Huysmans à rebrousse-poil

Portrait de Montesquiou, par Boldini

Le musée d’Orsay a choisi la figure de Robert de Montesquiou pour l’affiche de son exposition sur Huysmans et, de suite on est dans l’ambiance : dandy, raffiné et décadent. On a la moustache qui frise de plaisir par anticipation : souvenirs, souvenirs, Melendili et moi avions lu À rebours pour nos TPE en terminale sur l’image de la femme dans l’art au tournant du siècle (on était des caricatures de nous-mêmes et ça nous allait très bien). Làs, le sous-titre aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : de Degas à Grünewald (sous le regard d’un artiste contemporain qui s’est fait plaisir, Francesco Vezzoli), promesse d’éclectisme ou d’exhaustivité (des chefs-d’oeuvre pour tous les goûts !) se découvre aveu fourre-tout.

Huysmans sert moins de fil directeur que de prétexte : s’il a écrit sur un tableau, hop, c’est bon, ajouter au panier. L’exposition est franchement brouillonne, sans même parler des cartels police 12 imprimés en blanc sur gris dans une fonte avec des ligatures si fines qu’on soupçonne le commissaire d’exposition d’avoir pris conscience trop tard de son travail enthousiaste mais bâclé, et d’avoir voulu camoufler la chose. Au bout de cinq ou six cartels, on ne se demande plus si le propos est pertinent, mais si on devrait prendre rendez-vous chez l’orthoptiste.

Dommage, parce que les extraits de critique qui y sont reproduits sont croustillants. Rendus lisibles et mieux articulés, ils auraient rendus l’exposition passionnante. Petit extrait relevé par un visiteur plus assidu que je ne l’ai été, à propos de La Naissance de Vénus de Bouguereau :

La Naissance de Vénus, de William Bouguereau

« il a inventé la peinture gazeuse, la pièce soufflée. Ce n’est même plus de la porcelaine, c’est du léché flasque ; c’est je ne sais quoi, quelque chose comme de la chair molle de poulpe » « C’est exécuté comme pour des chromos de boites à dragées. »

La méchanceté est telle qu’elle se laisse lire comme de la mauvaise foi, et m’incite à trouver quelque argument à lui opposer. Alors que je ne me serais pas arrêtée devant La Naissance de Vénus, je me suis mise à voir la ligne de lumière le long de son corps – et je l’ai trouvée belle, un instant. L’instant suivant, évidemment, je me délectais à nouveau des phrases assassines.

Je ne connaissais pas le romancier comme critique d’art, mais il a manifestement fait Des Esseintes, le héros d’À rebours, à son image : ses détestations sont toujours vives et délectables… tandis que ses enthousiasmes, qui ont tôt fait de virer à la fascination monomanique, deviennent rapidement ennuyeux à lire. À ce compte, on serait presque déçu de retrouver, avec le sens de l’histoire, des tableaux qu’on a appris à aimer sans lui : la critique n’aide pas à renouveler notre regard. L’accord consensuel le cède à la complicité de qui a bitché de concert, et je me heurte de nouveau à ce constat : je parviens de moins en moins à voir les œuvres que j’aime. Je les reconnais et n’y co-nais plus : je ne sais plus laisser mon œil se promener à l’intérieur des toiles, parcourir et retrouver une composition, être saisi par une lumière ou une texture… le tableau d’emblée de donne et se retire comme une entité pleine et entière – un Degas, un Redon, l’affaire est classée.

Les Raboteurs de parquet, de Gustave Caillebotte
Même ce tableau n’y échappe pas totalement, alors que s’y superpose le souvenir de l’ancienne maison de mon père, une demeure bourgeoise de banlieue : dans ma chambre, à l’étage, le jour y entrait selon la même inclination, et la cheminée, hors d’usage, était presque située à l’endroit où on la devine dans le tableau, la bouteille posée sur l’avancée. La réminiscence est nouvelle ; je n’y avais jamais songé – indice que ce tableau, je l’ai vu, cette fois-ci aussi.

