous a invité, crois reconnaître The Handmaid’s Tale et la biographie de Michèle Obama pixelisées.

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Dimanche 6 août

Douce journée d’anniversaire : brunch chez Krème avec C. à croiser les souvenirs de son récent voyage au Japon et du mien plus ancien, le boyfriend partageant son expérience en Corée en contrepoint — nuances de similitudes, dissemblances et dissonances, sur fond d’étonnement renouvelé.

Tandis que le boyfriend allongé derrière moi cuve le brunch par une sieste, je finis Unpacking. Au quatrième déménagement, la mécanique m’a un peu lassée, mais la narration s’est entre-temps installée, chaque objet devenant un indice potentiel sur l’évolution du personnage que l’on déménage. Se dessine en filigrane le portrait de son compagnon (qui ne lui laisse guère de place, puisque ses affaires à lui sont inamovibles, entraînant des rangements précaires) puis celui… de sa compagne, l’indice de la culotte rayée LGBT se trouvant confirmé par une double rangée de soutiens-gorges.

La faim n’y est pas (je suis trop vieille pour le pic calorique des brunchs désormais), mais le cœur si : je souffle mes bougies sur le gâteau-Packman d’avoir été entamé la veille. Une lichette pour dire. Les bougies pour acter : trente-cinq années révolues.

Journal de juillet

1er juillet, dans la nuit, premières heures

Il est quelque chose comme 1H30 du matin, Mum est partie se coucher depuis quelques minutes. Au-dessus des valises éventrées dans le salon, j’aperçois la façade du moulin (un bâtiment en briques qui n’a plus rien d’un moulin hormis qu’on y mout ou vend quand même de la farine) illuminée de couleurs vives, chaudes, instables. Une flamme. Haute. Ma sidération réveille Mum qui n’était pas encore endormie. Elle appelle les pompiers, lesquels sont déjà sur place : pour preuve, il se met à pleuvoir d’en bas.

Avant de me coucher de l’autre côté, en fermant les volets, je constate que la rue déserte ne l’est pas : deux jeunes gens avec des casques sur la tête, un troisième qui monte dans une voiture, dont je retiens pendant quelques jours la moitié de la plaque d’immatriculation.

Il y aura donc eu un feu de poubelle (jaune, d’où la flambée impressionnante) à Versailles Chantiers, la banlieue la moins chaude qu’on puisse imaginer.

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Dimanche 2 juillet

From Mum to boyfriend. La transition est un peu étrange. Des discussions animées permanentes, infusées de rire et d’ironie, qui me manquent instantanément, je repasse au calme, aux discussions tranquilles, aux émotions qui ont le droit de cité. Tout à ses tractations immobilières, le boyfriend est tendu, tendu vers une nouvelle vie qui tarde à advenir. Je comprends, et ronge un peu mon frein, moi aussi. J’ai emmagasiné au contact de Mum une énergie que j’ai l’impression de dilapider sur le canapé — comme un retour à l’arrêt après un grand élan.

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Mardi 4 juillet

Déjeuner avec JoPrincesse, belle dans la fatigue que ça n’en est pas croyable, les yeux limpides comme l’améthyste rectangulaire à son doigt, ma princesse qui, pas toujours bien, va. Il y a du poids quand même, sur le chemin du retour vers son bureau — c’est souvent dans les derniers moments, dans la marche, qu’on livre ce sur quoi on a peur de s’appesantir. Ce sur quoi il n’y a pas grand-chose à dire, qu’on ne peut que traverser.

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Une épiphanie géographique me pousse à proposer à ma grand-mère de nous voir au débotté. J’aurais pu prévenir avant, quand même, elle aurait pu ne pas être là ; mais elle est là, et nous sommes là, à la table d’un bistrot. Ses doigts qui s’impatientent malgré elle me montrent mille photos, et pas toujours d’abord celle que l’on finit par étudier à deux.

Elle me montre-raconte le mariage normand de ma cousine : ils ont fait ça bien, ils sont doués pour ça, vraiment, elle verrait bien le couple en wedding planners et ça renforce mon impression de mise en scène dans l’obligation sociale. À la mairie, à Paris, j’avais moins vu son émotion que celle qu’elle avait à se voir dans l’émotion projetée, tant attendue, de manière quasi cinématographique, sur le tapis rouge au milieu de l’assemblée. Ma grand-mère ne tarit pas d’éloges pourtant, sur leur mariage, sur elle et sur lui, si gentils ou adorables, c’est vrai, qui tantôt ont débarqué en voiture pour l’amener passer une journée à la mer, une nostalgie qu’elle avait exprimée en passant et qu’ils avaient généreusement pris au pied de la lettre — même si la mer s’est transformée en déjeuner de campagne sous l’hypocondrie, réelle ou indûment supputée, de ma grand-mère. Je sens comme un reproche vague, informulé, qui s’adresserait à tous les autres, qui ne nous soucions pas assez d’elle — reproche qui ne lui ressemble pas et se comprend davantage comme une externalité de son humeur, agacée par la contrariété du moment (un ravalement de façade qui n’en finit pas et la prive de son balcon, dont les larges rebords ont été remplacés par une vitre à laquelle on ne peut plus s’accouder pour fumer* ; elle s’est plaint au gestionnaire de la résidence, a menacé de ne pas payer le loyer). Je ne lui connaissais pas cette humeur revendicatrice, et la culpabilité aidant, je le prends un peu pour moi. Heureusement je ne formule rien. C’est sûr, ce n’est pas moi, égoïste par omission, détestant conduire, qui conduirait ma grand-mère à la mer ; je dois reconnaître ceci à ma cousine, le soin d’autrui entremêlé à et soutenu par le souci des apparences et convenances sociales. Je lui en suis reconnaissante, à la réflexion ; je sais ma grand-mère entre de bonnes mains, et je peux continuer à lui donner le plaisir de lui ressembler, indépendante comme elle, comme elle dit — pour ne pas dire : qui n’en fait qu’à sa tête (de mule). Reste une vague aigreur qui m’attriste et cette fois-ci ne me fait pas regretter que ma grand-mère ne fasse pas traîner l’entrevue.

* J’allais écrire que, quand l’univers se rétrécit en vieillissant, chaque changement devient un monde — mais il n’est pas besoin pour cela de vieillir, ou je suis déjà vieille avec mon sapin coupé.

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Le boyfriend hésite à faire une offre pour une maison qu’il a visitée en Touraine. Il aimerait bien que je la vois. J’aimerais bien de mon côté rentrer à Roubaix pour me mettre à mon manuscrit sans trop tarder. Nous aimerions bien que nos vies projetées ne reculent pas devant nous, chacun à son projet. Autant battre le fer pendant qu’il est chaud : nous prenons des billets de train pour le lendemain.

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Mercredi 5 juillet

Aller en Touraine. Le boyfriend est tendu comme un arc pendant le gros du trajet. Cela ne me surprend plus désormais ; je laisse filer comme le paysage, sachant que cela s’arrêtera une fois à destination.

Un couple d’amis à lui nous hébergent ; ils viennent d’emménager. Elle, est vive et lumineuse, je me sens bien rien qu’à la regarder. De fait, je reviens sans cesse à son visage au cours de la conversation, comme l’aiguille d’une boussole après avoir tournoyé en fonction des prises de parole.

À l’étage, je dors dans une pièce flottante (bureau, débarras, future chambre d’ami) comme dans une cabane. Une petite étagère est remplie de livres sur la rédaction, la publication, l’organisation d’ateliers d’écritures. Je n’ose aborder ce sujet, qui pourrait nous être si commun, demander si elle écrit, autrement, ailleurs que pour des piges — qui se sont raréfiées, de ce que sait le boyfriend.

