Les Suffragettes

Les Suffragettes est une épopée droit-de-l’hommiste typique : grandiose au risque d’être grandiloquente, mais bien ficelée, efficace. Une piqûre de rappel ne fait jamais de mal, surtout lorsque le casting comporte de fortes et belles gueules : Meryl Streep fait une courte apparition en Emmeline Pankhurst, tandis qu’Anne-Marie Duff et Helena Bonham Carter (Bellatrix Lestrange dans Harry Potter) incarnent des suffragettes convaincues qui rallient à leur cause l’héroïne, pas revendicatrice pour un sou au départ. Carey Mulligan, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, porte le film non sur ses épaules mais sur son visage : la commissure des lèvres qui se relève, chez elle, n’est pas un sourire, c’est une hésitation entre la joie, la douleur, la timidité, le regret, l’amour et autres nuances musculaires. On la suit volontiers et avec elle, la vie de ces femmes qui, en réclamant le droit de vote, semblaient moins réclamer un changement politique que social – le droit à ne pas subir un destin de misère au moins autant que celui de ne pas dépendre d’un père, d’un frère ou d’un mari. Le film montre d’ailleurs bien l’imbrication des mécanismes de domination patronale et patriarcale : si son mari (jamais violent) met Maud à la porte, c’est aussi parce qu’elle est la seule sur laquelle il peut exercer et évacuer la domination que lui-même subit de la part d’un patron (le grand méchant, capitaliste et pervers) qui, de Maud, n’a pas exploité que la force de travail (histoire de mettre de l’huile sur le feu et d’attiser la reproduction de la domination par la fierté du mâle blessé).

On grimace lorsque les gardiens de prison entubent de force Maud après cinq jours de grève de la faim, et l’on s’efforce de ne pas penser à Guantánamo et autres perpétuations modernes de pratiques barbares. Le générique final commencera par faire défiler les dates auxquelles les femmes ont obtenu le droit de vote dans le monde ; le brouhaha léger de l’assistance, essentiellement féminine, souligne que 1944 tarde à arriver. L’Arabie Saoudite, où le droit de vote a été promis pour l’année à venir vient clore la liste, qui comprend tout de même des pays dont on est en droit de se demander s’ils comptent vraiment dans l’avancée des droits de la femme : les hommes y attendent toujours le droit de vote, ironise Palpartine à côté de moi – égalité dans l’absence de démocratie.

 

Irrational joy

« Just what the world needs, another book about Heidegger and fascism. »

Même si le nombre de ses films que j’ai appréciés doit commencer à équivaloir voire dépasser le nombre de ses films qui m’ont horripilée, je continue de partir du principe que je déteste Woody Allen. Il ne peut ainsi y avoir que de bonnes surprises : Midnight in Paris, Magic in the Moonlight et maintenant, poursuivant la logique allitérative, Irrational Man.

Alcoolique, débraillée, désabusée, la philosophie a sous les traits d’Abe Lucas une sale gueule. Les simplismes auxquels on s’attendait de la part d’un personnage de professeur de philosophie en deviennent paradoxalement assez savoureux – plaisir de junk-food que ces « McNuggets of Wisdom™ » et « fortune cookie versions of the wisdom of Soren Kierkegaard, Jean-Paul Satre, and Simone de Beauvoir1« . Du nawak en barre, juste assez spécifique, cependant, pour que la qualification de la philosophie comme masturbation intellectuelle soit moins perçue comme mépris que comme auto-dérision. Woody Allen n’essaye même pas : plutôt que d’allonger la longue liste des films présentant des cours de philo qui sonnent faux, il fonce direct dans la parodie, entraînant le personnage de Jill Pollard avec lui. La belle et brillante étudiante tombe donc instantanément amoureuse de son professeur à la réputation sulfureuse et aux paroles éblouissantes, peu importe que ses idées soient plus brouillonnes qu’hétérodoxes et qu’il bande mou (de toutes façons, les couilles molles, ce n’est pas ce qui manque chez Woody Allen).

Emma Stone prête des grand yeux de merlan frit à l’étudiante et n’hésite pas à déformer ses traits jusqu’à la laideur lorsque celle-ci finit horrifiée par son maître à penser – une expressivité qui peut attirer des critiques contradictoires : à la fin de la séance, une femme déplore que l’actrice mise tout sur sa plastique, tandis que je ne sais plus qui m’a dit la trouver laide. Je le vois davantage comme une beauté protéiforme, que rien, pas même les miroirs déformants d’une fête foraine, ne peut entamer – rions-en un coup et reprenons.