Tout juste se fait-on la remarque, avec Melendili, que les tableaux sont souvent plus vastes que leurs reproductions tronquées nous ont habitués à les visualiser : se souvenait-on qu’un journal traine sur une table à l’avant-plan de l’Absinthe de Degas, nous mettant à distance de ses protagonistes ?

Heureusement, quelques découvertes sont là pour raviver la curiosité et le sens esthétique. J’en retiendrai deux en particulier :

Dans un café, de Gustave Caillebotte

Ce Caillebotte, que je n’avais jamais croisé, a une présence singulière – la veste presque violette qui cependant ne jure pas avec les banquettes en velours – coloris apaisés par le cadre du miroir, aux dorures sans clinquant.

Galatée, de Gustave Moreau

L’autre, c’est non pas la Salomé de Moreau, comme je n’y attendais, mais sa Galatée. Impossible de trouver une reproduction qui rende le luisant sombre du décor, comme une laque noire où aurait poussé enchevêtrés et en relief un tas d’organismes vivants – si fantastique que j’ai mis un certain temps à remarquer la figure en arrière-plan.

Bref, il y a à boire et à manger dans cette exposition : on dirait un grand buffet ravitaillé dans le désordre ; pour goûter à tous ces mets raffinés, il faut accepter de déguster le salé au milieu du sucré, et des entrées à intervalles réguliers. Évidemment, les convives ont le palais un peu bousillé, mais ils n’osent protester, car au milieu de la table trône un plat auquel personne ne touchera mais que tout le monde attendait, cerise sur le gâteau : tortue et sa carapace incrustée de joyaux, sur coulis de velours. Francesco Vezzoli nous livre là une version littérale du délire de Des Esseintes (le héros du roman À rebours) qui décide de faire dorer et incruster de pierres précieuses la carapace d’une tortue vivante afin qu’en se déplaçant, elle moire ses tapis de reflets changeants. La pauvre ne survit pas longtemps, mais devient célèbre : comme chacune des lubies de Des Esseintes, celle-ci occupe bien un ou deux chapitres à elle toute seule. C’est ainsi un plaisir de nerd littérairs de la trouver matérialisée devant nous (un peu chiche en pierres vue sa taille imposante – c’est plus un format Galápagos que Caroline), même si, avec Melendili, on aurait bien donné dans la surenchère en la faisant se balader dans la salle…

Caresses de couleurs

Pour parler des toiles de Bonnard, j’ai commencé à écrire toiles de bonheur. Ce lapsus éclaire un peu le titre mystérieux choisi par le musée d’Orsay pour l’exposition Peindre l’Arcadie – un peu mystérieux dans la mesure où ce lieu de l’âge d’or, le peintre ne le peuple pas de créatures mythologiques, mais de ses proches, à commencer par sa femme Marthe, qu’il a souvent prise pour modèle. C’est sûrement à cause de ce goût prononcé pour l’intime que je m’étais arrêtée devant ses toiles lors de précédentes visites à Orsay et que j’avais retenu son nom, sans en trouver d’autres échos parmi mes pérégrinations artistiques (certes assez spartiates).

Des neuf salles aménagées par l’exposition, celle qui a été intitulée « Et in Aracadia ego » et manifestement pensée comme une apothéose censée justifier le titre de l’exposition est celle qui me plaît le moins ; pour parler franc, ces grands tableaux conçus comme panneaux décoratifs me paraissent même plutôt laids. Il faut se rendre à l’évidence : Bonnard est un dessinateur assez moyen. Ce qui fait de lui un peintre fascinant, c’est son sens de la mise en scène et surtout, surtout, son incroyable sens des couleurs. La salle intitulée Histoire d’eau (haha), centrée autour de la toilette féminine, révèle un coloriste hors pair. L’influence de Gauguin, qui n’était pas franchement manifeste dans la première salle, où le texte la mentionnait, devient évidente devant Harmonie jaune et le dos d’or de cette femme, où les vertèbres jettent des ombres violettes et la hanche flamboie, soulignée d’un trait orange vif – un corps-coucher de soleil absolument splendide. Évidemment, aucune reproduction ne rend justice aux couleurs : il faut aller voir les tableaux sur place, voir à quel point ils sont chatoyants et ressentir la caresse des couleurs comme une caresse du soleil sur la joue.