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Jeudi 6 juillet

Déjeuner dans un village en pierre. Le boyfriend se réjouit à haute voix de tout, des berges du Cher, d’un bout de bâtisse dans lequel il m’invite à reconnaître Sarlat, d’une place qui aurait des airs d’Italie (?)… Il souligne la beauté dès qu’il la voit, l’exprime pour me sonder, chercher un écho ; mais je ne peux pas surenchérir, tout juste me taire.

On visite la maison. C’est propre, bien aménagé, bien décoré, j’essaye de faire bonne figure. Je n’ai aucune intention de vivre ici à plein temps. L’agente immobilière me fait l’argumentaire sans s’occuper du boyfriend, comme si c’était acquis qu’il l’était (acquis, conquis). Elle me montre tel rangement astucieux en soulevant une marche d’escalier, insiste sur le long dressing en sous-pente… ma pauvre, si vous saviez, le peu de cas que je fais du rangement, le peu d’envie que j’ai d’habiter ici.

Je me rends compte en la visitant qu’ici n’est pas cette maison en particulier, tout à fait convenable, plutôt chouette même ; ici, c’est la région, la campagne, la végétation monotone, la boulangerie en voiture, les terres plates et les pierres grises. Prendre un appartement à Tours pour y donner des cours de danse sans être dépendante de la voiture et rejoindre le boyfriend dans sa maison le week-end, c’est un mensonge bien commode que je me suis racontée pour me rassurer. Pour garder les possibles ouverts. Ne pas paniquer. Repousser. Je ne peux plus repousser. La visite rend tout réel, me confronte à mes évitements.  L’enthousiasme inquiet du boyfriend tombe en moi comme dans un puits sans fonds, sans écho. Je ne peux plus le nier : tout en moi se cabre à l’idée de déménager ici. Tout en digérant le malaise, j’essaye de faire bonne figure, de visiter sérieusement, en faisant l’exercice de projection minimal : en enlevant la cloison, ça ferait une grande chambre ; là tu pourrais avoir  ton atelier. Je voudrais que la visite, mon imposture se termine, il y a erreur sur la personne, sur le lieu, je ne suis pas Madame boyfriend, je ne suis pas l’épouse parfaite qui se projette pour habiter dans cette maison, je n’ai au fond pas plus de poids dans la décision de son achat que M., l’amie du boyfriend qui nous y a conduit.

Devant un Coca, une limonade et un jus de fraise, le boyfriend me demande ce que j’en ai pensé, vraiment. Je rationalise, souligne les points forts objectifs du bien immobilier. Puis moins : je trouve ça dommage d’aller à la campagne pour se retrouver au bord de la route. Puis plus du tout : la maison est grande, mais avec les sous-pentes et le peu d’ouvertures, j’ai l’impression d’étouffer. / Je suis une sale môme qui vient d’abîmer le jouet que son copain voulait partager. C’est la consternation. Du boyfriend, la mienne. Son amie nous enjoint à en reparler plus tard, quand on aura digéré. Quand elle ne sera plus là, aussi.

On en reparle dans le train. Je crache tout. Ma peur me fait cracher. Je crache sur les pierres, l’incarnation de l’ennui, je crache des pierres sur ses rêves à lui. Il accuse les coups. Je parle vrai, dur, sans plus aucun ménagement pour mes arrangements de conscience ou pour lui. Si j’ai le choix entre la maison à la campagne et mon appartement à Roubaix, je garde mon appartement à Roubaix (qui n’est mien que dans la location). Mais je ne veux pas qu’il décline la maison à cause de moi ; une autre ne fera pas plus l’affaire. Qu’il y aille sans moi. C’est rude, ça éborgne un peu plus son idéal de vie commune. J’essaye d’atténuer : on peut toujours essayer, je peux essayer d’habiter à Tours… mais effectivement, je n’en ai pas envie ; si jamais je le fais, c’est pour lui, et lui ne veut pas que je fasse ça, pour lui. Il a raison, je pourrais finir par lui en vouloir. Il exprime sa crainte que la distance géographique ait raison de nous, il a peur que je me lasse. Et pourquoi ce serait moi qui me lasse ? Ce peu de confiance (en moi alors qu’en lui) est vexant. J’ai peur aussi. Ma réaction de défense pour ne pas me laisser envahir par cette peur, pour ne pas perdre le contrôle, c’est de rationaliser, de raisonner comme si je n’étais qu’un cerveau sans émotion, comme si mes synapses ne pouvaient faire transiter que des informations factuelles : c’est un risque, la distance est un risque ; mais que l’un cède à l’autre et lui en veuille pour ça constitue également un risque ; et si ça arrive, si on en arrive à la séparation, alors il vaut mieux que chacun ait fait les choix avec lesquels il se sentait aligné et qui lui permettront de rebondir seul. J’ai l’impression d’entendre mon ex parler,  je me trouve détestable, à infliger ce que je crains de subir, mais prem’s, la peur est épinglée de tous côtés, elle ne peut plus bouger. Les incompatibilités structurelles et irréconciliables, j’en ai soupé, merci. Qu’il achète sa maison, que je reste chez moi, la logistique suivra. Je ne comprends pas sur le moment, si calme, si froide, que je suis en colère. C’est pratique la colère, ça empêche d’être triste.

Plus tard de retour à Paris : […] (incluant : nœud, sanglots, dénouement, apaisement)

Plus tard encore, il m’assure que ça va mieux, que c’était un quiproquo, un coup de mou, mais je n’en suis plus si sûre. Je propose de retarder mon retour à Roubaix, de rester encore un peu. L’affaire est classée. Je reste, pars, ébranlée.

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Vendredi 7 juillet

Paris – Roubaix. Nous nous sommes arrêtées sur une aire d’autoroute et nous ne sommes pas les seules : des oiseaux par dizaines, par centaines, par milliers, y font étape pour la nuit. Des escadrons se succèdent, murmurationnent dans le ciel en attendant les retardataires ou le retour des éclaireurs, et se posent sur un arbre au bord bord de l’autoroute, presque toujours le même, à se demander comment ils tiennent tous. Ça bruisse, ça piaille, on ne voit presque rien pourtant quand on s’en approche — sauf sur les branches les plus hautes, que les oiseaux quittent peu après s’être posés pour se répartir plus bas : on est prié de ne pas encombrer trop longtemps la piste d’atterrissage. De nouveaux groupes ne cessent d’arriver, la mégalopole aviaire est contrainte de s’étendre : des raids de quatre ou cinq oiseaux décongestionnent l’arbre en passant incognito sur celui d’à côté, vol à l’horizontale, rapide, efficace. Et ça continue d’arriver dans le ciel, escadron après escadron, un 14 juillet qui n’en finit pas. Ils ont du se passer le mot du surpeuplement, une banlieue dortoir vient de s’ouvrir sur un autre arbre beaucoup plus grand et loin de la route (un meilleur choix hôtelier que le F1 au bord de l’autoroute, si vous voulez mon avis). Cela n’empêche pas que de nouveaux groupes s’arrêtent encore à l’arbre de référence, qui n’en finit pas de se remplir et de se transvaser dans l’arbre voisin. Quelques individus supervisent les opérations depuis un lampadaire surplombant de bien 3 mètres l’arbre ; les organisateurs ont fort à faire pour que tout ce petit monde soit en place avant la nuit. Nous sommes reparties avant eux.

