Une sirène à la montagne

L’ouverture de Genoveva connaîtra dans ma mémoire le même sort que l’opéra dans l’histoire de la musique : Schumann me rentre par une oreille et ressort par l’autre. Je profite surtout de ce temps pour renouer avec Paavo Järvi et faire taire ma rancune d’enfant dédaigné : c’est qu’avec son départ annoncé, j’aurais tendance à moins l’aimer. Je lui en veux un peu, de partir et de me priver, de nous priver, de sa présence dansante et de ses mimiques toonesques. Quel autre chef ouvre ainsi la bouche pour inciter l’instrument à produire le son attendu, espéré, provoqué presque, comme un parent qui donne à manger à son tout jeune enfant, faisant l’avion avec sa fourchette-baguette ? Et (nouveauté) saute sur place en pliant le genou droit, transformant le mouvement de taper du pied en amorce de pas de bourrée, mauvaise humeur conjurée par un entrain plus populaire que ne le laisse entendre la musique ainsi dirigée ? Cher Paavo Järvi, vous avez beau être le chef, je ne vous donne pas l’autorisation de partir.

Non, je suis désolée, Grieg et Sibelius ne sauraient être une excuse. Grieg serait même une circonstance aggravante : je voudrais l’entendre plus souvent encore et qu’est-ce qui me dit que le prochain directeur musical sera aussi porté sur les compositeurs nordiques ? Pour nous amadouer, le Concerto pour piano en la mineur était interprété par la sirène Kathia Buniatishvili, à laquelle Palpatine et JoPrincesse ont déjà succombé (cette dernière a été jusqu’à lui conférer le même rang que le sien en la couronnant « princesse callipyge »). Je ne suis pas très attirée par ce type de beauté suave et charnue, qui a tôt fait d’évoquer des fantasmes associés à l’Orient, mais j’ai été charmée par son toucher, surprise que l’on puisse effleurer le clavier avec tant de délicatesse. Les premières notes de ces parenthèses plus intimes sont comme des bulles de champagne inversées, que l’on reçoit avec le même soulagement qu’une douche chaude presque brûlante, pour mieux repartir, ragaillardi, avec tout l’orchestre, heureux comme les petits marteaux qui pétillent sous le couvercle du piano, à mi-chemin entre les boules du Loto et les petits bonhommes blancs de Miyazaki dans la forêt de Princesse Mononoké.

Nous sommes restés dans la forêt avec la Symphonie n° 2 de Sibelius, mais je serais bien en peine de dire laquelle c’était. Je n’ai pas reconnu les grands sapins enneigés dans les branches desquels souffle d’habitude sa musique ; aux couleurs rouges des violoncelles et des contrebasses, j’ai même cru apercevoir le mont Fuji : c’est dire si j’étais un peu perdue dans cette nature changeante au « curieux climat d’éparpillement ». Petit brin d’herbe perdu au milieu des autres, sans conscience de ce qui l’entoure, il a fallu attendre le final pour me sentir appartenir à ce grand tout, orchestré par mon Paavo Järvi boudé-adoré.

 

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