 

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Ne jugez pas un livre à sa couverture, ni un tableau à sa reproduction. Celles qui suivent, vaguement reprises dans l’ordre de l’exposition, sont uniquement là pour vous donner envie d’y aller, et conserver une trace des surprises et des âneries qu’ils nous ont inspirées, à Melendili et moi.

 

Un « Nabi très japonard », salle 1

Surtout parce que ça rime avec Bonnard. Le format du quadriptyque exposé dans la première salle m’évoque moins l’estampe que Mucha. Je fais par à Melendili de ma préférence pour l’automne (l’orange, le manteau porté avec un charme klimtien…) avant de me rendre compte que les quatre femmes représentées ne personnifient absolument pas les quatre saisons (même si le chemisier à pois rouge fonctionne bien comme l’été et que les deux panneaux plus verts et plus pâles pourraient être interprétés comme l’hiver et le printemps).

 

Bonnard a un problème avec les carreaux : non seulement il en met partout, sur les chemisiers comme sur les nappes, mais il aligne les traits comme si jamais l’étoffe ne bougeait. Le peintre, remplissant son tableau d’un motif qui n’appartient plus à son sujet, détrône le couturier et procède à des raccords qui feraient pâlir d’envie Palpatine.

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Bonnard est également obnubilé par les boules de poil : nul doute que cet homme à chats serait aujourd’hui un adepte des LOL cats.

 

Faire jaillir l’imprévu, salle 2

La référence du texte introductif à Alfred Jarry nous arrache une grimace (Ubu roi est un peu à la littérature ce que le bleu Klein est à la peinture : une brillante arnaque), mais ni Melendili ni moi ne la voyons nulle part justifiée, et je prends un véritable plaisir à laisser les formes de la Femme assoupie sur un lit ou L’Indolente infuser devant moi.

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J’aime ce corps qui, confondu avec les ombres et le pied du lit semble prendre racine, et m’amuse du détail du pied-serre qui se gratte la cuisse. Melendili repère le chat qui se cache dans la chevelure de la femme, et la critique nous informe de la présence humaine qui se cache dans la couverture repoussée au pied du lit : ce tableau n’aurait pas dépareillé dans l’exposition Une image peut en cacher une autre, présentée il y a six ans au Grand Palais.

Reste une interrogation sur la vapeur qui prend la cheville et va de la couette jusqu’au sexe : nuée mythologique ? Réminiscence des tissus au drapé aussi savant que pudique ?

 

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Les volutes reviennent dans un autre tableau, comme fumée cette fois-ci. Je mets un temps infini à voir la main qui tient la pipe et ajoute un troisième personnage, invisible, à la scène. Il faut laisser à la fumée le temps de se dissiper et laisser le tableau prendre forme, jusqu’à ce qu’il craquèle nos certitudes et qu’on ne puisse trancher : ces traits sont trop régulièrement reliés pour être pure fumée, mais comment diable le motif du papier peint pourrait-il déborder sur le cadre du tableau en arrière-plan ? Le cerveau qui fume et le sourire qui se relève en coin, je conclue au réseau de neurones.

Faire jaillir l’imprévu, c’est aussi nous servir un tableau de danse ! Le corps de ballet y est vu en surplomb et les ombres qui tremblotent sous le corps de danseuses assurent le mouvement bien plus que les danseuses elles-mêmes. Curieusement, cela me fait moins penser à Degas qu’à une photo de Giselle prise par Anne Deniau (je crois), où l’on voyait toutes les marques laissées par les pointes sur le sol.