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Stupeur en arrivant chez moi, à l’amorce de l’obscurité : il y a un trou dans le jardin. Le sapin a disparu. L’énorme sapin au bout du jardin. Le sapin qui refermait la vue avec l’arbre d’à côté, ne laissant, l’été, qu’une fenêtre joliment encadrée pour me rappeler que je n’étais pas seule au monde. Le sapin qui, je le découvre en son absence, participait à étouffer les bruits du boulevard qui passaient la rangée de maisons. Était-il malade ? J’espère qu’il l’était, qu’il n’a pas été arraché pour un peu d’ombre, un peu de lumière cachée à récupérer. J’en veux à ce voisin, même si je ne sais pas ce qui s’est passé, même si je ne sais pas qui est ce voisin, ni même qui avait la charge de ce sapin au coin de quatre parcelles. Mon jardin est amputé. Ce n’est pas le mien, je n’en ai la jouissance que visuelle, depuis ma terrasse au-dessus, mais c’est mon jardin quand même, défiguré en mon absence. Il manque une présence. Ça me rend triste.

Je pense : heureusement que ce n’est pas le saule pleureur. J’en pleurerais. Je pense : on ne peut compter sur la permanence de rien. Je n’aime pas ce qui change quand ce qui change meurt. Je pense : au gigantesque peuplier de ma résidence à Paris, un peuplier magnifique de huit étages qui avait été abattu pour des questions de sécurité, il paraît. Il était resté trois souches (l’immense peuplier avait deux acolytes). C’était comme si on avait coupé mes racines, ce ne pouvait plus être si terrible ensuite de partir, de quitter cet appartement dont on avait mutilé la vue. Est-ce que l’histoire se répète ? Est-ce que le sapin coupé est le signal de me détacher de ce lieu, cet appartement que j’aime tant ? Je pense au terrain qui accompagne la maison que le boyfriend veut acheter, que nous avons visitée quelques jours auparavant : un terrain justement, plus qu’un jardin. Chez moi, c’est, ça a toujours été une fenêtre avec vue sur un grand arbre que je puisse aimer.

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Samedi 8 et dimanche 9 juillet

Je découvre la béance du jardin au grand jour : il va falloir s’habituer, il va falloir du temps.

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Je suis toujours épatée par l’énergie de Mum. Les tâches deviennent faciles avec elle ; il suffit de se laisser entraîner. Le week-end est actif et ménager. Done : enlever les innombrables toiles d’araignées et gratter la mousse bien incrustée sur le bord de la terrasse ; couper les plantes qui grimpent et celles qui tombent ; accrocher les cadres qui traînent et en chercher pour les images qui attendent d’être exposées ; tenter d’accrocher un voile d’ombrage et réaliser une fois sur l’escabeau que le triangle isocèle ne le fera jamais quand il faudrait un triangle rectangle ; épousseter la toile, la replier et re ve-nez chez Le-roy Merlin.

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À la crêperie, la crêpe du moment est aux fèves, cuisinées au cidre, et à la salicorne, une algue très croquante et très iodée dont la découverte me met en joie — ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de goûter un nouvel aliment !

Ce qu’a déclenché la maison en Touraine m’a ébranlée. Dans la crêperie si mignonne, j’en parle encore, pour m’apaiser. Mum me raconte en miroir la fièvre acheteuse de mon presque-ex-beau-père : un jour, à 35 ans, acheter un bien immobilier était devenu un impératif, une obsession, il ne parlait plus que de ça, il n’y avait plus que des annonces, des visites, au point que cela avait fait vaciller leur couple. Cela me rassure et me fascine étrangement, d’avoir accès à un pan d’histoire que j’ai vécu sans le connaître, alors enfant, aujourd’hui âgée de l’âge des adultes d’alors.

Reste que. Je ne suis plus sûre de moi, de mon comportement, d’être égoïste ou simplement animée de désirs contraires, pas moins pas plus légitimes, autres seulement. Seulement ? Comment distinguer l’intransigeance de qui refuse de faire des efforts, du refus de se renier, d’emprunter une voie où l’on craint de s’éteindre ? Comment fait-on des compromis sans se compromettre ? Comment distingue-t-on les peurs profondes, légitimes, des réticences qui s’arc-boutent par crainte du changement ? Je n’ai pas de réponse à ces questions, j’attends qu’elles cessent de se poser, j’oublie, me barricade chez moi, dans mes projets. Une forme de fuite sur place.

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Lundi 10 juillet

« discipline is simply a love for your big self »  J’essaye de la mettre en place : reprise des étirements de yoga avant le petit-déjeuner, sessions d’écriture ensuite, mini-sieste, sortie pour s’aérer… Trouver les bons moments pour chaque activité sans se laisser tout dicter par un rythme optimal auquel on aurait manqué. Inventer une routine qui soutient par la répétition sans asphyxier par sa rigidité. L’exercice est délicat, nécessiterait pas mal de réinventions. De variations à prévoir.

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Mardi 11 juillet

Les plus grandes avancées dans le manuscrit sont les coupes ; je les conserve dans un fichier Coupes.pages qui m’ôte tout regret. Ctrl C, Ctrl X, Ctrl V : place nette.

Je retourne à la médiathèque comme à des retrouvailles. J’aime le possible qui dort là, sur les étagères à portée de main ; je m’en empare pour constituer mon butin. Butin, oui : j’ai toujours un peu l’impression de voler les livres que j’emprunte. De les emporter en secret vivre une vie dont personne ne saura rien.

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Mercredi 12 juillet

Grand transfert et tri des photos de Calabre. À chaque fois, c’est la même chose : j’oublie que mes précédents souvenirs de vacances se sont constitués autour de clichés sélectionnés et retravaillés, et je me trouve dépitée devant l’avalanche d’images médiocres qui débordent de l’appareil. Tout ça pour ça ? Tant de « attends deux minutes », de cadrages tentés, doublés, pour ça ?

Mal positionnée devant l’ordinateur que j’ai laissé au sol, je me paye de surcroît un début de tendinite (qui, si je suis honnête et impudique, vient également d’une expérimentation masturbatoire que j’ai du mal à vraiment regretter).

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Jeudi 13 juillet

30 minutes à chercher un extrait de ballet qui n’existait pas. C’est fou comme la mémoire capte des images fixes et recrée les séquences manquantes avec fantaisie. Ma mémoire de spectatrice enregistre les émotions, mais pas le détail des pas, qui ne reste qu’à condition d’avoir moi-même travaillé la variation. Je regrette de ne pas avoir noté à côté de chaque paragraphe à rédiger une URL YouTube — avec un minutage précis (parce que va retrouver tel entrelacé dans une vidéo d’1h30). Cela me rappelle la rédaction de mon premier mémoire sur Kundera : c’est toujours à la fin qu’on s’aperçoit de ce qu’on aurait dû faire depuis le début. Le regret est à tempérer : quand je l’ai fait, quand j’ai conservé une URL, la vidéo au bout a parfois été retirée. Forcément, les captations pirates sont moins stables que les références universitaires.

Le feu d’artifice de Roubaix est annulé pour des questions de sécurité, suite aux émeutes récentes. Dans plusieurs communes alentours également. Les feux encore prévus sont tirés depuis des lieux peu commodes d’accès sans voiture ; je me vois mal marcher 3 km dans des zones semi-industrielles à 23h30, renonce. Vers 22h30, ça pétarade chez moi, je fais coulisser la porte-fenêtre et, surprise, cadeau : je vois un feu d’artifice depuis ma terrasse. Je suis trop loin pour sentir les détonations, mais je le vois bien, les gerbes bien rondes, par-dessus l’enfilade des murets.

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Vendredi 14 juillet

Première barre de reprise. C’est l’habituelle désertion musculaire.

Après-midi sauvegarde de photos : 5 Go libérés, tout de même.

