Violet et plein de gravures qui passent très bien à la reproduction, il me faut le catalogue de l’expo.
Gustave Doré, je l’associais rapidement au conte : un chat botté, une barbe bleue et vas-y que je t’oublie. L’artiste hyperactif et touche-à-tout s’est pourtant illustré dans des genres très différents, que le musée d’Orsay s’attache à nous faire découvrir dans une exposition mal fagotée mais réjouissante. Mal fagotée : les thématiques se marchent sur les pieds, les panneaux mentionnent des tableaux vus deux cents mètres auparavant et les débuts de l’artiste apparaissent en seconde partie, après les salles thématiques du rez-de-chaussée, plus ou moins bien taillées pour faire entrer en vrac tout ce qui nécessite une grande hauteur sous plafond. Mais exposition réjouissante : par les œuvres exposées, bien sûr, mais aussi l’enthousiasme des organisateurs de l’exposition, qui se sont amusés à chercher une police imitant la texture des gravures et à trouver des parallèles avec le cinéma – que Slate a eu la bonne idée de reprendre (Melendili et moi attendons toujours la gravure qui attestera des origines dorées de Chewbacca – Barbe-bleue ? Slate penche pour le Chat botté mais je ne suis pas convaincue).
Barbe-Bleue, l’ancêtre de Chewbacca ? Il est assez poilu pour.
La Bible, un conte comme les autres ?
J’ai un petit instant de surprise en découvrant que Gustave Doré a illustré la Bible. Est-ce un livre que l’on peut illustrer ? Je me reprends en me rappelant que ce n’est pas l’iconographie religieuse qui manque dans l’histoire de l’art mais vu les remous suscités à l’époque, façon caricatures de Mahomet, je me dis que je ne suis pas la seule pour qui le même sujet ne fait pas le même effet en peinture et en gravure. Il y a dans la gravure et le dessin quelque chose de plus familier que dans la peinture, quelque chose de plus prosaïque, qui ne semble pas particulièrement fait pour l’hagiographie. Mais peu importe ces préjugés, les anges de Gustave Doré tuent tout – the best angel ever, j’ai nommé Gabriel dans L’Annonciation.
Cette apparition-disparition à la gouache blanche… Devant le tableau, l’œil aperçoit des traits blancs, qu’il distingue comme les plis d’une robe, avant de remarquer les ailes et de finalement voir l’ange. Un ange-fantôme. Il fallait y penser.
Il y en a aussi un paquet dans ses illustrations de Dante mais j’anticipe un brin.
Grand tour littéraire
Le tour de l’Europe que faisaient jeunes gens de bonne famille pour parfaire leur éducation toute imprégnée d’humanités grecques et latines, Gustave Doré le fait à sa manière, en illustrant les classiques de la littérature européenne. Autant les effets de manche de Don Quichotte et les hyperboles gargantuesques me laissent assez indifférente, autant l’univers de Dante me fascine – La Divine Comédie risque de se retrouver très bientôt sur ma PAL (si vous avez une traduction à me recommander, n’hésitez pas).
Tournée dantesque…
(Je verrais très bien cette gravure dans la photothèque d’Incitatus.)
Si on va du côté parallèles ciné, je dois dire que cette gravure me fait penser à Harry Potter and the Half-Bood Prince, quand le héros est avec Dumbledore au milieu du lac verdâtre où se trouve caché un horcruxe.
How scary is that, Ron?
La palme de cette littérature « excentrique » revient aux Anglo-saxons, Poe en tête. Son corbeau a inspiré Gustave Doré bien après qu’il a dessiné la couverture du recueil de nouvelles ; on en retrouve la silhouette dans un ange noir. Petite pensée pour From the Bridge en découvrant une référence à Paradise Lost et surprise devant une vue des docks dickensiens : mais c’est Canary Wharf ! (Même si, d’après le GPS palpatinien, il s’agirait plutôt de Canada waters.)
Dickens, es-tu là ?
Le Londres d’Oliver Twist n’est pas le seul endroit de l’œuvre de Gustave Doré où règne l’esprit de Dickens : une semblable verve satirique anime des caricatures très piquantes sur le communisme, les codes estudiantins ou encore l’histoire de la Russie (la réédition risque elle aussi de se retrouver sur ma PAL) et la peinture sociale transfère un peu de la misère des faubourgs londoniens à Paris, à l’époque de la Commune.
Suite du règne d’Ivan-le-Terrible. Devant tant de crimes, clignons de l’œil pour n’en voir que l’aspect général. L’humour à la Tristam Shandy.
Les embrasements de la Commune, au fond, et devant, cette silhouette qui fait ressortir toute la froideur…
L’Enigme ou la Commune façon Khnopff. Oui, mon ange, la mort (de l’idéal) fait partie du mystère de la vie.
Au final, l’exposition est pleine de surprises et de déjà-vu : l’œuvre de Gustave Doré fait si bien partie de l’imaginaire commun qu’on méconnaît son influence originale – le paradoxe de l’illustrateur.
N’auriez-vous pas dit vous aussi que La Ronde des prisonniers était un tableau de Van Gogh ?
Bonus hors-sujet : un tableau dont le commissaire d’exposition ne savait visiblement que faire, accroché au début de l’exposition comme amuse-bouche. Il me fait penser à ce conte où deux oiseaux font voyager une grenouille en portant dans leur bec la branche qu’elle a mise dans sa gueule – et que, bien sûr, elle ne peut s’empêcher d’ouvrir.