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Intérieurs, salle 3

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La lumière et les ombres surtout me font curieusement penser aux Mangeurs de pomme de terre de Van Gogh. La suspension méduse, qui fait presque une coiffe folklorique à l’adulte du fond, nous prend dans ses tentacules et l’on risque de rester prisonnier du dédoublement qui donne en miroir deux enfants comme si l’un était le reflet de l’autre – ou son frère ?

 

Histoire d’eau, salle 4

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Devant ce corps qui apparaît dans la chambranle d’une porte se mire/s’admire comme devant un miroir, on ne sait plus très bien où l’on se situe, ni lui ni nous – la nudité nous aurait-elle déstabilisés ?

 

 

Le Nu dans le bain est l’Harmonie jaune de Melendili, qui voit dans le dallage bleu une peau de sirène, tandis que les reflets jaunes me font penser à la pluie d’or fécondant Danae. À nous deux, je ne vous raconte pas ce que deviennent les tableaux !

 

Clic-clac Kodak, salle 5

Les photos confirment que Bonnard ne sait pas peindre les fesses : Marthe ne les a pas du tout plates.
Elles révèlent également que le peintre en est pourvu d’une belle paire.

 * J’y ai pensé, évidemment

 

Portraits choisis, salle 6

Non, vraiment, je préfère les photographies de Bonnard à ses autoportraits.

 

Le jardin sauvage : Bonnard en Normandie, salle 7

Un peu trop de verdure à mon goût mais, au milieu, un tableau incroyablement lumineux. La Salle à manger à la campagne réussit à inverser intérieur et extérieur, illuminant la pièce d’une chaleur et d’une lumière qui devraient en toute logique émaner du soleil et assombrir par contraste ladite pièce.

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Ultra-violet, salle 8

Biberonnée à l’impressionnisme, la Côte d’Azur en peinture me donne une impression de déjà-vu. Sauf pour L’Atelier au mimosa où la couleur fait vibrer les formes comme le vent les feuilles des arbres (et puis, ce n’est pas un paysage sans médiation, c’est une nature qui se donne à voir, cadrée-quadrillée par les carreaux de l’immense fenêtre).

 

Et in Arcadia ego, salle 9

Sed non longe, parce que cette salle, c’est un peu le gâteau sur la cerise. Le bonheur se communique mieux dans l’intimité que la grandiloquence.

Un illustrateur en or

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Violet et plein de gravures qui passent très bien à la reproduction, il me faut le catalogue de l’expo.

 

Gustave Doré, je l’associais rapidement au conte : un chat botté, une barbe bleue et vas-y que je t’oublie. L’artiste hyperactif et touche-à-tout s’est pourtant illustré dans des genres très différents, que le musée d’Orsay s’attache à nous faire découvrir dans une exposition mal fagotée mais réjouissante. Mal fagotée : les thématiques se marchent sur les pieds, les panneaux mentionnent des tableaux vus deux cents mètres auparavant et les débuts de l’artiste apparaissent en seconde partie, après les salles thématiques du rez-de-chaussée, plus ou moins bien taillées pour faire entrer en vrac tout ce qui nécessite une grande hauteur sous plafond. Mais exposition réjouissante : par les œuvres exposées, bien sûr, mais aussi l’enthousiasme des organisateurs de l’exposition, qui se sont amusés à chercher une police imitant la texture des gravures et à trouver des parallèles avec le cinéma – que Slate a eu la bonne idée de reprendre (Melendili et moi attendons toujours la gravure qui attestera des origines dorées de Chewbacca – Barbe-bleue ? Slate penche pour le Chat botté mais je ne suis pas convaincue).

 

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Barbe-Bleue, l’ancêtre de Chewbacca ? Il est assez poilu pour.

 

La Bible, un conte comme les autres ?