Je propose à É. d’aller voir le feu d’artifice. Elle me propose d’aller dîner, ce que nous faisons à la Wilderie. Plaisir de saveurs travaillées, qui se goûtent, re-goûtent, découvrent. Je parle trop, high-pitched sans même qu’il soit question d’aigu. Ce n’est pas le son, c’est la fréquence à laquelle je suis, survoltée, à tout balancer avec une désinvolture surjouée, non pas dans l’intention mais dans le volume. Impossible de m’arrêter, tant pis pour l’autodétestation qui arrivera ensuite ; j’espère juste que ça amuse ma camarade davantage que ça ne la fatigue.

La glace à la moutarde dans la soupe aux petits pois était vraiment top.

On reprend sa voiture pour aller voir le feu d’artifice. Il est tard, nous sommes justes et nous ne sommes pas les seules. La route est embouteillée ; chaque talus a été préempté par des voitures qui se sont pris pour des 4×4.  La probabilité d’arriver à temps diminue à chaque instant. Elle me dit d’y aller, qu’elle va aller se garer et me rejoindre ensuite, elle les feux d’artifice… Je décline une fois, deux fois, puis j’entends les premières fusées, et t’es sûre ? Je pousse la portière et je me mets à courir sur le trottoir, j’aperçois les scintillements à travers les feuillages, j’oublie ma camarade, je cours, je m’enfuis : je cours de joie. Ça devrait toujours être comme ça un feu d’artifice, c’est ainsi que ça doit être pour moi, après des années à Ivry à courir vers le pont par surprise, parce qu’en proche banlieue parisienne, le 14 juillet n’est jamais le 14, t’entends là ? Je trouve un espace dégagé, une fenêtre d’observation en vérité, les fusées hautes encadrées par les arbres. Les fusées basses sont mangées, alors je quitte le champ-prairie pour le champ de Mars (il y en a donc un à Lille aussi !), je passe le canal, le pont, ajuste ma position par rapport aux lampadaires, enfile les bouchons d’oreille attachés à mon porte-clés, et profite enfin en toute sérénité des explosions qui tremblent jusque dans ma poitrine. J’adore cette vibration, cet ébranlement, qu’aucune musique pour une fois ne vient entacher. Le spectacle est parfait. Plein d’escarbilles et d’arbres dorés comme j’aime, des palmiers, des saules pleureurs — et même un palmier arborescent, comme un arbre généalogique qui se lapinerait en temps réel (il m’arrache un sautillement de joie-surprise). Tout le monde applaudit à la fin, la foule du moins, et moi.

Cette photo a été screenshotée depuis Instagram, j’avoue tout.

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Dimanche 16 juillet

Venue de nulle part, mais très présente dès que je pose le pied au sol : une douleur aigüe au talon. Bientôt 35 ans, et mon corps me surprend toujours. Une talalgie : avec un tel nom, ça ne peut pas être bien sérieux.

J’ai ainsi la virevolte claudiquante pour accueillir D., qui a bien voulu se rabattre de Lille sur Roubaix. Il revient de Belgique et rentre à Paris. À vélo. Oui. À chacun sa folie. Je reste dans ma langue alors que nous conversons en anglais à l’écrit ; par coquette fainéantise, je tais mon accent (français en anglais) et pour prix dois redoubler d’attention pour passer au travers du sien (tchèque en français). On mange dehors, sans table, sur deux chaises ; on cause chaînes musculaires, courbatures et découvertes tardives, et son immense silhouette s’attarde un peu sur le rebord de la fenêtre, comme un cadre un peu étroit ; le jour n’en a plus pour longtemps quand le garage daigne s’ouvrir pour lui rendre son vélo. He might curse me pour lui avoir fait découvrir les grains de café au chocolat, combo fatal de ses deux drogues préférées. Qu’il me maudisse autant qu’il veut, I know good stuff.

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Lundi 17 juillet

GROSSE tomate ananas.
Ceci n’est pas une assiette à dessert.

À midi, une newsletter m’informe qu’il y a désormais de la glace au sésame noir chez Picard pour une glace au sésame noir. À 17h30, le bac de glace (ridiculement petit) est dans mon congélateur. J’ai trop traîné, trop faim : je lui préfère des tartines de nocciolata. Mon talon, lui, aurait préféré ne pas claudiquer pendant 40 minutes.

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Mardi 18 juillet

Reprise des cours de posture / chaînes musculaires, je ne sais jamais comment les nommer. Les annonces par mail disent : atelier du mouvement ; on dit tous : cours — y’a cours la semaine prochaine ?
S., dont j’ai enfin retenu le prénom, se réjouit de me voir si guillerette — elle dit : souriante — alors qu’elle me trouvait l’air abattu à la fin de l’année scolaire — je nuance : crevée. Contente de reprendre, d’autant que ça amoindrit la douleur au talon.

…Mercredi 19 juillet

Je me motive à retourner à la fac pour aller emprunter un livre sur la motivation, plus motivant que celui que j’ai commencé parce que c’était le seul de la liste qui était disponible à la médiathèque de Roubaix. C’est en outre la dernière fois que je peux profiter de ma carte d’étudiante à l’université, qui deviendra caduque à la rentrée.

Je me dis que ça va être étrange de retourner à la fac alors que la licence est terminée, mais ça ne l’est pas — pas plus qu’y retourner à trente ans passés pour reprendre des études. Les locaux, déserts, sont une incitation à saluer les deux personnes que j’y croise. La bibliothèque, par contraste, paraît peuplée : six personnes à tout casser, qui ne cassent rien, lisent sagement.

Je ne sais pas si c’est parce que je lui offre une diversion ou parce que c’est l’avant-dernier jour d’ouverture, mais le monsieur derrière le comptoir est vraiment tout sourire lorsqu’il me tend l’ouvrage qu’il est parti chercher en réserve — dans le magasin, c’est le terme officiel sur les notices bibliographiques en ligne, un peu étrange pour des ouvrages qui ne sont pas des magazines et que les lecteurs n’achètent pas.  Je regrette un peu ma demande quand je soupèse la bête, mais ne voulant pas avoir fait déplacer le bibliothécaire pour rien, je gaine les abdos et range l’austère pavé dans mon sac. Tant pis si je ne le lis pas. De fait, je le lis, et la lecture est un régal : les plus belles histoires sont toujours des rencontres qu’on a failli manquer. C’est en tous cas ce qu’on en retient pour souligner à quel point cela aurait été dommage de ne pas.

Aventures des barres mobiles, de W. Piollet / Les Débuts, de Claire Marin / Poétiques et politiques des répertoires, les danses d'après I, d'Isabelle Launay

Une fois rentrée, je ne lis pas, évidemment. Je fais des collages que je ne colle pas ; promener mes ciseaux dans un programme de la saison culturelle 2021/2022 a le double avantage de me permettre de le jeter sans regret après l’avoir dépecé et de soulager mes yeux hors écran. Chaque jour, je fais mon Duolingo sur écran, j’avance mon manuscrit sur écran, je réponds aux atermoiements de C. sur écran, je vérifie l’heure sur écran, la météo sur écran, je regarde pour me détendre une série sur écran,  je conserve avec le boyfriend sur écran, et les écrans finalement font écran au sommeil. Cette fois, j’utilise mon téléphone pour téléphoner et je ne Skype pas le boyfriend.

Collage avec une main emmanchée au-dessus d'un buste en robe Vichy + les mots "nébuleuse" et "métamorphose" Collage : des morceaux de visage qui font la largeur des carreaux du carrelage utilisé comme fond + mots "nocturne" et "ballet"

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Jeudi 20 juillet

Le public du jeudi midi n’est pas le même que celui du mardi ou vendredi soir : nous sommes une majorité de danseuses, et la professeure axe le travail sur l’en-dehors. Au premier rang, deux adolescentes dont l’une au moins est en horaires aménagés travaillent correctement, en utilisant des sensations que j’essaye encore de provoquer en moi, bien loin de pouvoir les convoquer sur commande. Je mesure tout ce qui m’a manqué à leur âge, qui me manque encore. Évidemment que je ne pouvais pas y arriver, il me manquait tout — l’essentiel du moins, à partir de quoi avoir une chance de développer tout le reste. Petite déprime de ne pas comprendre quoi comment travailler. Petite joie aussi de constater qu’il n’y a pas trace de jalousie, que je suis loin de ces jeunes filles à présent.