Woody Allen met en place le cliché narratif de l’étudiante amoureuse de son prof de philo… pour mieux le laisser tomber. Pas le twister ou le revisiter, non, non, le laisser tomber, comme une vieille chaussette, de côté. Car ce n’est pas de Jill que vient l’électrochoc qui va tirer Abe de sa dépression de philosophe alcoolique blasé, mais d’une conversation entendue par hasard en sa compagnie, l’histoire d’une femme désespérée parce qu’elle se voit retirer la garde de ses enfants par un juge véreux, ami de son ex-mari. Et là, Abe décide de tuer ledit juge. Comme ça. Pour le fun – qu’il recommence enfin à sentir. Et d’aller étrenner sa capacité renouvelée à bander avec la prof qui lui court après depuis un moment. C’est seulement après, après la résolution meurtrière, qu’il cède aux avances réitérées de Jill, quand l’intrigue amoureuse a été reléguée au second plan par la préméditation d’assassinat. Meurtre 1 – philosophie 0.

<spoiler intégral> Non seulement Abe commet le meurtre, mais il n’en éprouve pas une once de remord. Persuadé que, mieux que les idées qu’il a toute sa vie maniées, cet acte redonne sens à sa vie, il en profite pleinement. Si angoisse il y a, c’est uniquement de se faire attraper. Lorsqu’elle comprend qu’il est l’auteur du crime, Jill écoute son instinct, comme le lui demande Abe, mais, contrairement à lui, son instinct ne lui dicte que répulsion ; horrifiée, elle rompt avec Abe, sans toutefois le dénoncer. Instinct, impératif catégorique, justice, éthique… alors que, devant ce déballage contradictoire, le spectateur s’apprête lui aussi à devoir choisir un camp dans la question de savoir si cet meurtre est ou non moralement justifiable, Woody Allen lui coupe l’herbe sous le pied : Jill menaçant finalement Abe de le dénoncer pour blanchir le suspect retenu par la police, Abe s’apprête à la tuer, mais au moment de la balancer dans la cage d’escalier, il glisse sur la lampe torche qu’il lui avait gagné à la fête foraine et tombe à la place de sa victime. Premier meurtre moral ? Immoral ? Hop, seconde tentative de meurtre actée ; la question est réglée ; le jugement, suspendu. </spoiler intégral>

Tout cela, finalement, est bien moral – comme peuvent l’être, quelques part, les contes de Rohmer, où les décisions des personnages coïncident a posteriori avec la morale telle que le sens commun l’imagine a priori ; non pas parce que cette morale constituerait la raison à laquelle ils retourneraient, enfin raisonnables, mais parce qu’elle s’offre in fine comme le chemin qui leur permettra d’augmenter et de persévérer dans leur être. Pas une seule de leur errance n’est considérée comme telle : c’est une part du cheminement, qui, à ce titre, ne saurait être reniée ni considérée comme immorale. Abe en donne une preuve par l’absurde, tandis que Jill retourne auprès de son petit ami initial. Tout cela est bien moral, c’est-à-dire : tout cela est amoral ; l’art reprend ses droits.

Remember : « There is no such thing as a moral or an immoral book. Books are well written, or badly written. That is all. » En arrêtant de fanfaronner avec ses héros immoraux sans remord (Match Point) ou de larmoyer sur son exact opposé (Le Rêve de Cassandre, une daube qui m’a excédée), Woody Allen remet la création au centre, avec ses fausses pistes et ses échos narratifs qui miment et raillent à la perfection les coïncidences et les hasards de l’existence. L’art, mes enfants, l’art. Le reste n’est que littérature, ou philosophie – films précédemment cités compris. Forcément, je jubile et trouve ça génial : le réalisateur est d’accord avec moi pour dire contre lui que Woody Allen, c’est un peu pourri. Melendili, dépitée, a trouvé ce dernier film « tout moisi ». Normal, les fans ont de quoi se sentir un poil vexés. Woody Allen est détestable. CQFD.