J’ai un petit instant de surprise en découvrant que Gustave Doré a illustré la Bible. Est-ce un livre que l’on peut illustrer ? Je me reprends en me rappelant que ce n’est pas l’iconographie religieuse qui manque dans l’histoire de l’art mais vu les remous suscités à l’époque, façon caricatures de Mahomet, je me dis que je ne suis pas la seule pour qui le même sujet ne fait pas le même effet en peinture et en gravure. Il y a dans la gravure et le dessin quelque chose de plus familier que dans la peinture, quelque chose de plus prosaïque, qui ne semble pas particulièrement fait pour l’hagiographie. Mais peu importe ces préjugés, les anges de Gustave Doré tuent tout – the best angel ever, j’ai nommé Gabriel dans L’Annonciation.

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Cette apparition-disparition à la gouache blanche… Devant le tableau, l’œil aperçoit des traits blancs, qu’il distingue comme les plis d’une robe, avant de remarquer les ailes et de finalement voir l’ange. Un ange-fantôme. Il fallait y penser.

Il y en a aussi un paquet dans ses illustrations de Dante mais j’anticipe un brin.

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Grand tour littéraire

Le tour de l’Europe que faisaient jeunes gens de bonne famille pour parfaire leur éducation toute imprégnée d’humanités grecques et latines, Gustave Doré le fait à sa manière, en illustrant les classiques de la littérature européenne. Autant les effets de manche de Don Quichotte et les hyperboles gargantuesques me laissent assez indifférente, autant l’univers de Dante me fascine – La Divine Comédie risque de se retrouver très bientôt sur ma PAL (si vous avez une traduction à me recommander, n’hésitez pas).

Tournée dantesque…

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(Je verrais très bien cette gravure dans la photothèque d’Incitatus.)

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Si on va du côté parallèles ciné, je dois dire que cette gravure me fait penser à Harry Potter and the Half-Bood Prince, quand le héros est avec Dumbledore au milieu du lac verdâtre où se trouve caché un horcruxe.

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 How scary is that, Ron?

La palme de cette littérature « excentrique » revient aux Anglo-saxons, Poe en tête. Son corbeau a inspiré Gustave Doré bien après qu’il a dessiné la couverture du recueil de nouvelles ; on en retrouve la silhouette dans un ange noir. Petite pensée pour From the Bridge en découvrant une référence à Paradise Lost et surprise devant une vue des docks dickensiens : mais c’est Canary Wharf ! (Même si, d’après le GPS palpatinien, il s’agirait plutôt de Canada waters.)

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Dickens, es-tu là ?

Le Londres d’Oliver Twist n’est pas le seul endroit de l’œuvre de Gustave Doré où règne l’esprit de Dickens : une semblable verve satirique anime des caricatures très piquantes sur le communisme, les codes estudiantins ou encore l’histoire de la Russie (la réédition risque elle aussi de se retrouver sur ma PAL) et la peinture sociale transfère un peu de la misère des faubourgs londoniens à Paris, à l’époque de la Commune.

 

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Suite du règne d’Ivan-le-Terrible. Devant tant de crimes, clignons de l’œil pour n’en voir que l’aspect général. L’humour à la Tristam Shandy.

 

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Les embrasements de la Commune, au fond, et devant, cette silhouette qui fait ressortir toute la froideur…

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L’Enigme ou la Commune façon Khnopff. Oui, mon ange, la mort (de l’idéal) fait partie du mystère de la vie.

 

Au final, l’exposition est pleine de surprises et de déjà-vu : l’œuvre de Gustave Doré fait si bien partie de l’imaginaire commun qu’on méconnaît son influence originale – le paradoxe de l’illustrateur.

 

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N’auriez-vous pas dit vous aussi que La Ronde des prisonniers était un tableau de Van Gogh ?

 

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Bonus hors-sujet : un tableau dont le commissaire d’exposition ne savait visiblement que faire, accroché au début de l’exposition comme amuse-bouche. Il me fait penser à ce conte où deux oiseaux font voyager une grenouille en portant dans leur bec la branche qu’elle a mise dans sa gueule – et que, bien sûr, elle ne peut s’empêcher d’ouvrir.