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J’ai vu chez les voisins un enfant sur le bord de la fenêtre au premier. Il a sauté bras écartés et disparu… chez lui. Première fois que cette fenêtre était habitée. Elle était derrière le sapin.

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Vendredi 21 juillet

Je passe plus d’une heure dans la salle d’attente du médecin en vacances. Je le remplacerais bien par son remplaçant, volubile, amical. Lui aussi a des problèmes d’oreille, du coup il est bien au fait, un ami ORL lui a fait un petit topo plus avancé, vous êtes certaine que le sifflement ne se fait pas par pulsations, non en continu, très bien, très bien, cela peut annoncer une rupture d’anévrisme si le sifflement n’est pas continu, il faut faire attention, vous comprenez, je comprends — qu’il a envie de parler aussi, pas de lui, mais avec les gens, qui viennent se déverser dans son cabinet, qui n’est pas à lui, sans attendre autre chose qu’une ordonnance. Je suis en formation pour être professeure de danse, il admire les gens qui font de la danse et vivent de leur passion (ça n’est pas encore fait), lui c’était le piano mais il est médecin. Il espère que sa fille en fera, de la danse, il faudrait qu’il regarde les cours ; il en a pris pour son mariage, lui-même n’est pas doué, mais sa femme si, un bon filon, les cours de danse particuliers pour les mariages, il me le recommandera encore une fois à la porte, même si je ne sais pas danser les danses de salon, je pourrais apprendre c’est vrai, le professeur gagnait plus que lui en une heure.

J’ai été déçue qu’il ouvre son cabinet à plus d’une heure de chez moi. J’en aurais bien fait un ami, si tant est qu’on puisse inviter son médecin remplaçant et sa femme à boire un verre.

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À la moitié de la séance, l’ostéo-kiné-grand-manitou a réglé le décalage à l’origine de ma douleur au talon, si bien que j’ai le droit à un cours particulier sur l’en-dehors au niveau de la hanche. Rien d’autre qu’une jambe sur la barre en seconde vue depuis l’extérieur ; l’ouverture à une compréhension incarnée et à un levier d’action depuis l’intérieur. Légère euphorie ensuite à la perspective de pouvoir « rouler mon jambon » — ledit jambon étant ma cuisse poilue.

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Samedi 22 juillet

Je triche un peu en mettant quelques termes que j’aurais voulu traiter sous le tapis, mais je persévère, je tiens, encore une matinée, encore quelques lignes, et ça y est, je peux décréter le premier jet.

Habemus premier jet. Il y en a qui ont un pape, moi j’ai un premier jet. 147 pages à relire, corriger, compléter, reformuler, mais 147 pages rédigées. Je suis fière de moi, indépendamment de la qualité même du contenu. Juste de l’avoir poursuivi jusque là.

Et rien. Pas d’exultation véritable. Je sais que s’ouvre une nouvelle session de travail, d’un autre ordre. Seulement, à présent, je sais que c’est possible. Calme tranquille. Satisfaction d’avoir bouclé ça avant l’arrivée du boyfriend.

On se retrouve et c’est comme si je n’imaginais plus ses mains sur moi. Je n’imagine plus ses mains loin de moi. Nous passons la soirée à discuter peau à peau sur le canapé.

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Dimanche 23 juillet

Il y a des choses en moi qui ne cèdent qu’à la douceur. J’ai dormi, je me suis rendormie. Au réveil, la chambre s’est agrandie, les moulures se prolongent au plafond, je suis dans le salon, dans la pièce d’à côté et pourtant je suis avec lui, je le sens tout autour de moi.

Tout est calme, dans l’appartement, en moi. Même le chat ne miaule pas de ne pas avoir tous ses humains dans la même pièce. Je me rends compte que je peux écrire, encore, que j’ai l’espace pour cela.

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Lundi 24 juillet

C’est le début des journées qui se perdent dans une continuité de somnolence, câlins, écrans. La tablette du boyfriend assure la bande-son, entre boucles sonores de Slay the Spire, analyses politiques et linguistiques (l’Académie française en prend un coup).

Chat sur le canapé en plein soleil
Plein feux sur la star à la golden hour (il y aura eu quelques belles éclaircies dans ce mois pluvieux).

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Mardi 25 juillet

M. vient rencontrer le chat et son propriétaire. Pour l’occasion, j’ai fait un marbré. À moins que pour le marbré, j’ai créé l’occasion (ce serait mal, je mériterais encore moins le thé au jasmin que M. m’a offert de manière tout à fait adorable et démesurée). J’en mange avec de la glace au chocolat ; le boyfriend avec de la crème anglais ; notre invitée met tout le monde d’accord avec glace et crème anglaise, elle a cours de danse le soir. Ils ont quinze ans d’écart et des jeux vidéos en commun. Je ne comprends pas tout quand ils en parlent, mais j’aime bien les écouter, il y a des promesses de joie et d’explorations dans leurs souvenirs. On finit quand même par terre à parler danse, le boyfriend sur le canapé.

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Mercredi 26 juillet

Après trois jours de canapé intensif, nous programmons une sortie sur Lille. Je suis toujours stupéfaite de l’efficacité du boyfriend quand il a quelque chose à acheter, mettant la même absence d’hésitation dans un achat à 29, 50 ou 170 €, alors qu’il n’a pas de larges moyens, seulement un budget bien étudié en amont. J’hésite au Monoprix entre trois sachets de riz à 2,99 ou 3,99 €. Lui, fait son shopping comme on fait des courses ; moi, je fais mes courses comme on fait du shopping. Le seul moment où il s’attarde, c’est chez Rougier & Plé, qu’il appelle Graphigro. Le seul moment où je n’hésite pas, c’est chez Meert : glace au chocolat et sorbet Pa(passion)Ma(ngue)Ba(nane).

Grosse glace

Je confesse, c’est la taille des cornets que je voyais graviter autour du stand qui m’a attirée. On a l’impression qu’après s’être calés sur les prix parisiens, à Meert, ils ont été pris de remords, parce que bon, ce n’est pas parce qu’on se la joue qu’on n’est pas des gens du Nord ; du coup, ils compensent en servant l’équivalent de 4 boules pour les 2 à 5 €. Avec mon demi-litre de glace, je retrouve, adulte, la joie d’une grosse glace, qu’on tient à deux mains d’enfant. Le sorbet, quoique bon, a été à la limite de me lasser, ce que ne pourrait faire, ô grand jamais, la glace au chocolat, d’un pourcentage de cacao peu élevée, mais avec ce goût « rond » qu’ont les chocolats de bonne maison.

Morceau de gâteau de riz dans une sauce veloutée épicée Manchoo (raviolis coréens)

Deux heures plus tard, nous sommes assis au restaurant coréen ; est-ce vraiment raisonnable. Pas plus ni moins que le choix d’un plat très épicé, dont la texture extrêmement douce, veloutée, masque et souligne la force.  C’est le genre de repas dont on se souvient, à défaut de savoir si c’est pour son goût qu’on l’a apprécié.

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Je passe la journée à tirer sur mon lobe d’oreille gauche, pour qu’y pénètre le son. J’ai consulté mardi un second médecin : aucun bouchon, seulement une otite. Je mets les gouttes qu’il m’a prescrites… et retire le soir des bouts de bouchon. Ça siffle toujours, mais j’entends à nouveau.

