La la land commence de manière sympathique, mais je n’accroche pas plus que ça. Impossible de toutes façons avec les gesticulations over-enjouées de la caméra. Et pour cause : la première partie tout entière se résume au premier plan de la dernière : un plan de palmier mimant la tête renversée… bientôt déplacé par des techniciens d’un studio de cinéma. Il faut un peu de temps pour voir non pas sous ou derrière les images (couleurs vives, plans léchés) mais pour voir les images – en tant que telles. Et comment on vit par, pour et à travers elles.
Forcément, ça devient de mieux en mieux au fur et à mesure, même si. La comédie nous fait des frayeurs de soufflé (échange parfait, répartie affûtée et puis banalité), et les numéros musicaux ne me donnent pas vraiment envie de danser, peut-être plus jazz que jazzy (comme l’héroïne, je n’aime pas le jazz ; mais contrairement à elle, je ne m’y fais pas)(et comme elle, je ne peux aller plus loin sans vous faire une confession : même si j’ai chanté faux avec ma cousine que nous étions des sœurs jumelles nées sous le signe des gémeaux, je ne suis pas sûre de jamais avoir vu les comédies de Jacques Demy – cette part de nostalgie-là ne pouvait donc avoir de prise sur moi). La scène de l’observatoire de Magic in the moonlight m’a plus fait rêver que celle de La la land, où je me suis demandée si, dans quelques années, on trouverait ça aussi daté que Grease et son paradis de bigoudis chauffants. Cela se regardera probablement comme un film de Fred Astaire, un de ces films qu’on ne regarderait pas s’il n’était avec Fred Astaire, mais qu’avec Fred Astaire on regarde, comme ça, pour la scène de claquettes où Ryan Gosling a les mains dans les poches et la chemise-bidou qui lui fait le sex-appeal tout doux – pas vraiment pour moi, mais pourquoi pas. Ginger Rogers est Emma Stone, toujours parfaite avec son visage au bord de la décomposition. Les globes oculaires prêts à rouler hors de leur orbite, la bouche qui tord le sourire en grimace et vice-versa de casting en casting. Je crois avoir compris celles qui la trouvent laide avec ses yeux de poisson ; c’est cette quasi-laideur que je trouve infiniment belle. Moins figée, même si le film en use et abuse au point de glacer aussi cette beauté, lassante dans la caricature de son idiosyncrasie.
Cela marche quand même, justement parce que tout ne marche pas et que ça piétine dans la vie de nos wannabe artistes, l’actrice et le jazzman qui sont là à L.A. pour réaliser que leurs rêves rendent dure la réalité – qui serait bien douce sans cela. Douce comme un retour chez papa-maman (plutôt qu’à la case départ) ou un contrat blindé signé avec Universalis (plutôt qu’avec le diable pour un jazzman pur et dur qui se retrouve à pianoter sur un synthé). L’actrice et le musicien se rentrent tellement dans le lard que c’est sûr, une évidence de comédie romantique, ils sont faits l’un pour l’autre. Cela ne sonne pas juste, pourtant, dixit la comédie musicale : ils ont trouvé quelque chose d’autre que l’amour, qui le fonde parfois et parfois pas, une présence entièrement bienveillante et entièrement exigeante, qui les encourage les pousse et les engueule à devenir ceux qu’ils voulaient être, quitte à ce que cela se fasse sans eux. Ou peut-être que c’est exactement ça, s’aimer, en-deça de la vie partagée. <SPOILER up to the end>Au-delà aussi : nos deux artistes ne se disent pas je t’aime, seulement je t’aimerai toujours au moment de se séparer (sur le mode : je serai toujours là-bas pour toi). Forcément, ça devient très beau, parce que le film fait exactement ce qu’il faut pour : il donne une fin. Ils s’aimèrent, se marièrent et eurent des enfants… mais pas ensemble. Et dans un croisement de regard, fortuit, des années après, la caméra s’emballe pour nous donner à vivre tout ce qu’ils n’ont pas vécu, toute une vie au conditionnel passé qu’ils auraient pu vivre, mais pas de si, il n’y a pas de bascule, pas de remord, pas de regret, rien à refaire, juste des vie divergentes que l’on fait se croiser pour la beauté du geste, pour la danse et la musique, pour le cinéma, pour donner à voir tout ce que contient ce regard-là, entre ces deux-là (parce qu’aussi, on a du mal à le concevoir sans ça, l’amour sans le couple qui le défend contre le temps). Le film nous refuse ce que l’on veut – pour mieux nous le donner symboliquement. Paré de la beauté des choses révolues, que l’on garde précieusement en soi justement parce qu’on les a perdues. Ou jamais vécues*, c’est tout un.
* sauf au cinéma