Mercredi dernier, Palpatine a pris la chose en main (i.e. moi et le gouffre me servant de culture musicale – métaphore habituellement réservée au cinéma, mais ça marche aussi) et m’a traînée à l’Opéra pour voir… un opéra. Ca paraîtra logique à beaucoup de monde, mais je n’y ai jamais vu que des ballets. Et le seul opéra que j’ai vu auparavant, c’était la Flûte enchantée au château de Vaux-le-Vicomte et il y a avait un peu de danse dans la mise en scène. Wozzeck, d’Alban Berg, c’était donc sinon une grande, du moins une petite première pour moi. Après la course pour gagner nos places de balcon obtenues à la dernière minute (enfin, à l’avant-dernière pour être exacte ; je n’ai pas encore reçu mon Pass jeune, parce qu’il paraît que mon adhésion à l’Arop n’avait pas encore été prise en compte – ne pas se demander pourquoi j’en ai reçu un mail le lendemain), il a fallu atterrir. Et là, force est de constater que je ne sais pas vraiment écouter et de reconnaître que l’oreille, ça s’éduque. J’ai mis un certain temps à synchroniser la lecture du prompteur avec l’écoute du texte allemand, et, tout en observant la mise en scène, à pouvoir entendre simultanément, quoiqu’en les distinguant, les voix et la musique. C’est un peu comme en danse, où il faut apprendre à désolidariser le haut du bas du corps afin de pourvoir ensuite coordonner les deux.
A la fin du premier acte, je commence à trouver mon rythme de croisière (gardez vos sarcasmes, je suis une cruche, ça sonnerait creux). De retrouver un peu d’allemand y aide bien : au tout début, impossible d’isoler des mots distincts dans les phrases prononcées ; puis en m’aidant du prompteur en français, je devine à retardement (rot – blot- tot, comme le refrain d’une comptine – oui, bon, je n’ai jamais été bilingue, hein, et c’est fou comme on perd vite en deux ans) ; à la fin, avec un coup d’œil en diagonale au prompteur, je devine par avance (« dunkel », yes ! – je sais, je m’amuse vraiment de pas grand-chose). N’empêche que ça me donne envie de refaire de l’allemand – pas au point de trouver les amphis à la fac, cela dit, faut pas déconner non plus.
Je ne connais rien à la musique ; je la ressens, je peux danser parfaitement en mesure (enfin presque, la plupart du temps, dirons-nous), mais l’écouter tout simplement, en restant immobile, j’ai du mal, la vision m’encombre. Tandis que la musique passe très bien en mouvements et que je pourrais presque dire que je l’écoute avec tout mon corps, mon oreille se perd dans les rythmes, la mélodie, la diversité des instruments, et le vocabulaire qui me permettrait d’identifier tout cela me fait cruellement défaut. Il m’est donc impossible de vous parler de cet opéra proprement dit – de dire que cela m’a paru… étrange n’avance strictement à rien.
Heureusement, même si les voix ajoutent à la difficulté de l’audition, Wozzeck est tiré d’une pièce de Büchner et l’intrigue, étant bien plus qu’un prétexte à la musique, permet à la novice (le mot technique pour « cruche ») que je suis d’entrer (un peu) dans cet opéra. Je ne vous ferai pas de résumé de l’action, vous trouverez cela ici si cela vous amuse, et ne me livrerai pas à un décorticage dans les règles, d’autant que ma paresse vous dira qu’il a déjà été mené à bien là (un petit extrait pour la route pour ceux qui ne cliqueront pas : « Œuvre de la déliquescence jusqu’à la perte au sens Absolu de soi, Wozzeck explore tous les travers imaginables du faillible, de la pauvreté et de la misère humaine, sachant que pauvreté et misère ne nous adviennent pas toujours que par le statut social. Ce qui y est perdu est précisément l’Absolu sans lequel la vie ne peut se faire. » – tant qu’on est dans le repiquage, je garde la formule d’ « opéra de l’absurde » de Palpat’ ) Il est d’ailleurs curieux de constater que cette fan d’opéra se lance dans une analyse de la pièce plus que de l’opéra (je schématise, bien sûr) – même si la musique doit certainement forger la perception que nous avons de l’ « histoire ». Ce doit être en partie parce qu’on ne fait pas sangloter les violons que le drame de Wozzeck peut être intense sans virer au pathétique pour autant. La mise en scène y contribue aussi par la banalité qu’elle expose : la caserne a été transposée en une grande cantine, derrière les vitres de laquelle des gamins s’agitent pendant quasiment toute la durée du spectacle. Je n’ai pas pu de m’empêcher de me demander d’où ils sortaient, si leurs déplacements étaient réglés (pour certaines entrées cela ne fait aucun doute), s’ils s’éclataient vraiment à courir partout sur scène et à sauter dans le trampoline gonflable ou si, justement, ces jeux réitérés chaque soir les gonflaient. Ah oui, je n’ai pas non plus capté pourquoi un pianiste restait planté côté cour sans jouer, à allumer et éteindre une lampe à des moments dont lui seul pouvait savoir qu’ils étaient clés. Questions pour le moins aussi existentielles que celles qui se posent à Wozzeck. Aussi curieuse (déplacée ?) la mise en scène soit-elle (et encore, apparemment, ils se sont calmés sur les couleurs par rapport à la dernière fois où il a été monté à Bastille), avec ce décor à la banalité étroite, « à la réalité, même pas sinistre, mais simplement rétrécie – et c’était peut-être pire-» * de cette cantine aux allures de hangar, la folie de Wozzeck s’expose sans exploser. A part un vol de chaussures dans lesquels l’amant (un bien grand mot pour un simili punk avec du bide, sur qui Marie n’a sauté qu’une fois avant d’implorer la Sainte éponyme de lui pardonner) a shooté, pas de cataclysme : c’est au milieu d’un décor immuable que Wozzeck implose.