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Vendredi 28 juillet

Je fais ma barre en culotte sur un album de musiques de film ; le boyfriend  le prend comme un blind test. Harry Potter pour les dégagés ; La la land pour les ronds de jambe en l’air ;  mais quand même, Ghostbuster au piano, ça fait bizarre (pour les frappés).

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Samedi 29 juillet

J’ai les neurones qui frétillent quand je lis Les Danses d’après, d’Isabelle Launay. Je retrouve notamment appliquée au ballet, devenue limpide, une réflexion sur la notion d’œuvre que j’avais découverte mais pas assimilée, embrouillée, dans une énième lecture à transposer (Écoute. Une histoire de nos oreilles, de Peter Szendy). Pourquoi a-t-on passé deux années de licence danse à lire des ouvrages qui n’avaient aucun rapport avec la danse quand il existe un corpus certes restreint mais passionnant de spécialistes ?

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Ses iris fusionnées aux pupilles, noires, sa peau translucide et ses taches de rousseur, la tête renversée sur l’oreiller. Sa beauté à ce moment. J’aimerais qu’il la voit comme je la vois. Qu’il se voit comme je le vois. On aimerait tous ça, je crois, que nos aimés se voient avec amour, le même qu’ils nous portent et ne se portent pas toujours à eux-mêmes.

Ça vaut en sens inverse. Lui voudrait plus et mieux pour moi. Pas que moi je sois plus ci ou ça, pas que je sois mieux pour lui, mais plus, mieux : pousser les murs, aérer les peurs idiotes, m’ouvrir de l’espace. Et il le fait, j’en ai : entre ses bras.

Pas de non-dit. Pas si facile quand on a tendance à se cacher les choses à soi-même. De toutes petites choses qui grossissent en silence, et redeviennent toutes petites quand on les exprime comme des énormités. Ce n’était rien. Rien : une simple peur. (Qu’il m’en veuille encore pour — nom de code — la Touraine.)

Je commence à pouvoir formuler. Ce qui se passe quand ça ne passe plus. Ce corps avec lequel,
parfois,
brièvement,
vertigineusement,
je ne coïncide plus,
qui s’interpose entre lui et moi dans les moments qui pourraient être les plus fusionnels.

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Dimanche 30 juillet

Le boyfriend se ferme toujours à l’approche du départ. Son sac prêt trente minutes avant le moment qu’il s’est fixé pour mettre le chat dans sa bulle de cosmonaute, il lance une dernière partie de Slay the spire et je résume : encore trente minutes à se tendre sans agir. Il répète mes mots, sa mâchoire esquisse un sourire, c’est exactement ça, trente minutes à se tendre sans agir.

Moi, c’est après. Je ressens l’absence soudaine comme un phénomène physique, dépressurisation, dépression météorologique, dé-. Je m’active en attendant que ça passe, je lance une machine de draps (sauf la taie d’oreiller avec son odeur), je range, je jette, je nettoie, j’efface toute trace de son passage pour conjurer l’absence et retrouver l’aplomb d’un espace sans partage.

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Lundi 31 juillet

Atelier du mouvement sur l’en-dehors de la hanche et le centrage articulaire. Je n’ai jamais autant travaillé en jambe sur la barre, car je n’ai jamais eu une posture correcte — les hanches toujours plus basses que je l’imagine, l’articulation du fémur perdue dans les ailes iliaques. Il faut gérer le découragement, devant l’ampleur, voir plutôt l’ampleur de ce qui s’ouvre. C’est une décision qui n’est pas à prendre, mais à reprendre sans cesse, et ça clignote comme un néon en fin de vie ou en début d’allumage, comme un muscle qu’on n’arrive pas encore bien à contrôler, qu’on contracte par intermittence. À la volonté clignotante, le découragement oppose sa résistance ; c’est le muscle antagoniste dont on doit apprendre à inhiber la contraction pour rendre le mouvement possible.

Dans l’après-midi, soudaine overdose de canapé : me voilà à la barre à la cheminée. Ça ne travaille peut-être pas comme il faut dans les hanches, mais en-dessous, dans les jambes, mollets, fessiers, je retrouve un certain tonus musculaire qui fait du bien.

Journal de mai 4/4

Lundi 22 mai

Nous sommes toutes dans le studio quand nous recevons par e-mail les retours sur nos cours d’éveil-initiation. Ce que je lis ne me surprend pas, mais d’autres n’ont pas cette agréable surprise. Il y a de la dureté, des récriminations, des choses probablement bien intuitionnées mais qui ne se disent pas, pas comme ça, et je me demande pourquoi, de toute ma longue scolarité, c’est la première fois que cela se passe comme ça, dans la fatigue de sensibilités qui n’en finissent pas de s’entrechoquer. É. non plus, en école de commerce avant de se réorienter, n’a jamais connu ça. Est-ce de toucher au corps, qui nous touche ainsi ? Pour le boyfriend, qui a fait les Beaux-Arts, c’est évident : c’est le propre des écoles d’art d’être remplies d’artistes aux sensibilités exacerbées.

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Cours de progression technique (aka le cours où l’on apprend à donner cours). Une séance ludique, avec accessoires :

  • des assiettes en carton lestées de patafix : on a l’air malin avec ça sur la tête, mais il y a une raison pour laquelle les princesses apprennent le maintien avec des livres sur la tête dans l’imaginaire des contes. Marcher avec un poids en équilibre sur le sommet du crâne aide à situer correctement la verticalité… et fait travailler les muscles profonds du dos : je peux vous dire que ça a sacrément bossé entre mes omoplates ! En un quart d’heure, je suis passée d’une démarche précautionneuse à l’extrême, avec de fréquents arrêts pour ramasser les assiettes, à une marche beaucoup plus fluide, puis des transferts de poids type temps liés, avec des changements d’orientation de la tête.
    On a aussi utilisé ces assiettes lestées pour donner du poids dans le bras qui ferme dans les tours et détournés, histoire de le sentir davantage et de ne pas le laisser à la traîne ;
  • des bandes élastiques qu’on utilise habituellement pour travailler les pieds, ici pour sentir la résistance des bras et du dos (dans les tours, notamment) ;
  • de grands éventails pour travailler sur l’amplitude du mouvement (je n’avais jamais vu des éventails comme ça : le tissu se prolonge au-delà des baleines, frémissant comme la queue d’un poisson exotique).

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De la séance de psy, je ressors triste d’être vénér et vénér d’être triste. On ne peut pas gagner le boost de neurones et de bonne humeur à chaque fois. (Le lendemain, je réaliserai avoir été en SPM.)

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Mardi 23 mai

Séance en autonomie. Du yoga pas trop violent mais qui bouge quand même ? Je propose de lancer une vidéo d’Adriene. Les commentaires de mes camarades qui découvrent la chaîne et ses idiosyncrasies (attends, mais Benji, c’est le chien ?) rendent la séance plus ludique, mais cela crée aussi une distance, une résistance : je reste sur le qui-vivre, craignant que mes camarades puissent ne pas apprécier une proposition dont je me sens responsable. Cette séance ne propose pas un flow fluide comme c’est souvent le cas chez Adriene : deep stretch, on aurait dû se méfier de l’intitulé. Mais comme le fait remarquer L., alors qu’on attendait dans une position improbable qu’elle prenne fin, la succession des étirements est bien pensée. On s’amuse en outre de nos zones de raideur et de souplesse inversées : ce qui est une quasi-torture pour C. et moi est d’une aisance déconcertante pour L., qui luttait quelques instants auparavant alors que C. et moi nous la coulions presque douce.

