Les Veuves

Les veuves de Steve McQueen sont les épouses de malfrats morts lors d’un braquage raté. Ces victimes collatérales ne le restent pas longtemps : l’entourage mafieux a tôt fait de venir leur réclamer les comptes non soldés. Acculées par l’engrenage de la violence et mues par le désir d’en sortir, elles reprennent à leur compte cette violence jusque-là subie, et c’est à un empowerment douloureux mais salutaire que l’on assiste. Le réalisateur parvient ainsi à montrer très intelligemment les ramifications de la violence dans toutes les couches de la société (les veuves appartiennent à des milieux sociaux contrastés), sans nous priver de la jouissance badass du film de braquage – et même, on a le droit à des scènes croquignolesques, comme lorsque la top model du groupe se met à jouer la fille de l’Est désespérée pour obtenir l’aide d’une redneck. La gamine de cette dernière lui tire la manche : Don’t you always say guns are a girl’s best friend?

Mit Palpatine

High Life, la vie perchée

Film de Claire Denis,
vu en novembre avec Palpatine

Des condamnés à mort ont été envoyés dans l’espace pour une mission d’exploration, accompagnés d’une scientifique, en réalité une Médée-prêtresse-du-sexe faite docteur ès fécondation in vitro. D’emblée, le suspens est levé ; il  n’y a plus d’espoir, le sale espoir : un seul homme a survécu aux radiations. Sur fond de flash-back qui ne font finalement qu’épaissir le mystère, on assiste à sa vie-survie dans la station, aux cotés de sa fille, bébé-éprouvette censé permettre à l’équipage d’arriver à destination en passant le relai à la génération suivante.

Le vaisseau spatial manque singulièrement de bibliothèque : il n’y a rien à faire, sinon se faire tuer par le temps, se rappeler les déchirures passées et les cadavres de ses camarades semés dans l’espace lors d’une scène choquante où, la porte ouverte sur l’espace, notre survivant sans combinaison porte le poids  des corps qui retrouvent les lois de la physique et se mettent à flotter-dériver sitôt la porte passée (je commence à avoir vu trop de films dans l’espace, et plains les scientifiques qui doivent être déconcentrés par ces incohérences à tout bout de champ – même si, ok, la symbolique, le fardeau, tout ça…).

Le film, ne pouvant aller nulle part, se termine par une pirouette spatio-temporelle, où père et fille s’échappent de la station spatiale dans un mini-vaisseau qui fonce vers une courbure temporelle hyper lumineuse, éblouissant-omettant l’inceste qui seul permettra de mener la mission à bon port et, surtout, de ne pas laisser la jeune fille mourir seule.

La pléiade de bons acteurs (Robert Pattinson, Juliette Binoche, Claire Tran…) transforme en fascination ce que le film a de déconcertant, mais les scènes cousues ensemble sont trop hétéroclites pour que cette fascination poursuive le spectateur au-delà. Un film-OVNI, quoi.

Le Grand Bain

L’introduction décalée-échevelée énonce l’impossibilité de faire rentrer un élément rond (la vie, les cycles, l’organique) dans un carré (les règles, l’organisation, le boulot-boîte) : aussitôt j’entends Arielle Domsbales tenter de méditer sur sa baignoire. Un cercle est un carré ; un carré est un cercle – iooooooonnnn. Peut-être ne m’étais-pas pas autant marrée devant une comédie française depuis Un Indien dans la ville, tiens.

Dans Le Grand Bain, Gilles Lellouche rassemble une Pléiade brochette de bons acteurs, qui jouent des laissés pour compte pas méchants mais… bien gentils, quoi. Le film débite à toute vitesse les aventures de ces gars particulièrement lents à la comprenette : la concaténation des rythmes entraîne, implacable, le rire. Je m’y laisse d’autant plus facilement aller que la bêtise est jouée, par des lettrés ; dans la vie, elle aurait plutôt tendance à me terrifier. Puis c’est bien fait, c’est humain : le rire qu’on établit d’abord comme un cordon sanitaire entre eux et nous devient peu à peu contagieux ; on commence par rire de pour finir par rire et sourire avec, pris de sympathie pour des personnages qu’on avait d’abord pris de haut. Merci les gars – et Virginie Effira, que j’adore à chaque dois davantage, ici impayable en entraîneuse de natation synchronisée qui lit du Rilke à son équipe de bras cassés pendant les entraînements.

Les Animaux fantastiques : les crimes de Grindelwald

Mes souvenirs du premier volet étaient confus, éclipsés par le niffleur et les pommettes d’Eddie Redmayne (probablement mon fantasme type numéro deux après Gaspard Ulliel). Dans ce deuxième opus, on fonce vers l’intrigue en survols piqués un brin épuisants. Les relations entre les personnages sont presque uniquement développées lors de pauses express entre deux rebondissements épiques – pause, avance rapide, on est en retard sur l’intrigue, il faut tout caser. Pour compenser, il y a du scoop : Dumbledore gay ! Dommage qu’il ait scellé un pacte de sang avec Johnny Depp, qui me court un peu sur le haricot (il fallait probablement une antithèse au combo Eddie Redmayne + Jude Law). Mais globalement, c’est l’éclate, surtout sur les sièges en cuir vibrant du cinéma hong-kongais que Palpatine tenait à juste titre à me faire tester : je m’attendais à un Futuroscope bis, mais les vibrations sont discrètes, assez fortes pour être ressenties sans distraire du film. Petit kiff à chaque attaque à la baguette (et le feu d’artifice <3) : j’ai, littéralement, vibré avec Eddie Redmayne.

Mit Palpatine

Épiphanies bonus :

  •  J’ai enfin trouvé à qui Katherine Waterstones me fait penser : même bouille joufflue-choupie-dépitée que Carey Mulligan !
  • Le méchant est toujours l’Autre, et l’Autre est étranger, au moins de consonance : après un Voldemort en français dans le texte, Grindelwald affiche un patronyme allemand qui permet de filer la métaphore du mage noir nazi.

Mortal Engines

On repère facilement ce qui fait un mauvais film, mais un film médiocre, à quoi ça tient ? Je me le suis demandé confusément pendant Mortal Engines, choisi un peu par défaut pour tester un cinéma vietnamien délirant où l’on est installé… sur un lit ! Le plaisir de se calfeutrer en public mais pas trop dans les coussins, abrité par une énorme tête de lit, et de siroter un thé posé sur une petite tablette à côté, l’a emporté sur le questionnement et s’est confondu avec le plaisir du film qui se gâche sans arrière-pensée, le frisson à pas cher et le spectateur content, pas exigeant.

C’est marrant, après tout, une ville sur un char d’assaut, qui essaye de phagocyter les cités étrangères, et l’héroïne poursuivie par la créature sans coeur mais-quand-même-avec-un-peu qui l’a élevée et veut à présent sa perte car elle s’est soustraite à sa promesse, de mourir pour ressusciter à son image, sans sentiments, sans tourments, sans le souvenir de son père tuant sa mère. C’est dingue tout de même, le nombre de films qui veulent nous persuader de la valeur des sentiments, de leur beauté censée racheter notre mortalité. On dirait qu’on en a sacrément besoin.

Avec tout ça, ce n’est qu’après la séance qu’une hypothèse de réponse a germée. Le film médiocre, c’est celui où, quand l’héroïne apparaît, tu te dis : voilà l’héroïne belle et rebelle ; quand le gentil boulet beau gosse arrive : voilà l’archétype du mec dont elle va tomber amoureuse. L’universalité devance la particularité censée la véhiculer.