Après avoir joué aux chaises musicales, je suis posée et plus si bien disposée à me concentrer. La Symphonie n° 1 en ré majeur de Gounod passe et me dépasse, sorte de valse aux points de suspensions, qui font miroiter un lac d’huile entre deux vaguelettes de barque.
De mauvaise foi, je blâme les places, un peu excentrées par rapport au jeu des musiciens, déjà fondus en orchestre (c’est absurde mais j’entends mieux quand je distingue les gestes des uns et des autres). Je blâme aussi Palpatine, qui m’a entraîné loin des contrebasses (le poète de Sptizweg est masqué par le chef – qu’on déplace le chef !), pour être du côté du soliste. Qu’il ne regarde même pas, plongé dans le programme ou le sommeil l’extase, tête renversée, yeux fermés. Commençant à suivre la même pente, je m’éloigne du dossier pour contrebalancer. Parce que Vadim Repin mérite d’être écouté. Malgré le son rugueux, presque palpable, de son violon, le Concerto pour violon n° 3 en si mineur de Saint-Saëns se dérobe ; je ne l’entends pas et n’en pense rien.
Le bis m’amuse beaucoup plus, forcément, entre la mise en place de l’accompagnement (regardez, écoutez, chers violons, je voudrais que vous me jouiez ceci : pim, pim, pam, pim, pim, pam, oui, c’est ça, pim, pim, pam, n’arrêtez pas ; et vous chers violoncelles et contrebasses, je voudrais que vous jouiez cela : …, …, …, poum, …, …, …, poum), trame mécanique sur laquelle il installe son solo, et ledit solo, qui m’évoque le ricanement d’un ballon de baudruche : pfff, pssst, psssit, pizz, pizzicato. Virtuose et irrévérencieux, ça rebondit, ça couine, ça grince, ça glisse, ça dérape, ça contrôle, ça se tord, ça se gondole – y compris dans la salle.
Retour aux choses sérieuses (sehr rieuses ?) avec la Symphonie n° 1 en fa majeur de Chostakovitch, ni vraiment narquoise ni aussi sombre et désespérée la dernière que j’ai entendue ; plutôt libre et inquiète. On n’a pas la verve goguenarde quand on a 19 ans (verve goguenarde, les programmes de l’Orchestre de Paris sont vraiment chouettes). Vous ne le saviez peut-être pas, mais cette première symphonie n’en est pas une : selon toute vraisemblance, c’est un concerto pour flûte (ou assimilé ; la première rangée des vents est invisible). Véritable barométre, elle indique à elle seule les changements d’atmosphère : d’abord lumineuse, presque brillante (comme un oeuf de Pâques caché dans les herbes folles), elle devient ensuite vacillante, puis, lorsque le ciel lui est une première fois tombé sur la tête, prudente ; diminuée par des bourrasques d’apocalypse, elle se redresse finalement pour voir l’aube se lever. Autour d’elle, un accord tombe sur un piano jusque là dissimulé, les percussions grondent dans l’oeil du cyclone, silencieux, et le violon, le violoncelle et le basson persistent en soli après son passage, comme autant d’individus esseulés. Force fragile et formidable.
A défaut d’avoir dîné avec Joël, Hugo et Palpatine (bon risotto au saumon fumé), vous pourrez du moins goûter leur compte-rendu.