La mémoire photographie décidément plus qu’elle ne filme : j’ai presque davantage de souvenirs de La Nuit transfigurée présentée à Garnier en octobre dernier avec décors et costumes que de la version dépouillée donnée au théâtre de la Ville il y a à peine deux semaines, avec un unique couple, sur un plateau nu. Pourtant, sur le moment, je me suis dit qu’il y avait là une plus grande justesse… le geste moins lyrique, plus rauque… deux êtres qui finissent par s’accorder, l’un l’autre, le droit de s’accrocher l’un à l’autre… de ne pas rester seul chacun dans sa nuit, mais de partager une même nuit, la nuit, qui s’éclaire un peu d’être partagée…
Les gestes se sont comme refondus aux corps dont ils étaient l’émanation : le dos de la main qui caresse-râpe le sol, les genoux qui s’écartent en ployant, le tronc tendu retenu dans le vide du déséquilibre par l’épaule ou le cou ou le front (je ne sais plus : une partie du corps violemment intime lorsqu’une main étrangère n’y applique pas une tendresse univoque), les jambes enlacées autour du partenaire, les portés où le porteur porte moins qu’il ne se fait assaillir, le fardeau en suspens de savoir s’il va être accueilli, renvoi, retour auprès de, courses, marches, spirales… tous mouvements réintégrés au corps, rangés sous un costume sombre et une robe rose à motifs : un homme et une femme. (Une femme et deux hommes, en vérité, car la femme porte l’enfant d’un autre, rapidement ravalé par la nuit.)
Mit Palpatine