Mit Palpatine

1 Marcus Hedahl dans « Philosophers on ‘Irrationnal Man’ », sur le site Dailynous, août 2015. L’article dans son ensemble est savoureux. 

 


Edit

Melendili m’a pris flagrant délit de mauvaise foi intellectuelle. J’étais tellement de bonne foi dans ma mauvaise foi que j’ai mis un certain temps avant de comprendre… que j’avais objectivé mon ressenti et, qu’en attribuant au film ce qui relevait de ma perception, je faisais passer les fan de Woody Allen tous films confondus pour des gens peu regardant sur la qualité artistique. Alors que ce n’est manifestement pas le cas (sauf pour Le Rêve de Cassandre, quand même, faut pas déconner). Je citais Melendili parce qu’elle me semblait une amatrice au sens noble du terme. Je dois avouer regarder avec un peu d’envie les amateurs capables, contrairement à moi, de ne pas s’arrêter à la caractérisation morale des héros et à l’envie subséquente de leur coller des baffes. D’ordinaire, les personnages de Woody Allen me font le même effet que Julien Sorel : j’ai beau savoir que la boulette-attitude du héros de Stendhal est créée par un procédé de distanciation permanent, je me prends la dissonance narrative de plein fouet et ma détestation du personnage s’étend au roman. Je déteste Le Rouge et le Noir à cause de Julien Sorel, que je n’ai qu’une envie : étrangler. Cette détestation est pourtant une marque flagrante de la réussite de l’auteur : si j’ai envie d’étrangler un personnage de papier, c’est qu’il a réussi à le rendre plus vrai que nature ; son entreprise romanesque est un succès… que je suis incapable d’apprécier. Idem avec Woody Allen. Je vous laisse remettre dans mon texte des modalisateurs là où il devrait y en avoir ; le biais de cette chroniquette en dit autant que sinon plus que son raisonnement claudiquant (et puis, flemme oblige, les seules preuves que je prends soin de faire disparaître sont les crêpes ratées).

Great age

À Rome, dans une discussion au creux de la nuit, s’est dessinée avec insistance l’idée que l’on passe sans doute une grande partie de sa vie à se défaire de ce que l’on a appris-absorbé-amalgamé au tout début, en quelques années. Apprendre à lâcher prise pour apprendre à mourir et finalement à vivre. Alors pourquoi pas intituler Youth un film qui voit la vie d’une station thermale par le prisme de deux amis âgés. Après tout, la sagesse nous envoie à l’enfance. Paolo Sorrentino se joue des tragédies, des drames et des tracas de la vie ; il n’appuie sur rien – les masseuses sont là pour ça – lui effleure et tout affleure : l’amour, le comique, les rancoeurs, l’amitié… tout déjà passé, tout à rejouer dans cette station thermale où les personnages secondaires ne le sont jamais vraiment, figurines de chair et d’affects dans les cases d’un calendrier de l’avent – avant la fin. (Je me demande si cela ne crée pas un genre film de station thermale, parce que Youth m’a fait penser à The Grand Budapst Hotel alors que l’esthétique n’est pas du tout la même).

Autour du réalisateur qui n’en finit pas de réaliser des films et du chef d’orchestre qui refuse de reprendre la baguette, fusse pour la reine d’Angleterre, orbitent une jeune masseuse aux oreilles décollées, qui masse consciencieusement les corps décrépis avant d’agiter le sien devant l’écran de sa console ; Miss Univers, pas née de la dernière pluie ; un acteur qui, las de n’être reconnu que pour le robot qu’il a joué, traîne la moustache hitlérienne de son prochain rôle jusque dans le restaurant de l’hôtel ; une star de rap obèse, qu’on dirait plutôt bedonnant pour le plaisir de l’allitération bête et bedonnant ; un petit garçon qui essaye de jouer du violon ; un alpiniste emprunté comme un nain de jardin et la fille du chef d’orchestre, qui continue à se soucier de lui en dépit de la surdité qu’il a manifestée envers elle et sa mère par le passé1. Une vraie galerie de personnages, croqués avec tendresse mais sans concession, au milieu de laquelle on déambule en souriant, sans avoir besoin de savoir où l’on va (puisqu’on ne le sait que trop bien : la vie, en général, quand ça finit, c’est que ça finit mal). C’est fin, jusque dans la caricature, et extrêmement malicieux – aussi malicieux que le regard noisette de l’ami berlinois de Palpatine, qui, à soixante-dix ans passés, semble toujours prêt à faire les quatre cents coups.