Séance de chant mis en mouvement avec des enfants d’école primaire. Il y a une raison pour laquelle je danse et ne chante pas, comme par exemple le fait que mon timbre de voix n’est pas très agréable ou que je peine à trouver la bonne hauteur et à conserver le rythme. Par exemple. C’est la dernière semaine de cours, mais c’est un peu la semaine de trop.

À chaque cours de musculation des chaînes musculaires sa découverte d’un pas de danse classique que je fais de traviole. Aujourd’hui : mon pied gauche part complètement en serpette dans les soubresauts (merci la parallèle pour cette révélation) et je perds l’alignement avec le genou. Il va falloir que je trouve comment corriger ça avant que ma street cred de prof d’éveil-initiation en prenne un coup.

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Mercredi 24 mai

La première partie du cours d’AFCMD est théorique, stimulante : quand même, il y a tant de choses à apprendre, à découvrir, à étudier, ouvre-toi un peu meuf, sois curieuse, merde. On passe à la pratique : nope, sortez-moi de là rapidement, par pitié. Bouger au ralenti en produisant toutes sortes de sons ne me fait pas vibrer.

Qu’il s’agisse de respiration ou de sexualité, je dois me rendre à l’évidence : j’ai du mal avec le corps organique, viscéral, qui ne soit pas le corps musculo-squeletique qu’on peut s’entraîner à contrôler. Je jouis de la maîtrise, pas du débordement.

Passage à la médiathèque et, pouf, après-midi évaporée.

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Jeudi 25 mai

É. a rapporté du banana bread pour fêter la fin d’année imminente. C’est toujours elle, souvent du moins. J’ai eu un court moment de motivation l’an dernier (un banana bread également), et depuis manque à ce genre d’attentions.

Nous prenons un verre en fin de journée, presque toutes ensembles, comme nous l’étions plus régulièrement l’an passé, en première année, quand les amitiés ne s’étaient pas encore resserrées en géométries variables à l’extérieur des cours. Il m’a fallu du temps cette année pour m’ajuster à cette nouvelle position, ne pas être exclue sans être vraiment incluse, trouver la juste distance pour ne pas être blessée d’entendre tout ce qui se fait sans moi, sans d’autres, sans m’isoler et m’exclure des discussions, qui restent gaiement ouvertes à toutes, en tout temps. Diplomatiquement invitée à un anniversaire parce que j’avais cours le même soir dans la même rue, j’ai pris conscience que cette sociabilité, vers laquelle je lorgnais avec une pointe de regret, ne me convenait pas, qu’il n’y avait aucun regret à avoir, sinon celui d’être un peu éloignée géographiquement de mes amies. Je ne sais pas appartenir et ne pas appartenir. J’apprends en triangulant, en discutant vivement avec les unes puis avec les autres, essayant de me tenir à équidistance. On mettra ça sur le compte de l’âge, de ses décalages.

Nous prenons donc un verre en fin de journée, presque toutes ensembles, et je suis à équidistance des autres de la table, des boissons ou non alcoolisées. Un tour de table désorganisé se fait des pires et meilleurs moments de l’année, manière de nous réapproprier le questionnaire de l’école, rempli avec plus ou moins de diplomatie. Le pire fait catharsis, le meilleur tourne pas mal autour de la carte blanche chorégraphiée en commun. L’idée est lancée d’imprimer des T-shirt personnalisés, entre tics de langage (dont un que je n’avais jamais relevé), phrases mémorables et autres petites idiosyncrasies. Il y a encore des hésitations pour certaines, mais mon cas est tranché, déroulé des deux mains comme une enseigne en néons : chocolat noir. Avec une précision de taille, grossie à proportion de l’amertume perçue quand elles essayaient un carré : 90%. Fair enough. C’est tranché également pour J. : ce sera Christine. Lors d’une mise en situation où l’on jouait les enfants et où on lui avait demandé comment elle s’appelait, alors que chacune se nommait sans inventivité, elle avait répondu du tac au tac ce prénom qui n’était pas le sien, avec une décontraction, une évidence telle qu’on en avait beaucoup ri. La running joke a continué le reste de l’année, au point de semer le doute chez les premières années : « Mais elle s’appelle J. ou Christine ? » Christine is the queen. Sur le modèle de mon 90%, j’ajouterais bien en-dessous une didascalie entre parenthèses, rappelant nos tentatives pour minimiser ses retards quotidiens : (Elle arrive.)

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Vendredi 26 mai

 

Journée complète avec 3 classes d’enfants pour le projet chant et danse. C’est un bon entraînement pour apprendre à gérer de plus grands groupes, mais c’est éreintant. À midi, complètement abrutie, je vote pour abandonner lâchement les maîtresses et retourner déjeuner au calme aux studios. L. et son BAFA se marrent ; elle m’imagine bien en colo, tiens.

L’après-midi, nous passons deux heures à essayer de régler un cercle circassien avec les CE1. C’est trop compliqué pour leur âge — ou alors il faudrait qu’ils fassent de la danse à l’année. La formatrice de chant les en pense capable, et ils le sont d’une certaine manière, mais une manière qui n’est agréable pour personne. Nous reproduisons sans nous en apercevoir les travers de nos formateurs et encourageons-houspillons des enfants de 8 ans pendant 2h30 sans pause. Tout le monde est lessivé à la fin.

La formatrice a voulu attendre le jour J pour fixer les places et les rôles, dans un but pédagogique, dit-elle, afin de garder les enfants attentifs, autonomes. Cela fonctionne peut-être en chant, avec la chef de chœur qui continue de guider sur scène, donne les départs, souffle les paroles, mais pas en danse. Et quand bien même cela marche, marchotte : c’est inutilement stressant pour les enfants.

La restitution a lieu sur scène, devant des parents presque plus difficiles à cadrer que leurs enfants. Parents, fratrie, bébé : ça parle, ça filme, ça crie ;  les adultes gesticulent jusqu’à obtenir un coucou de leur fils, de leur fille, censés se tenir bien droit dans la position du chanteur-danseur (à mi-chemin entre “le spaghetti cru” et “le spaghetti cuit”, sachez-le). Nous restons sur scène avec les enfants pour les guider ; je n’ai pas l’impression d’y être, aucune confusion possible entre le rôle du danseur et celui de l’accompagnateur.

Nous n’avons pas le temps de féliciter les enfants que c’est la fin du spectacle, de l’année. Nous sommes en bas des marches devant la scène / à la sortie de l’auditorium au soleil / derrière les grilles du Conservatoire / à la bouche du métro où nous souhaitons quelques bonnes vacances / attablées à la table d’une brasserie artisanale qui, dieu merci, propose aussi du jus de tomate (essayez donc de trouver des boissons non alcoolisées non sucrées…). On finit la tournée du meilleur / pire moment de l’année pour celles qui n’étaient pas là la veille, on enchaîne sur la compagnie où tu danserais dans tes rêves les plus fous, il y a du name dropping contemporain qui ne me dit rien entre deux Batsheva. Le Royal Ballet pour moi, je crois. Ou la compagnie de Russell Malliphant, mais je n’ai pas le temps d’aboutir cette pensée. Pourquoi je ne suis jamais passée par la case interprète ? Darling (je ne le dis pas), je n’ai jamais eu un niveau pro (je le dis). É. me reprend : « Tu as un niveau professionnel. Tu vas être professeur de danse, tu as un niveau professionnel — juste pas d’interprète. » En prime, j’ai le droit à une imitation de comment je danse quand je danse “contempo”, avec des accents dynamiques et des  mouvements de tête de drama queen, interprétés par notre drama queen en chef ; ça me fait rire, ça nous fait rire, quand bien même ce n’est pas moqueur. La tendresse aussi peut faire rire. Les comptines des enfants ne cessent de revenir dans la conversation, quelques notes suffisant à rendre fou le juke box collectif. On tente un gage pour dé-chanter : chaque départ de chantonnement est puni d’une goutte de tabasco, obligeamment fourni avec le sel de céleri (le jus de tomate comme jeu à dé-boire).