Après la vidéo (d’époque, donc de piètre qualité) de la scène de la folie de Giselle par Olga Spessivtzeva … vers laquelle
B#2 m’a envoyée, on pourrait se demander si la folie est si reconnaissable que ça, tellement plus inquiétante de ne pas être surjouée ; la raison qui se décompose d’elle-même sans grand éclat. C’est malin, maintenant je n’ai plus qu’à lire L’Histoire de la folie de Foucault (auquel cas vous pourrez faire une pétition pour ne pas avoir de post là-dessus).
C’était la critique chaotique d’une souris décontenancée. Inquiétez-vous, ce n’est pas fini.
* Melendili aura reconnu Perec.
Bonsoir La Souris,
Tout d’abord, merci pour votre renvoi chez moi ici.. 🙂
Ensuite c’est là la première fois que je marque et prends le temps de m’arrêter à votre rivage et vous m’en voyez postivement et littéralement ra-vie!
Hören oder sehen? Les deux interdépendemment bien « entendu ».
Je vous précise en passant (quoique que n’étant pas certaine du tout que c’est là ce que vous disiez) que je n’analyse en rien Büchner pour la bonne et simple raison de n’en connaître que des extraits. J’ai du reste pour habitude d’évacuer le discours po-musicologisant des billets, attachée à la dramaturgie et au tragique d’un oeuvre, ceci s’entendant musicalement et aussi de manière à être un tant soit peu lisible hors sphère « technique ».
Non, c’est bien de l’opéra de Berg que je parle, notamment de ce personnage « fragmenté/fragmentaire » qu’est Wozzeck, ce qui s’entend d’une perspective musicale dans mon propos. Mais j’évite de rentrer dans le descriptif, fort peu (à mon sens) saisissant de « forme A-B-A », par exemple.. Ce qui s’entend également dans le sens où je décris ce que Berg a tiré de trame des fragments de l’auteur (n’en ayant conservé que 15 sur 25 ou 27 – trou de mémoire, non pas de souris ou gruyère)..
Ceci étant, vous lisant au sujet du dispositif scénique, il me semble sans doute mieux saisir, au final, ce que Marthaler a tenté. La « banalité » que je dirais au sujet de Berg descriptif du processus de banalisation, donc dénégation de l’être de l’autre, comme décor ou absence-de-décor car absence d’être et assujettissment à tout ce qui ne doit pas se faire jour, même si peu convaincue esthétiquement (en phase avec vous au sujet des trampolines).
Et donc musicalement : avez-vous aimé? Question première à l’opéra.. 🙂
Merci donc et encore et peut-être à bientôt, ici ou ailleurs. 😀
C’est moi qui vous remercie !
Je me suis mal exprimée (il y a un moment, lorsque je commence à m’enliser dans les longueurs du post, où j’expédie les mots dans l’à peu près, à défaut de trouver la nuance qu’il me faudrait) : en disant que vous analysiez la « pièce » plus que l’opéra, je ne pensais pas à Büchner (pour la simple et mauvaise raison que je ne l’ai pas lu), mais à la dimension dramatique de l’opéra. Je craignais d’être schématique, et j’en ai la confirmation avec ce que vous me dites – que l’analyse musicale n’est pas écartée mais sous-jacente (tant mieux pour moi, ceci dit, je n’y comprendrais rien).
Quant à savoir si j’ai aimé, c’est bien embêtant, je vous l’accorde, mais si je reste honnête, force est d’avouer que je n’en sais fichtrement rien. Et qu’à la limite, ça m’importe assez peu. J’ai été fascinée, mais après… Je ne peux pas dire que j’ai aimé sans toutefois pouvoir non plus affirmer que je n’ai pas aimé. L’un comme l’autre sonnerait faux. Ce n’est pas non plus de l’indifférence – j’en resterai donc pour le moment à la fascination, dusse-t-elle mettre à mal le principe de non-contradiction.
A bientôt, oui !