Allegro Barbaro

Béla Bartók et la modernité hongroise 1905-1920
 

affiche de l'exposition

 

Première bonne idée : appâter le visiteur avec un nom connu pour lui faire monter cinq étages et découvrir des peintres dont il n’a jamais entendu parler, alors que leurs toiles, entre fauves et folklore, lui parlent d’emblée. Je n’ai jamais vu la peinture de Sándor Ziffer, Dezsö Czigány ou Róbert Berény et pourtant, leurs tableaux me sont familiers. Les panneaux se chargent de m’expliquer pourquoi : moult analogies cultivées lors de voyages Paris-Hongrie et mûries par une culture propre, où le folklore occupe une place à part entière, beaucoup moins marginale que nos sabots et coiffes bretonnes (encore qu’en ce moment…). Cette prégnance du folklore dans les culture de l’Europe de l’Est, qui m’avaient intriguée dans certains romans de Kundera (lequel s’étranglerait en entendant parler d’Europe de l’Est et non d’Europe centrale), la voilà enfin visible – mais je ne dois toujours pas vraiment saisir, parce que ce n’est pas ce qui m’interpelle : je n’en retiens que les couleurs. Des couleurs, enfin, qui font ressortir la richesse de l’expérience humaine (et pas seulement sa vision) avec une puissance toute expressionniste : je ne me suis pas encore tout à fait remise de ce visage vert – vert ni de jalousie ni de maladie !
 

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Autoportraits de Dezsö Czigány et Sándor Ziffer.

Dans ses Deux Portraitspour orchestre (1907-1908), Béla Bartók fait se succéder l’ « idéal » et le « grotesque ». Dans le même esprit, les peintres hongrois de la nouvelle génération, partis pour la plupart compléter leur formation à Munich puis à Paris, semblent animés de la conviction que l’excès de gravité confine au grotesque : certains autoportraits basculent ainsi de l’introspection dans l’autodérision.

Extrait de la présentation du musée d’Orsay.
 

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Sándor Ziffer, Landscape with fence

 

Seconde bonne idée : contempler la peinture en musique. Les deux arts rentrent autrement mieux en résonance par ce biais qu’en étant juxtaposés sur une chronologie (procédé tellement peu efficace que je suis toujours surprise d’apprendre que tel peintre n’était pas encore mort que tel musicien composait déjà). Et puis, c’est agréable : la scénographie est faite de telle sorte qu’il n’y a jamais collision sonore ; on circule librement dans les espaces aménagés au sein d’une grande pièce, sans personne sur les talons pour vous intimer d’avancer plus vite – seulement l’annonce de la fermeture du musée, à 17h30, un samedi après-midi ! La boutique est déjà fermée quand on sort de l’exposition : pas moyen de savoir si le DVD du Château de Barbe-bleue présenté est disponible à la vente. Cet opéra exerce sur moi une fascination que je ne m’explique pas totalement. Les quelques extraits donnés ont suffi à me donner envie de voir le reste de la mise en scène – peut-être m’aiderait-elle à comprendre pourquoi cela m’avait déjà fait un tel effet en version de concert. C’est en tous cas un prétexte parfait pour retourner voir cette exposition – avec Klari sous le bras, pour ajouter à la musique diffusée celle de la langue hongroise, pleine d’accents mystérieux.

 

Esquisse d'après un tableau de Róbert Berény

Je n’ai pas réussi à retrouver ce tableau (parmi mes préférés) mais une blogueuse en a fait une jolie esquisse à l’aquarelle, qui vous le fera retrouver sans souci lors de votre visite. D’après Róbert Berény, donc.