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Samedi 27 mai

Réveillée avant 6h du matin avec les comptines entêtantes de la veille, qui tournent en boucle : ce n’est pas exactement comme ça que j’imaginais mon premier jour de vacances. Mais soit.

Le stress lié à la formation se résorbe, mais le répit risque d’être de courte durée si je me laisse envahir par un autre enjeu, que l’occupation incessante, très cadrée, mettait en sourdine — celui de réussir à finir mon manuscrit, réussir à finir quelque chose, lui donner forme et fin, enfin. Cela me taraude, comme une menace de maintenant ou jamais, hyperbolique, risible mais réelle dans son ressenti. On va calmer le jeu, ramasser ce qui traîne dans l’appartement, faire son Duolingo du jour, prendre des notes pour ce journal, lire Singuliers et ordinaires, L’Éloge des fins heureuses

J’investis le parc Barbieux en chantonnant Doodley do, je suis la protagoniste d’une comédie musicale, I like the rest but the thing I like best, tout se déroule devant moi, chemin fleuri, soleil, tapis vert, it goes doo-d-ley-do, j’ai la marche conquérante et la ritournelle implacable, pour un peu les branches se mettrait à faire chœur et les canards à danser, d-ley-do. C’est la bonne humeur des possibles ; je me tiens au seuil des vacances comme un vendredi soir au seuil du week-end.

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Dimanche 28 mai

Légère panique à l’idée de ne pas arriver à bout de mon projet, et de ne pas non plus profiter des vacances. Vacances J+2 et déjà l’angoisse de gâcher, le devoir de rentabiliser. Les heures où prendre le soleil et les phases d’efficacité intellectuelles se superposent ; elles s’annulent par synthèse additive en début d’après-midi quand les neurones partent faire la sieste, et la peau se hérisse à l’idée que le bain se transforme en coups. Il faudrait plusieurs matins dans une journée. Ou accepter de ne pas “profiter” du soleil.

J’emprunte des rues que je n’ai jamais arpentées pas très loin de chez moi. L’appareil photo ne sort pas beaucoup de sa sacoche, mais les jambes sont dégourdies.

Les comptines restent envahissantes. Dans la rue, sous la douche, à tout instant. On dirait des pensées parasites. Ça tourne comme un gyrophare. Même les litanies d’Alice et moi ne parviennent pas à prendre le dessus.

Le boyfriend : on veut tout mettre dans sa première œuvre ; on calibre souvent mieux les projets suivants. Je ne suis pas d’accord sur le terme d’œuvre concernant mon projet, mais j’espère.

La fatigue vient avec la tombée de la nuit, rend le sommeil facile.

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Lundi 29 mai

Rêve : je prenais le train avec Joël (pourquoi Joël ? je n’ai pas eu d’interaction avec lui depuis des mois voire des années), il rentrait de loin, de l’étranger probablement, et je rentrais aussi, d’où, peu importe, à l’arrivée il s’avérait qu’il y en aurait encore pour 22 heures de route, en voiture, je hâtais la recherche de l’agence de location dans le centre commercial en paniquant à l’idée des heures interminables à venir, je n’aurais pas du prendre ce train, je devrais peut-être prendre l’avion pour repartir, revenir, m’épargner 22 heures de voiture.
Il se pourrait que le manuscrit m’ait donné une impression d’enlisement (22 heures de travail dessus suffiront-elles ? Non).

Au réveil spirale une idée que j’avais déjà eue des années de cela : étudier le comique dans la danse. Ça s’articule et se poursuit pour ainsi dire tout seul dans ma tête : je me rends compte que je suis repartie sur une piste seulement quand, arrivée en bout, je relève la tête de mes pensées comme on sort la tête de l’eau pour reprendre son souffle en crawl après une apnée, pour aussitôt y retourner. Il faudrait que je me lève. Les idées s’articulent en boulette fil de fer et aimantent un tas de souvenirs, de fragments qui viennent s’y agréger comme exemples qui illustrent et relancent le questionnement. Après le petit-déjeuner, je prends des notes. Une page, deux pages, trois pages, un plan pour ainsi dire. Quelque chose de moins ambitieux que le projet que j’ai commencé en 2015. (Je ne me souviens jamais des dates, mais c’était le Nanowrimo et il avait été interrompu par les attentats de Charlie Hebdo.) Me voilà à commencer un nouveau projet alors que je n’ai toujours pas fini l’autre ? C’est n’importe quoi, et pourtant : ça m’a excité le neurone, ça m’a mise en joie ; je me remets à l’écriture dans le présent, curieuse de ce qui va en sortir, sans plus exécuter en larbin les intuitions mortes de mon moi passé. Paralléliser des projets à des stades divers pourrait n’être pas une mauvaise chose, si la vitalité des débuts, l’excitation de la conception rejaillit sur l’écriture plus laborieuse de ce qui a déjà été déniché, pensé, architecturé. (J’essaye aussi, à la fin de chaque séance de rédaction, de garder un passage facile pour m’y remettre le lendemain.)

Il fait un temps à bouquiner dehors pour moi, à faire de la meuleuse pour le voisin. Je fuis racheter un coupe-cuticules. C’est un outil satisfaisant, le coupe-cuticules, je suis satisfaite de mon achat (la lame de l’ancien est tombée entre les dalles de la terrasse, irrécupérable). Deux bulles sont incluses dans le manche en plastique ; quand la lumière du soleil passe à travers, ça me rappelle les bulles d’un presse-papier de mon grand-père. Le pouvoir poétique d’un simple défaut de fabrication dans un objet manufacturé en série…

Une routine s’installe : écrire un peu, ce journal, le manuscrit ; faire défiler les aperçus au bas de vidéos YouTube à la recherche de passages que j’ai analysés mais parfois aussi inventés ; déjeuner de petites salades ; se faire jouir et s’endormir un peu derrière les rideaux au soleil ; lire (la fin de l’Éloge des fins heureuses) ; sortir enfin un peu, pour les jambes ; dîner, regarder un épisode de Scenes from a marriage ; m’épater du profil du boyfriend en visio. Nouveauté de fin de matinée : une barre à la cheminée, pour se remettre les muscles en place. Le placement s’installe, je le sens, une puissance venir.

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Mardi 30 mai

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Mercredi 31 mai

Vite, vite, tourner les pages, recopier, sauvegarder des extraits avant de rendre les livres à la médiathèque. Je voudrais ne relever que les passages qui m’ont intimement marquée, mais je me laisse entraîner à recopier davantage, des formulations clés dans l’argumentation de l’ouvrage. Cela devient long, à quoi bon, mais au lieu de sélectionner davantage, la résignation me fait précipiter la saisie, et le téléphone sans cesse glisse de son rôle de presse-papier.

Je voudrais finir le recueil de Cécile Coulon avant de le rendre, mais la poésie ne peut pas se lire vite, l’intention se heurte à la forme. Des lignes passent sans sens. Puis la lecture imprime son rythme, et je retrouve la luxuriance du jardin, les feuilles qui bruissent sous la lumière, l’accès au présent sensible redonné par le truchement de la lecture et des pauses en son sein.

Mission médiathèque et commission pour Lux, qui était en visite à Roubaix le week-end précédent et regrette de ne pas avoir réalisé un achat. C’est bientôt méfait accompli. Jouer au messager ailé de Twitter m’amuse.

Grandeur et décadence des vitres sales dans la golden hour