Mit Palpatine

 
1 La fille fait part de ses griefs à son père alors qu’ils sont immobilisés côte à côte… dans un enveloppement de boue. D’une manière générale, dans Youth, les corps donnent l’impression d’être risibles – sûrement parce nos petits tourments le deviennent lorsque le corps nous rattrape (et il nous rattrape toujours).   

Le Prodige roque

Le véritable prodige de ce film sur Bobby Fischer est de parvenir à instaurer une tension dramatique autour des échecs, sans jouer version sorcier, ni même exiger du spectateur qu’il connaisse les règles de jeu. Les miennes se bornent au déplacement des pièces – tout juste de quoi frémir lorsque le déplacement, pile dans le L du cavalier adverse, implique un sacrifice. Cette stratégie de jeu donne même au film son titre original : The Pawn Sacrifice1. Bobby Fischer n’est pas du genre à jouer timoré : il déteste les match nuls et, lorsqu’il comprend que les Russes jouent en équipe contre lui et cherchent le pat pour mathématiquement l’empêcher d’accéder à la finale, il crie au scandale et claque la porte. Autant dire qu’en pleine guerre froide, ce n’est pas le représentant le plus diplomatique que les États-Unis puissent envoyer pour un « tournoi amical », mais c’est le seul Américain (le seul Occidental, en fait) qui puisse battre les champions russes.

Le contexte politique assure à la fois l’amplification médiatique du phénomène (Bobby Fischer, aussi arrogant que brillant2, devient une rock star et ne se déplace jamais sans son avocat-manager, qui pare tant bien que mal à ses caprices de diva3)… et la paranoïa grandissante de Bobby, en présence de qui les combinés téléphoniques, suspectés de comporter des micros, voient leur espérance de vie réduite à peau de chagrin. En même temps, il n’a pas totalement tort… pris de colère dans sa chambre d’hôtel, son adversaire russe interpelle Brejnev et compagnie : son manager-chaperon débarque dans la seconde qui suit. Et les deux gaillards qui, sur la plage, l’attendent en costume avec un peignoir de bain, ressemblent moins à des gardes du corps serviables qu’à des agents du KGB.

La tension monte autour du tournoi entre Bobby Fischer et Boris Spassky, le champion du monde en titre, à ne plus savoir ce qui, de la défaite ou de la folie, est le plus à craindre. Il y a quelque chose de la fièvre qui anime Le Joueur d’échec de Stefan Zweig, que l’adversaire russe sent et redoute4 : il a vu à la première partie comment Bobby a sacrifié ses pions et confie à son chaperon – il l’a appris de son maître – qu’on ne peut rien contre un homme qui n’a pas peur de mourir. Une remarque formidablement juste du prêtre-coach (troisième larron avec l’avocat-manager) entérine la sagesse de cette intuition : Bobby n’a pas peur de perdre, il a peur de se qui pourrait se passer s’il gagne. S’il n’a plus personne à battre, plus de titre à conquérir, plus qu’un titre à défendre, le jeu, dépourvu de tout enjeu, perd sa force de divertissement – au sens pascalien du terme. Il y a fort à parier qu’en ce cas-là, seul le fou resterait sur l’échiquier, et c’est à vous donner le vertige, autant que les 10120 combinaisons qui sont autant de parties possibles, que nul ne pourra toutes jouer.


1
 Si jamais vous êtes comme moi et que vous lisez un peu vite : non, aucune crevette (prawn) n’a été maltraitée dans ce film, il s’agit bien d’un pion (pawn).
2 Son moment préféré dans un tournoi ? Celui où il voit son adversaire ravaler son ego.
3 Son adversaire n’est pas en reste, qui demande à ce qu’on retire les micros de son fauteuil. Après passage dudit fauteuil aux rayons X, il s’avère que l’on n’a rien trouvé… que deux mouches mortes. La princesse au petit pois peut aller se recoucher avec ses sept matelas.
4 Et admire. Lorsqu’il comprend d’un coup qu’il a été piégé et comment il a été piégé, il est pris d’un fou sourire et, se levant, applaudit son adversaire. C’est ce qui s’appelle être beau joueur. Du coup, celui qui tient le rôle de celui-qu’il-faut-battre paraît paradoxalement plus humain que le héros avec lequel on aurait dû avoir le temps d’entrer en empathie depuis le début du film.   