Mit Palpatine

« Beaucoup de pénis, encore eut-il phallus ! »

À propos de l’exposition Masculin/Masculin

On n’est pas franchement habitué à considérer le nu masculin comme une catégorie esthétique. Orsay le sait bien et mise sur le public gay et féminin pour faire des entrées. Le spectateur attiré par les belles plastiques est pris à son propre piège : il n’aura pas grand-chose d’autre à se mettre sous la dent et certainement pas de quoi bâtir une réflexion sur le nu masculin. Les panneaux, en blanc sur vert tilleul (à quand un équivalent des normes d’accessibilité W3C pour les expositions ?), ressemblent trop à des justifications a posteriori pour qu’on ait envie de les lire in extenso.

Il y a à boire et à manger dans ce bric-à-brac sauce Pinacothèque, de quoi faire son marché, un petit chef-d’œuvre par-ci, une paire de fesses par-là. Malheureusement, l’idéal classique de la virilité n’est pas franchement ma tasse de thé : ça manque de maigrichons, lesquels, confiés à Egon Schiele, ne peuvent qu’être maladifs. Qu’on me fasse une salle « danseur classique » et que ça saute ! Que cette barre entre Masculin et Masculin serve à quelque chose, enfin…

Curieux titre d’exposition, quand on y pense. La logique de la confrontation voudrait une comparaison des nus masculins/féminins. Mais cela impliquait une véritable démarche artistique et intellectuelle, qui interroge notre regard sur ces catégories, quand Masculin/Masculin se contente de présenter un éventail des idéaux de la virilité. Sans confrontation des adjectifs, on attend un substantif, un sexe, des sexes, qui puissent se montrer masculins. Mais Priape n’a manifestement pas été invité à cette petite sauterie. Les sexes se font bien désirer, cachés par de jolis drapés pudiques ou la bienséance qui les veut discrets, au repos. Lorsqu’ils apparaissent enfin, dans une salle qui pourrait choquer un jeune public, c’est tout penaud, parfaite illustration à l’éloge de la demi-molle (le clin d’œil à l’Origine du monde ? Oui, merci, j’ai vu, on pouvait difficilement le louper). Pas étonnant que le nu masculin peine à être reconnu comme catégorie esthétique (du moins pour le grand public, dont je fais partie), me dis-je, confortée dans l’opinion que cet arsenal pendouillant n’est décidément pas très esthétique.

Repensant à cette débauche de muscles saillants, je m’avise seulement maintenant que c’est peut-être ce qui manque : le saillant du phallus. Lorsque les peintres (majoritairement des hommes pendant des siècles) représentent des femmes nues, ils y mettent un peu d’abandon, de lascivité, de chair ; quand ce sont des hommes, des muscles, certes, mais point d’excitation – cachez cette érection que je ne saurais voir. L’adage est repris par le cinéma aujourd’hui : on peut voir une femme entièrement nue mais pas le sexe d’un homme, qui seul fait basculer dans la pornographie (cf. Elles) – c’est quand il est là qu’il y a du sexe. Et après, on s’étonne qu’un metteur en scène se sente obligé d’en faire des tonnes pour une scène de sexe lesbien : il faut y aller de manière un peu musclée, ostentatoire (ici ! scène de sexe, pas de câlins), quand d’une manière générale tout se passe comme si la femme n’avait pas de sexe (à force de s’épiler, faut dire qu’il finit par ne plus rien avoir de visible).

Au final, Masculin/Masculin vaut surtout pour ce qu’elle ne montre pas. À ce titre, le livre d’or est incomparablement meilleur que tous les cartels : l’échec artistique de l’exposition y est flagrant – non parce qu’on y critique le trop d’importance accordée aux photographies de Pierre et Gilles (seule découverte valable pour d’autres), mais parce qu’un grand nombre de visiteurs rend une appréciation sexuée, à l’image de cette femme : « Cela ne m’a pas réconcilié avec les hommes mais belle exposition tout de même. » De ce beau livre d’or, à la lecture croustillante, je retiendrai la meilleure critique de l’exposition qui soit, saillie extrêmement pertinente dans le choix de ses termes malgré son impertinence : « Beaucoup de pénis, encore eut-il phallus !!! »

Mit Palpatine