Le Tout Nouveau Testament athée

En voyant la bande-annonce du Tout Nouveau Testament, je me suis dit qu’il fallait absolument que j’y aille. J’imaginais que cette parodie biblique serait quelque chose comme une version comique des Intermittences de la mort. Cela commence fort, avec en prologue l’Ancien Testament revu et corrigé sauce Arte : après des girafes de synthèse, c’est un homme nu qui déambule dans les rues vides et pluvieuses du Bruxelles d’aujourd’hui, essaye de se débarrasser du rectangle noir de la censure qui lui colle au cul, et rencontre Ève, nue dans une cantine vide, un badge à son nom collé sur le sein. Avance rapide sur la reproduction des générations : nous voilà aujourd’hui, dans l’appartement de Dieu, un beauf exécrable qui n’arrête pas de faire des crasses à ses créations et de gueuler contre sa gamine, laquelle décide de suivre l’exemple de son frangin JC et se tire pour aller rassembler sa team d’apôtres (JC lui conseille d’en prendre 6, comme ça, avec les 12 à lui, ça fait 18, comme une équipe de baseball – sport qu’adore leur mère et que déteste leur père).

À partir de là, le film se déroule par chapitre, un par apôtre, six séquences où chaque élu-au-hasard raconte son histoire à la gamine qui écoute et épilogue en leur dévoilant quelle est leur « petite musique1 ». Le ton est donné : Le Tout Nouveau Testament, c’est la rencontre de Céline et d’Amélie Poulain. Le rouge et vert, qui auraient révélé le fabuleux destin cliché de l’humanité, ont tourné : le bain du Tout Nouveau Testament ressemble à l’eau qui flotte dans la poêle de Palpatine2 quand l’évier déborde de la vaisselle de toute la semaine. De loin, l’accumulation est comique, mais quand on s’approche, cela se met à puer. Des relents de déception, de ressentiment, d’aigreur. Envers les cons, les beaufs et les simples d’esprit, envers la société toute entière, envers l’homme et envers Dieu, envers et contre tous. L’humour potache, relevé avec beaucoup de légèreté par la culture que suppose la parodie, découvre un arrière-goût de satire – on ne blasphème plus de gaité de cœur. Ma religion, c’est du poulet : sauce aigre-douce. On ne sait pas si la douceur est là pour rajouter quelques grammes de tendresse (le visage tout rond de la fille de Dieu, la rencontre pleine de fleurs jaunes entre la belle apôtre à qui il manque un bras et son condisciple assassin…) dans un monde de brutes (où les SDF se font tabasser) ou bien si l’ironie cinglante doit sauver l’amour de la niaiserie.

Le film se finit sur une pirouette divine : ceux dont l’heure était venue sont épargnés, et les compteurs du temps annoncé jusqu’au décès sont supprimés. On a à peine le temps de savourer ce petit miracle que la femme de Dieu, qui n’est que paix et tricot, se met à refaire la déco de la création et tapisse le ciel avec un motif à grosses fleurs soixante-dizard. Le kitsch de ce papier-peint windosien est raillé avec une virulence qui trahit un certain malaise : en le réduisant à sa dimension esthétique, on veut méconnaître que le kitsch est consubstantiel à l’homme, lequel se sait mortel et fait tout pour l’oublier. Y compris se laisser aller au bon sentiment dans un film déjanté à la Arte. Et railler ce laisser aller. Peut-être que, dans cette comédie aigre-douce, c’est notre condition que nous ne parvenons pas à digérer. En tant qu’athée, on veut avoir foi en l’homme, mais ce succédané d’absolu donne envie de crier je t’aime je te hais à ce Dieu qu’on a tué. T’aurais quand même pu nous faire à ton image, Ducon. Immortels. On se serait marré, au lieu de rire jaune.


1
 Petite musique baroque : à la fin de la séance, j’ai entendu un spectateur regretter qu’il n’y ait pas d’autres musiques, « du jazz par exemple ». Fear.
2 Toute coïncidence avec des personnes, réelle ou fictives, est fortuite.